Décision

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Godoy c. Korin

2023 QCTAL 26233

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

Nos dossiers :

429167 31 20181123 X

509000 31 20200220 X

Nos demandes :

4071020

4071020

 

 

Date :

07 juin 2024

Devant la juge administrative :

Rachel Tupula

 

Valentina Godoy

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Jack Korin

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]             Le 3 octobre 2023, la locataire saisit le Tribunal administratif du logement d’une demande de rectification de la décision, rendue le 23 août 2023, en vertu de l’article 88 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.

[2]             Au soutien de sa demande, elle allègue que la soussignée l’a par inadvertance condamnée à payer une somme de 7 000 $ au locateur alors que cette somme était déjà détenue par ce dernier et que le Tribunal avait opéré compensation dans la somme à laquelle le locateur a été tenu de rembourser la locataire au paragraphe 11 de la décision.

[3]             Ainsi, elle demande que la conclusion du paragraphe 113 de la décision soit rayée.

[4]             En effet, la demande de la locataire visait à invalider un dépôt effectué auprès du locateur lors de la conclusion du bail, conclusion recherchée à laquelle le Tribunal a fait droit.

[5]             La locataire demandait conséquemment à être remboursée de la partie du dépôt (12 250 $) n’ayant pas servi au paiement du loyer dû.

[6]             La demande du locateur concernait une réclamation à titre d’indemnité de relocation (12 250 $) au motif que la locataire avait quitté sans droit et une somme réclamée à titre de frais d’énergie (1 325,74 $).

[7]             Le Tribunal a fait droit en partie à la demande pour l’indemnité de relocation pour la somme de 7 000 $ et écrit aux paragraphes 97 et 105 :

« [97]      À ce sujet, le Tribunal estime démesurée une indemnité de relocation de sept mois, mais fera droit à une indemnité de relocation de quatre mois pour la période du 1er décembre 2018 au 31 mars 2019, soit (7 000 $) représentant quatre mois de loyer à 1 750 $. »

(…)

« [105]   Le Tribunal faisant droit à une indemnité pour perte de loyer du 1er décembre 2018 au 31 mars 2019, le locateur devra remettre (5 250 $) pour la période du 1er avril 2019 au 30 juin 2019, soit trois mois de loyer considérant l’invalidité de l’entente signée entre les parties le 10 août 2018, concernant les loyers payés en avance. »


[8]             Ainsi, la somme due par la locataire est déjà considérée dans le montant que le locateur doit payer à la locataire, selon la conclusion au paragraphe 111, à la suite de cette compensation, considérant qu’il était en possession du dépôt et que les deux montants réclamés par l’une et par l’autre des parties à ce niveau s’annulaient.

[9]             Le locateur plaide avoir droit aux intérêts sur la somme de 7 000 $, même si cette somme était en sa possession et malgré l’invalidité du dépôt.

[10]         Or, le Tribunal n’est pas de cet avis, car si le Tribunal n’avait pas opéré compensation, tel que l’ont demandé les procureurs des parties lors de l’audience du 26 mai 2023, le locateur oublie qu’il aurait été condamné à payer la somme de 12 250 $ à la locataire plutôt que 5 250 $.

[11]         En conséquence, le Tribunal fera droit à la conclusion recherchée par la locataire estimant que la demande de rectification est bien fondée et rectifiera la décision rendue le 23 août 2023.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[12]         ACCUEILLE la demande de rectification de la locataire;

[13]         RECTIFIE la décision rendue le 23 août 2023 de la façon suivante :

DÉCISION RECTIFIÉE

[1] Par un recours du 23 novembre 2018, amendé en audience le 26 mai 2023, la locataire réclame des dommages-intérêts (12 250 $), l’indemnité additionnelle, l’exécution provisoire malgré l’appel et les frais.

[2] Au soutien de sa demande, elle allègue que le locateur a exigé le paiement intégral de l’ensemble des loyers dès le commencement du bail, contrairement à ce que stipule l’article 1904 du Code civil du Québec (C.c.Q.).

[3] La locataire allègue avoir été troublée dans sa jouissance paisible des lieux, en raison de la négligence du locateur à faire la réparation nécessaire d’une fenêtre, dite dangereuse, et avoir subi de l’intimidation de la part du locateur et dit avoir quitté son logement le 18 novembre 2018 pour ces motifs.

[4] Par un recours du 20 février 2020, amendé en audience les 31 août 2021 et 26 mai 2023, le locateur réclame des dommages-intérêts pour perte de loyer (12 250 $) et des dommages-intérêts pour frais d’énergie (1 325,74 $), l’indemnité additionnelle et les frais.

