Décision

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9385-8959 Québec inc. c. Depatie

2023 QCTAL 23303

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

695136 31 20230328 G

No demande :

3859993

 

 

Date :

07 août 2023

Devant la juge administrative :

Lucie Béliveau

 

9385-8959 Québec Inc.

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Thérèse Depatie

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Par un recours introduit le 28 mars 2023, la société locatrice demande la résiliation du bail et l'éviction de la locataire et de tous les occupants en raison d’un balcon encombré et la difficulté d’avoir accès au logement, la condamnation aux frais de justice et l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel.

[2]         Les parties sont liées par un bail de logement annuel ayant débuté le 1er juillet 1992, reconduit au 30 juin 2024, au loyer mensuel de 345 $.

APERÇU

La société locatrice

[3]         Au soutien de sa demande, la société locatrice prétend que la locataire contrevient à ses obligations, causant ainsi un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail.

[4]         La société locatrice reproche à la locataire et plus spécifiquement à une personne à qui elle donne accès, en l’occurrence son fils qui habite avec elle, de ne pas donner accès au logement.

[5]         De plus, le balcon de la locataire est encore encombré malgré une ordonnance prononcée par jugement le 28 février 2023, de retirer les articles s’y trouvant et de ne laisser que le barbecue, les bonbonnes de propane et la poubelle.

[6]         Le mandataire de la société locatrice témoigne et explique que d’autres objets se trouvent encore sur le balcon et il dépose une photographie prise le 9 avril 2023 où l’on distingue en plus de ce qui est permis, un sac d’ordures, une petite plaque de métal, un bac de plastique qui semble être un bac de plastique fermé pour le recyclage, un pot de plastique, deux briques et un balai. Une autre photographie du 3 mai 2023, expose en plus des objets permis, bien rangés dans le coin du balcon, le bac de recyclage en plastique fermé, une caisse de bière, une petite boite vide, un petit contenant de crème glacée et un balai.

[7]         De plus, le fils de la locataire l’a avisé le 7 mars 2023 qu’il y avait une infiltration d’eau dans le logement de sa mère. Pourtant, ce n’est que le 8 mars 2023 au soir qu’il a finalement eu accès au logement après maintes réticences du fils de la locataire qui s’oppose à lui donner accès sans qu’il soit présent, car prétend-il sa mère âgée de 93 ans est trop vulnérable.


[8]         Or, le mandataire allègue que la locataire et le fils de cette dernière n’utilisent pas le logement en personnes prudentes et diligentes en compliquant l’accès et en se servant du balcon comme un endroit d’entreposage.

[9]         Il précise que cela complique sa gestion de l’immeuble qui comprend 12 logements.

[10]     Les objets accumulés sur le balcon peuvent s’envoler au vent et nuire au passage des autres locataires sans compter le risque de blessures et sa responsabilité civile qui peut être engagée en vertu de son assurance habitation.

[11]     Il déclare que le même problème persiste aujourd’hui malgré l’ordonnance émise le 28 février 2023. Cela demande une surveillance démesurée qui lui coûte temps et argent pour s’assurer qu’il n’y a pas de danger.

[12]     Contre-interrogé par le fils de la locataire, il déclare que les seuls problèmes d’accès ont été :

      En 2021, lorsqu’un des ouvriers a eu de la difficulté à avoir accès au balcon de la locataire et qu’il a dû passer par le balcon du voisin;

      L’accès le 8 juillet 2023 au soir au lieu du matin.

Le mandataire de la locataire

[13]     Le fils du locataire qui est personnellement au courant des faits réplique en déposant une photographie du balcon prise le 3 juillet 2023 où on aperçoit, en plus de ce qui est permis, un balai et un sceau de plastique servant au nettoyage des planchers.

[14]     Il explique que sa mère est insécure lorsqu’il n’est pas là lors des visites du locateur, mais qu’en définitive, le locateur peut venir lorsqu’il s’y trouve.  Il n’a jamais empêché la société locatrice d’effectuer des travaux.

[15]     Il croit que la société locatrice exagère et que sa mère de 93 ans ne mérite pas d’être expulsée de son logement pour des manquements si peu significatifs.

