Townsley c. Corbeil |
2014 QCRDL 10431 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Saint-Jérôme |
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No dossier: |
28-110502-008 28 20110502 G |
No demande: |
30135 |
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Date : |
24 mars 2014 |
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Régisseure : |
Isabelle Normand, juge administratif |
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ALAIN TOWNSLEY
NATHALIE HOULE |
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Locataires - Partie demanderesse |
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c. |
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GUY CORBEIL |
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Locateur - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Les locataires demandent, par leur recours intenté le 2 mai 2011, des dommages-intérêts matériels, des dommages-intérêts pour troubles et inconvénients, et des dommages-intérêts punitifs suite à une reprise du logement de mauvaise foi.
[2] Les parties sont liées par un bail, du 1er juillet 2005 au 30 juin 2006 au loyer mensuel de 550 $.
[3] Les locataires allèguent à leur demande qu’ils ont transmis une mise en demeure, le 18 avril 2011.
[4] Cette mise en demeure du 18 avril 2011 se lit comme suit :
« La présente fait suite à l’avis de comparaître dans la cause no 700-17-005176-085 de la cour supérieure du Québec (Chambre civile), dans laquelle vous étiez demandeur contre Brigitte Villeneuve (succession de Mario Villeneuve) et l’officier de la publicité des droits de la circonscription foncière de Terrebonne.
Suite à cet avis, nous avons décidé de redevenir locataires de la maison située au […], Mirabel puisque vous en êtes toujours propriétaire et que notre départ de cette maison relevait de la dernière décision de la Régie du logement rendue lors de l’audience du 15 mars 2006.
Naturellement, le prix du loyer pourra être augmenté selon les normes de la Régie du logement en se basant sur le montant de $550. / mois, prix du loyer payé lors du déménagement.
De plus, puisque la reprise de la maison sise au […], Mirabel relevait d’une « reprise de mauvaise foi » selon un document rédigé par la Régie du logement du Québec, nous réclamons un montant de $69,999.00 pour préjudice matériel et moral ainsi que dommages punitifs.
À défaut de recevoir une réponse favorable dans les dix (10) jours suivant la présente mise en demeure, nous nous verrons dans l’obligation de nous adresser à l’autorité compétente pour faire valoir nos droits. » (sic)
[5] À l’audience, les locataires relatent les événements qui les motivent à croire que le locateur poursuivi doit être condamné à leur payer des dommages-intérêts en raison d’une reprise de logement de mauvaise foi.
[6] Le 20 décembre 2004, le locateur transmet aux locataires un avis de reprise de logement pour s’y loger, alors qu’il était propriétaire du logement concerné, les avisant qu’il entend reprendre le logement à l’expiration du bail, le 1er juillet 2005.
[7] Le 9 novembre 2005, ce tribunal rejette la demande du locateur requérant un changement d’affectation donné par le locateur le 15 septembre 2005.[1]
[8] Les locataires motivent leur demande actuelle de dommages en se basant sur le paragraphe suivant de cette décision :
« Par ailleurs, la bonne foi du locateur n’est pas particulièrement évidente, puisque l’année auparavant, il avait avisé les locataires qu’il désirait reprendre le logement pour lui-même ».
[9] La preuve est à l’effet que le locateur poursuivit a vendu le logement concerné à un dénommé Mario Villeneuve.
[10] Le 31 mars 2006, le Tribunal autorise ce locateur Villeneuve à reprendre le logement concerné afin de s’y loger, et ce, à compter du 1er juillet 2006.[2]
[11] La preuve non contredite est à l’effet que le locateur Villeneuve a effectivement occupé le logement concerné, jusqu’à son décès, le 9 décembre 2007.
[12] Le 4 mars 2011, le locataire reçoit signification d’un ordre de comparaître au tribunal concernant un litige[3] mu entre le locateur poursuivit et Brigitte Villeneuve, qui semble être apparentée avec le locateur Villeneuve.
[13] La preuve est à l’effet qu’un règlement hors cour est intervenu entre ces deux parties.
[14] Cependant, les locataires témoignent à l’audience à l’effet que la réception de cet ordre de comparaître a fait naître des doutes quant à la bonne foi du locateur poursuivi en ce que ce dernier, selon les locataires, est le véritable propriétaire en titre du logement concerné au moment de l’audience et à la date du jugement autorisant la reprise de logement.
[15] Les locataires précisent qu’ils ont le sentiment d’avoir été trompés par le locateur poursuivi quant à sa qualité de propriétaire du logement lors de la demande de reprise de logement.
[16] Les locataires sont incapables de produire un extrait du registre foncier appuyant leurs prétentions quant à savoir qui est le véritable propriétaire du logement concerné au moment de la demande d’autorisation de reprise de logement.
[17] Pour sa part, le locateur conteste la demande des locataires.
[18] Il admet avoir intenté une procédure devant ce Tribunal afin que le logement concerné puisse être occupé par de ses employés, mais comprend qu’il ne pouvait le faire, et ce, en vertu de la décision précitée du 9 novembre 2005.