[5] Au soutien de sa demande, il allègue que la locataire a quitté sans droit le 19 novembre 2018 et réclame cette somme à titre de perte de loyer, précisant que le logement a été reloué seulement le 1er août 2019.

[6] Les deux demandes sont réunies afin d’être entendues et jugées sur la même preuve, conformément à l’article 57 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.

[7] Le présent dossier est réassigné à la soussignée par le président du Tribunal administratif du logement en vertu de l’article 81 de sa Loi.

LES FAITS

[8] Les parties étaient liées par un bail du 1er septembre 2018 au 30 juin 2019, au loyer mensuel de 1 850 $.

[9] La locataire témoigne que le locateur a exigé d’elle le montant intégral de l’ensemble des loyers pour une période de 10 mois.

[10] Le loyer était de 1 750 $, étant donné que le locateur lui remettait un crédit mensuel de 100 $ pour chacun des mois prévus par le bail étant donné qu’elle payait en avance.

[11] Le locateur aurait d’abord exigé d’elle des frais de réservation du logement (1 000 $) et un solde (16 900 $) au moment de la signature du bail.

[12] Cependant, elle explique avoir quitté à bon droit son logement le 18 novembre 2018 et aurait dû payer seulement 5 250 $ au total, soit 1 750 $ le premier jour des mois de septembre à novembre 2018, et non en début de bail.


[13] Elle témoigne avoir rencontré le locateur dans une banque en août 2018 afin de lui remettre les sommes exigées.

[14] Elle lui demande alors si elle peut payer son loyer mensuellement, ce que le locateur aurait refusé en lui disant que si elle ne payait pas en totalité, elle ne pourrait pas louer le logement.

[15] La locataire prétend avoir interrogé le locateur sur la légalité de cette exigence et ce dernier lui aurait dit être dans ses droits.

[16] Si la locataire dit le croire, c’est en raison de l’occupation professionnelle du locateur comme agent immobilier.

[17] C’est ainsi qu’elle dit accepter de signer l’entente et le bail le 10 août 2018.

[18] La locataire précisera ultérieurement être arrivée au Canada en avril 2018.

[19] Elle témoigne avoir quitté le logement concerné le 18 ou 20 novembre 2018.

[20] Elle affirme avoir quitté ce logement, car le locateur est venu à son domicile lui faire un scandale le 14 novembre 2018.

[21] Le locateur serait entré sans permission dans son logement, bien que la fille de la locataire lui ait demandé d’attendre à l’extérieur.

[22] La locataire dit qu’il s’est alors permis d’entrer dans toutes les chambres de son logement.

[23] Le locateur était agressif et ne voulait pas sortir, se disant à la recherche d’un chien.

[24] Les filles de la locataire étaient très apeurées par la situation et la famille craignait que le locateur se permette d’entrer à nouveau sans permission.

[25] C’est en raison de cet incident du 14 novembre 2018 que la locataire décide de quitter son logement avec sa famille.

[26] La locataire précise que le chien était celui de l’une de ses filles n’habitant pas avec elle.

[27] Elle a écrit une lettre au locateur qui lui a répondu qu’elle pouvait partir et qu’il allait lui remettre l’argent payé par anticipation pour les loyers.

[28] La locataire dit également que le locateur l’a empêchée d’accéder à son logement à l’annonce de son départ, l’obligeant à recourir aux autorités policières pour récupérer ses choses.

[29] Le locateur détenait aussi tout l’argent qu’elle possédait et elle n’était pas en mesure de louer un autre logement.

[30] Le locateur l’aurait également empêchée de récupérer sa correspondance, ce qui lui a causé des troubles et inconvénients, car elle ne pouvait récupérer le permis de travail duquel elle était en attente.

[31] De plus, les fenêtres du salon étaient dangereuses, dit la locataire.

[32] Elle avise le locateur, mais ce dernier lui remet uniquement un bâton pour empêcher que la fenêtre ne se referme sur elle-même.

[33] Enfin, un autre locataire du bâtiment se promenait de façon louche dans l’immeuble.

[34] Elle demande le remboursement de ce qu’elle a payé par anticipation au début de son bail, au prorata de la durée d’occupation réelle de son logement.

[35] Contre-interrogée, elle admet que si elle acceptait de payer à l’avance tous les loyers, il était entendu qu’elle bénéficierait d’un loyer moins cher.

[36] La fille de la locataire corrobore son témoignage en ce que le locateur a exigé le paiement intégral des loyers mensuels, prétextant que c’était légal.

