Takuhikan c. Procureur général du Québec | 2022 QCCA 1699 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(155-17-000027-173) | |||||
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DATE : | 3 juillet 2023 | ||||
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PEKUAKAMIULNUATSH TAKUHIKAN | |||||
APPELANT – demandeur | |||||
c. | |||||
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC | |||||
et | |||||
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA | |||||
INTIMÉS – défendeurs | |||||
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ARRÊT RECTIFICATIF (de l’arrêt prononcé le 15 décembre 2022) | |||||
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[1] Le 15 décembre 2022, la Cour, par le truchement d’une formation composée des juges Bich, Bouchard et Ruel, a prononcé un arrêt dans le présent dossier, accueillant le pourvoi de l’appelant à l’encontre du jugement rendu le 19 décembre 2019 par la Cour supérieure, district de Roberval (l’honorable Robert Dufresne), et condamnant les intimés au paiement de certaines sommes d’argent[1].
[2] Il appert que cet arrêt et les motifs qui l’accompagnent comportent quelques erreurs d’écriture ou erreurs matérielles qu’il convient de rectifier. Conformément aux art. 338 al. 1 et 2 in fine, 387 al. 3 et, par analogie, 388 al. 1 C.p.c., la Cour, sous la plume des juges Bich et Ruel (le juge Bouchard n’étant plus en fonction), procédera donc d’office à cette rectification.
[3] Voici les corrections (en caractères gras) qui seront apportées au texte :
Motifs du juge Bouchard :
2° La note infrapaginale 42 renvoie, dans l’ordre, aux arrêts R. c. Desautel, 2021 CSC 17, paragr. 30, et Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40, [2018] 2 R.C.S. 765, paragr. 21. Cet ordre doit être inversé et la note doit plutôt indiquer : Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40, [2018] 2 R.C.S. 765, paragr. 21; R. c. Desautel, 2021 CSC 17, paragr. 30.
3° Le paragraphe 70, en sa première ligne, comporte le mot « en » (pour : « en autres choses »), qui doit être remplacé par le mot « entre » (pour « entre autres choses »).
4° La note infrapaginale 75 renvoie à la « Loi sur les indiens », alors qu’elle devrait plutôt renvoyer à la « Loi sur les Indiens »; elle comporte également un renvoi inexact à la Loi sur la gestion financière des Premières Nations (soit : L.C. 1999, ch. 24), qui sera remplacé par le renvoi suivant : L.C. 2005, ch. 9.
5° La note infrapaginale 118 renvoie à une décision du Tribunal canadien des droits de la personne dont la référence neutre est la suivante : 2022 TCDP 4 (et non : 2022 TCDP4).
6° À la page 42 (paragraphe 122 in fine), il faut supprimer la mention « (renvoi omis) » après la citation, le passage reproduit ne comportant aucun renvoi.
Motifs de la juge Bich :
7° Le paragraphe 131, quatrième ligne, renvoie à « la preuve relatée par juge Bouchard », alors qu’il s’agit plutôt de la « preuve relatée par le juge Bouchard ».
8° Le paragraphe 136, cinquième ligne, renvoie à « la clause 6.6 », alors qu’il s’agit plutôt de « la clause 6.6.1 ».
[4] Un arrêt rectifié intégrant ces corrections est annexé au présent arrêt.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[5] RECTIFIE l’arrêt du 15 décembre 2022 et Y APPORTE les corrections suivantes, intégrées à l’arrêt rectifié (ci-joint) :
1° Note infrapaginale 5 : remplacement du chiffre « 11 » par le chiffre « 10 »;
2° Note infrapaginale 42 : inversion des arrêts mentionnés dans cette note, de façon que celle-ci énonce dorénavant ce qui suit :
42 Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40, [2018] 2 R.C.S. 765, paragr. 21; R. c. Desautel, 2021 CSC 17, paragr. 30.
3° Paragraphe 70, première ligne : remplacement du mot « en » par le mot « entre »;
4° Note infrapaginale 75 : remplacement du mot « indiens », par le mot « Indiens » et remplacement du renvoi « L.C. 1999, ch. 24 » par le renvoi « L.C. 2005, ch. 9 »;
5° Note infrapaginale 118 : insertion d’une espace entre « TCDP » et « 4 »;
6° Page 42 (paragraphe 122 in fine) : suppression de la mention « (renvoi omis) » après la citation;
7° Paragraphe 131, quatrième ligne : ajout du mot « le » avant les mots « juge Bouchard »;
8° Paragraphe 136, cinquième ligne : remplacement de « 6.6 » par « 6.6.1 ».
[6] Sans frais de justice.
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| MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. | |
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| SIMON RUEL, J.C.A. | |
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Me Benoît Amyot Me Léonie Boutin | ||
CAIN LAMARRE | ||
Pour l’appelant | ||
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Me Annick Dupré | ||
LAVOIE, ROUSSEAU (JUSTICE-QUÉBEC) | ||
Pour l’intimé Procureur général du Québec | ||
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Me Vincent Veilleux Me Pavol Janura | ||
MINISTÈRE DE LA JUSTICE CANADA | ||
Pour l’intimé Procureur général du Canada | ||
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Date d’audience : Date de délibéré : | 10 février 2022 1er mars 2022 | |
Takuhikan c. Procureur général du Québec | 2022 QCCA 1699 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
| QUÉBEC | ||||
N° : | 200-09-010153-200 | ||||
(155-17-000027-173) | |||||
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DATE : | 15 décembre 2022 | ||||
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FORMATION : | LES HONORABLES | MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. SIMON RUEL, J.C.A. | |||
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PEKUAKAMIULNUATSH TAKUHIKAN | |||||
APPELANT – Demandeur | |||||
c. | |||||
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA | |||||
INTIMÉS – Défendeurs | |||||
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ARRÊT RECTIFIÉ (3 juillet 2023) | |||||
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[1] L’appelant se pourvoit contre le jugement rendu le 19 décembre 2019 par la Cour supérieure, district de Roberval (l’honorable Robert Dufresne), qui rejette sa demande introductive d’instance visant le remboursement par les intimés des déficits accumulés par son service de police entre le 1er avril 2013 et le 31 mars 2018, lesquels totalisent 1 599 469,95 $[2].
[2] Pour les motifs du juge Bouchard, auxquels souscrivent les juges Bich et Ruel, et pour les motifs concourants de la juge Bich, auxquels souscrivent les juges Bouchard et Ruel, LA COUR :
[3] ACCUEILLE l’appel;
[4] INFIRME le jugement de la Cour supérieure;
[5] CONDAMNE l’intimé, le procureur général du Canada, à payer à l’appelant 832 724,37 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle à compter du 13 août 2017;
[6] CONDAMNE l’intimé, le procureur général du Québec, à payer à l’appelant 767 745,58 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle à compter du 13 août 2017;
[7] Le tout avec les frais de justice.
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| MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. | |
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| JEAN BOUCHARD, J.C.A. | |
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| SIMON RUEL, J.C.A. | |
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Me Benoît Amyot Me Léonie Boutin | ||
Cain Lamarre | ||
Pour l’appelant | ||
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Me Annick Dupré | ||
Lavoie, Rousseau (Justice-Québec) | ||
Pour l’intimé Procureur général du Québec | ||
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Me Vincent Veilleux Me Pavol Janura | ||
Ministère de la Justice Canada | ||
Pour l’intimé Procureur général du Canada | ||
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Date d’audience : | 10 février 2022 | |
1er mars 2022 | ||
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MOTIFS DU JUGE BOUCHARD |
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[8] L’appelant est un conseil de bande au sens de la Loi sur les Indiens[3]. Il constitue l’entité gouvernementale représentant la Première Nation innue des Pekuakamiulnuatsh établie à Mashteuiatsh sur la rive ouest du Lac-Saint-Jean, à proximité de Roberval. C’est lui qui, en vertu d’accords tripartites conclus au fil des ans avec le gouvernement fédéral et celui du Québec, administre et réglemente les services policiers dans la communauté de Mashteuiatsh.
[9] Il faut remonter à 1990 pour retrouver l’origine des corps de police autochtones tels qu’ils fonctionnent actuellement. Cette année-là, le Groupe d’études fédérales de la politique sur le maintien de l’ordre dans les réserves indiennes publie son rapport. Il constate que les Premières Nations n’ont pas accès à des services de police de même niveau et de même qualité que ceux offerts aux non-autochtones, et ce, alors que les taux de criminalité dans les réserves sont nettement supérieurs à la moyenne canadienne[4].
[10] En réponse à ce rapport, le gouvernement du Canada adopte dès l’année suivante, en 1991, sa Politique sur la police des Premières Nations. Il met également en place le Programme des services de police des Premières Nations (ci-après, le « PSPPN ») qui vise à lui permettre ainsi qu’aux provinces, aux territoires et aux Premières Nations de négocier des accords tripartites de manière à mettre sur pied des services de police professionnels, efficaces, adaptés à la culture et aux besoins de chaque communauté, faisant ainsi ressortir sa volonté d’aider les Premières Nations à atteindre l’autosuffisance et l’autonomie gouvernementale[5].
II
BUT ET PORTÉE DE LA POLITIQUE
[...]
La Politique permet d'améliorer l'administration de la justice au sein des Premières nations par des mesures concrètes, c'est-à-dire en mettant sur pied, de concert avec les collectivités, des services de police professionnels, efficaces et adaptés à leurs besoins particuliers. Cela se fait au moyen d'une formule de partage des coûts et d'aide connexe.
En outre, la Politique sur la police des Premières nations constitue un moyen de mettre en pratique la politique fédérale concernant la mise en œuvre du droit inhérent des peuples autochtones à l'autonomie gouvernementale et la négociation de cette autonomie.
Elle est appliquée de façon uniforme dans tout le Canada au moyen d'accords tripartites négociés entre le gouvernement fédéral, les provinces ou les territoires et les Premières nations.
[…]
III
OBJECTIFS DE LA POLITIQUE
Renforcer la sécurité publique et la sécurité personnelle pour que les membres des Premières nations puissent jouir de leur droit à la sécurité publique et à la sécurité personnelle, grâce à des services de police adaptés à leurs besoins particuliers et conformes à des normes quantitatives et qualitatives acceptables.
Accroître les responsabilités et l'obligation de rendre compte afin d'aider les Premières nations à acquérir les moyens d'atteindre l'autosuffisance et l'autonomie gouvernementale, grâce à la mise en place de mécanismes de gestion, d'administration et de responsabilisation. De tels mécanismes permettront aux services de police d'échapper à toute influence partisane ou politique inappropriée.
Construire un nouveau mode de partenariat avec les collectivités des Premières nations fondé sur la confiance, le respect mutuel et la participation aux décisions, dans la mise en œuvre et l’administration de la Politique sur la police des Premières nations.
IV
PRINCIPES DE LA POLITIQUE
Qualité et niveau des services
Les collectivités des Premières nations devraient avoir accès à des services de police adaptés à leurs besoins particuliers. Ces services devraient être égaux en qualité et en quantité aux services dont bénéficient les collectivités environnantes caractérisées par des conditions semblables. Les collectivités des Premières nations devraient avoir leur mot à dire au sujet du niveau et de la qualité des services de police qui leur sont fournis.
[…]
Modèles de services policiers
Les modèles de services policiers des collectivités des Premières nations doivent être au moins équivalents à ceux qui sont offerts dans les collectivités environnantes caractérisées par des conditions semblables. Les collectivités des Premières nations devraient participer au choix du modèle adapté à leur collectivité.
Choix d'un modèle de services policiers
Le modèle de services policiers choisi devrait répondre aux besoins particuliers de la collectivité concernée, tout en demeurant aussi économique que possible.
[…]
Accords de partage des coûts
Compte tenu du partage des compétences, le gouvernement fédéral et les provinces devraient se partager le coût de la police des Premières nations. Au moyen des sommes limitées dont il dispose, le gouvernement fédéral devrait fournir une aide financière uniforme et équitable pour que l'on respecte les normes nationales établies et que l'on applique les principes énumérés ci-dessus.
[…]
V
FINANCEMENT
Le financement de tous les types de service de police des Premières nations est fondé sur des accords tripartites entre le gouvernement fédéral, les provinces ou les territoires ainsi que les Premières nations. Selon ces accords, le gouvernement fédéral verse 52 pour cent de la contribution gouvernementale affectée aux services de police des Premières nations et la province ou le territoire en verse 48 pour cent. On demandera autant que possible aux collectivités des Premières nations de payer une partie des coûts de leurs services de police, particulièrement en ce qui a trait aux services améliorés.
[…]
Évaluation des besoins de financement
Le gouvernement fédéral, les provinces, les territoires et les Premières nations détermineront le nombre d'agents de police et de postes de soutien occupés par des civils en tenant compte des sommes limitées dont ils disposent et des facteurs suivants :
• les caractéristiques démographiques de la population qui reçoit les services (c'est-à-dire le nombre de personnes et leur âge);
• l'étendue et la nature du territoire visé;
• la charge de travail de la police dans la collectivité, qui sera déterminée d'après les statistiques sur la criminalité et les activités de prévention du crime.
Les coûts spécifiquement liés aux services de police fournis à la collectivité seront déterminés selon les coûts engendrés par les services existant dans des collectivités environnantes caractérisées par des conditions semblables.
Critères de financement
Pour qu'un service de police puisse être financé, il faut qu'il réponde aux critères suivants :
• Dans un service non administré par les Premières nations, tous les agents doivent être membres des Premières nations, sauf si la nation concernée accepte qu'il en soit autrement en prenant part aux décisions à cet égard. La durée de l'affectation d'un agent de police qui n'est pas membre des Premières nations doit faire l'objet de négociations entre le gouvernement fédéral ainsi que la province ou le territoire et la nation concernés.
• Le service de police offert doit satisfaire aux normes de la province ou du territoire concerné.
• Les agents des Premières nations doivent avoir été dûment nommés agents de la paix et être en mesure de faire respecter toutes les lois applicables.
• Le service de police doit consulter la collectivité et lui rendre des comptes par l'intermédiaire d'un conseil, d'une commission ou d'un organisme consultatif de police.
[…][6]
[12] On retiendra de ce rappel des principales composantes de la Politique que le gouvernement fédéral, par le biais d’ententes négociées avec les gouvernements provinciaux (Territoriaux) et les Premières Nations, s’engage à la hauteur de 52 %[7] à financer la mise en place et le fonctionnement de corps de police autochtones dont le niveau et la qualité doivent être égaux aux services de police dont bénéficiaient les collectivités environnantes caractérisées par les conditions semblables.
[14] C’est là le cœur du litige. Nous y reviendrons.
