Charland c. Bell Canada |
2014 QCCS 2667 |
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JB3984 (Chambre civile) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-06-000572-111 |
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DATE : |
9 juin 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
GUYLÈNE BEAUGÉ, J.C.S. |
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MONIQUE CHARLAND |
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HUGUETTE CHARBONNEAU DANEAU |
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-et- |
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MICHAEL HORNBROOK |
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Requérants |
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c. |
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BELLCANADA |
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BELL MOBILITÉ INC. |
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BELL EXPRESSVU SOCIÉTÉ EN COMMANDITE |
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Intimées |
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JUGEMENT sur une requête pour autorisation d'exercer un recours collectif |
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INTRODUCTION
[1] Le 29 juin 2011, les requérants demandent l'autorisation d'exercer un recours collectif contre les intimées. Ils amendent leur requête le 13 décembre 2013 pour représenter désormais toutes les personnes physiques, personnes morales de droit privé, sociétés ou associations formant le groupe national suivant (le « GROUPE PRINCIPAL ») :
Toutes les personnes physiques et toutes les personnes morales de droit privé, sociétés ou associations, à l'exception des personnes morales de droit privé, sociétés ou associations qui, en vertu de la législation applicable, ne peuvent être membres d'un groupe dans leur province, qui étaient abonnées aux services de téléphonie filaire, aux services Internet, aux services de télévision et/ou aux services sans fil (les services) de l'Intimée Bell Canada et/ou de l'Intimée Bell Mobilité inc. et/ou de l'Intimée Bell ExpressVu société en commandite (les « Intimées ») et qui ont été facturées par les Intimées des frais obligatoires supplémentaires comme des frais Touch-Tone, de location de modem Internet, MSN Premium Service, d'accès au réseau, de service numérique, de location de récepteur HD pour la Télé Fibe RVP et/ou de connexion de réseau interurbain ou qui ont été facturées à des tarifs supérieurs à ceux qui leur avaient été indiqués par les Intimées pour les Services à n'importe quel moment au cours de la période allant du 1er décembre 2007 au 29 juin 2011 au Canada[1].
[2] Les requérants désirent également exercer un recours collectif contre les intimées fondé sur les dispositions de la Loi sur la protection du consommateur[2] (LPC) ou toute autre loi provinciale similaire, pour le compte de toutes les personnes physiques, sauf les commerçants, formant le sous-groupe national suivant (le « GROUPE CONSOMMATEUR ») :
Toutes les personnes physiques, sauf un commerçant qui a conclu un contrat pour les fins de son commerce, qui étaient abonnées aux services de téléphonie filaire, aux services Internet, aux services de télévision et/ou aux services sans fil (les « Services ») de l'Intimée Bell Canada et/ou de l'Intimée Bell Mobilité inc. et/ou de l'Intimée Bell ExpressVu société en commandite (les « Intimées ») et qui ont été facturées par les Intimées des frais obligatoires supplémentaires comme des frais Touch-Tone, de location de modem Internet, MSN Premium Service, d'accès au réseau, de service numérique, de location de récepteur HD pour la Télé Fibe RVP et/ou de connexion de réseau interurbain ou qui ont été facturées à des tarifs supérieurs à ceux qui leur avaient été indiqués par les Intimées pour les Services à n'importe quel moment au cours de la période allant du 1er décembre 2007 au 29 juin 2011 au Canada.[3]
[3] Les requérants définissent ainsi les questions de faits et de droit identiques, similaires ou connexes dont ils recherchent la détermination :
110. Est-ce que la personne en question a contracté un service de téléphonie résidentielle, Internet et/ou télévision à n'importe quel moment pendant la période débutant au mois de décembre 2007 auprès des Intimées?
111. Les Intimées ont-elles commis une ou des fautes génératrice(s) de responsabilité?
112. Les agissements reprochés aux Intimées ont-ils causé des dommages aux membres du Groupe?
113. Est-ce que les Intimées sont responsables des dommages subis par les membres du Groupe Consommateur en vertu de la Loi sur la protection du consommateur ou toute autre loi provinciale similaire applicable?
114. Est-ce que des Intimées sont responsables des dommages subis par les membres du Groupe en vertu de la Loi sur la concurrence?
115. Les Co-Requérants et les membres du Groupe Consommateur ont-ils droit à des dommages punitifs?
116. Les Intimées sont-elles responsables envers les Co-Requérants et les membres du Groupe pour les dommages subis par ces derniers?