[37] Elle explique également que les fenêtres étaient dangereuses, en ce qu’elles se refermaient toutes seules.

[38] De son côté, le locateur dit avoir rencontré la locataire le 8 août 2018, lors de la visite du logement.

[39] Le logement était alors complètement rénové et vide.

[40] La locataire lui explique qu’elle louait un 3 ½ situé à proximité, mais qui était toutefois trop petit.

[41] La locataire lui dit ne pas travailler et ne pas avoir de référence.

[42] Elle l’assure qu’elle le paiera sans problème.


[43] Le locateur lui demande si elle serait en mesure de se faire cautionner pour la location du logement et c’est alors que la locataire lui aurait demandé si elle pouvait payer en avance tous les montants des loyers.

[44] Il lui répond qu’il ne pense pas que c’est possible.

[45] Il témoigne avoir fait quelques vérifications et comprend qu’il ne peut exiger le loyer à l’avance, mais que si c’est la locataire qui le propose, il peut accepter l’arrangement.

[46] De plus, il dit que c’est la locataire qui lui demande aussi une réduction de loyer, considérant qu’elle offre de payer en avance, ramenant ainsi le montant du loyer mensuel à 1 750 $ plutôt que 1 850 $.

[47] La locataire lui aurait aussi demandé de pouvoir prendre possession du logement deux semaines avant le début du bail prévu le 1er septembre 2018.

[48] Elle a offert de payer 500 $ à titre d’indemnité pour ces deux semaines, comme indiqué par ellemême à l’entente.

[49] Au sujet des fenêtres, il dit que si les fenêtres, considérées dangereuses par la locataire se referment toutes seules, c’est parce qu’un air conditionné s’y trouve habituellement.

[50] S’il a donné une tige à la locataire pour retenir la fenêtre, c’est parce que la locataire ne voulait pas mettre d’air conditionné.

[51] Le 12 novembre 2018, il dit prendre connaissance que la locataire a un chien en allant récupérer ses pneus d’hiver dans l’immeuble du logement.

[52] Selon ses informations, le chien est là en permanence, contrairement aux conditions du bail.

[53] Il monte au logement de la locataire qui lui admet candidement posséder un chien, mais tout en prétextant l’avoir avisé au préalable.

[54] Il dément cette information.

[55] La locataire lui dit alors que le chien est à sa fille et que le chien est un membre de sa famille en lui refermant la porte au nez.

[56] Lors d’une visite à laquelle la locataire invite le locateur à venir visiter pour voir si elle a un chien, elle lui demande de signer une lettre comme quoi il lui permet de quitter le logement et qu’il lui remboursera des montants payés par anticipation pour le loyer.

[57] Le locateur refuse de la laisser partir, car il dit qu’il savait qu’il aurait de la difficulté à relouer le logement, car le logement est grand et on était durant la période précédant celle des fêtes.

[58] Pour lui, il est également évident que la locataire voulait quitter, car elle ne pouvait pas garder son chien.

[59] À la mi-novembre 2018, il est avisé que la locataire a retiré sa responsabilité du compte auprès d’Hydro-Québec.

[60] La locataire revient le 26 novembre 2018 pour récupérer sa laveuse et sa sécheuse.

[61] À ce sujet, la locataire avait écrit au locateur que si les nouveaux occupants voulaient avoir ses électroménagers, de leur vendre et de lui remettre l’argent.

[62] Cependant, il dit avoir reçu un appel des policiers lui disant qu’il ne peut s’approprier les électroménagers de la locataire, et ce, alors qu’il dit ne pas avoir changé les serrures du logement.

[63] Au départ de la locataire, le locateur dit avoir publié le logement sur Centris, Kijiji, Facebook et autres plateformes.

[64] Il a rencontré différents candidats potentiels, mais aucun n’avait de bons résultats à l’enquête de crédit.

[65] Le locateur précise que le logement attire normalement les familles, mais que ces dernières ne cherchent pas à déménager durant l’année scolaire.

[66] Au sujet de la visite au logement de la locataire, il nie être entré de la manière dont la locataire le prétend.

[67] Il souligne qu’il avait rendez-vous avec la locataire, laquelle les a laissés entrer lui et son fils.

[68] Le 2 novembre 2018, la locataire écrit au locateur pour se plaindre de l’absence d’air conditionné, de bruit pendant la nuit, d’une mauvaise odeur en provenance du sous-sol, etc.


[69] Dans cette même lettre, elle demande, pour ces différentes doléances, la résiliation du bail.