[15] Bref, c’est dans ce contexte que les parties ont conclu et renouvelé depuis 1996 des ententes portant sur la prestation des services policiers dans la communauté de Mashteuiatsh, lesquelles sont, en pratique, similaires d’une entente à l’autre.
[16] Il vaut la peine à ce stade-ci de relever les principales dispositions de ces ententes, notamment parce que le juge de première instance s’est principalement appuyé sur elles pour rejeter le recours de l’appelant.
[17] Prenant pour référence l’entente tripartite 2015-2016, celle-ci prévoit tout d’abord, à son article 1.1, qu’elle « constitue l’intégralité des engagements et responsabilités des parties » et, à son article 1.2, qu’elle « est régie et interprétée conformément aux lois et règlements en vigueur au Québec ». Elle n’a pas non plus « pour effet de reconnaître, de définir, de porter atteinte à, de limiter ou de créer des droits ancestraux ou des droits issus de traités », ni ne doit « être interprétée comme constituant une entente ou un traité au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 »[8].
[18] C’est l’appelant qui est responsable de la gestion administrative du corps de police et qui pourvoit à son organisation. Il est l’employeur et est, à ce titre, responsable de l’embauche des policiers, y compris du directeur[9].
[19] Incidemment, l’entente tripartite peut être résiliée par l’une ou l’autre des parties, en tout temps, même en l’absence d’un défaut[10].
[20] À propos du financement des services policiers, l’entente rappelle que les contributions annuelles du Canada et du Québec sont établies selon le ratio de 52 % pour le Canada et de 48 % pour le Québec[11] et que leur versement est conditionnel à l’allocation de crédits budgétaires votés par le Parlement et l’Assemblée nationale[12].
[21] Il s’agit de contributions fermées dans le sens où « [s]i des fonds ont été reçus par le Conseil [l’appelant] sous une entente précédente et n’ont pas été dépensés, le Conseil reconnaît les devoir au Canada et au Québec »[13]. Ces derniers peuvent cependant autoriser l’appelant à conserver ce montant comme paiement partiel de leurs obligations respectives et ainsi réduire proportionnellement leurs versements[14]. De même, tous les fonds non dépensés à l’expiration de l’entente constituent une dette envers le Canada et envers le Québec et doivent leur être remboursés en proportion de leur contribution[15]. Dans le même ordre d’idées, si des sommes versées à l’appelant provenant d’une autre source gouvernementale concourent directement ou indirectement à la réalisation de l’entente tripartite, les intimés peuvent réduire d’autant leur contribution ou en demander le remboursement[16].
[22] Enfin, et crucial aux fins du présent pourvoi, l’entente prévoit, à son article 4.5.2, que « Le Conseil est responsable, le cas échéant, des déficits budgétaires encourus au cours d’un exercice financier […] ».
[23] Ce sont là les dispositions qui servent de toile de fond au recours entrepris devant la Cour supérieure et en vertu duquel l’appelant réclame aux intimés les déficits accumulés par son service de police entre le 1er avril 2013 et le 31 mars 2018. Aussi, faut-il s’en étonner, les intimés ont présenté une requête en irrecevabilité alléguant le caractère « manifestement mal fondé en droit » de la demande introductive d’instance, requête que la Cour supérieure a cependant rejetée pour des motifs en lien avec les obligations constitutionnelles des intimés à l’endroit de l’appelant[17].
[24] Pour comprendre la suite des choses, il importe de brosser maintenant un tableau général de la demande introductive d’instance de l’appelant et du fondement légal qui la supporte.
[25] Le recours de l’appelant ne contient aucune demande visant à faire annuler, en tout ou en partie, les ententes intervenues pour la période concernée par sa réclamation. Il ne contient, de plus, aucune conclusion visant à faire déclarer l’existence d’un droit ancestral en sa faveur[18].
[26] L’appelant allègue plutôt que les intimés ont manqué à leurs obligations de négocier de bonne foi, d’agir avec honneur et de remplir leurs obligations fiduciaires à son endroit eu égard au financement de son corps de police en fixant arbitrairement et unilatéralement le montant de leurs contributions tout en sachant que celles-ci ne correspondaient pas aux coûts réels engendrés par sa mise sur pied et ses opérations.
[27] La possibilité de refuser de signer les ententes tripartites ou d’y mettre fin n’étant pas, de plus, envisageable en raison du fait que les services offerts par la Sûreté du Québec ne sont pas adaptés aux besoins, us et coutumes de la communauté qu’il représente[19], l’appelant allègue qu’il n’a jamais eu d’autre choix que d’accepter la contribution des intimés et, ce faisant, d’engager les coûts supplémentaires de 1 599 469,95 $ qu’il estime en droit de réclamer à ces derniers.
[28] Ce sont là, en gros, les allégations qui supportent le recours de l’appelant et qui servent d’assise à celui-ci, ainsi que l’a noté la juge Sandra Bouchard dans son jugement rejetant la requête en irrecevabilité des intimés[20] :
[15] Selon les défenderesses, les seules obligations auxquelles elles se sont engagées étant celles prévues aux ententes tripartites, ces contrats lient les parties et prévalent entre elles sur tout autre document. Or, Mashteuiatsh n'allègue aucun manquement contractuel ou n'identifie aucune clause de l'entente tripartite qui n'aurait pas été respectée, lesquelles ententes prévoient par ailleurs spécifiquement que tout déficit est assumé par le demandeur.
[…]
[32] Mashteuiatsh soutient que Canada et Québec ont manqué à leurs obligations à trois niveaux pour soutenir sa réclamation, soit :
1) Négocier de bonne foi;
2) Agir avec honneur;
3) Remplir leurs obligations de fiduciaires à l'égard de la Première Nation de Mashteuiatsh.
[33] Ces manquements reprochés aux défenderesses constituent l'assise du recours de Mashteuiatsh.
[34] Le demandeur reconnaît que les termes stricts de l'entente tripartite aient été respectés techniquement. Ce sont plutôt les obligations constitutionnelles qui ne seraient pas rencontrées.
[35] Pour le demandeur, ce recours ne se limite pas à l'entente tripartite contenue dans un contrat qualifié d'adhésion, mais s'élève au niveau de l'établissement et le maintien d'un corps de police d'une Nation, dont la conclusion d'un Programme ou la signature d'une entente ne peut limiter les obligations constitutionnelles.
[Renvois omis; soulignements ajoutés]
[29] Cela dit, ce n’est pas de cette façon que le juge saisi du fond de l’affaire a analysé la réclamation qui lui était soumise.
[30] Bien que le recours de l’appelant allègue que les intimés ont manqué à leurs obligations constitutionnelles, le juge de première instance a fait porter son analyse principalement sur le droit des contrats[21].
[31] Cette approche a pour conséquence première qu’il maintient, parce que non pertinents, l’objection à la preuve des intimés qui s’opposaient à la production par l’appelant de plusieurs rapports qui, tout en reconnaissant que l’établissement de services de police autochtones est une manifestation de la reconnaissance de leur autonomie gouvernementale, notent qu’en pratique ceux-ci souffrent de lacunes importantes sur le plan du financement, faisant ainsi en sorte que les principes et objectifs de la politique fédérale ne sont pas atteints[22].
[32] Quant au fond du litige, le juge rappelle les règles applicables au droit des contrats[23], règles sur lesquelles il se fonde ensuite pour interpréter le texte des ententes tripartites. Il souligne à cet égard que celles-ci « constituent l’intégralité des ententes intervenues entre les parties »[24]. Or, le texte des ententes prévoit que l’appelant est responsable des déficits engendrés par son service de police[25].
[33] Le juge explique également que c’est l’appelant qui a seul la gestion de son corps de police et qui détermine seul le niveau de service supérieur qu’il souhaite financer[26]. Soulignant la possibilité pour l’appelant de mettre fin sans condition aux ententes tripartites[27], son choix de contracter, aux yeux du juge, est donc effectué en toute connaissance de cause[28]. Il ne s’agit pas d’un contrat d’adhésion contrairement à ce qu’allègue l’appelant[29].
[34] Le juge considère par ailleurs que la preuve ne lui permet pas de conclure à la mauvaise foi des intimés. Il note que toutes les communications sont empreintes de respect et d’appréciation et que la transparence est présente dans chaque communication[30].
[35] Toujours en lien avec la preuve, le juge réfère au texte de la politique fédérale qui énonce que les services de polices des Premières Nations doivent être égaux en qualité et en quantité aux services dont bénéficient les collectivités environnantes caractérisées par des conditions semblables. Or, selon lui, « aucune preuve de l’existence de telles collectivités environnantes ni du niveau de service policier dont elle dispose n’est présentée en l’espèce »[31].
[36] En ce qui a trait aux manquements allégués des intimés à leurs obligations constitutionnelles, le juge affirme que l’appelant « ne peut prétendre fonder son recours sur la violation de droits ancestraux vu les termes clairs de l’article 1458 [C.c.Q.] », qui lui interdit d’opter pour un régime de responsabilité extracontractuelle[32]. Il expose malgré tout le droit applicable à la reconnaissance d’un droit ancestral et note que « l’élément revendiqué doit être une composante d’une coutume, d’une pratique ou d’une tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive d’une communauté autochtone ou une caractéristique déterminante de la culture en cause avant le contact avec les Européens »[33]. Or, il retient de la preuve que la première police autochtone à Mashteuiatsh a été mise sur pied en 1974[34].
[37] Le juge conclut également que les intimés n’ont pas manqué à leur obligation de fiduciaire, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, il estime que « les ententes tripartites ne sont pas des actes de fiducie » et que les intimés « n’agissent pas à titre de fiduciaires dans la gestion des affaires du corps de police du demandeur puisque c’est [l’appelant] seul qui a ce pouvoir de gestion »[35]. En effet, selon le juge, « [l]a responsabilité éventuelle d’un fiduciaire découle de sa mauvaise gestion des affaires d’autrui, ce qui n’est donc pas applicable en l’espèce »[36]. Deuxièmement, l’appelant n’a pas prouvé sa vulnérabilité, soit l’une des composantes de la relation fiduciaire. Au contraire, « [l]es états financiers démontrent plutôt des surplus budgétaires accumulés de plusieurs millions de dollars », et « [l]e demandeur bénéficie de revenus autonomes bien supérieurs au déficit de son service de Sécurité publique »[37]. Troisièmement, le juge affirme que « l’obligation fiduciaire s’impose aux défendeurs en fonction d’un intérêt autochtone collectif particulier ou identifiable à l’égard duquel ils possèdent un pouvoir discrétionnaire »[38]. Or, « [i]l n’y a aucun intérêt collectif particulier ou identifiable à l’égard du service de la Sécurité publique. Cela concerne tous les Canadiens et ne fait pas partie du mode de vie distinctif des membres de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh »[39].
[38] Enfin, le juge rappelle que l’obligation de la Couronne d’agir avec honneur « est susceptible de faire naître des obligations uniquement en regard de droits ancestraux reconnus ou revendiqués ou en regard de la négociation de la mise en œuvre de traité[s] »[40], ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Bref, l’obligation des intimés d’agir honorablement n’implique pas de devoir financer les services de police de l’appelant au niveau souhaité par ce dernier[41]. Il y a donc lieu, selon lui, de donner plein effet aux ententes tripartites et de rejeter le recours de l’appelant.
[39] Le présent appel soulève trois questions.
[40] Premièrement, le juge a-t-il commis une erreur en maintenant l’objection à la preuve des intimés qui s’opposaient au dépôt par l’appelant de plusieurs pièces permettant d’étayer les allégations contenues dans sa demande introductive d’instance selon laquelle la prestation de services de police est une composante de l’autonomie gouvernementale et que partant, les intimés ont manqué à leurs obligations constitutionnelles en finançant, de manière insuffisante et en toute connaissance de cause, son service de police?
[41] Deuxièmement, les ententes tripartites intervenues entre les parties entre 2013 et 2018 permettaient-elles au juge, à elles seules, de trancher le litige, soit le remboursement ou non des déficits encourus par le service de police de l’appelant durant ces années?
[42] Troisièmement, les principes de l’honneur de la Couronne et de l’obligation fiduciaire trouvent-ils application en l’espèce et, si oui, l’appelant s’est-il déchargé de son fardeau de démontrer que les intimés ont contrevenu à leurs obligations constitutionnelles?
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[43] Avant de répondre à ces trois questions, je crois utile de faire la mise au point suivante.
[44] Il importe de rappeler que le juge a pris l’objection sous réserve et qu’il a tranché celle-ci en même temps que le fond du litige, jugeant que les pièces que l’appelant voulait produire n’étaient pas pertinentes[42].
[45] Pourquoi n’étaient-elles pas pertinentes? Parce que le juge, sur le fond, rejette le recours de l’appelant en s’appuyant principalement sur le droit des contrats, et ce, après avoir écarté l’application des principes de l’honneur de la Couronne et de son obligation fiduciaire.
[46] Aussi, je crois que pour bien saisir les enjeux du présent pourvoi, il y a lieu de débuter l’analyse par un bref rappel de ces principes constitutionnels. Ce n’est qu’après avoir exposé ceux-ci que nous serons en mesure de constater si l’appelant a raison de plaider que ces principes trouvent application malgré le libellé des ententes tripartites et que le juge a eu tort de maintenir l’objection.
[47] L’honneur de la Couronne est un principe fondamental régissant la relation entre la Couronne et les Premières Nations. Il tire son origine de « l’affirmation par la Couronne de sa souveraineté sur un peuple autochtone et [de] l’exercice de fait de son autorité sur des terres et des ressources qui étaient jusque-là sous l’autorité de ce peuple »[43]. Il remonte à la Proclamation royale de 1763[44] et a été qualifié par la Cour suprême de principe constitutionnel[45].
[48] De manière concrète, l’honneur de la Couronne peut faire naître différentes obligations selon les circonstances. Il ne s’agit donc pas d’une belle formule, mais d’un principe fondamental effectif[46].
[49] Le principe de l’honneur de la Couronne, qui lie tant la Couronne fédérale que la Couronne provinciale, entre-t-il en jeu chaque fois que la Couronne contracte avec les Premières Nations?
[50] En 2004, dans Nation Haïda, la Cour suprême a affirmé que « l’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsque cette dernière transige avec les peuples autochtones »[47].
[51] En 2013, dans Manitoba Metis Federation, la Cour précise que l’honneur de la Couronne impose une lourde obligation, mais n’entre pas en jeu dans toutes les interactions entre la Couronne et les peuples autochtones[48]. Toutefois, « lorsqu’il est question de la mise en œuvre d’une obligation constitutionnelle envers un peuple autochtone, le principe de l’honneur de la Couronne oblige la Couronne : (1) à adopter une approche libérale et téléologique; (2) à agir avec diligence pour s’acquitter de la promesse »[49].