[4] Par jugement final, les requérants recherchent la condamnation des intimées au paiement de dommages-intérêts compensatoires d’un dollar à chaque membre du groupe pour les sommes payées en trop, de dommages-intérêts non pécuniaires de 100 $ à chaque membre du groupe pour troubles et inconvénients, et de dommages exemplaires de 1 000 $ à chaque membre du sous-groupe de consommateurs.
[5] Le litige couvre la période du 1er décembre 2007 au 29 juin 2011. À l'époque de l'institution du recours, les trois intimées (collectivement « BELL ») appartiennent au groupe BCE inc. :
· Bell Canada fournit des services et produits de télécommunication filaires résidentiels et commerciaux, y compris au moyen de la technologie fibre, ainsi que des services internet pour clients résidentiels et commerciaux;
· Bell Mobilité inc. (« BELL MOBILITÉ ») offre la télécommunication sans fil;
· Bell ExpressVu société en commandite (« BELL EXPRESSVU ») propose des services de télécommunication en radiodiffusion et de télévision par satellite.
[6] Déclarant avoir souscrit des services auprès de Bell facturés sur une « facture unique » portant son logo, les requérants se déclarent membres des groupes pour le compte desquels ils souhaitent se voir octroyer le statut de représentants.
· Madame Monique Charland
[7] Résidente du Québec, Mme Monique Charland est déjà cliente de Bell pour des services de téléphonie résidentielle, d'internet et de télévision avant la période litigieuse[4]. En outre, elle assume les coûts reliés au service de téléphonie résidentielle fourni à sa fille Dominique Forget.
[8] Mme Charland reçoit des lettres publicitaires promouvant les services Internet aux clients du service de téléphonie[5]. Elle ne modifie pas son forfait auprès de Bell pendant la période litigieuse[6], ni ne se plaint du coût des services reçus[7].
· Madame Huguette Charbonneau Daneau
[9] Résidente du Québec, Mme Huguette Charbonneau Daneau s'abonne à plusieurs produits de Bell Canada le 18 mars 2011 à la suite d'une visite à domicile d'un de ses représentants porte-à-porte, le conseiller Mustapha[8]. Le coût des services qu'elle souscrit alors se chiffre à 83,28 $ par mois, ventilés comme suit :
- téléphonie résidentielle : prix promotionnel de 20,33 $ (prix régulier : 36,95 $);
- internet : prix promotionnel de 29,95 $ (prix régulier : 44,95 $);
- télévision : prix promotionnel de 33 $, comprenant un supplément de 15 $ pour le produit option à la carte 15 (prix régulier : 45 $).
[10] Mme Charbonneau Daneau reçoit par la suite une lettre non datée du vice-président, expérience client de Bell relative aux « détails de l'offre et du plan (…) sélectionnés et acceptés » pour la téléphonie résidentielle[9]. On y lit l'indication d'une promotion de 10 $ de rabais pour les mois 1 à 12, ainsi que du tarif mensuel de 39,93 $ après la promotion.
[11] Le 20 mai 2011, après la réception de sa première facture de Bell[10], Mme Charbonneau Daneau se plaint auprès de Bell de la différence de coût dans les services souscrits[11]. Le 23 mai, elle dépose également une plainte auprès du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (« CRTC »)[12].
[12] Selon son directeur régional des ventes, Bell n'effectue aucune sollicitation de type porte-à-porte entre décembre 2007 et juillet 2010, adoptant toutefois cette approche d'août 2010 à juin 2011, sauf pour la télécommunication sans fil (Bell Mobilité), cela avec un résultat marginal[13].
· Monsieur Michael Hornbrook
[13] Résident de l'Ontario, M. Michael Hornbrook est représentant d'un recours collectif introduit en Ontario contre Bell[14]. Déjà client de Bell pour la téléphonie résidentielle[15], il souscrit les services d'internet et de télévision fibre[16] le 15 octobre 2010 à la suite d'une publicité diffusée au mois de septembre précédent.
· L'entente entre Bell et le Bureau de la concurrence
[14] Le 28 juin 2011, Bell et le Bureau de la concurrence annoncent la conclusion d'une entente sans admission réglant un phénomène de publicités trompeuses[17]. Par cette entente, Bell accepte de modifier sa publicité non conforme sur les prix, de cesser la pratique d'indications trompeuses à l'égard du prix de ses services, ainsi que de payer une amende de 10 millions de dollars, soit la sanction maximale prévue à la Loi sur la concurrence[18].