[70] Le locateur lui répond qu’il n’est pas surpris du concours de circonstances et associe sa lettre à la découverte de la présence d’un chien dans le logement.

[71] Il met en relief que le nouveau bail signé par la locataire le 15 novembre 2018 permet la présence d’un chien.

[72] En ce qui concerne les frais d’Hydro-Québec réclamés (1 325,74 $)[1], le locateur fait comprendre au Tribunal qu’en raison de l’inoccupation du logement par la locataire, un autre occupant se plaignait d’avoir froid, le logement concerné n’étant pas chauffé comme à l’habitude.

QUESTIONS EN LITIGE

[73] L’entente entre les parties relative au paiement par anticipation des loyers est-elle valide?

[74] Le logement était-il impropre à l’habitation justifiant le départ de la locataire? La situation dépeinte par la locataire constitue-t-elle du harcèlement?

[75] Sinon, à quelle indemnité le locateur a-t-il droit à titre de loyers perdus?

ANALYSE

L’entente entre les parties relative au paiement des loyers par anticipation est-elle valide?

[76] La locataire fonde son recours sur les articles 1699 et 1904 du C.c.Q. qui édictent ce qui suit :

« 1699. La restitution des prestations a lieu chaque fois qu'une personne est, en vertu de la loi, tenue de rendre à une autre des biens qu'elle a reçus sans droit ou par erreur, ou encore en vertu d'un acte juridique qui est subséquemment anéanti de façon rétroactive ou dont les obligations deviennent impossibles à exécuter en raison d'une force majeure.

Le tribunal peut, exceptionnellement, refuser la restitution lorsqu'elle aurait pour effet d'accorder à l'une des parties, débiteur ou créancier, un avantage indu, à moins qu'il ne juge suffisant, dans ce cas, de modifier plutôt l'étendue ou les modalités de la restitution. »

« 1904. Le locateur ne peut exiger que chaque versement excède un mois de loyer; il ne peut exiger d'avance que le paiement du premier terme de loyer ou, si ce terme excède un mois, le paiement de plus d'un mois de loyer.

Il ne peut, non plus, exiger une somme d'argent autre que le loyer, sous forme de dépôt ou autrement, ou exiger, pour le paiement, la remise d'un chèque ou d'un autre effet postdaté. »

[77] L’article 1904 est d’ordre public de protection. En d’autres termes, un locataire peut renoncer à la protection dont il bénéficie en vertu de cette disposition, mais ne peut toutefois le faire avant d’avoir acquis lui-même le droit de le faire.

[78] La soussignée fait sienne l’analyse de la juge administrative, Linda Boucher, dans l’affaire Poliquin c. Gareau[2] :

 « [14] La jurisprudence a déterminé que cette clause d’ordre publique de protection n’est pas absolue et le locataire peut donc y renoncer, pourvu que cela soit volontairement, ou une fois que son droit lui ait été acquis.

(…)

[17] Cette interprétation visant à empêcher toute sollicitation de la part du locateur.

[18] À cet effet, la juge administrative Francine Jodoin énonçait déjà à l’occasion de l’affaire Matchim c. Hamadi ([2]) au sujet de l’article1904 C.c.Q. et de la possibilité d’y contrevenir :

« [9] Il importe toutefois de préciser que cette disposition vise à empêcher le locateur de solliciter, réclamer ou demander le versement de plus d'un mois de loyer de façon à en faire une condition à la formation du contrat de bail. Le législateur s'assure ainsi d'équilibrer le rapport de force qui peut parfois prévaloir lors de la conclusion d'un contrat de bail (1).

[10] En l'occurrence, la preuve révèle que c'est à la demande de la locatrice que le dépôt a été versé et qu'il ne s'agit pas véritablement d'une offre faite par les locataires pour obtenir le logement, car, n'eût été des réticences du mandataire de la locatrice pour leur louer le logement, ce dépôt n'aurait pas été versé.

[11] On place ainsi les locataires devant l'alternative de verser un dépôt sans quoi la location leur est refusée. Il s'agit là précisément de la situation que vise à prohiber l'article1904 C.c.Q. Il s'agit d'une disposition d'ordre public (article 1893 C.c.Q.) à laquelle on ne peut demander aux locataires de renoncer à l'avance.

[12] D'ailleurs, un tel dépôt lorsqu'il est remis ne peut permettre à la locatrice de décider unilatéralement de l'octroi d'une compensation pour les dommages encourus ou leur valeur.

