Décision

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Johnson c. Tacconelli

2024 QCTAL 10277

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

672439 31 20230111 G

No demande :

3761926

 

 

Date :

22 mars 2024

Devant la juge administrative :

Isabelle Hébert

 

Tasha Johnson

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Antonio Tacconelli

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         La locataire demande l’exécution des obligations du locateur concernant l’extermination des souris, une diminution de loyer (25 % par mois à compter de juin 2022), des dommages matériels (4 300 $), moraux (4 000 $), avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec.

[2]         Elle demande aussi l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel[1].

[3]         La locataire ayant quitté le logement, la demande d’ordonnance est devenue sans objet.

CONTEXTE

[4]         Conformément à un bail ayant débuté en mars 2020 et reconduit par la suite, la locataire a habité le logement de 4 ½ pièces entre les mois de mars 2020 et juillet 2023.

[5]         Durant la période 2021-22, le loyer était de 895 $ alors que pour la période 202223, il était de 900 $.

[6]         Madame Johnson a quitté le logement dans le cadre de procédures d’expulsion, le 7 juillet 2023[2].

[7]         Elle témoigne que lors de travaux de construction dans le logement voisin, en juin 2022, elle constate la présence de souris.

[8]         Le 22 juin, elle écrit au locateur un premier message texte l’avisant qu’il y a une souris dans son appartement.

[9]         Monsieur Tacconelli lui répond qu’elle est probablement entrée par la porte, que les souris sont inoffensives et il lui suggère de se procurer des pièges à souris au Magasin du dollar.

[10]     Madame Johnson réécrit au locateur le 11 juillet. Cette fois, elle l’informe qu’il y a une souris dans la trappe et elle lui demande de venir l’enlever. Elle ajoute qu’elle a demandé à ses voisins de l’aider mais qu’il y en a plus.

[11]     Elle témoigne que la présence de souris chez elle lui faisait peur et la dégoûtait, ce qui ressort d’ailleurs de ses messages.


[12]     Dans un message, le locateur tente à nouveau de la rassurer en lui disant qu’il n’y a pas de quoi s’en faire. Il lui écrit qu’il ira au logement dès qu’il ira mieux.

[13]     Au cours des mois d’août et de septembre 2022, la locataire envoie au locateur d’autres messages concernant la présence de souris.

[14]     Le 4 septembre, elle mentionne aussi qu’il y a des trous partout et que le lavevaisselle est rouillé et parsemé de moisissures.

[15]     Le 8 septembre, le locateur se rend au logement. Il nettoie les excréments dans l’armoire sous l’évier de la cuisine et y place des trappes. Pour lui, le problème est résolu, dit la locataire.

[16]     D’autres messages[3] demeurent sans réponse, le locateur écrivant à la locataire concernant le paiement d’HydroSolution ou pour lui dire qu’il lui reviendra bientôt.

[17]     N’en pouvant plus de la présence de souris dans son logement et de l’inaction du locateur, en décembre 2022, madame Johnson contacte la Ville de Montréal, ce dont elle avise monsieur Tacconelli par message texte.

[18]     Une première inspection est effectuée le 21 décembre 2022 et une seconde, le 31 janvier 2023.

[19]     À ces deux occasions, révèle le suivi de l’inspecteur Jasmin Boudreau, la présence de souris est constatée[4].

[20]     Selon les notes de l’inspecteur Boudreau, le locateur est réticent à faire venir un exterminateur. Aussi, liton que monsieur Tacconelli évoque des menaces de la locataire qui rendraient l’accès au logement difficile.

[21]     Malgré ses multiples demandes, le locateur n’est pas allé au logement et n’a procédé à aucun traitement d’extermination, dénonce la locataire.

[22]     Ainsi, pendant toute une année, soit jusqu’à son départ, elle a vécu l’enfer dans ce logement infesté de souris.