[15] Malgré le désaccord de Bell, le Bureau de la concurrence avait conclu que depuis décembre 2007, elle avait facturé des tarifs supérieurs à ceux annoncés pour plusieurs services. Dans les faits, les prix annoncés s'avéraient indisponibles puisque des frais obligatoires supplémentaires se trouvaient cachés aux consommateurs dans des modalités rédigées en petits caractères[19].
[16] Les requérants reprochent à Bell des informations fausses ou trompeuses visant la promotion de ses services, à savoir la mention de prix inférieurs à ceux effectivement facturés. Ces mentions incorrectes se trouvaient soit dans sa publicité - notamment certains pamphlets annonçant des prix en petits caractères, à leur verso ou en note de bas de page[20] - soit véhiculées par des représentants porte-à-porte.
[17] Les requérants réprouvent également l'omission de Bell d'indiquer tous les frais supplémentaires facturables, tels :
· les frais Touch-Tone et les frais de connexion au réseau interurbain pour la téléphonie résidentielle;
· les frais de location de modem et MSN Premium Service[21] pour l'internet;
· les frais d'accès au réseau, de service numérique et de location de récepteur pour la télévision.
[18] Ils recensent des exemples de ces pratiques dont ils ont personnellement été victimes puisque liés contractuellement à Bell pour l'un ou l'autre des services.
[19] Bell rétorque que le recours des requérants introduit à la hâte dès le lendemain de l'annonce de la conclusion de l'entente avec le Bureau de la concurrence ne vise qu'à capitaliser sur celle-ci. Elle argue qu'aucun des requérants n'avance une cause d'action personnelle, n'alléguant aucun fait précis et clair permettant de conclure qu'ils ont contracté avec elle sur la base d'une publicité annonçant un tarif inférieur à celui subséquemment facturé :
· Mme Charland, déjà cliente de Bell avant la période litigieuse n'a pas modifié son forfait à la suite des publicités prétendument fausses ou trompeuses pendant la période litigieuse;
· Mme Charbonneau Daneau allègue la conclusion d'une relation contractuelle avec Bell comme suite à la visite à domicile d'un représentant, et non pas en raison de son exposition à des annonces publicitaires;
· M. Hornbrook n'allègue pas le contenu des publicités qui l'auraient incité à devenir client de Bell.
[20] Bell ajoute l'absence de lien de droit avec Bell Mobilité, la non-similitude des situations vécues respectivement par chacun des requérants, ainsi que leur incapacité à quantifier leur préjudice. Elle invite le Tribunal à exercer son rôle de filtre en refusant d'autoriser le recours.
[21] Une requête pour autorisation d'exercer un recours collectif doit énoncer les faits y donnant ouverture[22], et répondre aux quatre conditions édictées à l'article 1003 C.p.c. :
1003. […] :
a) les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;
b) les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;
c) la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l'application des articles 59 ou 67; et que
d) le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres.
[22] Dans le très récent arrêt Vivendi[23], la Cour suprême décrit la nature de l'étape de l'autorisation :
[37] L'étape de l'autorisation permet l’exercice d’une fonction de filtrage des requêtes, pour éviter que les parties défenderesses doivent se défendre au fond contre des réclamations insoutenables : Infineon Technologies AG c. Option Consommateurs, 2013 CSC 59, par. 59 et 61. Par contre, la loi n’impose pas au requérant un fardeau onéreux au stade de l’autorisation; il doit uniquement démontrer l’existence d’une « apparence sérieuse de droit », d’une « cause défendable » : Infineon, par. 61-67; Marcotte c. Longueuil (Ville), 2009 CSC 43, [2009] 3 R.C.S. 65, par. 23. En conséquence, le juge doit simplement déterminer si le requérant a démontré que les quatre critères énoncés à l’art. 1003 C.p.c. sont respectés. Dans l’affirmative, le recours collectif est autorisé. La Cour supérieure procède ensuite à l’examen du fond du litige. Ainsi, lorsqu’il vérifie si les critères de l’art. 1003 sont respectés au stade de l’autorisation, le juge tranche une question procédurale. Il ne doit pas se pencher sur le fond du litige, étape qui s’ouvre seulement après l’octroi de la requête en autorisation : Infineon, par. 68; Marcotte, par. 22.