[13] Aussi, après réflexion, le Tribunal en conclut qu'il ne peut se saisir, dans le cadre de la demande des locataires en remboursement du dépôt illégalement versé, d'une réclamation de la locatrice pour justifier qu'on lui accorde le droit de conserver le montant du dépôt. »

[Nos soulignements]

[19] La soussignée partage ces avis et, en l’occurrence, constate que l’initiative de verser au locateur un dépôt de garantie émane de ce dernier. Il s’agissait là d’une condition à la location.

[20] N’eut été de la réticence du locateur, le locataire n’aurait pas accepté de lui verser ce dépôt.

[21] De plus, il apparaît clairement que l’intention du locateur est que cette somme serve éventuellement à le compenser d’éventuels manquements du locataire, ce que le Tribunal ne saurait cautionner, car il ne peut unilatéralement décider du défaut du locataire et de la sanction. Le locateur se trouverait alors dans la position de juge et partie, ce qui va à l’encontre d’un principe de justice naturelle « nemo judex in sua causa debet esse ». »

(Références omises)

[79] En l’instance, la preuve ne démontre pas que le dépôt de garantie versé par la locataire soit le fruit de son initiative ou ait volontairement été offert malgré l’entente signée le 10 août 2021.

[80] Dans les circonstances du présent dossier, il est clair que ce dépôt devenait une condition à la conclusion du bail.

[81] Le Tribunal retient le témoignage de la locataire et de sa fille lorsqu’elles disent que sans ce dépôt, le logement ne leur aurait pas été loué.

[82] En fait, le Tribunal estime que le locateur a voulu se prévaloir d’une certaine garantie, puisque la locataire n’avait pas un long historique de location, considérant qu’elle n’était pas au pays depuis longtemps et ne pouvait pas se trouver une caution.

[83] N’eût été la réticence du locateur à lui louer le logement, la preuve démontre que la locataire n’aurait pas accepté de lui verser ce dépôt.

[84] Le fait que la locataire ignorait l’existence de l’article 1904 du C.c.Q. est toutefois sans importance, car même l’ignorance de la loi ne peut servir de motif à invalider l’entente.

[85] Au surplus, la chronologie des faits démontre que cette entente a été signée avant la conclusion du bail lui-même.

[86] La preuve démontre que sans cette entente, le bail n’aurait pas été signé.

[87] Or, la locataire ne pouvait renoncer à l’avance à la protection de l’article 1904 du C.c.Q., tel qu’expliqué dans les affaires citées précédemment.

Le logement était-il impropre à l’habitation justifiant le départ de la locataire?

La situation dépeinte par la locataire constitue-t-elle du harcèlement?

Sinon, à quelle indemnité le locateur a-t-il droit à titre de loyers perdus?

[88] Cela dit, même si le Tribunal considère l’entente relative au dépôt invalide, le Tribunal doit regarder si la locataire a quitté son logement à bon droit.

[89] Or, à ce sujet, la preuve est loin d’être prépondérante.

[90] D’abord, pour être considéré impropre à l’habitation, un logement doit constituer une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, ou doit avoir été déclaré comme tel par le Tribunal ou par l’autorité compétente[3]. Il ne doit pas uniquement s’agir d’une probabilité potentielle[4]. Le caractère impropre d’une habitation ne peut pas s’établir sur une base subjective, mais de façon objective.

[91] Or, le fait d’éprouver des problèmes avec une fenêtre du logement est loin de justifier la résiliation du bail.

[92] Il en est de même des autres problèmes décriés par la locataire dans la lettre qu’elle adresse au locateur.

[93] En fait, à ce sujet, le Tribunal retient les prétentions du locateur lorsqu’il explique que c’est en réaction à sa mise en demeure, interdisant la présence d’un chien dans son logement, que la locataire se fait justice en allant louer un autre logement lui permettant d’en posséder un.

[94] Par ailleurs, la locataire attendra cette mise en demeure pour commencer à se plaindre formellement de l’état du logement, ce qui tend à donner raison au raisonnement du locateur.

[95] Le Tribunal ne retient pas les prétentions de la locataire selon lesquelles elle se serait sentie en danger fasse aux agissements du locateur, la preuve n’étant pas crédible à ce sujet.

[96] De surcroît, comme le départ de la locataire n’était pas justifié, il reste à déterminer le montant de l’indemnité à titre de loyers perdus et de frais d’énergie à laquelle le locateur a droit.


[97] À ce sujet, le Tribunal estime démesurée une indemnité de relocation de sept mois, mais fera droit à une indemnité de relocation de quatre mois pour la période du 1er décembre 2018 au 31 mars 2019, soit (7 000 $) représentant quatre mois de loyer à 1 750 $.