QUESTION EN LITIGE

-       La société locatrice a-t-elle prouvé un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail?

ANALYSE ET DÉCISION

Fardeau de la preuve

[16]     Le Tribunal tient à souligner qu’il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. Ainsi, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.

[17]     Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif, mais plutôt qualitatif. La preuve testimoniale est évaluée en fonction de la capacité de convaincre des témoins et non pas en fonction de leur nombre.

[18]     Le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable et il n'est pas toujours aisé de faire cette distinction. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit conduire à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.

[19]     Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée[1].

Obligations découlant d’un bail

[20]     Plusieurs obligations découlent d’un bail de logement, notamment dans le cas qui nous concerne, l'obligation pour un locataire d’utiliser le logement en personne prudente et diligente et de maintenir le logement dans un bon état de propreté et de salubrité[2].

[21]     Cette obligation impose au locataire le devoir de ne pas agir de façon à détériorer le bien loué, mais aussi à ne pas créer une situation qui puisse mettre en péril l'intégrité du logement ou de l'immeuble ou de mettre sa propre sécurité ou celle des autres locataires en danger.


[22]     Dans l’éventualité où un locataire ne respecte pas ses obligations, un locateur peut demander la résiliation du bail si l’inexécution lui cause un préjudice sérieux[3].

La résiliation du bail

[23]     Pour obtenir la résiliation du bail, la société locatrice doit démontrer que l’état d’insalubrité dans lequel la locataire a maintenu le balcon et le non-respect de ses obligations lui ont causé un préjudice sérieux.

[24]     L’ordonnance émise dans le jugement du 28 février 2023[4], était une ordonnance d’exécution en nature. La société locatrice ne demandait pas la résiliation du bail de sorte qu’aucun préjudice sérieux n’a été démontré justifiant une résiliation de bail puisque tel n’était pas le litige. Le juge n’a pas émis cette ordonnance au lieu de prononcer la résiliation tel que le permet l’article 1973 du Code civil du Québec (C.c.Q.)[5], mais a ordonné une exécution en nature.

[25]     Ainsi, pour justifier la résiliation du bail, le locateur doit démontrer un préjudice sérieux.

[26]     Aucune ordonnance d’accès n’a été émise dans le jugement précité même si la locatrice l’avait demandé, car le juge a estimé qu’il n’y avait jamais eu de refus catégorique de la locataire de donner accès à la société locatrice.

[27]     Il en va de même aujourd’hui. La société locatrice a eu accès dès le 8 mars en soirée au lieu du matin. Les échanges textes permettent de déterminer que ce n’était pas une urgence. Il y avait une infiltration, mais pas un écoulement continu, une fuite légère. L’avis devait donc être de 24 heures. À 12 h 42, le mandataire avise qu’il ira le lendemain (confirmant que la situation n’est pas une urgence), ce qui n’est pas un avis de 24 heures tel que requis par la loi. Or, le locateur a quand même eu accès le soir. Ce ne sont pas les quelques heures de différence qui ont causé un préjudice sérieux à la société locatrice, d’autant plus qu’il n’y a pas eu de conséquences.

[28]     Il n'y a pas lieu de prononcer la résiliation du bail pour ce motif puisquaucun préjudice sérieux n’a été démontré.

[29]     Le Tribunal a quand même remarqué les réticences du fils de la locataire de donner accès au mandataire de la société locatrice en son absence. La soussignée lui a rappelé les mêmes consignes émises par le juge dans le jugement du 28 février dernier.

[30]     Aux termes de la loi, les seuls motifs valables de refus d'accès de la part d'un locataire relèvent de l'absence d'un avis préalable de 24 heures, d'heures de visites contraires aux prescriptions de l'article 1932 C.c.Q, ou encore de l'absence du locateur ou de son mandataire autorisé lors des visites.

[31]     Lorsque telles conditions sont remplies, tout locataire doit permettre l'accès, c’est obligatoire.

[32]     Conséquemment, et soit dit avec égards, la loi ne permet pas à un locataire dûment avisé d'une visite de refuser cet accès en raison de son propre horaire ou de ses absences du logis, et ce, quel que soit la motivation de telles absences.