[19] Il précise qu’il a acquis le logement concerné en décembre 2004 et l’a vendu au locateur Villeneuve, le 8 décembre 2005, car il ne pouvait le reprendre pour y loger de ses employés.
[20] Le locateur plaide qu’il n’existe pas de lien de droit entre lui et les locataires en ce qui concerne la présente demande de reprise de mauvaise foi allégué par les locataires, car il n’est plus propriétaire ni locateur du logement concerné.
[21] En effet, le locateur Villeneuve est le locateur ayant demandé et obtenu l’autorisation de reprendre le logement pour s’y loger.
[22] De plus, il ajoute que la mauvaise foi doit être prouvée au moment de la transmission de l’avis de reprise, avis de reprise qui a été transmis par une autre personne que lui, soit le locateur Villeneuve.
ANALYSE ET DÉCISION
[23] La demande des locataires
est fondée sur les dispositions de l'article
« 1968. Le locataire peut recouvrer les dommages-intérêts résultant d'une reprise ou d'une éviction obtenue de mauvaise foi, qu'il ait consenti ou non à cette reprise ou éviction.
Il peut aussi demander que celui qui a ainsi obtenu la reprise ou l'éviction soit condamné à des dommages-intérêts punitifs.»
« Quand le locataire, à la suite d'un préavis de reprise de logement et parfois même d'une autorisation par le tribunal, quitte les lieux loués, mais que le locateur ne respecte pas le but pour lequel il avait déclaré vouloir le reprendre, il en résulte deux conséquences : le locateur ne peut pas louer de nouveau le logement ni en faire quelque autre usage sans une autorisation du tribunal et il s'expose à verser au locataire évincé des dommages-intérêts. Selon l'article 1968 C.c.Q., si le locateur a obtenu la reprise de mauvaise foi, il est responsable en dommages-intérêts vis-à-vis le locataire pour le préjudice que celui-ci en subit; depuis la réforme de 1991, il est responsable non seulement pour des dommages-intérêts compensatoires, mais même pour des dommages-intérêts punitifs. »
« Parfois, la négligence flagrante au dossier dans l'élaboration du projet de reprise (notamment sur les probabilités qu'elle se réalise vraiment) est assimilée à de la mauvaise foi. »[4]
[25] La Cour du Québec a qualifié la conduite que doit avoir le locateur dans le cadre d'une reprise de logement :
« La bonne foi requise pour pouvoir reprendre possession d'un logement (1659.3) ne fait pas que s'opposer à la fraude et au dol. Elle implique une conduite soucieuse, consciencieuse et nullement répréhensible. Elle est en somme la traduction d'une bonne volonté. Il est aussi très significatif qu'aux termes de l'article 1659.8, le locataire peut recouvrer des dommages même s'il a consenti à la reprise de possession. »[5]
(nos soulignements)
[26] La demande des locataires est rejetée et ce pour plusieurs motifs.
[27] L’argument du locateur à l’effet qu’il n’existe pas de lien de droit entre lui, la demande de reprise de logement autorisée et les locataires, est bien fondé.
[28] Le locateur poursuivit n’est plus propriétaire et locateur du logement concerné au moment de la demande de reprise du logement concerné en 2006.
[29] Les locataires estiment avoir été trompés par le locateur poursuivit car il serait le réel propriétaire et locateur du logement au moment de la demande de reprise de logement, mais sont incapable de produire une preuve prépondérante et crédible à cet effet : ils ne se basent que sur des « suppositions ».
[30] De surcroît, les locataires n’ont pas intenté le présent recours dans le délai prescrit par les dispositions de l’article 2925[6] du Code civil du Québec.
[31] La signification de l’ordre de comparaître au locataire, en 2011, a fait renaître un sentiment d’avoir été trompé, par le locateur poursuivi, en ce que le locateur Villeneuve a été autorisé, à en reprendre le logement concerné, en 2006, alors qu’il n’avait pas la qualité de propriétaire et locateur, selon les locataires.
[32] Le tribunal ne peut considérer cet argument car, il n’est pas appuyé sur de la preuve crédible et fiable.
[33] En conclusion, considérant la preuve, le tribunal rejette la demande des locataires qui en assument les frais.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[34] REJETTE la demande des locataires qui en assument les frais.
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Isabelle Normand |
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Présence(s) : |
les locataires le locateur Me Réal E. Fortin, avocat du locateur |
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Date de l’audience : |
25 février 2014 |
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[1] Townsley et Houle c. Corbeil, 28-050930 003 G, le 9 novembre 2005, Pierre Thérien, juge administratif.
[2] Villeneuve c. Townsley et Houle, 28 060126 002 G.
[3] 700-17-055176-085.
[4] Jobin, Pierre-Gabriel, Traité sur le louage, 2e édition, Ed. Yvon Blais inc., p. 572-573.
[5] Germain c. Lefebvre et al CQ 500-02-031616-086502-02, 1989, r. Andrée Forget j.c.q.
[6] « 2925. L'action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n'est pas autrement fixé se prescrit par trois ans.»