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Décision

Syndicat Terrasse Chavoin c. Romain

2018 QCRDL 21024

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Gatineau

 

No dossier :

302431 22 20161024 G

No demande :

2107314

 

 

Date :

21 juin 2018

Régisseure :

Anne A. Laverdure, juge administrative

 

Syndicat Terrasse Chavoin

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Shawn Romain

 

Locataire - Partie défenderesse

et

Karine Papikyan

 

Locatrice - Partie intéressée

 

 

D É C I S I O N

 

 

CONTEXTE

[1]      Le syndicat des copropriétaires demande la résiliation du bail et l’éviction des occupants de l’unité en litige ainsi que l’exécution provisoire et les frais.

[2]      La copropriétaire, locatrice au bail, est une partie intéressée au présent dossier.

[3]      Il s’agit d’un bail verbal.

[4]      Les motifs invoqués au soutien de la demande de résiliation sont la présence d’animaux et le bruit.

[5]      À l’audience, la locatrice, se faisant la porte-parole du locataire, demande une remise en son nom.

QUESTIONS EN LITIGE

[6]      La cause doit-elle être remise?

[7]      Le Tribunal est-il compétent pour entendre cette demande?


[8]      Dans l’affirmative, le locataire exécute-t-il ses obligations de ne pas troubler la jouissance paisible des autres habitants de l’immeuble?

[9]      Le locataire a-t-il droit à la présence d’animaux dans le logement?

ANALYSE ET DÉCISION

La cause doit-elle être remise?

[10]   Selon le message texte qu’a reçu la locatrice, le locataire s’est cassé le pied et il a un rendez-vous médical.

[11]   L’une des représentantes du syndicat témoigne que le locataire marche avec un plâtre depuis plus d’une semaine et qu’il conduit aussi sa voiture.

[12]   Le Tribunal considère les éléments suivants :

- un rôle a été bloqué pour l’audition de ce dossier,

- le syndicat a fait déplacer de nombreux témoins,

- la situation est relativement urgente,

- le Tribunal ne dispose d’aucune preuve sur l’urgence du rendez-vous médical,

- le locataire n’a pas communiqué avec le syndicat pour l’aviser de cette demande lorsqu’il a obtenu son rendez-vous médical.

[13]   Dans les circonstances, la demande est refusée et le Tribunal procède.

Le Tribunal est-il compétent pour entendre cette demande?

[14]   Le syndicat est substitué aux droits de la locatrice par le biais de l’article 1079 du Code civil du Québec qui édicte :

1079. Le syndicat peut, après avoir avisé le locateur et le locataire, demander la résiliation du bail d'une partie privative lorsque l'inexécution d'une obligation par le locataire cause un préjudice sérieux à un copropriétaire ou à un autre occupant de l'immeuble.

[15]   La question se pose à qui le syndicat peut-il demander la résiliation du bail. D’entrée de jeu, il apparaît que les articles du Code civil du Québec qui seront appliqués par le décideur sont les articles sur le louage résidentiel.

[16]   Or, l’article 28 de la Loi sur la Régie du logement[1] donne cette juridiction à la Régie du logement :

28. La Régie connaît en première instance, à l'exclusion de tout tribunal, de toute demande:

 1° relative au bail d'un logement lorsque la somme demandée ou la valeur de la chose réclamée ou de l'intérêt du demandeur dans l'objet de la demande ne dépasse pas le montant de la compétence de la Cour du Québec;

 2° relative à une matière visée dans les articles 1941 à 1964, 1966, 1967, 1969, 1970, 1977, 1984 à 1990 et 1992 à 1994 du Code civil;

 3° relative à une matière visée à la section II, sauf aux articles 54.5, 54.6, 54.7 et 54.11 à 54.14.

Toutefois, la Régie n'est pas compétente pour entendre une demande visée aux articles 667 et 775 du Code de procédure civile (chapitre C-25.01).