[33]     Par ailleurs, si un locataire tient à être présent lors des visites, il doit ajuster son horaire en conséquence, ou s'assurer de la présence d'un mandataire s’il y tient absolument.

[34]     Les termes de la loi doivent recevoir application et le Tribunal espère que le fils de la locataire a bien saisi cette mise en garde.

[35]     Concernant le balcon, la photographie prise par le fils de la locataire expose un balcon propre et bien rangé. Rien qui ne pourrait mettre en danger la sécurité des locataires ou autres résidents.

[36]     Le mandataire affirme que le fils de la locataire a nettoyé hier en prévision de l’audience de ce jour. Peut-être est-ce le cas, mais, à l’heure actuelle, on ne peut pas dire que le balcon sert de lieu d’entreposage ou est dangereux.

[37]     Il convient de rappeler qu'il n'existe pas de droit acquis à la résiliation du bail et le Tribunal peut rejeter la demande, si au moment de l'audience, le locateur ne subit plus de préjudice sérieux, ce qui est le cas en l’espèce.


[38]     En effet, l’auteur Pierre-Gabriel Jobin, l'énonce en ces termes :

« La résiliation est assujettie à une autre règle très importante: le locateur, victime d'une faute du locataire, ne possède pas de droits acquis à la résiliation, en ce sens que, dans certaines circonstances, elle sera refusée par le tribunal même si la faute et le préjudice sérieux sont clairement établis. La même doctrine d'absence de droits acquis existe d'ailleurs dans la résiliation pour une faute du locateur16. Elle s'applique, avec des modalités quelque peu différentes, dans le louage résidentiel et dans le louage non résidentiel. Elle découle soit de certains textes du Code civil, soit de décisions des tribunaux. Pour en préciser les sources, il faut distinguer deux cas principaux.

[...]

La doctrine d'absence de droits acquis à la résiliation est donc bien établie. Dans la plupart des cas, elle se justifie par le fait que, le débiteur ayant remédié à son défaut, l'action n'a plus d'objet ou encore le locateur ne subit plus de préjudice sérieux. Cette doctrine réalise un heureux équilibre entre des objectifs opposés, soit: d'un côté, la nécessité de sanctionner la faute du locataire et le souci légitime du locateur de se défaire d'un locataire indésirable, et, de l'autre côté, la recherche de la stabilité contractuelle, le souci d'éviter une sévérité excessive à l'égard du locataire qui s'est amendé et, dans le louage résidentiel, le maintien du locataire dans son logement. »[6]

[39]     Le Tribunal est d'avis qu'il n'y a pas lieu de prononcer la résiliation du bail pour ce motif puisque le balcon est propre et bien rangé, la problématique est réglée et ainsi la société locatrice ne subit pas de préjudice sérieux.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[40]     REJETTE la demande de la société locatrice qui en supporte les frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Lucie Béliveau

 

Présence(s) :

le mandataire du locateur

le mandataire de la locataire

Date de l’audience : 

4 juillet 2023

 

 

 


 


[2]  Articles 1855, 1911 et 1912 du Code civil du Québec, CCQ-1991.

[3]  Article 1863 du Code civil du Québec, CCQ-1991.

[4]  9385-8959 Québec inc. c. Depatie, T.A.L., 2023-02-28, 2023 QCTAL 6216, SOQUIJ AZ-51919431.

[5]  Code civil du Québec, CCQ-1991.

[6]  Jobin, Pierre-Gabriel, Le louage, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996, Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, 1996, EYB, approx. 24 pages., voir également Office municipal d'habitation de de joliette c. Gaudet, R.D.L., 2017-03-02, 2017 QCRDL 6796, SOQUIJ AZ-51372024; Propriétés Tongda inc. c. Rodriguez, R.D.L., 2017-10-26, 2017 QCRDL 34745, SOQUIJ AZ-51438113; Lamothe c. Ferrera, R.D.L., 2013-06-18, 2013 QCRDL 22124, SOQUIJ AZ-50980429.

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