[23] Dans Charest c. Dessau inc.[24], le juge Lacoursière de cette Cour recense les principes développés par la jurisprudence en matière d'autorisation :
[29] La jurisprudence a développé certains grands axes, applicables au dossier en l’instance, pour guider le juge saisi de la demande d’autorisation :
a) le juge doit simplement s’assurer que le requérant satisfait aux critères de l’article 1003 C.p.c. sans oublier le seuil de preuve peu élevé prescrit par cette disposition;
b) le juge jouit d’une discrétion dans l’appréciation des quatre critères de l’article 1003 C.p.c.. Cependant, une fois ces quatre critères jugés satisfaits, il est dépouillé de tout pouvoir additionnel et il doit autoriser le recours;
c) l’analyse des critères d’autorisation doit bénéficier d’une approche généreuse plutôt que restrictive. Ainsi, le doute doit jouer en faveur des requérants, c’est-à-dire en faveur de l’autorisation du recours collectif;
d) la règle de la proportionnalité de l’article 4.2 C.p.c. doit être considérée dans l’appréciation de chacun des critères de l’article 1003 C.p.c. mais ne constitue pas un cinquième critère indépendant;
e) le défaut de satisfaire un seul des quatre critères de l’article 1003 C.p.c. devrait entrainer le rejet de la requête;
f) le juge doit exclure de son examen les éléments de la requête qui relèvent de l’opinion, de l’argumentation juridique, des inférences, des hypothèses ou de la spéculation. Le requérant doit alléguer des faits suffisants pour que soit autorisé le recours;
g) enfin, le Tribunal doit s’assurer que les parties ne soient pas inutilement assujetties à des litiges dans lesquels elles doivent se défendre contre des demandes insoutenables. Le fardeau imposé au requérant consiste à établir une cause défendable.
[Références omises].
[24] Ajoutons que loin d'être une simple formalité, l'analyse des conditions d'ouverture d'un recours collectif constitue une étape déterminante[25].
[25] Bell soutient que les requérants ne respectent pas les exigences de forme de l'article 1002 C.p.c., car leur requête se résume à des allégations imprécises, ni les critères des paragraphes a), b) et d) de l'article 1003 C.p.c.
[26] L'article 1002 pose des exigences de forme préalables dont le non-respect entraîne la nullité de la procédure. Notamment, les faits doivent se trouver énoncés de façon suffisamment précise pour permettre au Tribunal de décider de la réalisation des quatre conditions de fond de l'article 1003 C.p.c.
[27] De l'avis du Tribunal, la requête réamendée énonce clairement et de façon suffisamment complète les faits nécessaires à l'exercice de sa juridiction sous l'article 1003 C.p.c.
[28] Les réclamations des membres présentent-elles un dénominateur commun[26], et le caractère collectif des dommages prévaut-il sur la dimension individuelle de façon à ne pas créer, au fond, une multitude de petits procès[27]? Le test que doit satisfaire le recours s'avère souple :
La jurisprudence sur l'identité, la similarité ou la connexité des questions posées invite à la souplesse; elle n'exige pas que la majorité des questions soient identiques, mais plutôt qu'un certain nombre de questions importantes soient communes ou connexes[28].
[29] Bell avance que le Tribunal devra vérifier la date et le lieu de l'exposition des membres à l'une ou l'autre des publicités, le caractère trompeur ou non de celles-ci, le lien entre ces publicités et la décision du membre de s'abonner à un service, les modalités des contrats de chaque membre, y compris le prix payé, l'évaluation du préjudice, l'identification de la qualité de membre, etc. Elle soutient donc que le recours obligera à la prise en compte de facteurs subjectifs propres à chaque membre, ce qui déroge à l'article 1003 a) C.p.c. ainsi qu'à la règle de la proportionnalité.
[30] Bell ajoute les arguments suivants :
· le recours de Mme Charbonneau Daneau diffère fondamentalement de celui des autres requérants;
· les personnes morales ne peuvent faire partie du groupe proposé puisque d'une part une clause d'arbitrage les lie, et d'autre part, le recours ne leur propose aucun représentant;
· le groupe proposé est trop large, et inclut des membres n'ayant aucune cause d'action.
[31] Le recours de la requérante Charbonneau Daneau reproche fondamentalement le même comportement commercial. Le fait qu'elle se présente comme une victime des procédés douteux de Bell déployés à l'occasion d'une visite à domicile de son représentant plutôt que dans une publicité ne change pas la nature du recours qui vise en essence les annonces trompeuses, peu importe leur forme.