[52] Cela étant, en 2018, dans Mikisew Cree First Nation, la Cour réaffirme que « l’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsque cette dernière traite avec les peuples autochtones »[50]. Plus loin, elle précise « que le principe de l’honneur de la Couronne s’applique quand cette dernière agit soit par le truchement d’une mesure législative, soit dans l’exercice de sa fonction exécutive »[51].
[53] Enfin, soulignons que « la Couronne ne peut pas se soustraire à son obligation de traiter honorablement avec les autochtones » et que son obligation « s’applique indépendamment de l’intention expresse ou implicite des parties »[52], ce qui est crucial en l’espèce si on garde à l’esprit que le juge a évacué ce principe en raison du libellé des ententes.
[54] Dans Williams Lake Indian Band c. Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), la Cour suprême explique que « la relation entre la Couronne et les peuples autochtones peut donner naissance à une obligation fiduciaire de deux façons »[53]. Elle a ainsi distingué l’obligation fiduciaire sui generis de l’obligation fiduciaire ad hoc.
[55] D’une part, l’obligation fiduciaire sui generis « découl[e] du pouvoir discrétionnaire de la Couronne à l’égard d’un intérêt autochtone particulier ou identifiable »[54]. Il s’agit d’une obligation « propre à la relation entre la Couronne et les peuples autochtones », d’où son caractère « sui generis »[55]. D’autre part, « une obligation fiduciaire peut également naître lorsque sont réunies les conditions générales nécessaires à l’établissement d’une relation fiduciaire ad hoc de droit privé »[56]. Tel est le cas « lorsque la Couronne s’est engagée à exercer son pouvoir discrétionnaire à l’égard d’un intérêt juridique ou d’un intérêt pratique important dans l’intérêt du supposé bénéficiaire »[57].
[56] On remarquera que les deux situations pouvant donner naissance à une obligation fiduciaire sont relativement bien circonscrites. Elles ne visent donc pas tous les rapports entre la Couronne et les Premières Nations, ainsi que le rappelle la Cour suprême dans Bande indienne Wewaykum :
81. L’« obligation de fiduciaire » est toutefois assortie de limites. Les appelantes semblent parfois invoquer cette obligation comme si elle imposait à la Couronne une responsabilité totale à l’égard de tous les aspects des rapports entre la Couronne et les bandes indiennes. C’est aller trop loin. L’obligation de fiduciaire incombant à la Couronne n’a pas un caractère général, mais existe plutôt à l’égard de droits particuliers des Indiens. […] [58]
[Soulignement ajouté]
[57] En ce qui a trait à l’intérêt autochtone particulier que l’obligation fiduciaire est censée protéger, la jurisprudence a reconnu un tel intérêt à l’égard des droits fonciers revendiqués par les Premières Nations. C’est ce que la Cour suprême a affirmé en 2002 dans l’arrêt Wewaykum :
81. […] En l’espèce, ce sont des terres qui sont en jeu, et les terres jouent généralement un rôle central dans les économies et cultures autochtones. Des terres étaient également en jeu dans les affaires Ross River (« les terres occupées par la Bande ») et Bande indienne de la rivière Blueberry et Guerin (aliénation de réserves existantes). Jusqu’à présent, notre Cour n’a pas élargi la protection de l’obligation de fiduciaire applicable aux actes accomplis par la Couronne à l’égard de droits fonciers autochtones (notamment la création de réserves) à d’autres intérêts des Indiens, à l’exception de terres ne faisant pas l’objet de droits visés au par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.[59]
[Soulignements ajoutés]
[58] À ce jour, la Cour suprême n’a pas eu à statuer cependant sur une affaire faisant intervenir une obligation fiduciaire dans le contexte d’agissements de la Couronne liés à des intérêts autochtones autres que fonciers. Reste qu’elle n’apparaît pas fermée à l’idée de reconnaître l’application de ce principe à d’autres types de rapports entre la Couronne et les Premières Nations. Cette ouverture ne viserait toutefois que les situations où la responsabilité de la Couronne découle d’une obligation qui serait « de la nature d’une obligation de droit privé ». C’est ce qui ressort de l’extrait suivant tiré, encore une fois, de l’arrêt Wewaykum :
[82] Depuis l’arrêt Guerin, les tribunaux canadiens sont inondés de demandes de tous ordres présentées par des bandes indiennes et fondées sur l’« obligation de fiduciaire », par exemple :
(i) action en matière de règles électorales (Bande indienne de Batchewana (membres non-résidents) c. Bande indienne de Batchewana, [1997] 1 C.F. 689 (C.A.), par. 60, examinée plus tard par notre Cour sur d’autres fondements);
(ii) action concernant la fourniture de services sociaux (Southeast Child & Family Services c. Canada (Attorney General) (1997), 9 W.W.R. 236 (B.R. Man.));
(iii) action en modification de dispositions négociées (B.C. Native Women’s Society c. Canada, [2000] 1 C.F. 304 (1re inst.));
(iv) demandes d’indemnisation de frais de déménagement (Paul c. Bande indienne de Kingsclear, [1997] A.C.F. no 1358 (QL) (1re inst.); Mentuck c. Canada, [1986] 3 C.F. 249 (1re inst.); Deer c. Conseil Mohawk de Kahnawake, [1991] 2 C.F. 18 (1re inst.));
(v) action visant à interdire l’accès par le public aux renseignements concernant les affaires des bandes (Première nation Chippewas de Nawash c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1996] A.C.F. no 991 (QL) (1re inst.), conf. par [1999] A.C.F. no 1822 (QL) (C.A.); Bande indienne de Montana c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1989] 1 C.F. 143 (1re inst.); Bande indienne de Témiscamingue c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1997] A.C.F. no 676 (QL) (1re inst.));
(vi) action relative au financement de procédures judiciaires (Ominayak c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1987] 3 C.F. 174 (1re inst.));
(vii) demande visant à contraindre l’inscription de certaines personnes sous le régime de la Loi sur les Indiens (rejetée dans Tuplin c. Canada (Indian and Northern Affairs) (2001), 207 Nfld. & P.E.I.R. 292 (C.S.Î.-P.-É. 1re inst.));
(viii) demande d’invalidation de consentement écrit signé par une mère autochtone relativement à l’adoption de son enfant (rejetée dans G. (A.P.) c. A. (K.H.) (1994), 120 D.L.R. (4th) 511 (B.R. Alb.)).
[83] Je ne ferai aucun commentaire sur le bien-fondé, eu égard aux faits qui leur sont propres, des décisions rendues dans les affaires susmentionnées, dont aucune ne fait actuellement l’objet d’un pourvoi devant nous, mais il convient selon moi que la Cour confirme le principe, mentionné plus tôt, selon lequel les obligations liant des parties ayant des rapports fiduciaires n’ont pas toutes un caractère fiduciaire (Lac Minerals, précité, p. 597), et que ce principe s’applique aux rapports entre la Couronne et les peuples autochtones. Par conséquent, il est nécessaire de s’attacher à l’obligation ou droit particulier qui est l’objet du différend et de se demander si la Couronne exerçait ou non à cet égard un pouvoir discrétionnaire suffisant pour faire naître une obligation de fiduciaire.
[84] À titre d’exemple, je tiens à citer les propos suivants du juge Rothstein de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Première nation Chippewas de Nawash c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), précité, par. 6 :
Le deuxième argument est que le gouvernement du Canada a une obligation fiduciaire envers les appelants de ne pas communiquer les renseignements en question parce que certains d’entre eux ont trait à des terres indiennes. Nous ne sommes pas en présence de cession de terres d’une réserve tel que c’était le cas dans l’affaire Guérin c. La Reine. Nous ne sommes pas non plus en présence de droits des peuples autochtones visés à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. En l’espèce, il s’agit de déterminer si certains renseignements que les appelants ont fournis au gouvernement devraient être communiqués en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. [Je souligne.]
Voir aussi Lac La Ronge Indian Band c. Canada (2001), 206 D.L.R. (4th) 638 (C.A. Sask.); Administration régionale crie c. Robinson, [1991] 4 C.N.L.R. 84 (C.F. 1re inst.); Bande indienne des Tsawwassen c. Canada (Ministre des Finances), [1998] A.C.F. no 370 (QL) (1re inst.); Westbank First Nation c. British Columbia (2000), 191 D.L.R. (4th) 180 (C.S.C.-B.).
[85] Je ne prétends pas que l’existence d’une obligation de droit public exclut nécessairement la création de rapports fiduciaires. Toutefois, pour que naissent de tels rapports, il faut qu’il existe un droit indien identifiable et que la Couronne exerce, à l’égard de ce droit, des pouvoirs discrétionnaires d’une manière entraînant une responsabilité « de la nature d’une obligation de droit privé », comme nous le verrons plus loin.[60]
[59] Ces principes constitutionnels étant rappelés, examinons tout d’abord si le juge a eu raison de maintenir l’objection à la preuve des intimés.
Première question : le juge a-t-il commis une erreur en maintenant l’objection à la preuve des intimés qui s’opposaient au dépôt par l’appelant de plusieurs pièces permettant d’étayer les allégations contenues dans sa demande introductive d’instance?
[60] À mon avis, il faut répondre affirmativement à cette question.
[61] Ainsi que nous l’avons vu, le juge a fait principalement porter son analyse sur le droit des contrats et le libellé des ententes tripartites, et ce, malgré que l’appelant plaidait un manquement aux obligations constitutionnelles des intimés. Voici ce qu’il écrit aux paragraphes 51 et 52 de son jugement[61] :
[51] Ce qui est en litige est de savoir si les défendeurs « ont manqué à leurs obligations de négocier de bonne foi, d’agir avec honneur et de remplir leurs obligations de fiduciaire à l’égard de la Première Nation de Mashteuiatsh dans le maintien et le financement des services policiers pour le territoire de Mashteuiatsh ».
[52] En regard de l’objet en litige, aucune des pièces soumises n’est pertinente. Les admettre en preuve, selon le principe qu’à tous égards le Tribunal peut en prendre judiciairement connaissance, est une erreur de droit.
[Renvois omis; italiques dans l’original]
[62] La conclusion retenue par le juge, soit dit avec égards, est discutable. Même en prenant pour point de départ, à l’examen des questions en litige, le droit des contrats, l’article 1426 C.c.Q. nous amène inévitablement à considérer la nature particulière des ententes tripartites et les circonstances dans lesquelles elles ont été conclues :
1426. On tient compte, dans l’interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages. | 1426. In interpreting a contract, the nature of the contract, the circumstances in which it was formed, the interpretation which has already been given to it by the parties or which it may have received, and usage, are all taken into account. |
[63] Il est vrai que le texte des ententes prévoit qu’elles constituent l’intégralité des engagements et responsabilités des parties, une clause sur laquelle d’ailleurs le juge s’appuie au paragraphe 64 de son jugement, mais, nous l’avons vu, la Cour suprême, dans Beckman, a très clairement affirmé, en parlant de l’obligation pour la Couronne de traiter honorablement les Premières Nations, que celle-ci devait s’appliquer indépendamment de l’intention expresse ou implicite des parties et que la Couronne ne pouvait pas s’y soustraire[62]. Je laisse de côté pour le moment l’obligation fiduciaire de la Couronne.
[64] La Politique sur la police des Premières Nations énonce en toutes lettres qu’elle constitue un moyen de mettre en œuvre le droit inhérent des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale de manière à ce que ces derniers puissent bénéficier de services de police professionnels efficaces, adaptés à leurs cultures[63]. Or, les pièces visées par l’objection à la preuve des intimés avaient justement pour but de contextualiser cet énoncé afin de démontrer, 1o) les facteurs systémiques et historiques touchant les Premières Nations, 2o) que le PSPPN, tel qu’appliqué, n’est pas en mesure d’assurer que les services offerts dans les réserves sont conformes aux principes énoncés dans la Politique et que ceci constitue un manquement aux obligations constitutionnelles des intimés.
[65] Je ne reprendrai pas ici le contenu intégral de ces pièces qui totalisent plus de 4 000 pages. Je crois néanmoins utile de relever certains passages tirés du rapport de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics présidée par l’honorable Jacques Viens, juge retraité de la Cour supérieure du Québec[64], lequel constitue le rapport officiel le plus récent faisant état des enjeux que soulève le présent pourvoi, enjeux de très longue date.
[66] Il importe tout d’abord de rappeler l’élément déclencheur de cette enquête, soit un reportage diffusé le 22 octobre 2015 donnant la parole à une dizaine de femmes de la région de Val d’Or alléguant avoir été victimes d’abus de la part de policiers de la Sûreté du Québec entre 2002 et 2015[65]. Or, l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (« APPQ ») convient de cette triste réalité[66] :
Par conséquent, il n’est pas étonnant que ces épisodes malheureux de notre histoire commune soient évoqués par les membres des Premières Nations et les Inuit pour expliquer leur réticence à l’égard de l’offre de services publics. Le gouvernement du Québec en a convenu lui-même dans le cadre de ses observations finales. C’est le cas également de l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (APPQ) :
[L]es Autochtones ont été soumis à différentes lois les obligeant à demeurer sur une ou des réserves, interdisant les danses et religions traditionnelles, interdisant les langues autochtones, interdisant la consommation d’alcool, interdisant ou limitant la chasse et la pêche, etc. Les relations entre les Autochtones et les policiers, chargés de prévenir et de réprimer les infractions à ces lois, ont donc été fondées sur des bases extrêmement négatives.
[…]
À la lumière de ces éléments généraux, et sans avoir détaillé les différentes mesures prises par les gouvernements visant l’assimilation des Premiers Peuples à l’époque, la méfiance [de] ceux-ci envers les corps de police chargés d’appliquer les lois et de réprimer les infractions est compréhensible.
[Renvois omis; soulignements ajoutés]
[67] La Commission revient plus loin dans son rapport sur ce constat de méfiance des Premières Nations à l’endroit des corps de police qu’elle explique historiquement de la manière suivante[67] :
En raison de l’histoire de relations difficiles entre les Autochtones et les services de police, la profession est en effet peu valorisée dans les communautés. L’histoire des relations présentée plus avant dans ce rapport rappelle les origines de ces difficultés. On peut y lire qu’au fur et à mesure que le Canada nouvellement créé a tracé les contours de son identité, les peuples autochtones ont vu leurs modes de vie radicalement transformés. Soumis à une multitude de nouvelles lois, les membres des Premières Nations se voient notamment confinés aux réserves, limités dans l’exercice de leurs droits de chasse et de pêche, forcés de renoncer à leur langue et à leur spiritualité et de cohabiter avec des compagnies privées (forestières, minières ou autres) qui peu à peu investissent le territoire. Dans un tel contexte, les policiers, gardiens de l’application des lois, sont vite devenus symboles de répression. La suite de l’histoire, incluant les pensionnats et l’intervention policière qui rend possible le retrait forcé des enfants de leur famille, viendra cristalliser cette perception et nourrir un profond sentiment de méfiance. Il en va de même de l’abattage massif des chiens de traîneaux au Nunavik à la fin des années 1950 par les agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et de la SQ qui laissera une population entière privée de son principal moyen de transport et de subsistance.