[23]     Son fils âgé maintenant de trois ans étant un bébé à l’époque, madame Johnson devait tout nettoyer sans arrêt, de peur qu’il ingère des excréments de souris, ce qui aurait pu le rendre malade.

[24]     Tel que cela apparaît sur les photos, elle retrouvait des excréments de souris partout : dans les armoires, par terre et dans les jouets de son fils.

[25]     Elle a donc dû jeter plusieurs de ses biens, notamment des jouets et son divan dans lequel il y avait des excréments, témoignetelle. Conséquemment, elle réclame compensation.

[26]     Cette situation intenable lui a engendré de multiples troubles et inconvénients, ce qui justifie les dommages moraux réclamés, soutient la locataire.

[27]     Enfin, n’ayant pu jouir paisiblement de son logement durant toute une année, elle réclame une diminution de loyer de 25 % pour la perte de jouissance importante.

[28]     Le locateur témoigne à son tour.

[29]     Il n’a pas envoyé d’exterminateur, souhaitant régler le problème luimême.

[30]     La locataire était d’accord avec cette démarche, soutientil, car en juillet 2022, elle lui aurait dit que tout était correct.

[31]     Monsieur Tacconelli affirme qu’à chaque fois que la locataire l’appelait, il se rendait au logement. Sauf à une occasion car il était malade, précisetil.

[32]     Il achetait des produits et des trappes collantes, ce qui a permis d’attraper trois souris.

[33]     Bien qu’il affirme avoir effectué toutes les réparations, madame Johnson continuait à téléphoner à la Ville, dénoncetil. En décembre 2022, il a bouché certains trous dans des cadres de fenêtres.

[34]     Par la suite, elle a arrêté de payer le loyer et la police aurait conseillé au locateur de se tenir loin.

[35]     En réplique, la locataire déclare que c’est plutôt elle qui achetait des trappes et des pièges, présentant au Tribunal des factures de ces items.

[36]     Après le mois d’octobre, le locateur n’est plus retourné au logement concernant ce problème avec lequel elle a dû continuer à vivre jusqu’à son départ, conclutelle.

[37]     Par ailleurs, la locataire ne fournit aucune preuve pour appuyer sa réclamation relative aux frais d’électricité payés en trop.

QUESTION EN LITIGE

[38]     Le locateur estil en défaut d’exécuter ses obligations et, le cas échéant, une diminution et/ou des dommages doiventils être accordés?

ANALYSE

Obligations du locateur

[39]     Conformément au Code civil du Québec, un locateur doit délivrer et maintenir le logement en bon état d’habitabilité et de réparation, en plus d’en procurer la jouissance paisible :

1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail.

1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure.

1910. Le locateur est tenu de délivrer un logement en bon état d'habitabilité; il est aussi tenu de le maintenir ainsi pendant toute la durée du bail.

La stipulation par laquelle le locataire reconnaît que le logement est en bon état d'habitabilité est sans effet.

[40]     Or, lorsque le locateur est en défaut d’exécuter ses obligations reliées au bail ou lors d’autres manquements relatifs à l’entretien, l’habitabilité, la sécurité ou la salubrité sont constatés[5], le locataire dispose de certains recours. Il peut notamment l’exécution en nature, une diminution de loyer et des dommages[6].

[41]     La preuve démontre par prépondérance[7] la présence de souris dans le logement durant toute la dernière année d’occupation. En effet, la première date à laquelle la locataire dénonce le problème est le 22 juin 2022 et la dernière photo prise d’une souris date du 24 juin 2023.

[42]     Le témoignage sincère et détaillé de la locataire, corroboré par le rapport de l’inspecteur municipal et par les nombreuses photos[8] prises tant par la locataire que par l’inspecteur, convainc de la présence importante, continue et dérangeante de souris dans le logement et ainsi que de l’inaction du locateur.

[43]     Le locateur, qui n’a jamais fait appel à un exterminateur et qui laissait la locataire livrée à ellemême, a agi négligemment et à l’encontre de ses obligations contractuelles.