[17]   En suivant ce raisonnement, notre collègue, Me Gilles Joly’ a décidé dans l’affaire Syndicat des copropriétaires c. Thierry Delourme[2] que la Régie du logement avait compétence. Son jugement a fait l’objet d’une permission d’en appeler notamment sur la question de la compétence. Madame la juge Micheline Sasseville a rejeté la requête pour permission d’en appeler de la décision de Me Gilles Joly[3].

[18]   Le Tribunal estime qu’il a compétence et se penche donc sur la demande du syndicat.


Le locataire exécute-t-Il ses obligations de ne pas troubler la jouissance paisible des autres locataires?

[19]   Le recours du syndicat se base sur l’article 1860 du Code civil du Québec :

« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.

Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l’usage du bien ou l’accès à celui-ci.

Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »

[20]   Voici ce que l’Honorable Brigitte Gouin de la Cour du Québec écrit sur cette obligation du locataire dans l’affaire Penney c. Modabbernia[4] :

« [26] L'article 1860 C.c.Q. oblige chaque locataire à ne pas troubler le déroulement de la vie normale des autres locataires, à défaut de quoi des recours peuvent être intentés et en particulier, le recours extrême soit la résiliation du bail.

[27] Dans Carignan c. Office municipal d'habitation Notre-Dame-du-Bon-Conseil (1), on     peut lire:

22. L'article 1860 du Code civil du Québec est formel et oblige chaque locataire à ne pas troubler le déroulement de la vie normale des autres locataires, à défaut de quoi des recours peuvent être intentés et, en particulier, la (sic) recours extrême, soit la résiliation du bail.

[28] Le Tribunal considère que chaque cas est un cas d'espèce. Le critère à appliquer ici est: Est-ce qu'il y a eu des inconvénients excessifs, est-ce que le trouble évoqué est persistant, car évidemment « dans l'esprit des tribunaux, un fait isolé ne serait constitué un inconvénient excessif »(2) »

(L’emphase est de nous)

[21]   L’article 976 du Code civil du Québec peut aussi nous guider sur ce qui est excessif ou non :

« 976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux. »

[22]   Toute la question se résume donc à savoir s’il s’agit d’un inconvénient normal qui n’excède pas les limites de la tolérance conformément à l’article 976 du Code civil du Québec.

[23]   Comme le souligne l'auteur Pierre-Gabriel Jobin , dans son traité portant sur le louage[5] :

« Qu'est-ce qu'un inconvénient normal? Cette première question nous amènera à préciser notamment si le trouble doit être persistant et si le locataire voisin doit avoir subi un préjudice sérieux. Deuxièmement, le comportement reproché au locataire doit être illégitime de sa part. »

[24]   Que le locataire ait une dispute avec son amie de cœur n’est pas un comportement en soi illégitime. Cependant, lorsque ces disputes sont fréquentes, qu’elles ont lieu en pleine nuit, que les parties s’engueulent si fort que les voisins peuvent entendre les mots prononcés, il s’agit d’inconvénients anormaux.

[25]   D’autant plus, que le locataire a été avisé à de nombreuses reprises, par lettres[6] et par les avis verbaux de la locatrice, des troubles causés sans que ces disputes ne cessent ou diminuent dans leur expression.


[26]   Au contraire, le locataire se comporte sans aucun respect des règles ou du droit des autres habitants de l’immeuble à la jouissance paisible de leur chez-soi.

[27]   Les préjudices subis par les voisins sont nombreux, perte de locataires, perte de la jouissance paisible de sa copropriété, administration alourdie par toute la gestion des plaintes.

[28]   Le témoignage de Mme Lamb est particulièrement percutant.

[29]   La locatrice, pour sa part, indique qu’elle n’a pas pris de recours contre le locataire, car il existe celui initié par le syndicat. Elle s’en remet à la décision du Tribunal.