Au fil des ans, comme l’a très clairement expliqué l’Association des policières et des policiers provinciaux du Québec dans le mémoire qu’elle a produit à l’intention de la Commission « cette méfiance et cette répression ont généré différentes crises qui ont amplifié davantage les tensions entre les Autochtones et la population en général, incluant les services policiers ». C’est le cas notamment de l’épisode de la « guerre du saumon » survenu à la fin des années 1970 et au début des années 1980, de la Crise d’Oka une dizaine d’années plus tard, puis de ce que les médias ont appelé les « événements de Val-d’Or » qui ont mené à la tenue de la présente Commission.
En d’autres termes, les relations entre les peuples autochtones et les policiers prennent ancrage sur des fondements qualifiés par les policiers eux-mêmes de « très instables et négatifs ».
[Renvois omis; soulignements ajoutés]
[68] À n’en pas douter, c’est là une donnée fondamentale du présent dossier qui explique la nécessité, voire l’urgence pour les Premières Nations de mettre sur pied et de gérer leurs propres corps de police et que les intimés ne peuvent ignorer lorsqu’ils s’engagent à l’endroit de ces derniers à les aider à atteindre cet objectif conformément au PSPPN. Or, le constat que fait la Commission à cet égard est tout, sauf reluisant.
[69] Parlant des budgets des corps policiers autochtones, la question au cœur du présent pourvoi, la Commission constate que ceux-ci sont insuffisants, un problème documenté depuis longtemps et dont les conséquences sont graves et nombreuses[68] :
7.4.2 Budgets des corps policiers autochtones
La formation des policiers n’est pas le seul élément à être affecté par des enjeux budgétaires. Le sous-financement des services policiers autochtones est un problème majeur et documenté de longue date. En fait, quelques années à peine après l’adoption de la Politique sur la police des Premières nations en 1991, la Commission royale sur les peuples autochtones faisait déjà clairement ressortir les difficultés inhérentes à cette problématique. Devant la présente Commission, les représentants autochtones n’ont pas hésité à parler de sous-financement chronique et à qualifier la situation de crise.
Ce sous-financement entraîne pour plusieurs communautés un déficit accumulé pouvant aller jusqu’à plusieurs millions de dollars selon les représentants autochtones entendus dans le cadre des audiences […].
[Renvois omis; soulignements ajoutés]
[70] La Commission retient que ce sous-financement affecte entre autres choses le nombre de policiers, les salaires qui sont nettement inférieurs à ceux des autres corps de police de la province, la mauvaise qualité des équipements et des services eux-mêmes qui sont offerts[69] :
De plus, dans la quasi-totalité des corps policiers autochtones, le sous-financement engendre des conditions salariales nettement inférieures à celles octroyées par les autres corps policiers de la province. En audience, des témoins ont parlé d’un écart pouvant aller jusqu’à 40 ou 50 %.
Aux dires du président de l’Association des chefs de police des Premières Nations, c’est d’ailleurs au Québec que les salaires octroyés sont les plus bas, puisque leurs collègues des autres provinces sont tous payés à parité avec les corps policiers provinciaux ou la GRC. Une situation qui soulève, à raison, l’ire des autorités policières autochtones du Québec. Les directeurs des corps policiers autochtones ont d’ailleurs été nombreux à réaffirmer que les conditions salariales de leur personnel sont inadéquates et nuisent au recrutement et à la rétention.
[…]
Infrastructures et équipements
Le sous-financement se répercute également sur les infrastructures et les équipements. En fait, aux dires des témoins entendus, la très grande majorité des services de police dans les communautés autochtones fonctionnent avec des équipements – véhicules, gilets pare-balles et appareils technologiques – désuets ou tout simplement insuffisants, ce qui complique passablement leur travail. L’absence de service 911 pour les appels d’urgence, d’afficheurs ou d’ordinateurs dans les véhicules en est un exemple. Devant la Commission, les autorités autochtones ont réitéré à de nombreuses reprises l’importance des besoins en cette matière.
[…]
L’état général des infrastructures (postes de police et cellules) pose aussi problème et représente, dans certains cas, un danger pour la sécurité des personnes, […]
Or, la construction d’un nouveau poste de police n’entre pas dans le budget annuel du service. Appelées à la rescousse, la majorité des communautés ne parviennent pas non plus à assumer les coûts élevés de la construction ou de la réfection d’un poste de police vétuste. […]
[Renvois omis; soulignements ajoutés]
[71] Les choses se présentent donc comme suit.
[72] Compte tenu de l’état de la jurisprudence de la Cour suprême portant sur l’obligation fiduciaire de la Couronne qui n’est pas fixé, je considère hasardeux de faire reposer mon analyse sur celle-ci. Il en va ainsi parce que l’engagement de contribuer au financement de services policiers d’un corps public n’entraîne pas de la part des intimés une responsabilité, à première vue, « de la nature d’une obligation de droit privé ». Je fais ici écho aux motifs du juge Binnie dans Bande indienne Wewaykum cités précédemment[70].
[73] À l’inverse, le devoir pour la Couronne d’agir avec honneur s’applique, lequel fait naître différentes obligations selon les circonstances[71].
[74] Les intimés (le fédéral, en adoptant sa politique, et le Québec, en acceptant de participer au PSPPN et de conclure une entente avec l’appelant comme le lui permet l’article 90 de la Loi sur la police[72]) se sont solennellement engagés à financer les services de police de l’appelant, « à un niveau comparable à celui des collectivités environnantes caractérisées par des conditions semblables », un engagement qui s’inscrit, selon les termes mêmes de la Politique, dans un objectif d’aide aux Premières Nations en vue de leur permettre d’acquérir les moyens d’atteindre l’autosuffisance et l’autonomie gouvernementale, un objet visé à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982[73]. L’honneur de la Couronne est ici clairement en jeu.
[75] Le juge ne pouvait donc pas s’en remettre uniquement au libellé strict des ententes tripartites pour examiner si les intimés étaient en défaut d’exécuter leurs obligations. Il devait également tenir compte de la politique gouvernementale dans laquelle s’inscrivent ces ententes, du contexte général entourant la prestation des services de police sur les réserves au Québec et ailleurs au Canada, ainsi que des constats accablants faits depuis de nombreuses années par les différentes commissions d’enquêtes qui se sont penchées sur ce sujet.
[76] Pour l’appelant, les pièces écartées par le juge constituaient des éléments importants lui permettant de se décharger de son fardeau de preuve et d’établir les faits générateurs du droit réclamé dans sa demande introductive d’instance. Le juge aurait dû rejeter l’objection des intimés.
Deuxième question : les ententes tripartites intervenues entre les parties entre 2013 et 2018 permettaient-elles au juge, à elles seules, de trancher le litige?
[77] Ainsi que nous venons de le voir, le juge a commis une erreur en maintenant l’objection des intimés. Il aurait dû d’abord analyser les principes constitutionnels applicables à la relation entre les parties et ensuite, à la lumière des pièces en question, appliquer ceux-ci à son analyse du contexte ayant mené à la conclusion des ententes tripartites et au libellé de celles-ci. C’est seulement au terme de cet exercice qu’il aurait alors pu véritablement statuer sur la réclamation de l’appelant et conclure si oui ou non les intimés ont agi avec honneur dans les circonstances.
[78] Il convient donc de répondre par la négative à la seconde question.
Troisième question : les principes de l’honneur de la Couronne et de l’obligation fiduciaire trouvent-ils application en l’espèce et, si oui, l’appelant s’est-il déchargé de son fardeau de preuve de démontrer que les intimés ont contrevenu à leurs obligations constitutionnelles?
[79] Pour les raisons données précédemment[74], mon analyse relative à la troisième question aura uniquement pour toile de fond le principe de l’honneur de la Couronne.
[80] L’appelant soutient que les intimés n’ont pas agi avec honneur en ce qu’ils ont, en toute connaissance de cause et en violation des principes énoncés au PSPPN, maintenu et renouvelé des ententes tripartites sur la base de budgets arbitraires et non représentatifs des coûts réels encourus par son service de police. Que révèle la preuve à ce sujet?
[81] C’est en 1996 que l’appelant adhère au PSPPN. Or, dès 1998, les déficits commencent à s’accumuler, culminant à plus d’un million de dollars pour l’année 2014-2015.
[82] Cette situation s’explique par le fait que la convention collective régissant les conditions de travail des policiers de la Sécurité publique de Mashteuiatsh venant à échéance le 31 mars 2009 et, les parties n’arrivant pas à s’entendre, une sentence arbitrale est rendue le 17 juillet 2014 ordonnant un rattrapage salarial important au bénéfice des policiers. De fait, l’appelant a dû verser 853 000 $ rétroactivement pour la période du 1er août 2009 au 17 juillet 2014[75].
[83] Le principal point de divergence entre le syndicat des policiers et l’appelant provenait de la volonté du syndicat d’obtenir des salaires comparables à ceux des policiers effectuant ailleurs au Québec un travail semblable, et ce, alors que l’appelant plaidait son incapacité de payer résultant du sous-financement par les intimés de son corps de police. Voici ce que l’arbitre constate à ce sujet[76] :
[27] Il est en preuve qu’à toute période pertinente au présent dossier, les sommes allouées par le Canada et le Québec pour les services policiers à Mashteuiatsh n’ont jamais été augmentées, malgré les récriminations du Conseil qui, contrairement à une municipalité, c’est un fait, n’a pas de pouvoir de taxation ou contrairement à un gouvernement supérieur de taxation et d’imposition des revenus.
[84] L’arbitre note ensuite que l’appelant ne peut pas utiliser les enveloppes budgétaires consacrées à d’autres services pour financer son corps de police[77] :
[32] Tel que déjà dit, le Conseil, contrairement à une municipalité, n’a pas de pouvoirs en matière de taxation, contrairement à un gouvernement supérieur, pas de pouvoirs en matière de taxation et d’imposition des revenus. Ses activités sont financées par les gouvernements supérieurs, surtout par le gouvernement fédéral, on l’a déjà vu en matière de sécurité publique par exemple.
[33] Les services que le Conseil offre à sa population sont financés donc par les gouvernements supérieurs, surtout le gouvernement fédéral. Chaque programme administré par le Conseil a ses subventions. Les témoins produits par l’employeur ont déclaré qu’une subvention destinée à un service, la santé et les services sociaux par exemple, ne peut pas servir à financer un autre service, la sécurité publique par exemple. S’il y a un surplus dans un service en particulier, le gouvernement peut demander un remboursement ou réduire sa contribution pour ce service dans le futur.
[34] Bref, le Conseil ne peut pas, ont dit les témoins produits par la partie patronale, financer le service de sécurité publique en pigeant dans des enveloppes budgétaires devant être consacrées, par la volonté des gouvernements supérieurs, surtout le fédéral, à d’autres services.
[85] Par contre, il retient de la preuve que les revenus provenant des fonds autonomes de l’appelant sont importants, faisant en cela écho aux prétentions de l’avocat du syndicat des policiers qui plaidait que rien n’interdit à l’appelant d’utiliser ces fonds pour financer son corps de police[78] :
[38] Le procureur du syndicat plaide que le Conseil a d’autres revenus que des subventions, il a des revenus qui proviennent de ses fonds autonomes (des revenus qui proviennent d’entreprises établies par le Conseil ou des participations du Conseil dans des entreprises). Certes, affirme le procureur de l’Association, les témoins produits par l’employeur affirment que ces fonds doivent servir à créer de l’emploi et de la richesse dans la communauté, à assurer l’avenir des jeunes, mais il n’est pas interdit au Conseil de s’en servir à d’autres fins, notamment se doter d’un service de police de qualité moyenne. Les revenus des fonds autonomes sont plutôt importants, selon la preuve.
[86] Il importe, à ce stade-ci de l’analyse, de s’attarder à cette question de l’utilisation par l’appelant des revenus provenant de ses fonds autonomes, et ce, pour deux raisons.
[87] Premièrement, parce que comme je l’ai mentionné au début des présents motifs[79], la Politique fédérale énonce qu « on demandera autant que possible aux collectivités des Premières Nations de payer une partie des coûts de leurs services de police […] » et deuxièmement, parce que le juge de première instance réfère aux revenus provenant de ces fonds qui sont « bien supérieurs au déficit de son service de Sécurité publique »[80], laissant ainsi sous-entendre que l’appelant a les moyens d’éponger le déficit de son service de police, participant à la mesure de ses moyens à la mise en œuvre de l’entente tripartite.
Les différents modes de financement de l’appelant
[88] Lors de l’audience qui s’est tenue devant la Cour supérieure, madame Valérie Tremblay, comptable au sein de l’appelant, a témoigné à propos de la structure financière de la nation Pekuakamiulnuatsh. Elle a alors distingué les modes de financement de celle-ci, soit : les « contributions globales », les « contributions préétablies et fixes », les « contributions locales » et les « fonds autonomes ».
[89] Elle explique tout d’abord que les contributions globales et les contributions préétablies et fixes sont des sommes versées par l’État, alors que les contributions locales et les fonds autonomes proviennent de la Nation elle-même.