[32] Par ailleurs, l'évaluation du préjudice des membres du groupe ne donnera pas lieu pour chacun à une preuve spécifique du service contracté et de la publicité y associée. En effet, la réclamation se limite à des dommages-intérêts compensatoires d’un dollar pour chaque membre du groupe pour les sommes payées en trop, quelles qu'elles soient. Il en va de même des dommages-intérêts pour troubles et inconvénients restreints à 100 $ pour chaque membre. Quant à la réclamation pour dommages punitifs de 1 000 $ à chaque membre du sous-groupe de consommateurs, cette question qu'il faudra analyser au fond s'avère commune à tous les membres se qualifiant comme consommateurs au sens de la LPC[29]. La règle de la proportionnalité ne se trouvera donc pas enfreinte de sorte que l'arrêt Lorrain[30] qu'invoque Bell ne trouve pas application.
[33] En outre, il appert que les clients de Bell se trouvent liés par des modalités de service différentes selon qu'ils sont des personnes physiques (marchés consommateurs)[31] ou des personnes morales (clients d'affaires)[32]. De surcroît, une clause d'arbitrage (article 22) s'impose à celles-ci en cas de différend, ce qui obligera le Tribunal à décliner juridiction à cet égard[33].
[34] Finalement, l'argument de Bell quant au caractère trop large du groupe proposé ne tient plus depuis les amendements à la requête reçus le 13 décembre 2013.
[35] Ainsi, le critère édicté à l'article 1003 a) C.p.c se trouve satisfait, sauf quant aux personnes morales.
[36] Les faits allégués paraissent-ils justifier les conclusions recherchées?
[37] L'expression « paraissent justifier » employée à l'article 1003 b) C.p.c. signifie qu'à l'examen du syllogisme juridique proposé à la requête, le Tribunal doit pouvoir conclure à une apparence sérieuse de droit sans se prononcer sur le fond[34]. Cela implique la vérification d'allégations suffisantes de faute, de préjudice et de lien causal.
[38] Dans un premier temps, Bell argue l'irrecevabilité du recours à l'égard de Bell Mobilité, car aucun des requérants n'allègue un lien de droit avec celle-ci. Le Tribunal lui donne raison : aucun fait allégué ne paraît justifier une condamnation de Bell Mobilité, et aucune pièce ne supporte ce recours. En d'autres termes, les requérants ne se sont pas déchargés de leur fardeau d'établir une « cause défendable »[35] contre Bell Mobilité.
[39] Par ailleurs, Bell soutient que ni Mme Charbonneau Daneau ni M. Hornbrook n'allèguent spécifiquement avoir eu un lien de droit avec Bell ExpressVu. Elle a tort : l'analyse des pièces révèle que Bell ExpressVu fournit des services de télévision[36], services souscrits par les requérants dans le contrat Bell Télé Fibe et facturés dans leurs factures uniques. Au stade de l'autorisation, cela suffit. Une analyse plus poussée des contrats relèvera du fond du dossier.
[40] De plus, Bell fait valoir que Mme Charland ne démontre aucune cause d'action valable puisqu'elle n'établit pas de lien entre sa prise de connaissance de la publicité dénoncée et la conclusion ou la modification de son contrat.
[41] Dans l'arrêt Time[37], la Cour suprême énonce qu'il ne suffit pas qu'une personne se soit trouvée exposée à une publicité trompeuse pour disposer de l'intérêt juridique pour entreprendre un recours en vertu de la LPC. Encore faut-il qu'elle en ait été victime.
[42] En l'espèce, Mme Charland déjà cliente de Bell avant les faits reprochés, n'a pas modifié son forfait subséquemment à la prise de connaissance de la publicité trompeuse durant la période visée par le recours. Elle n'a donc pas l'intérêt juridique requis pour intenter un recours contre Bell.
[43] Au surplus, Bell plaide que les requérants n'ont pas subi un préjudice quantifiable[38] puisqu'ils réclament une indemnité d’un dollar en compensation des sommes payées en trop. Le fait que les requérants choisissent de limiter leur réclamation à un dollar ne rend pas pour autant leur préjudice non susceptible d'évaluation.
[44] Finalement, Bell avance que M. Hornbrook n'allègue aucun fait précis au soutien de sa réclamation, se contentant de soulever s'être abonné aux services internet et de télévision le 15 octobre 2010 à la suite de publicités diffusées en septembre 2010.