[98] Le Tribunal retient les explications du locateur, selon lesquelles les mois de décembre et janvier sont moins achalandés en termes de demande de location, considérant la période des fêtes.

[99] Cependant, le Tribunal considère que le locateur aurait dû revoir sa stratégie d’affaires afin de relouer le logement plus rapidement, quitte à baisser le prix.

[100] Cette considération repose sur l’obligation légale de mitiger ses dommages, comme prévu à l’article 1479 du C.c.Q.[5]

[101] Cette règle est expliquée comme suit par les auteurs, Baudouin et Jobin :

« La règle de la réduction des pertes, ou de la minimisation des dommages est bien connue en common law. La jurisprudence québécoise l’a également sanctionnée d’innombrables fois, tant en matière extracontractuelle qu’en matière contractuelle et elle est maintenant codifiée à l’article 1479 C.c.Q. Cette règle est fondée sur le principe selon lequel le débiteur n’est tenu qu’aux seuls dommages directs et immédiats. On peut l’exprimer simplement en disant que le créancier a le devoir, lorsqu’il constate l’inexécution de l’obligation de son débiteur, de tenter d’atténuer autant que possible le préjudice qu’il subit. Agir autrement constitue, en droit civil, un comportement fautif, parce que contraire à la conduite d’une personne normalement prudente et diligente, et mène à une réduction des dommages autrement alloués au créancier. Lorsque le créancier ne réduit pas ses pertes, il est difficile de prétendre que le dommage a été entièrement causé par le fait du débiteur, même si celui-ci en est à l’origine. Les tribunaux n’admettent donc pas que le créancier réclame la partie des dommages qu’il a subis et qu’il aurait pu raisonnablement éviter en se comportant avec prudence, diligence et bonne foi. L’obligation de réduire sa perte est donc une obligation de moyens. »

(Notre soulignement)

[102] Dans l’arrêt Red Deer College c. Michaels and Finn[6], le juge Laskin écrit :

« (...) un demandeur lésé a le droit de recouvrer les dommages-intérêts pour les pertes qu’il a subies, mais l’étendue de ces pertes dépend de la question de savoir s’il a pris ou non les mesures raisonnables pour éviter qu’elles s’accroissent immodérément. »

(Notre soulignement)

[103] D’autant plus, soulignons que le logement a été reloué uniquement le 1er août 2019, soit huit mois après le départ de la locataire, mais que le locateur dit vouloir réclamer les loyers perdus jusqu’à la fin prévue au bail, juin 2019.

[104] Le Tribunal n’est pas convaincu que le locateur ait entièrement mitigé ses dommages par une publication générale sur plusieurs plateformes.

[105] Le Tribunal faisant droit à une indemnité pour perte de loyer du 1er décembre 2018 au 31 mars 2019, le locateur devra remettre (5 250 $) pour la période du 1er avril 2019 au 30 juin 2019, soit trois mois de loyer considérant l’invalidité de l’entente signée entre les parties le 10 août 2018, concernant les loyers payés en avance.

[106] Pour les frais d’énergie réclamés, le locateur produit une facture de 455,44 $ pour la période du 19 novembre 2018 au 11 janvier 2019, une facture de 659,79 $ pour la période du 12 janvier 2019 au 11 mars 2019 et une facture de 167,07 $ pour la période du 12 mars 2019 au 10 mai 2019, pour un total de (1 282,30 $).

[107] La procureure de la locataire plaide que les frais réclamés sont trop dispendieux, considérant les explications du locateur, selon lesquelles il a dû augmenter le chauffage considérant les plaintes d’un autre occupant de l’immeuble.

[108] Toutefois rien ne démontre que le locateur ait chauffé le logement de façon déraisonnable considérant qu’un logement, même inhabité, doit être chauffé l’hiver.

[109] Ainsi, le Tribunal fera droit à la somme de (1 115,23 $) à titre de frais d’énergie[7].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

DOSSIER 429167 :

[110] DÉCLARE invalide l’entente signée par les parties le 10 août 2018;


[111] CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la somme de 5 250 $, plus les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., à compter du 23 novembre 2018, plus les frais judiciaires de 99 $;

[112] CONSTATE la résiliation du bail aux torts de la locataire.