[90] Relativement aux contributions globales, il s’agit de sommes qui, lorsqu’elles ne sont pas entièrement dépensées, peuvent être réinvesties dans d’autres programmes ou services, à la discrétion de l’appelant. Or, il appert que ce dernier s’est doté d’une ligne directrice en vertu de laquelle les activités, programmes et services financés à l’aide de ces fonds sont ceux liés à la pérennité de la Nation, à la culture, au territoire et à la langue :
Donc, on a des… des… des… un mode de financement qu’on appelle « Contribution globale », pis on en a d’autres qui sont « Constributions [sic] préétablies et fixes », pis ça aussi les noms ont changé, là, au fil des ententes de financement-là, mais je vais essayer de faire ça le plus simple possible. Au niveau des contributions globales, leur particularité, c’est que c’est un mode de financement qui est, je dirais, un p’tit peu plus souple là, considérant que on a des programmes préétablis dans notre entente qu’on… qu’on doit, comme Première Nation, desservir, par exemple, le postsecondaire, mais on… pis on reçoit un… un montant d’argent pour ça, mais si jamais notre dépense est inférieure au financement, ben, les fonds inutilisés peuvent être réinvestis dans des services ou des activités autres que le programme qui est visé. Donc, ça, c’est dans la contribution qui est plus souple là, contribution globale. À titre d’exemple, si, par exemple, je reçois… pis c’est des chiffres complètement fictifs là, si je reçois deux millions (2 M) de dollars pour le postsecondaire pis que ça m’en coûte un point cinq million (1.5 M), ben, j’ai un cinq cent mille dollars (500 000 $) que je peux réinvestir dans des activités autres services. Nous, comme ligne directrice, notre conseil des élus nous demande de financer des activités qui ne sont pas du tout financées ou très peu financées, comme la culture, le territoire et la langue chez nous qui sont des enjeux d’identité et de pérennité de notre Première Nation. Donc, c’est… ça nous permet de… de faire ça.[81] [Soulignements ajoutés] |
[91] La comptable Tremblay explique ensuite que le financement par contributions préétablies et fixes constitue un mode de financement plus rigide que celui par contributions globales. Les sommes non dépensées ne peuvent être utilisées à d’autres fins que celles pour lesquelles elles ont été versées :
Pour le mode de contribution préétablie fixe, c’est un mode de financement qui est beaucoup plus rigide, donc, on reçoit du financement pour une activité ou un […] un programme bien précis, pis les fonds inutilisés ne peuvent pas être réinvestis dans d’autres choses, donc, ils sont là exclusivement pour ça. À titre d’exemple, on a un programme qui s’appelle le programme au niveau des avantages sociaux de la bande, donc, c’est… c’est un financement qu’on reçoit pour le fonds de pension, donc, faut qu’il… faut qu’il soit pris uniquement pour… pour ça.[82] [Soulignements ajoutés] |
[92] Quant aux contributions locales, ce sont les revenus perçus directement par la Nation :
On a également dans nos autres revenus, nous appelle ça dans notre… no… notre jargon maison, es contributions locales, donc, les contributions locales, c’est des revenus, par exemple, de loyers, donc, je vous disais qu’on avait un parc de logements communautaires, donc, on a des revenus de loyers qui sont perçus euh… pour ceux qui… qui habitent ces… ces logements-là, on a des revenus, par exemple, pour… on a un centre de conditionnement physique, donc, on a des revenus d’abonnements, des revenus de location de salle, et cetera, ça fait que tout est dans les contributions locales, mais c’est sûr que ces revenus-là engendrent également des dépenses d’opérations là, sont pas nets…[83] [Soulignements ajoutés] |
[93] Lors de l’audience, la comptable Tremblay réfère à la Pièce D-67[84]. Elle précise que les sommes qui y sont inscrites incluent « beaucoup de comptes à recevoir »[85]; ces sommes sont les revenus facturés, mais cela ne signifie pas qu’ils sont effectivement payés[86]. Lorsque l’avocat de l’appelant lui demande si elle « connaît le net de ces contributions locales là », elle répond : « Ben, je vous dirais que quand je regarde la liste, l’ensemble de ces contributions-là sont déficitaires. »[87].
[94] Enfin, en ce qui a trait aux fonds autonomes, il appert que ce sont des fonds dédiés à la collectivité et à son développement[88]. La comptable explique que ceux-ci sont dépensés conformément aux lignes directrices élaborées en consultation avec la population et entérinées par le Conseil des élus :
Ensuite, on a aussi au niveau de nos revenus ce qu’on appelle, nous, les « fonds autonomes ». Donc, c’est des fonds qui appartiennent à la bande là, donc, à la Première Nation, ces fonds autonomes là ne sont pas également eux… libres de toute contrainte d’utilisation, donc, les lignes directrices par rapport à l’utilisation des fonds autonomes ont été euh… ils ont été soumis à un processus de consultation auprès de notre population, mais son[t] entérinés au final par le conseil des élus, donc, on a des paramètres à respecter pour utiliser ces fonds-là. Les fonds autonomes, en fait, servent de levier économique, donc, de pouvoir d’investissement dans des opportunités d’affaires qui se présentent, parce qu’on avait une problématique au niveau du financement, on n’était pas capable d’avoir les mêmes conditions de financement qu’une municipalité, par exemple, dû à la Loi sur les Indiens. Donc, on a commencé par un p’tit projet, pis là, ça… ça… ça a fait des… des… des fruits et là on est rendu avec des fonds autonomes par rapport à ça. Pis la reddition de compte, ben, plutôt que de la faire comme nos autres ententes de financement vers les bailleurs de fonds, ben, nous, la reddition de compte, faut la faire vers la population, donc, une (1) fois par année, il y a une séance d’information pour informer la population sur les revenus qui ont été gé… générés par les fonds autonomes, mais aussi, également l’utilisation qui en est faite annuellement, pis jusqu’à tout récemment, là, je sais qu’il faut parler juste de deux mille douze (2012) à deux mille dix-sept (2017) là, mais il y a quand même des règles de consultation quand c’est des projets de plus grande envergure qu’il faut réaliser, maintenant les projets vont en consultation pour demander le pouls de la population.[89] [Soulignements ajoutés] |
[95] Ces fonds autonomes incluent de plus une réserve créée dans le but d’éponger des déficits éventuels. Questionnée à ce sujet, la comptable Tremblay dépose la pièce D-70, soit le sommaire de la réunion régulière du Conseil de bande du 17 juin 2013[90]. On peut y lire que :
Le résultat global obtenu lors du processus budgétaire annuel est un déficit de l’ordre de 609 116 $ qu’il est suggéré de sécuriser à même la réserve pour déficit des fonds autonomes qui a un solde de 621 949,24 $.[91]
[Soulignement ajouté]
[96] La comptable explique alors ce qui suit :
Jusqu’en deux mille six (2006), il y avait aucun déficit d’opérations qui avait été assumé via les fonds autonomes, et en deux mille six (2006) on s’est retrouvé… parce que bon an, mal an, d’année en année, il y avait des surplus accumulés au niveau de… de nos exercices financiers, et quand on réalisait des déficits, ben, on prenait dans nos surplus accumulés, c’est un espèce de… de p’tit bas de laine qu’on appelait de même. En deux mille six (2006), on s’est retrouvé confronté à une réalité où nos surplus accumulés étaient épuisés, donc, là, on s’est dit, quand on présente à la population notre budget annuel pis qu’on le présente déficitaire, faut sécuriser le déficit par une source de financement, donc, on a créé à court terme, pis on le savait que c’était pas l’idéal, mais on a créé, ben, le Conseil ont pris la décision de créer une réserve de un million de dollars (1 M $) à partir des fonds autonomes. Donc, cette réserve-là existe encore aujourd’hui, elle était au départ d’un million (1M), on l’a utilisée à deux (2) reprises, on l’a utilisée en deux mille sept-deux mille huit (2007-2008), en deux mille douze-deux mille treize (2012-2013), j’espère je me trompe pas d’années, mais le solde actuel est à peu près de six cent cinquante-mille (650 000), donc, on a utilisé à peu près un… un trois cent cinquante mille (350 000) là, pour… dans… durant ces deux années financières là, mais sinon, eux… la réserve est toujours là avec un solde.[92] [Soulignement ajouté] |
[97] Soit dit avec égards pour le juge de première instance, l’affirmation qu’il fait au paragraphe 83 de son jugement aurait dû être plus nuancée. Elle ne reflète pas la situation financière réelle de l’appelant.
[98] Interrogée par l’avocat de ce dernier, la comptable Tremblay explique ensuite ce qui suit :
Q | Alors, madame Tremblay, ça… ça fait beaucoup de chiffres, hein, ça fait beaucoup de… |
R | Oui. |
Q | …de budget. Lors de l’interrogatoire au préalable, on vous a questionnée sur ces chiffres-là,… |
R | Hen Hen. |
Q | …et entre autres, on voulait savoir à la page cinquante-sept (57) [de la pièce D-70], dans le fond, c’est qu’est-ce qui reste en bout de ligne, alors, au bout d’une année là, est-ce que le Conseil fait des surplus, et si oui, combien. Êtes-vous en mesure de répondre à ces… à cette question? |
R | En fait, c’est… c’est… c’est pas simple, comme je vous l’ai expliqué tout à l’heure, quand on regarde, mettons, notre excédent de l’exercice dans nos états financiers audités qui sont nos rapports annuels, on a une ligne qui peut… qui peut être un excédent qui peut paraître très important, sauf que quand je déduis toutes les contraintes qu’on a par rapport au financement, ben, la marge de manœuvre réelle, on la voyait pas dans nos états financiers audités. […] Donc, dans les dernières années, on a même ajouté une… une information supplémentaire à la population parce qu’on se disait même au niveau de notre population, on… on recevait des commentaires à l’effet, «ben, v[o]us en avez de l’argent, vous avez trente… trente millions (30 M)» par exemple, en excédent, là, pis là, c’est pas les bons chiffres là, ça fait que là, on s’est dit, faut trouver une façon d’expliquer à notre population c’est quoi la marge de manœuvre réelle au niveau de la prestation des… des programmes et services, parce que dans nos états financiers, tout est consolidé ensemble, on a toutes nos… nos… nos entreprises apparentées, nos partenariats d’affaires, notre… ça fait que tout est consolidé, ça fait que ça peut être confondant. Donc, depuis, je crois, je pense c’est notre troisième année qu’on présente une… une information supplémentaire dans nos… dans nos états financiers qui explique maintenant le… l’excédent ou le déficit d’opérations par rapport aux programmes et services.[93] [Soulignements ajoutés] |
[99] En outre, contre-interrogée par l’intimé, le procureur général du Canada, la comptable insiste sur le caractère nettement insuffisant du financement reçu pour le service de police, affirmant que l’appelant a « fonctionné au minimum du minimum du minimum »[94]. Malgré cette gestion économe des ressources, il était impossible que le budget du service ne soit pas déficitaire :
Q | Madame, quand vous budgétez [en lien avec le service de police], vous balancez à zéro (0), ça balance? |
R | Non, on balance pas à zéro (0). Des fois, on est… on… quand on… on met… Nous, l’horaire de travail est conventionné, le salaire est conventionné bien évidemment, ça fait que tout ça ensemble, moi, une fois que j’ai mis mon salaire et avantages sociaux dans mon budget pis que j’ai pris le dix pour cent (10%) de frais d’administration, il me reste dix mille (10 000). Il y a des… Là, les années où… qu’on parle aujourd’hui, il restait dix mille dollars (10 000 $), comment je fais pour opérer un poste de police avec dix mille dollars (10 000 $)? J’ai pas de véhicules, pas d’essence, pas de vêtements, pas de… j’ai rien.[95] [Soulignement ajouté] |
[100] Elle affirme également que l’appelant a dénoncé cette réalité aux intimés à plusieurs reprises lors de chaque renouvellement des ententes tripartites, mais « c’était toujours une fin de non-recevoir »[96].
[101] À la question du juge, elle répond ensuite :
LE TRIBUNAL :
Q | Donc, quand vous acceptez l’offre [de financement gouvernemental], vous savez que les sommes sont insuffisantes? |
R | On le sait, mais on a le couteau sur la gorge pis on n’a pas le choix si on veut continuer à avoir notre…[97] [Soulignement ajouté] |
[102] Au risque de me répéter, le juge ne tient pas compte des nuances qui s’imposent lorsque, dans le jugement entrepris, il se limite à noter que les états financiers révèlent « des surplus budgétaires accumulés de plusieurs millions de dollars » et que l’appelant « bénéficie de revenus autonomes bien supérieurs au déficit de son service de Sécurité publique. »[98]. À l’instar de la comptable Tremblay, je suis d’avis que ceux-ci ne reflètent pas la marge de manœuvre réelle dont dispose l’appelant. Je retiens plutôt de la preuve que, depuis 2006, la réserve de fonds créée par l’appelant afin d’éponger des déficits éventuels a été utilisée à deux reprises et que les contributions locales de l’appelant sont également déficitaires. Quant aux fonds non dépensés des contributions globales et les fonds autonomes de l’appelant, il appert que ceux-ci sont dépensés conformément à des lignes directrices établies par la Nation elle-même, ce qui, au nom de l’objectif de réconciliation entre les peuples autochtones et non-autochtones mérite déférence. C’est que je retiens de l’extrait suivant tiré de l’arrêt Anderson c. Alberta rendu par la Cour suprême et portant sur la notion d’impécuniosité d’une Première Nation dans le cadre de l’octroi d’une provision pour frais alors que cette dernière jouit, par ailleurs, de revenus provenant de sources diverses[99] :
[44] De plus, et comme nous l’avons déjà fait remarquer (au par. 25), l’objectif de concilier les intérêts autochtones et les intérêts plus larges de la société orientera la façon dont le tribunal cerne les besoins pressants du gouvernement d’une Première Nation. La réconciliation oblige le tribunal à envisager les besoins pressants de ce gouvernement de son point de vue en tant que gouvernement qui fixe ses propres priorités et est le mieux placé pour déterminer ses besoins. […]
[Soulignement ajouté]
[103] Je crois donc que la question de l’allocation des ressources d’une Première Nation doit être analysée avant tout en fonction des besoins et des priorités établis par cette dernière et non pas en fonction de ceux qu’un gouvernement peut imposer à celle-ci. C’est ainsi que la Politique fédérale doit être appliquée, mais ainsi que nous allons maintenant le voir, ce n’est pas de cette façon qu’elle l’a été.
Les intimés n’ont pas agi avec honneur
[104] Quelques mots tout d’abord sur la desserte policière au Québec.
[105] C’est la Sûreté du Québec, à titre de corps de police national, qui est compétente pour prévenir et réprimer les infractions aux lois sur l’ensemble du territoire du Québec[100], y compris sur les réserves indiennes[101].
[106] L’article 90 de la Loi sur la police permet cependant au gouvernement du Québec de conclure des ententes avec les communautés autochtones visant la mise sur pied d’un corps de police autochtone[102].
[107] Ainsi, à défaut d’avoir un service de police autochtone dans la réserve, les Premières Nations sont desservies par la Sûreté du Québec, et ce, gratuitement, contrairement aux autres municipalités de la province. C’est ce qui ressort du témoignage rendu à l’audience par M. Richard Coleman, directeur du Bureau des relations avec les Autochtones au ministère de la Sécurité publique, et que les intimés invoquent pour repousser les allégations de l’appelant selon lesquelles ils n’ont pas agi avec honneur à son endroit.
[108] L’argument des intimés étonne. D’invoquer la gratuité des services offerts par la Sûreté du Québec pour démontrer leur bonne foi témoigne, de la part des intimés, d’une insensibilité totale des constats faits par les différentes commissions d‘enquête et études qui se sont penchées sur la problématique de la desserte policière sur les réserves et qui ont toutes conclu en l’inéquation de celle-ci lorsque appliquée aux Premières Nations parce que non adaptée à leur culture et à leurs besoins spécifiques.