[45] La preuve révèle que M. Hornbrook, déjà client de Bell pour la téléphonie, s'abonne au service internet et au service télévision le 15 octobre 2010[39]. Cependant, contrairement à Mme Daneau qui détaille les circonstances de son abonnement, ou à Mme Charland qui communique les publicités qu'elle estime trompeuses, M. Hornbrook demeure vague sur les éléments essentiels du syllogisme juridique. Malgré les exigences indulgentes de l'arrêt Infineon, un seuil minimal demeure et des allégations vagues, générales ou imprécises ne permettent pas de conclure à apparence de droit.
[46] Le Tribunal conclut que le critère de l'article 1003 b) C.p.c. se trouve rempli, sauf quant aux requérants Charland et Hornbrook, et à l'intimée Bell Mobilité.
[47] Par ailleurs, la classe nationale se justifie en raison de l'apparente uniformité dans les éléments essentiels des lois au Canada en matière de protection du consommateur.
[48] La représentation adéquate du représentant s'examine selon une approche libérale à la lumière de trois facteurs : l'intérêt à poursuivre, la compétence, et l'absence de conflit avec les membres du groupe[40].
[49] Mme Charland et M. Hornbrook ne se qualifient pas comme représentants puisque leur recours personnel ne satisfait pas les critères pour les motifs déjà exprimés.
[50] Reste Mme Charbonneau Daneau. Bell avance qu'elle ne peut aspirer au statut de représentante, car sa situation n'est pas représentative de celle des membres du groupe. Le Tribunal a déjà statué que l'essence du présent recours réside dans les représentations trompeuses de Bell, peu importe leur forme. Ainsi, le fait que Mme Daneau aurait été trompée par un représentant à domicile, alors que d'autres membres du groupe auraient été victimes d'annonces publicitaires, ne change rien aux reproches motivant le recours. Elle respecte donc les conditions de l'article 1003 d) C.p.c.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[51] ACCUEILLE en partie la requête réamendée pour autorisation d'exercer un recours collectif datée du 13 décembre 2013;
[52] AUTORISE l'exercice du recours collectif sous la forme d'une requête introductive d'instance en dommages et intérêts;
[53] ATTRIBUE à la requérante Huguette Charbonneau Daneau le statut de représentante aux fins d'exercer le recours collectif pour le compte des personnes membres du groupe suivant :
Toute personne physique qui était abonnée aux services de téléphonie filaire, aux services Internet, aux services de télévision et/ou aux services sans fil (les « Services ») de l'Intimée Bell Canada et/ou de l'Intimée Bell ExpressVu société en commandite (les « Intimées ») et qui s'est vue facturer par les Intimées des frais obligatoires supplémentaires comme des frais Touch-Tone, de location de modem Internet, MSN Premium Service, d'accès au réseau, de service numérique, de location de récepteur HD pour la Télé Fibe RVP et/ou de connexion de réseau interurbain ou qui s'est vue facturer à des tarifs supérieurs à ceux qui lui avaient été indiqués par les Intimées pour les Services n'importe quand entre le 1er décembre 2007 et le 29 juin 2011 inclusivement, au Canada.
[54] DÉFINIT comme suit les principales questions de faits et de droit qui seront traitées collectivement :
a) Le membre du Groupe a-t-il contracté un service de téléphonie résidentielle, Internet et/ou de télévision n'importe quand entre le 1er décembre 2007 et le 29 juin 2011 inclusivement?
b) Les Intimées ont-elles commis une ou des fautes génératrices de responsabilité?
c) Les agissements reprochés aux Intimées ont-ils causé des dommages aux membres du Groupe?
d) Les Intimées sont-elles responsables des dommages subis par les membres du Groupe en vertu de la Loi sur la protection du consommateur ou de toute autre loi provinciale similaire applicable?
6) Les Intimées sont-elles responsables des préjudices subis par les membres du Groupe en vertu de la Loi sur la concurrence?
7) La requérante et les membres du Groupe ont-ils droit à des dommages punitifs?