DOSSIER 509000 :

[113] […]

[114] CONDAMNE la locataire à payer au locateur la somme de 1 115,23 $ plus les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., à compter du 20 février 2020;

[115] REJETTE la demande quant au surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Rachel Tupula

 

Présence(s) :

la locataire

Me Belinda Fleurançois, avocate de la locataire

le locateur

Date de l’audience : 

2 mai 2024

 

 

 


 


Godoy c. Korin

2023 QCTAL 26233

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

Nos dossiers :

429167 31 20181123 G

509000 31 20200220 G

Nos demandes :

2634403

2963447

 

 

Date :

23 août 2023

Devant la juge administrative :

Rachel Tupula

 

Valentina Godoy

 

Locataire - Partie demanderesse

(429167 31 20181123 G)

Locataire - Partie défenderesse

(509000 31 20200220 G)

c.

Jack Korin

 

Locateur - Partie défenderesse

(429167 31 20181123 G)

Locateur - Partie demanderesse

(509000 31 20200220 G)

 

D É C I S I O N

 

 

[1]             Par un recours du 23 novembre 2018, amendé en audience le 26 mai 2023, la locataire réclame des dommages-intérêts (12 250 $), l’indemnité additionnelle, l’exécution provisoire malgré l’appel et les frais.

[2]             Au soutien de sa demande, elle allègue que le locateur a exigé le paiement intégral de l’ensemble des loyers dès le commencement du bail, contrairement à ce que stipule l’article 1904 du Code civil du Québec (C.c.Q.).

[3]             La locataire allègue avoir été troublée dans sa jouissance paisible des lieux, en raison de la négligence du locateur à faire la réparation nécessaire d’une fenêtre, dite dangereuse, et avoir subi de l’intimidation de la part du locateur et dit avoir quitté son logement le 18 novembre 2018 pour ces motifs.

[4]             Par un recours du 20 février 2020, amendé en audience les 31 août 2021 et 26 mai 2023, le locateur réclame des dommages-intérêts pour perte de loyer (12 250 $) et des dommages-intérêts pour frais d’énergie (1 325,74 $), l’indemnité additionnelle et les frais.

[5]             Au soutien de sa demande, il allègue que la locataire a quitté sans droit le 19 novembre 2018 et réclame cette somme à titre de perte de loyer, précisant que le logement a été reloué seulement le 1er août 2019.


[6]             Les deux demandes sont réunies afin d’être entendues et jugées sur la même preuve, conformément à l’article 57 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.

[7]             Le présent dossier est réassigné à la soussignée par le président du Tribunal administratif du logement en vertu de l’article 81 de sa Loi.

LES FAITS

[8]             Les parties étaient liées par un bail du 1er septembre 2018 au 30 juin 2019, au loyer mensuel de 1 850 $.

[9]             La locataire témoigne que le locateur a exigé d’elle le montant intégral de l’ensemble des loyers pour une période de 10 mois.

[10]         Le loyer était de 1 750 $, étant donné que le locateur lui remettait un crédit mensuel de 100 $ pour chacun des mois prévus par le bail étant donné qu’elle payait en avance.

[11]         Le locateur aurait d’abord exigé d’elle des frais de réservation du logement (1 000 $) et un solde (16 900 $) au moment de la signature du bail.

[12]         Cependant, elle explique avoir quitté à bon droit son logement le 18 novembre 2018 et aurait dû payer seulement 5 250 $ au total, soit 1 750 $ le premier jour des mois de septembre à novembre 2018, et non en début de bail.

[13]         Elle témoigne avoir rencontré le locateur dans une banque en août 2018 afin de lui remettre les sommes exigées.

[14]         Elle lui demande alors si elle peut payer son loyer mensuellement, ce que le locateur aurait refusé en lui disant que si elle ne payait pas en totalité, elle ne pourrait pas louer le logement.

[15]         La locataire prétend avoir interrogé le locateur sur la légalité de cette exigence et ce dernier lui aurait dit être dans ses droits.

[16]         Si la locataire dit le croire, c’est en raison de l’occupation professionnelle du locateur comme agent immobilier.

[17]         C’est ainsi qu’elle dit accepter de signer l’entente et le bail le 10 août 2018.

[18]         La locataire précisera ultérieurement être arrivée au Canada en avril 2018.

[19]         Elle témoigne avoir quitté le logement concerné le 18 ou 20 novembre 2018.

[20]         Elle affirme avoir quitté ce logement, car le locateur est venu à son domicile lui faire un scandale le 14 novembre 2018.

[21]         Le locateur serait entré sans permission dans son logement, bien que la fille de la locataire lui ait demandé d’attendre à l’extérieur.

[22]         La locataire dit qu’il s’est alors permis d’entrer dans toutes les chambres de son logement.