[109] La Commission Viens, nous l’avons vu, a conclu que la méfiance et l’insatisfaction des Premières Nations à l’endroit de la Sûreté du Québec n’avait rien d’un caprice. Il s’agit d’un constat documenté de longue date applicable à l’ensemble des services policiers offerts au Canada, lequel a mené à l’adoption de la Politique sur la police des Premières nations qui a précisément pour but de doter ces dernières de services de police professionnels comparables à ceux dont jouissent les non-autochtones tout en étant adaptés à leurs besoins particuliers.
[110] Aussi, le fait que les services offerts aux Premières Nations par la Sûreté du Québec sont gratuits ne peut en aucun cas être une réponse aux doléances de l’appelant.
[111] Il en va de même de l’argument des intimés selon lequel les services de la Sûreté du Québec sont du meilleur niveau qui soit. Là n’est pas le problème. Sans vouloir trop entrer dans les détails, il y a lieu ici de préciser que les services policiers sont divisés en six niveaux, le niveau 1 étant le niveau le plus bas et le niveau 6, le plus haut, soit celui où les services de police sont les plus développés. Ceci découle de l’article 70 de la Loi sur la police qui est ainsi libellé[103] :
70. Le territoire de toute municipalité locale doit relever de la compétence d’un corps de police. Un corps de police municipal doit fournir, sur le territoire relevant de sa compétence, les services de l’un des niveaux suivants: 1° des services de niveau 1, si la population à desservir est de moins de 100 000 habitants; 2° des services de niveau 2, si la population à desservir est de 100 000 à 249 999 habitants; 3° des services de niveau 3, si la population à desservir est de 250 000 à 499 999 habitants; 4° des services de niveau 4, si la population à desservir est de 500 000 à 999 999 habitants; 5° des services de niveau 5, si la population à desservir est de 1 000 000 d’habitants ou plus. La Sûreté du Québec fournit des services de niveau 6. […] | 70. The territory of a local municipality must be under the jurisdiction of a police force. A municipal police force must provide, in the territory under its jurisdiction, (1) level 1 services, if the population to be served is less than 100,000 inhabitants; (2) level 2 services, if the population to be served is 100,000 or more and not more than 249,999 inhabitants; (3) level 3 services, if the population to be served is 250,000 or more and not more than 499,999 inhabitants; (4) level 4 services, if the population to be served is 500,000 or more and not more than 999,999 inhabitants; or (5) level 5 services, if the population to be served is 1,000,000 inhabitants or more. The Sûreté du Québec shall provide level 6 services. […] |
[112] Or, en réponse à l’argument de l’appelant qu’il n’est même pas en mesure d’offrir aux membres de sa communauté des services de niveau 1 en raison d’un financement insuffisant, les intimés plaident qu’il n’a pas à le faire puisque l’article 70 ne vise que les municipalités et qu’il ne s’applique donc pas sur la réserve de Mashteuiatsh[104].
[113] De soutenir pareil argument est indigne des intimés à la lumière de la Politique fédérale qui énonce en toutes lettres que les services policiers des Premières Nations doivent être équivalents à ceux offerts aux non-autochtones. De plus, lorsque l’on compare la mission des corps de police autochtones et celle des autres corps de police du Québec énoncées aux articles 93 et 48 de la Loi sur la police, on constate que celles-ci sont essentiellement les mêmes[105] :
93. Un corps de police autochtone et chacun de ses membres sont chargés de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique dans le territoire pour lequel il est établi, de prévenir et réprimer le crime ainsi que les infractions aux lois et aux règlements applicables sur ce territoire et d’en rechercher les auteurs. | 93. A Native police force and its members are responsible for maintaining peace, order and public safety in the territory for which it is established, preventing and repressing crime and offences under the laws and regulations applicable in that territory and seeking out offenders. |
48. Les corps de police, ainsi que chacun de leurs membres, ont pour mission de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime et, selon leur compétence respective énoncée aux articles 50, 69 et 89.1, les infractions aux lois ou aux règlements pris par les autorités municipales, et d’en rechercher les auteurs.
Pour la réalisation de cette mission, ils assurent la sécurité des personnes et des biens, sauvegardent les droits et les libertés, respectent les personnes victimes et sont attentifs à leurs besoins, coopèrent avec la communauté dans le respect du pluralisme culturel. Dans leur composition, les corps de police favorisent une représentativité adéquate du milieu qu’ils desservent.
|
48. The mission of police forces and of each police force member is to maintain peace, order and public security, to prevent and repress crime and, according to their respective jurisdiction as set out in sections 50, 69 and 89.1, offences under the law and municipal by-laws, and to apprehend offenders.
In pursuing their mission, police forces and police force members shall ensure the safety of persons and property, safeguard rights and freedoms, respect and remain attentive to the needs of persons who are victims, and cooperate with the community in a manner consistent with cultural pluralism. Police forces shall target an adequate representation, among their members, of the communities they serve.
|
[114] On ne saurait faire reproche à l’appelant de vouloir offrir aux membres de sa communauté le minimum de services offerts aux autres citoyens du Québec. Or, les déficiences et les lacunes du service de police de l’appelant sont nombreuses. Lors de l’audience en Cour supérieure, M. Simon Vanier, qui a occupé divers postes au sein de la Sûreté publique de Mashteuiatsh, incluant celui de directeur, décrit ainsi les services de police offerts par l’appelant :
POUR LA DEMANDERESSE
Q […] Sur quoi vous basez-vous pour dire que Mashteuiatsh a… a subi ou souffre de sous-financement des services de police?
R Bon, comme j’en ai parlé un peu tantôt là, par rapport aux salaires, il y a… il y a vraiment une grande différence de salaire; euh, c’est pas juste le salaire non plus, on parle aussi des… de la technologie policière, nous, on n’a pas les ordinateurs dans le char, on n’a pas une centrale neuf un un (911) qui répartit les appels directement, c’est en dehors des heures de bureau, c’est nos patrouilleurs qui répondent à la population directement sur les radios; euh, ensuite de ça, ben, on n’a pas l’appareil pour prendre les empreintes là, directement au post [sic]; à l’époque, on n’avait pas le cinémomètre, qui est pour le radar; on n’avait pas l’ivressomètre,…
Q Quand, excusez, vous dites à l’époque, on parle de quelle époque?
R Ben, deux mille douze (2012) à deux mille quinze (2015) là,…
Q O.K.
R …ce… je me reviens un peu à de… à deux mille douze – deux mille quinze (2012-2015), parce qu’effectivement, on a eu un ajustement là, en deux mille dix-huit – deux mille dix-neuf (2018-2019) qui a… nous… qui nous a permis aussi là, de… de… de…
LE TRIBUNAL
Q Une mise à niveau.
R …de commencer un p’tit peu plus à… à avancer. Par contre, de deux mille douze (2012) à deux mille quinze (2015), ce qui nous faisait croire qu’on était sous-financés, c’est qu’on n’était jamais formés, on pouvait… mettons, on était formés, on pouvait pas maintenir nos connaissances parce que à l’École nationale, quand t’es formé en perfectionnement pour le cinémomètre, ben, aux cinq (5) ans, il faut que tu fasses une requalification, si tu la fais pas, ben, tu peux pus utiliser l’outil, pis si t’as pu l’outil, ben, ça sert à rien d’être formé, ça fait que c’était… c’était un p’tit peu la réalité qu’on avait ce… au… au… au milieu de terrain opérationnel. […][106]
[Soulignements ajoutés]
[115] Ce témoignage, à l’instar de ce qu’a constaté la Commission Viens dans nombre d’autres cas[107], révèle une formation déficiente des membres du corps de police de l’appelant, de même qu’un manque flagrant d’équipements technologiques permettant à ses membres d’effectuer leur tâche normale. Or, la cause de cette situation est connue des intimés et découle directement de l’insuffisance de leurs contributions en vertu du PSPPN, un constat encore une fois mis de l’avant par la Commission Viens[108] et que révèlent également :
les services de police autogérés font l’objet d’un modèle de financement incompatible avec la façon dont les budgets sont établis et mis en œuvre de la façon la plus adéquate.
5.72 Dans l’ensemble, nous avons conclu que le Programme des services de police des Premières nations de Sécurité publique Canada n’était pas conçu de façon adéquate et n’était pas en mesure d’assurer que les services de police offerts dans les réserves soient conformes aux principes de la Politique sur la police des Premières nations que nous avons examinés.
Au terme de ce panorama sur les conditions de fonctionnement et d’exercice des corps de police autochtones, force est de constater que, pour nombre d’entre eux, mener à bien leur mission, au regard des ressources dont ils disposent, relève du défi. En effet, si les objectifs de la PPPN sont ambitieux, les moyens alloués pour la réalisation de ces objectifs peinent à être à la hauteur de l’ambition. Les polices autochtones disposent – sur le papier – des mêmes pouvoirs et prérogatives que les organisations policières régulières et semblent devoir faire la preuve d’une efficacité équivalente. Il reste que les moyens dont elles bénéficient sont très inférieurs à ceux alloués aux organisations policières régulières alors même qu’elles gèrent des problématiques plus lourdes.
Or, dans le contexte actuel, la sécurité des Premières Nations est compromise par un manque de ressources à tous les égards : humaines, financières, matérielles.
L'organisation policière des Premières Nations est une véritable aubaine pour les gouvernements du Canada et du Québec lorsqu'on compare les coûts engendrés par la Sûreté du Québec pour desservir les communautés avec lesquelles il n'y a pas d'entente. En vertu de la Loi sur la police, jamais le ministère de la Sécurité publique du Québec, pourtant responsable de la sécurité publique partout au Québec, n'accepterait un plan d'organisation policière présenté par un corps policier autochtone avec les effectifs et le budget fournis actuellement par les gouvernements du Canada et du Québec.
[…]
Par ailleurs, l'une des caractéristiques de la Politique des services de police des Premières Nations du gouvernement fédéral relativement à l'évaluation des besoins de financement, à savoir « la charge de travail de la police dans la collectivité, qui sera déterminée d'après les statistiques sur la criminalité et la prévention du crime », est carrément ignorée par les instances gouvernementales.
[Renvoi omis]
[116] À mon avis, et contrairement à ce qu’affirme le juge au paragraphe 64 de son jugement[113], la preuve, y compris celle dont il a refusé la production, aurait dû l’amener à conclure que le financement octroyé à l’appelant par les intimés ne permettait pas à ce dernier d’offrir aux membres de sa communauté, à l’époque pertinente, une prestation de services conforme 1) aux principes de la Politique fédérale, c’est-à-dire des services policiers « égaux en qualité et en quantité aux services dont bénéficient les collectivités environnantes caractérisées par des conditions semblables »[114], 2) à la mission des corps de police autochtones énoncée à l’article 93 de la Loi sur la police[115]. Il ne pouvait pas se contenter d’écrire que « [l]’obligation d’agir avec honneur n’emporte pas celui (sic) de financer les services de police du demandeur au niveau souhaité par lui »[116]. Sans doute que cette affirmation, dans un autre contexte, pourrait constituer une réponse adéquate, car, il est vrai, les sommes dont disposent les gouvernements, pour les fins d’un programme, sont forcément limitées, mais ce n’est pas ce que plaide l’appelant en l’espèce. Ce dernier soutient simplement que la Politique fédérale promet une contribution qui doit lui permettre d’assurer des services policiers d’une certaine qualité, ce qui ne s’est pas concrétisé dans les ententes que les intimés ont signées avec lui.
[117] Le juge ne pouvait pas davantage s’en remettre uniquement au libellé des ententes tripartites et à la clause prévoyant que l’appelant est responsable des déficits budgétaires encourus au cours d’un exercice financier parce que ceci a pour effet en l’espèce de permettre aux intimés de se soustraire à leur obligation d’agir avec honneur avec l’appelant et que cette obligation, comme l’affirme la Cour suprême dans Beckman, s’applique indépendamment de l’intention expresse ou implicite des parties[117], donc du libellé des ententes.
[118] En d’autres termes, en refusant de financer le corps de police de l’appelant de manière à permettre une prestation de services de même qualité que celle offerte aux non-autochtones, je suis d’avis que les intimés ont contrevenu à leur obligation d’agir honorablement et que le recours entrepris par l’appelant aurait dû être accueilli à la hauteur des sommes réclamées.
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[119] Avant de conclure, je crois approprié de mentionner que M. Gilbert Dominique, chef de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh, a également saisi le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) d’une plainte alléguant avoir subi un traitement discriminatoire de la part de Sécurité publique Canada dans le cadre de la mise en application du PSPPN[118].
[120] Non seulement le cadre factuel servant de toile de fond à cette plainte est le même qu’en l’espèce, mais une bonne partie des transcriptions devant la Cour supérieure a été déposée pour valoir témoignage devant le TCDP. Or, ce dernier a accueilli la plainte de M. Dominique et conclu que les membres de sa communauté avaient fait l’objet de discrimination de la part de Sécurité publique Canada[119].
[121] Il importe de préciser cependant que l’analyse juridique du TCDP est fort différente de celle que le juge de la Cour supérieure a effectuée, les questions à trancher n’étant pas les mêmes[120]. Partant, je suis pleinement conscient que le raisonnement suivi par le TCDP ne peut pas s’appliquer sans nuances à notre cas. De plus, il faut aussi le mentionner, la décision du TCDP a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire de la part du procureur général du Canada devant la Cour fédérale[121]. Reste qu’il s’agit d’un fait juridique qui s’impose ici de par sa valeur probante[122].
[122] Je trouve en effet un certain réconfort dans la décision du TCDP dans la mesure où ce dernier a reconnu l’insuffisance du financement accordé à l’appelant, de même que le niveau déficient des services de police offerts à la communauté qu’il dessert, et ce, en se fondant sur une bonne partie de la preuve administrée en Cour supérieure. Il a de plus, et surtout, mis en relief le dilemme devant lequel les intimés ont placé l’appelant entre 2013 et 2018, soit les années visées par son recours[123].
[331] Simplement dit, le traitement défavorable fondé sur la race et l’origine nationale ou ethnique vient du fait que :
- soit le plaignant et les Pekuakamiulnuatsh acceptent un service policier 100 % financé par la province de Québec dans le cadre duquel les services offerts par la SQ ne seront pas nécessairement adaptés aux besoins, aux us et coutumes de la Première Nation;
- soit le plaignant et les Pekuakamiulnuatsh bénéficient de l’application du PSPPN afin de se doter de leur propre corps policier autochtone, qui offre un service adapté aux besoins, aux us et coutumes de la communauté; toutefois, ils doivent alors s’attendre à ce que leurs services policiers ne seront pas financés à la hauteur de leurs besoins en raison de la structure du PSPPN, de sorte que s’ils désirent offrir à la communauté des services policiers de base par ailleurs adaptés sur le plan culturel, ils encourront des déficits.