[55] IDENTIFIE comme suit les conclusions recherchées qui s'y rattachent :
- ACCUEILLIR la requête de la requérante;
- ACCUEILLIR le recours collectif pour tous les membres du Groupe;
- CONDAMNER les Intimées Bell Canada et Bell ExpressVu société en commandite à payer à la requérante ainsi qu'à chaque membre du Groupe un dollar, sauf à parfaire, à titre de dommages-intérêts pour les sommes payées en trop, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter de la date du paiement de ces sommes, et ORDONNER le recouvrement collectif de ces sommes;
- CONDAMNER les Intimées Bell Canada et Bell ExpressVu société en commandite à payer à la requérante ainsi qu'à chaque membre du Groupe cent dollars à titre de dommages-intérêts pour troubles et inconvénients, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter de l'institution du présent recours, et ORDONNER le recouvrement collectif de ces sommes;
- CONDAMNER les Intimées Bell Canada et Bell ExpressVu société en commandite à payer à la requérante ainsi qu'à chaque membre du Groupe mille dollars à titre de dommages exemplaires, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du jugement à être prononcé, et ORDONNER le recouvrement collectif de ces sommes;
- AVEC DÉPENS, y compris les frais d'expertise et les frais de publication des avis aux membres;
[56] DÉCLARE qu'à moins de demande d'exclusion, les membres du Groupe seront liés par tout jugement à intervenir sur le recours collectif de la manière prévue à la loi;
[57] FIXE le délai d'exclusion à trente (30) jours après la date de publication de l'avis aux membres, délai à l'expiration duquel les membres du Groupe qui ne se seront pas prévalus des moyens d'exclusion seront liés par tout jugement à intervenir sur le recours collectif de la manière prévue à la loi;
[58] CONVOQUE les parties à une date à être fixée ultérieurement pour l'approbation de l'avis aux membres devant être publié conformément aux articles 1005 et 1006 C.p.c.
[59] FRAIS À SUIVRE.
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__________________________________ GUYLÈNE BEAUGÉ, j.c.s. |
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Me Guy Paquette |
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Me John Gadler |
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PAQUETTE GADLER INC. |
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Avocats des requérants |
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Me Daniel Bach |
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SISKINDS LLP |
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Avocat-conseil pour les requérants |
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Me Philippe Dufort-Langlois |
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Me Emmanuelle Poupart |
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MCCARTHY TÉTRAULT, s.e.n.c.r.l., s.r.l. |
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Avocats des intimées |
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Dates d’audience: |
9, 10, 11 et 12 décembre 2013 |
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[1] Requête réamendée (13 décembre 2013).
[2] RLRQ, ch. P-40.1
[3] Requête réamendée (13 décembre 2013).
[4] Pièce R-19.
[5] Pièces R-9 et R-10.
[6] Pièces R-19 et R-34.
[7] Affidavit de Mme Nancy St-Germain daté du 5 avril 2013 (pièce I-1).
[8] Pièce R-20A.
[9] Pièce R-31.
[10] Pièce R-25.
[11] Pièce R-26.
[12] Pièce R-27.
[13] Affidavit de M. Daniel Dumont daté du 3 avril 2013.
[14] Pièce R-29.
[15] Pièce R-30.
[16] Pièce R-32.
[17] Pièces R-12 et R-13.
[18] L.R.C. (1985), ch. C-34.
[19] Pièce R-12.
[20] Pièce R-24.
[21] Pièce R-34.
[22] Article 1002 C.p.c.
[23] Vivendi Canada inc. c. Dell'Aniello, 2014 CSC 1.
[24] Charest c. Dessau inc., 2014 QCCS 1891.
[25] Option consommateurs c. Novopharm Ltd, 2006 QCCS 118, confirmé à 2008 QCCA 949.
[26] Vermette c. General Motors du Canada Ltée, 2008 QCCA 1793.
[27] Harmegnies c. Toyota Canada Inc., 2008 QCCA 380.
[28] Croteau c. Air Transat A.T. Inc., 2007 QCCA 737.
[29] Morin c. Bell Canada, 2011 QCCS 6166.
[30] Lorrain c. Pétro-Canada, 2013 QCCA 332.
[31] Pièce R-5.
[32] Pièce R-6.
[33] Telus Mobilité c. Comtois, 2012 QCCA 170.
[34] Comité des usagers du transport en commun de Québec c. C.T.C.U.Q, [1981] 1 R.C.S. 424.
[35] Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59.
[36] Pièce P-22.
[37] Richard c. Time inc., 2012 CSC 8.
[38] Idem.
[39] Pièces P-30 et P-32.
[40] Bouchard c. Agropur, 2006 QCCA 1342.
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