[30]   Concluant aux inconvénients anormaux que la conduite du locataire cause et du préjudice sérieux qui en découle, le Tribunal accorde la résiliation du bail.

Le locataire a-t-il droit à la présence d’animaux dans le logement?

[31]   Même si cette analyse peut paraître théorique, vu la conclusion à laquelle le Tribunal est déjà arrivé sur le premier motif de résiliation, il croit que l’analyse de ce second motif est pertinente et ajoutera à sa conclusion sur la résiliation.

[32]   La locatrice explique qu’elle a bien indiqué au locataire l’interdiction de posséder un animal[7]. Notons d’abord que cette interdiction est parfaitement valide et qu’elle doit être respectée.

[33]   La déclaration de copropriété[8], à laquelle est soumise la locatrice, interdit la présence d’animaux.

[34]   Les photos déposées en preuve démontrent la présence d’au moins un chien dans l’unité. La locatrice déclare que ce serait les chiens de la copine du locataire.

[35]   Cette distinction a peu d’importance en l’espèce puisque la preuve démontre la présence fréquente de la copine, pour ne pas dire continuelle et que le locataire est responsable des gens qu’il invite dans le logement.

[36]   La réponse à notre question de départ est donc que le locataire n’a pas le droit à la présence d’animaux dans le logement. Mais, pour faire droit à la demande en résiliation, le syndicat doit prouver que cette situation lui cause un préjudice sérieux.

[37]   Les photos montrent que les excréments des chiens s’accumulent sur le balcon. La voisine témoigne des odeurs pestilentielles qui s’en dégagent.

[38]   La preuve[9] fait aussi état des jappements fréquents des chiens de jour comme de nuit.

[39]   Il ne fait aucun doute dans l’esprit du Tribunal que la présence des chiens cause un préjudice sérieux aux autres occupants.

[40]   Le Tribunal se doit tout de même de considérer l’application d’une ordonnance en vertu l’article 1973 du Code civil du Québec.

[41]   Dans cette perspective, le Tribunal doit être convaincu que les chances de récidive sont réduites.

[42]   Le Tribunal rappelle que l’envoi de très nombreuses lettres[10] et la communication d’avertissements verbaux[11] ont été vains.

[43]   Le Tribunal conclut donc à nouveau à la nécessité de résilier le bail.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[44]   RÉSILIE le bail et ORDONNE l’expulsion du locataire et de tous les occupants;


[45]   CONDAMNE le locataire à verser à la demanderesse les frais judiciaires au montant de 84 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Anne A. Laverdure

 

Présence(s) :

la mandataire de la locatrice

la locatrice

Date de l’audience :  

9 mai 2018

 

 

 


 



[1] Chapitre R-8.1.

[2] 36-050517-001G, Soquij AZ-50347120.

[3] 540-80-001067-054, Soquij AZ-50335464.

[4] 2009 QCCQ 4207, qui réfère à (1) Carignan c. Office municipal d'habitation Notre-Dame-du-Bon-Conseil, EYB 2002-36251 et (2) Louage de choses, Jobin, Pierre-Gabriel, Les Éditions Yvon Blais Inc., 1989, p. 329.

[5] JOBIN, P.G., Le louage, Collection Traité de droit civil, 2e édition, Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, EYB 1996

[6] Pièce P-5. Cette pièce se compose des plaintes reçus par le syndicat. Le Tribunal a permis le dépôt de ces déclarations écrites sans autre délai de communication en vertu de l’article 36.1 du Règlement sur la procédure devant la Régie du logement, chapitre R-8.1, r. 5

[7] La locatrice a déclaré à l’audience que le bail était écrit mais elle s’est ravisée lorsqu’il a été question de le produire à la demande du Tribunal.

[8] Pièces P-6 et la déclaration de copropriété Pièce P-7.

[9] Témoignage de Mme Lamb et Pièce P-5.

[10] Pièces P-3 et P-4.

[11] Témoignage de la locatrice.

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