[332] L’essence même du PSPPN découlant de la mise en œuvre de la Politique vise à renforcer la sécurité publique et la sécurité personnelle des membres de Premières Nations par la mise en place de services policiers adaptés à leurs besoins particuliers et conformes à des normes quantitatives et qualitatives acceptables.
[333] C’est pourquoi le plaignant et les Pekuakamiulnuatsh ont décidé de choisir le PSPPN. Ce faisant, la Première Nation se retrouve systématiquement en déficit. L’autre option, qui consiste à laisser la SQ offrir les services dans la communauté, n’en est pas véritablement une pour eux, puisqu’elle ne tient pas compte de leurs besoins, us et coutumes. Elle contrevient de ce fait au principe de l’égalité réelle.
[123] S’agit-il là, de la part des intimés, d’une conduite déshonorante?
[124] Je conclus que oui. En demeurant sourds aux doléances de l’appelant qui, à tout prendre, plutôt que de recourir à la Sûreté du Québec, a accepté d’être desservi par un corps de police de moindre qualité, les intimés ont contrevenu à leur obligation d’agir avec honneur.
[125] En conclusion, je suggère d’accueillir l’appel, d’infirmer le jugement de la Cour supérieure et de condamner :
- l’intimé, le procureur général du Canada, à payer à l’appelant 832 724,37 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle à compter du 13 août 2017;
- l’intimé, le procureur général du Québec, à payer à l’appelant 767 745,58 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle à compter du 13 août 2017;
- le tout avec les frais de justice.
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JEAN BOUCHARD, J.C.A. |
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MOTIFS DE LA JUGE BICH |
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[126] Je souscris sans réserve aux motifs du juge Bouchard. Je me permets néanmoins quelques observations supplémentaires liées à la manière dont les intimés ont cadré le débat, tant en première instance qu'en appel.
[127] Essentiellement, la proposition des intimés repose sur l'affirmation de la capacité et de la liberté contractuelles des parties : celles-ci, en l'espèce, étaient aptes à s'obliger et, leur consentement n'étant vicié ni par la crainte, l'erreur ou le dol, elles sont liées par le contrat ou, plus exactement, les contrats successifs qu'elles ont conclus. Ces contrats ne sont pas d'adhésion, leurs termes sont clairs et sans ambiguïté et l'appelant ne saurait donc s'y soustraire – ou se soustraire à l'une de leurs clauses – parce qu'il les estime maintenant contraires à ses intérêts. Le jugement de première instance, qui embrasse ce point de vue, précise que la courte durée des ententes en cause « impose »[124] également d'écarter les principes relatifs au contrat relationnel, principes qu'invoquait l'appelant, mais qui seraient ici inapplicables.
[128] Or, en statuant ainsi, le jugement de première instance néglige à mon avis l'art. 1376 C.c.Q., qui assujettit l'État aux règles du livre des obligations du Code civil du Québec sans le relever toutefois de celles qui lui échoient en vertu du droit public[125]. Il néglige aussi les art. 6, 7 et 1375 du même code, qui exigent la bonne foi dans l'exercice de tout droit, que ce soit au stade de la naissance, de l'exécution ou de l'extinction de l'obligation. Il omet enfin l'art. 1434 C.c.Q. et le domaine des obligations implicites. Il me semble par contraste que le raisonnement de mon collègue le juge Bouchard trouve une assise civile solide dans ces dispositions législatives et dans l'interprétation que leur a donnée la jurisprudence.
[129] Certainement, il ne s'agit pas de recourir ici à un concept qu'écarte généralement le Code civil du Québec, comme la lésion entre majeurs non protégés[126], ni de recourir à la théorie de l'imprévision, que ne retient pas non plus le droit civil québécois[127], ou encore à l’art. 1437 C.c.Q.[128] Et ce n'est du reste pas là-dessus que reposent les motifs de mon collègue.
[130] Il s'agit plutôt, conformément à l'art. 1376 C.c.Q., de conjuguer aux grands principes civils des art. 6, 7 et 1375 les obligations de droit public qui lient l'État (fédéral comme provincial) et, en l'occurrence, le devoir d'honneur – celui de la Couronne – qui lui incombe dans le cadre de toutes ses relations, même contractuelles, avec les autochtones. Ce devoir s'intègre ainsi implicitement aux contrats qu'il conclut avec ces derniers par l'effet de l'art. 1434 C.c.Q. et l'astreint à un standard de conduite, au sens des art. 6, 7 et 1375 C.c.Q., plus élevé que celui du contractant ordinaire. Autrement dit, l'État qui contracte avec une personne ou entité autochtone doit à tous égards le faire d'une manière respectueuse de l'honneur de la Couronne, principe constitutionnel qui s'enchâsse dans ses obligations contractuelles. Un comportement contractuel qui ne serait pas conforme à cette obligation constitutionnelle pourra donc donner prise à un constat d'abus civil.
[131] La démonstration de mon collègue mène justement à pareil constat d'abus, les parties gouvernementales (représentées ici par les intimés) ayant enfreint ce devoir d'honneur en enfermant l'appelant dans une relation contractuelle[129] financièrement insoutenable, comme le révèle abondamment la preuve relatée par le juge Bouchard, et à laquelle il ne peut aujourd'hui mettre fin qu'en renonçant à la solution d'un problème grave, auquel l'établissement de cette relation avait pourtant pour but de remédier.
[132] Car il faut rappeler les termes explicites – et forts – de la Politique sur la police des Premières Nations, que mon collègue reproduit dans ses motifs et dont l'intention est sans équivoque : les Premières Nations doivent pouvoir compter sur leurs propres services policiers et elles sont encouragées à se doter de tels services, la desserte fournie par les corps de police provinciaux ou fédéraux étant non seulement inadéquate, mais leur étant profondément préjudiciable[130]. Plus encore, la Politique « constitue un moyen de mettre en pratique la politique fédérale concernant la mise en œuvre du droit inhérent des peuples autochtones à l'autonomie gouvernementale et la négociation de cette autonomie »[131], des promesses politiques substantielles y sont formulées et une assistance en ce sens leur est offerte par le truchement du Programme des services de police des Premières Nations (PSPPN). En réalité, comme on le constatera par la suite, ce programme souffre d'un important sous‑financement et n'est pas à la hauteur des déclarations que contient la Politique ni conforme aux objectifs affirmés par celle‑ci.
[133] Le juge de première instance n'en disconvient d'ailleurs pas (même s'il estime à tort qu'il s'agit là d'un fait sans pertinence), tout en notant les maux que la Politique et le PSPPN cherchaient à pallier :
[50] Il faut se rappeler qu’un fait pertinent est un fait en litige. Or, il n’est ici pas en litige qu’un corps de police autochtone, composé de policiers au fait de la réalité culturelle des autochtones, est une réponse aux méfaits vécus par les autochtones au Canada. Il n’est pas non plus en litige le fait que le PSPPN mis sur pied est imparfait, lequel fait d’ailleurs l’objet de révisions quinquennales, et qu’il souffre de sous financement. Les principes directeurs de la politique adoptée par le gouvernement du Canada affirment les bienfaits d’une police autochtone, gérée par les communautés autochtones et constituée de policiers autochtones. Le gouvernement du Québec adhère à ces principes comme le démontre la Loi sur la police qui prévoit particulièrement la création de corps de police autochtone.
[134] Selon la preuve, c'est sur la foi de cette politique et de ce programme (dont il ne connaissait initialement pas les lacunes) que l'appelant s'est engagé dans cette relation avec les gouvernements fédéral et provincial, par le truchement d’une série d'ententes tripartites à durée déterminée (une année, généralement), renouvelables, qui devaient lui permettre d'offrir un service de police approprié, culturellement et socialement adapté aux personnes qui résident sur son territoire.
[135] Or, la preuve établit sans conteste que non seulement le PSPPN est systémiquement sous-financé, mais que les ententes en jeu dans la présente affaire n'ont pas été mieux subventionnées et n'ont jamais permis à l'appelant, malgré ses propres apports, d'offrir sur son territoire un service policier qui atteigne un seuil satisfaisant au sens de la Politique (c.-à-d. une qualité de service comparable à celle des communautés avoisinantes), et encore moins le seuil minimal (niveau 1) prévu par l'art. 70 de la Loi sur la police[132] au bénéfice de toute autre personne résidant dans une municipalité québécoise. Que l'art. 72 al. 3 dispense les corps de police autochtones d'atteindre ce seuil minimum n'y change rien, d'autant que leur mission ne diffère pas de celle des corps de police allochtones, à savoir celle de « maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique dans le territoire pour lequel il est établi, de prévenir et réprimer le crime ainsi que les infractions aux lois et aux règlements applicables sur ce territoire et d’en rechercher les auteurs »[133].
[136] On doit souligner aussi que les cocontractants de l'appelant ont, de façon générale, année après année, fait la sourde oreille à ses demandes et doléances. À cela, on pourrait être tenté de rétorquer que si les ententes ne répondaient pas aux exigences de l'appelant ou lui occasionnaient des déficits, il n'avait qu'à les résilier (ce que permet, par ex., la clause 6.6.1, paragr. d) de l'entente 2015-2016[134]) ou à ne pas les renouveler à leur échéance. Cela est exact, mais l'aurait littéralement fait passer de Charybde en Scylla, l'obligeant en effet à laisser tomber son corps de police et à recourir à la Sûreté du Québec, ce qui n'était pas envisageable pour les considérations qu'explique mon collègue et qui étaient précisément la raison d'être des ententes.
[137] En somme, une fois les premiers contrats conclus sur la base des attentes générées par la Politique et le PSPPN et une fois son corps de police constitué, l'appelant n'avait d'autre choix que de poursuivre la relation avec ses cocontractants, pris dans un engrenage dont il ne pouvait s'extirper qu'en sacrifiant l'objectif d'autonomie policière et cette portion d’autonomie gouvernementale que la Politique et le PSPPN avaient pour objet de promouvoir et de mettre en œuvre, et les ententes de concrétiser.
[138] Autrement dit, lorsque mon collègue écrit ce qui suit dans ses motifs :
[74] Les intimés (le fédéral, en adoptant sa politique et le Québec, en acceptant de participer au PSPPN et de conclure une entente avec l’appelant comme le lui permet l’article 90 de la Loi sur la police [renvoi omis]) se sont solennellement engagés à financer les services de police de l’appelant, « à un niveau comparable à celui des collectivités environnantes caractérisées par des conditions semblables », un engagement qui s’inscrit, selon les termes mêmes de la Politique, dans un objectif d’aide aux Premières Nations en vue de leur permettre d’acquérir les moyens d’atteindre l’autosuffisance et l’autonomie gouvernementale. L’honneur de la Couronne est ici clairement en jeu.
[…]
[118] En d’autres termes, en refusant de financer le corps de police de l’appelant de manière à permettre une prestation de services de même qualité que celle offerte aux non-autochtones, je suis d’avis que les intimés ont contrevenu à leur obligation d’agir honorablement et que le recours entrepris par l’appelant aurait dû être accueilli à la hauteur des sommes réclamées.
il dépeint aussi une situation qui relève de l'abus de droit de la part des cocontractants de l'appelant, au sens des art. 6 et 7 C.c.Q., abus qui découle de la violation de leur obligation d'agir honorablement, laquelle se trouvait incluse dans les accords contractuels en cause.
[139] Le jugement de première instance refuse de conclure à la mauvaise foi des intimés (ou plutôt celle des gouvernements qu'ils représentent), qui n'aurait pas été démontrée. Cette détermination ne fait pas obstacle à un constat d’abus, au sens des art. 6 et 7 C.c.Q. : pareil abus peut exister sans mauvaise foi ou volonté de nuire et résulter d'un comportement contractuel objectivement déraisonnable au vu des circonstances[135], notamment par la création de fausses attentes ou l'indifférence à l'endroit des intérêts du cocontractant[136]. C'est ce qui s'est produit ici.
[140] Enfin, la condamnation à des dommages-intérêts qui coïncident avec les déficits encourus par l'appelant au cours de la période 2013‑2018 pour le maintien de son service de police (même insatisfaisant) est en l'espèce une réparation juste et convenable, qui correspond au préjudice résultant de l'abus, faute contractuelle[137].
* *
[141] Je n'affirme bien sûr pas qu'un contrat entre l'État (fédéral ou provincial) et une nation, communauté ou entité autochtone doive ou puisse donner lieu à un constat d'abus dès lors qu'il ne répond pas aux attentes de cette dernière et s'avère moins bénéfique que prévu ou même carrément défavorable. Ce serait d'ailleurs là nier la capacité et l'agentivité des contractants autochtones dans leurs rapports avec la Couronne. Néanmoins, l'honneur de celle-ci lui dicte d'agir avec une diligence et une loyauté particulières pour s’acquitter de ses promesses, ce qui balise son comportement – et sa responsabilité civile – tant au moment de la formation que de l'exécution ou de la terminaison d'un contrat ayant pour objectif de réaliser une telle promesse. C'est l'obligation à laquelle elle ne s'est pas conformée dans le présent dossier, selon une preuve prépondérante, et ce que décrit mon collègue dans ses motifs constitue non seulement le manquement à une obligation constitutionnelle, mais, concomitamment, un abus de droit contractuel.
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MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. |
[1] Takuhikan c. Procureur général du Québec, 2022 QCCA 1699 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême, n° 40619).
[2] Takuhikan c. Procureur général du Québec, 2019 QCCS 5699.
[3] Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5.
[4] Rapport du maintien de l’ordre dans les réserves indiennes, Rapport du groupe d’étude, janvier 1990, p. 3 : « Le taux de crimes violents contre la personne par millier de personnes dans les réserves fait six fois la moyenne nationale, et le taux des crimes contre la propriété est le double de la moyenne nationale; pour les autres infractions au Code criminel, le taux est quatre fois la moyenne nationale ».
[5] Politique sur la police des Premières Nations, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1996, No de cat. : JS42-76/1996, ISBN : 0-662-62631-1, p. 1. À noter que le texte cité est celui de 1996, lequel comporte quelques modifications mineures par rapport à la version originale de 1991.
[6] Pièce P-1, Politique sur la police des Premières Nations, p. 3 à 10 inclusivement.
[7] 48 % pour le gouvernement provincial.
[8] Entente tripartite 2015-2016, article 1.4.1.
[9] Id., article 2.1.3.
[10] Id., article 6.6.1 d).
[11] Id., article 4.2.2.
[12] Id., article 4.4.1.