[44]     La preuve ne révèle qu’une seule visite lors de laquelle il s’est limité à effectuer un peu de nettoyage et installer quelques trappes.

[45]     Son témoignage à l’effet qu’il se rendait au logement à chaque fois que la locataire lui demandait est contredit non seulement par celui de la locataire mais aussi par les notes de l’inspecteur.

[46]     Ses prétentions voulant que la locataire était satisfaite de la façon dont il traitait le problème ou qu’elle rendait difficile l’accès au logement, sont aussi rejetées, pour les mêmes motifs.

[47]     Après cette première visite du 8 septembre, tardive, monsieur Tacconelli aurait dû conclure rapidement que sa technique ne fonctionnait pas et ne réglait pas le problème sérieux d’infestation de souris.

[48]     Compte tenu de ce qui précède, la locataire aura droit à une diminution de loyer ainsi qu’à des dommages.

Diminution de loyer

[49]     Ce dernier recours, qui vise à rééquilibrer les prestations des parties, est accueilli lorsqu’il y a démonstration d’une perte réelle, sérieuse, significative et substantielle[9].


[50]     Lorsqu’il y a démonstration d’une telle perte, l’auteur Denis Lamy rappelle que la diminution doit être évaluée de façon objective, globale et équitable[10].

[51]     La locataire ayant subi une perte importante de jouissance du logement, la présence de souris s’y trouvant de façon récurrente tout au long d’une année, elle aura droit à une diminution de loyer globale et finale de 1 000 $, somme jugée appropriée pour rétablir l’équilibre entre le montant du loyer et la perte de jouissance subie tout au cours de son occupation.

Dommages

[52]     Les dommages étant accordés en lien avec la faute du locateur[11], des dommages moraux de 2 000 $ seront accordés à la locataire pour le stress, les troubles et inconvénients subis en lien avec la présence de souris dans son logement.

[53]     Rappelons que les dommages moraux visent à compenser les troubles, ennuis, inconvénients, la perte de jouissance de la vie, les douleurs et les souffrances psychologiques[12].

[54]     Or, dans la présente affaire, les troubles et inconvénients en lien avec la présence de souris étaient récurrents, importants et, vu le défaut d’agir du locateur, le problème n’a jamais été réglé.

[55]     Cependant, aucun dommage matériel ne sera octroyé à la locataire, celle-ci n’ayant pas réussi à démontrer que ses biens avaient été endommagés à un point tel qu’il était justifié d’en disposer.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[56]     DIMINUE le loyer d’une somme globale et finale de 1 000 $ pour la période allant du 22 juin 2022 au 7 juillet 2023 et, conséquemment :

[57]     CONDAMNE le locateur à payer à la locataire une somme de 1 000 $, à titre de diminution de loyer globale et finale pour la période allant du 22 juin 2022 au 7 juillet 2023;

[58]     CONDAMNE le locateur à payer à la locataire une somme additionnelle de 2 000 $, à titre de dommages, plus les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 11 janvier 2023;

[59]     REJETTE la demande quant aux autres conclusions.

 

 

 

 

 

 

 

 

Isabelle Hébert

 

Présence(s) :

la locataire

le locateur

Date de l’audience : 

15 janvier 2024

 

 

 


 


[1] À noter que le remboursement des frais entourant le dépôt de la présente demande n’est pas demandé.

[2] N/D : 670898 : Tacconelli c. Johnson, 2023 QCTAL 6425, suivie de deux demandes de rétractations rejetées.

[3] L1.

[4] L3.

[5] Art. 1912 C.c.Q.

[6] Art. 1863 C.c.Q.

[7] Art. 2803 et 2804 C.c.Q.

[8] L2.

[9] Denis Lamy, La diminution de loyer, Wilson & Lafleur Ltée, 2004, p. 29-30.

[10] Précité, p. 19 et ss.

[11] Art. 1607 C.c.Q.

[12] Mirza c. Chowdhury, 2013 QCRDL 38512.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.