[13] Id., article 4.3.5.
[14] Id., article 4.3.6.
[15] Id., article 4.5.1.
[16] Id., article 4.7.2 al. 1.
[17] Pekuakamiulnuatsh Takuhikan c. Procureure générale du Canada, 2017 QCCS 4787.
[18] L’appelant allègue cependant expressément que le droit de créer et de maintenir un service de police est une composante essentielle de l’autonomie gouvernementale, ce que le juge souligne au paragraphe 44 de son jugement (supra, note 1).
[19] Les communautés autochtones qui choisissent de ne pas conclure d’ententes sont desservies par la Sûreté du Québec en vertu de l’article 50 de la Loi sur la police, RLRQ, c. P-13.1.
[20] Pekuakamiulnuatsh Takuhikan c. Procureure générale du Canada, supra, note 16, paragr. 15 et 32‑35.
[21] Takuhikan c. Procureur général du Québec, supra, note 1, paragr. 54-79.
[22] Id., paragr. 44-53.
[23] Id., paragr. 55-59.
[24] Id., paragr. 64.
[25] Id., paragr. 61.
[26] Id., paragr. 65.
[27] Id., paragr. 66.
[28] Id., paragr. 67.
[29] Id., paragr. 66.
[30] Id., paragr. 72.
[31] Id., paragr. 64.
[32] Id., paragr. 78.
[33] Id., paragr. 80.
[34] Id., paragr. 81.
[35] Id., paragr. 82.
[36] Id., paragr. 82.
[37] Id., paragr. 83.
[38] Id., paragr. 84.
[39] Id., paragr. 85.
[40] Id., paragr. 86.
[41] Id., paragr. 87.
[42] Id., paragr. 51-52.
[43] Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40, [2018] 2 R.C.S. 765, paragr. 21; R. c. Desautel, 2021 CSC 17, paragr. 30.
[44] Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), supra, note 42.
[45] Manitoba Metis Federation inc. c. Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, [2013] 1 R.C.S. 623, paragr. 69.
[46] Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511, paragr. 16.
[47] Ibid.
[48] R. c. Desautel, supra, note 42, paragr. 30; Manitoba Metis Federation inc. c. Canada (Procureur général), supra, note 44, paragr. 68.
[49] Manitoba Metis Federation inc. c. Canada (Procureur général), supra, note 44, paragr. 75.
[50] Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), supra, note 42, paragr. 23.
[51] Ibid.
[52] Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103, paragr. 61.
[53] Williams Lake Indian Band c. Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4, paragr. 44.
[54] Ibid. Voir aussi Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), supra, note 44, paragr. 49 et 51; Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2002 CSC 79, paragr. 79‑83; Nation haïda c. Colombie Britannique (Ministre des Forêts), supra, note 45, paragr. 18.
[55] Williams Lake Indian Band c. Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), supra, note 52, paragr. 44. Voir aussi Bande indienne Wewaykum c. Canada, supra, note 53, paragr. 78; Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, p. 385; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, p. 1108.
[56] Williams Lake Indian Band c. Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), supra, note 52, paragr. 44.
[57] Ibid. Voir aussi Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), supra, note 44, paragr. 50; Alberta c. Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24, paragr. 36.
[58] Bande indienne Wewaykum c. Canada, supra, note 53, paragr. 81.
[59] Ibid.
[60] Id., paragr. 82-85.
[61] Takuhikan c. Procureur général du Québec, supra, note 1, paragr. 51-52.
[62] Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, supra, note 51, paragr. 61.
[63] Supra, paragr. [11] des présents motifs, p. 4.
[64] Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics : écoute, réconciliation et progrès, Rapport final, ISBN : 978-2-550-84753-3 (version imprimée) ISBN : 978-2-550-84754-0 (version PDF), Gouvernement du Québec, 2019.
[65] Id., p. 11.
[66] Id., p. 218.
[67] Id., p. 273-274.
[68] Id., p. 284-285.
[69] Id., p. 287-290.
[70] Bande indienne Wewaykum c. Canada, supra, note 53, paragr. 85.
[71] Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), supra, note 45, paragr. 18.
[72] RLRQ, c. P-13.1.
[73] Renvoi à la Cour d'appel du Québec relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, 2022 QCCA 185.
[74] Paragraphe [72] des présents motifs.
[75] Association des policiers de Mashteuiatsh et Conseil des Montagnais du Lac-Saint-Jean (Pekuakamiulnuatsh Takuhikan), T.A., 17 juillet 2014, Me Gabriel-M. Côté. En fait, la majeure partie du déficit s’explique par cette conjoncture. Le reste de celui-ci provient d’un sous-financement déjà existant que la sentence arbitrale n’a fait qu’accroître.
[76] Id., paragr. 27. L’arbitre mentionne que le Conseil de bande, contrairement à une municipalité, n’a pas de pouvoirs en matière de taxation. Cette affirmation est inexacte. L’article 83 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, et l’article 5 de la Loi sur la gestion financière des Premières Nations, L.C. 2005, ch. 9, confèrent aux conseils de bande un certain pouvoir de taxation. En pratique cependant, il aurait été peu réaliste de s’attendre à ce que l’appelant utilise ces pouvoirs pour éponger son déficit de 1 599 469,95 $ compte tenu de sa faible population (un peu plus de 2 000 habitants).
[77] Association des policiers de Mashteuiatsh et Conseil des Montagnais du Lac-Saint-Jean (Pekuakamiulnuatsh Takuhikan), supra, note 74, paragr. 32-34.
[78] Id., paragr. 38.
[79] Supra, paragr. [13] des présents motifs.
[80] Takuhikan c. Procureur général du Québec, supra, note 1, paragr. 83.
[81] Témoignage de Valérie Tremblay, 9 septembre 2019, p. 345-346. Voir aussi la p. 351, où celle-ci réitère que « les fonds non utilisés sont réinvestis dans des activités qui ne sont pas du tout financées [...] », conformément aux priorités et orientations du Conseil de bande, lesquelles incluant la pérennité de la Nation, la culture, la langue et le territoire.
[82] Témoignage de Valérie Tremblay, 9 septembre 2019, p. 347.
[83] Id., p. 351-352.
[84] Id., p. 353-354.
[85] Pièce D-67, Détails sur les types de contributions locales de Mashteuiatsh pour les années 2013 à 2018. Voir aussi Témoignage de Valérie Tremblay, 9 septembre 2019, p. 354.
[86] Témoignage de Valérie Tremblay, 9 septembre 2019, p. 354.
[87] Ibid.
[88] À ce sujet, voir Pièce D-24, C-30A : Présentation des fonds autonomes; Pièce D-63, Présentation sur les fonds autonomes de Mashteuiatsh.
[89] Témoignage de Valérie Tremblay, 9 septembre 2019, p. 355-356.
[90] Pièce D-70, Sommaire de la réunion régulière de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan du 17 juin 2013. Voir aussi Témoignage de Valérie Tremblay, 9 septembre 2019, p. 353-354.
[91] Pièce D-70, Sommaire de la réunion régulière de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan du 17 juin 2013.
[92] Témoignage de Valérie Tremblay, 9 septembre 2019, p. 357.
[93] Id., p. 359-360.
[94] Id., p. 507.
[95] Contre-interrogatoire de Valérie Tremblay, 10 septembre 2019, p. 509-510.
[96] Témoignage de Valérie Tremblay, 9 septembre 2019, p. 506.
[97] Contre-interrogatoire de Valérie Tremblay, 10 septembre 2019, p. 511.
[98] Takuhikan c. Procureur général du Québec, supra, note 1, paragr. 83.
[99] Anderson c. Alberta, 2022 CSC 6, paragr. 44.
[100] Loi sur la police, RLRQ, c. P-13.1, art 50.
[101] Cardinal c. Procureur général de l’Alberta, [1974] RCS 695, p. 703.
[102] À noter que la création d’ententes tripartites n’est pas spécifiquement prévue dans la Loi sur la Police.
[103] RLRQ, c. P-13-1.
[104] À noter que l’appelant n’est pas tenu de fournir les services d’un des niveaux établis à l’article 70, et ce, en vertu de l’article 72 al. 3 de la Loi sur la police, ce qui ne saurait évidemment être interprété comme un passe-droit pour les intimés de financer un service de police déficient.
[105] RLRQ, c. P-13.1.
[106] Témoignage de Simon Vanier, 10 septembre 2019, p. 630-631.
[107] Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics : écoute, réconciliation et progrès, supra, note 63, p. 287-290, extraits cités au paragr. [70] des présents motifs.
[108] Id., p. 284-290, extraits cités aux paragr. [69] et [70] des présents motifs.
[109] Modèles du Programme des services de police des Premières nations – Études de cas représentatifs, Rapport de recherche 2016-R-014, Sécurité publique Canada, p. 41.
[110] Rapport du vérificateur général du Canada, chapitre 5, Le Programme des services de police des Premières nations – Sécurité publique Canada, Printemps 2014, p. 26.
[111] Laura Aubert, Mylène Jaccoud, La Politique sur la police des Premières Nations : une avancée en matière de gouvernance, 2012 CJCCJ/RCCJP, p. 277.
[112] L’autodétermination des services de police des Premières Nations au Québec, Rapport préliminaire, Normand Bergeron, Consultant en sécurité publique, 28 juin 2010, p. 58 et 59. Au même effet voir : Rapport de la Commission d’enquête sur Ipperwash, 31 mai 2007, p. 598 et s. Rapport du Conseil des académies canadiennes, « Vers la paix, l’harmonie et le bien-être : Les services de police dans les communautés autochtones » 2019, p. 105-114. Rapport de Mylène Jaccoud présenté à la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec, « Rapport sur les services policiers en contexte autochtone : une recension des écrits », 31 janvier 2018, p. 31 et s.
[113] Takuhikan c. Procureur général du Québec, supra, note 1, paragr. 64.
[114] Politique sur la police des Premières Nations, supra, note 4, p. 3.
[115] RLRQ, c. P-13.1.
[116] Takuhikan c. Procureur général du Québec, supra, note 1, paragr. 87.
[117] Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, supra, note 51, paragr. 61.
[118] Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, article 5b).
[119] Gilbert Dominique (de la part des Pekuakamiulnuatsh) et Commission canadienne des droits de la personne et Sécurité publique du Canada, 2022 TCDP 4.
[120] Id., paragr. 79-94.
[121] Avis de demande T-454-22.
[122] Ali c. Compagnie d'assurances Guardian, J.E. 99-1153 (C.A., demande d’autorisation d’appel à la CSC rejetée, 8 juin 2000, n° 27458); Lessard c. Rochefort & Associés, 2006 QCCA 799, paragr. 46; Centre Jeunesse Gaspésie/Les Îles c. R.-J.L., [2004] R.J.Q. 1415 (C.A.), paragr. 23; Bouchard-Cannon c. Canada (Procureur général), 2012 QCCA 1241, paragr. 46-47 a contrario; Union des consommateurs c. Bell Canada, 2012 QCCA 1287, notamment au paragr. 60 (demande d’autorisation d’appel à la CSC rejetée, 17 janv. 2013, n° 34994); Audet c. Transamerica Life Canada, 2012 QCCA 1746, paragr. 44-45.
[123] Gilbert Dominique (de la part des Pekuakamiulnuatsh) et Commission canadienne des droits de la personne et Sécurité publique du Canada, supra, note 118, paragr. 331-333.
[124] Jugement de première instance, paragr. 70.
[125] L'art. 1376 C.c.Q. énonce que :
1376. Les règles du présent livre s’appliquent à l’État, ainsi qu’à ses organismes et à toute autre personne morale de droit public, sous réserve des autres règles de droit qui leur sont applicables. | 1376. The rules set forth in this Book apply to the State and its bodies, and to all other legal persons established in the public interest, subject to any other rules of law which may be applicable to them. |
[126] La lésion, définie à l’art. 1406 C.c.Q., ne vicie que le consentement des mineurs et des majeurs protégés (art. 1405 C.c.Q.), sauf là où la loi prévoit autrement de manière expresse, par exemple en matière de partage du patrimoine familial (art. 424 C.c.Q.) ou d’acceptation/renonciation au partage des acquêts (art. 472 C.c.Q.) ou de prêt d’argent (art. 2332 C.c.Q.). On verra aussi l’art. 8 de la Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1. Rien donc qui soit pertinent à la présente affaire.
[127] Voir : Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, 2018 CSC 46, paragr. 93 et s. (motifs majoritaires du j. Gascon).
[128] Disposition qui s’applique au contrat de consommation et au contrat d’adhésion. On notera que le jugement de première instance, qui semble considérer que les ententes en cause (qui ne sont évidemment pas des contrats de consommation) ne sont pas des contrats d’adhésion (voir notamment le paragr. 66 de ce jugement), tout en concluant par ailleurs (et probablement subsidiairement) que les conditions de l’art. 1437 C.c.Q. ne sont en l’espèce pas remplies (paragr. 71-72).
[129] Je pense qu'on peut parler ici d'une relation contractuelle même si celle-ci découle d'une succession ininterrompue de contrats à durée déterminée et non pas d'un contrat de longue durée.
[130] Je me contenterai de renvoyer ici aux paragraphes [64] à [70] des motifs de mon collègue le juge Bouchard.
[131] Politique sur la police des Premières Nations, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1996, No de cat. : JS42-76/1996, ISBN : 0-662-62631-1, p. 3.
[132] RLRQ, c. P-13.1.
[133] Loi sur la police, art. 93, disposition qui ne se distingue guère du premier alinéa de l'art. 48, qui vise les autres corps de police :
48. Les corps de police, ainsi que chacun de leurs membres, ont pour mission de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime et, selon leur compétence respective énoncée aux articles 50, 69 et 89.1, les infractions aux lois ou aux règlements pris par les autorités municipales, et d’en rechercher les auteurs. | 48. The mission of police forces and of each police force member is to maintain peace, order and public security, to prevent and repress crime and, according to their respective jurisdiction as set out in sections 50, 69 and 89.1, offences under the law and municipal by-laws, and to apprehend offenders. |
[…] | […] |
[134] Clause conférant à chacune des parties la faculté unilatérale de mettre fin au contrat, et ce, sans motif. On retrouve semblable clause dans les ententes antérieures que reproduit le dossier d'appel.
[135] Voir : Houle c. Banque Canadienne Nationale, [1990] 3 R.C.S. 122.
[136] Sur l'abus de droit, voir généralement : Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 3e éd., Éditions Thémis, 2018, paragr. 1976 à 2013; Jean-Louis Baudouin et Pierre Gabriel Jobin, Les obligations, 7e éd. par Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, paragr. 155 à 158 (abus de droit contractuel) et 161 (loyauté).
[137] D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations, préc., note 135, paragr. 2017.
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