[23]         Le locateur était agressif et ne voulait pas sortir, se disant à la recherche d’un chien.

[24]         Les filles de la locataire étaient très apeurées par la situation et la famille craignait que le locateur se permette d’entrer à nouveau sans permission.

[25]         C’est en raison de cet incident du 14 novembre 2018 que la locataire décide de quitter son logement avec sa famille.

[26]         La locataire précise que le chien était celui de l’une de ses filles n’habitant pas avec elle.

[27]         Elle a écrit une lettre au locateur qui lui a répondu qu’elle pouvait partir et qu’il allait lui remettre l’argent payé par anticipation pour les loyers.

[28]         La locataire dit également que le locateur l’a empêchée d’accéder à son logement à l’annonce de son départ, l’obligeant à recourir aux autorités policières pour récupérer ses choses.


[29]         Le locateur détenait aussi tout l’argent qu’elle possédait et elle n’était pas en mesure de louer un autre logement.

[30]         Le locateur l’aurait également empêchée de récupérer sa correspondance, ce qui lui a causé des troubles et inconvénients, car elle ne pouvait récupérer le permis de travail duquel elle était en attente.

[31]         De plus, les fenêtres du salon étaient dangereuses, dit la locataire.

[32]         Elle avise le locateur, mais ce dernier lui remet uniquement un bâton pour empêcher que la fenêtre ne se referme sur elle-même.

[33]         Enfin, un autre locataire du bâtiment se promenait de façon louche dans l’immeuble.

[34]         Elle demande le remboursement de ce qu’elle a payé par anticipation au début de son bail, au prorata de la durée d’occupation réelle de son logement.

[35]         Contre-interrogée, elle admet que si elle acceptait de payer à l’avance tous les loyers, il était entendu qu’elle bénéficierait d’un loyer moins cher.

[36]         La fille de la locataire corrobore son témoignage en ce que le locateur a exigé le paiement intégral des loyers mensuels, prétextant que c’était légal.

[37]         Elle explique également que les fenêtres étaient dangereuses, en ce qu’elles se refermaient toutes seules.

[38]         De son côté, le locateur dit avoir rencontré la locataire le 8 août 2018, lors de la visite du logement.

[39]         Le logement était alors complètement rénové et vide.

[40]         La locataire lui explique qu’elle louait un 3 ½ situé à proximité, mais qui était toutefois trop petit.

[41]         La locataire lui dit ne pas travailler et ne pas avoir de référence.

[42]         Elle l’assure qu’elle le paiera sans problème.

[43]         Le locateur lui demande si elle serait en mesure de se faire cautionner pour la location du logement et c’est alors que la locataire lui aurait demandé si elle pouvait payer en avance tous les montants des loyers.

[44]         Il lui répond qu’il ne pense pas que c’est possible.

[45]         Il témoigne avoir fait quelques vérifications et comprend qu’il ne peut exiger le loyer à l’avance, mais que si c’est la locataire qui le propose, il peut accepter l’arrangement.

[46]         De plus, il dit que c’est la locataire qui lui demande aussi une réduction de loyer, considérant qu’elle offre de payer en avance, ramenant ainsi le montant du loyer mensuel à 1 750 $ plutôt que 1 850 $.

[47]         La locataire lui aurait aussi demandé de pouvoir prendre possession du logement deux semaines avant le début du bail prévu le 1er septembre 2018.

[48]         Elle a offert de payer 500 $ à titre d’indemnité pour ces deux semaines, comme indiqué par ellemême à l’entente.

[49]         Au sujet des fenêtres, il dit que si les fenêtres, considérées dangereuses par la locataire se referment toutes seules, c’est parce qu’un air conditionné s’y trouve habituellement.

[50]         S’il a donné une tige à la locataire pour retenir la fenêtre, c’est parce que la locataire ne voulait pas mettre d’air conditionné.

[51]         Le 12 novembre 2018, il dit prendre connaissance que la locataire a un chien en allant récupérer ses pneus d’hiver dans l’immeuble du logement.

[52]         Selon ses informations, le chien est là en permanence, contrairement aux conditions du bail.


[53]         Il monte au logement de la locataire qui lui admet candidement posséder un chien, mais tout en prétextant l’avoir avisé au préalable.

[54]         Il dément cette information.

[55]         La locataire lui dit alors que le chien est à sa fille et que le chien est un membre de sa famille en lui refermant la porte au nez.

[56]         Lors d’une visite à laquelle la locataire invite le locateur à venir visiter pour voir si elle a un chien, elle lui demande de signer une lettre comme quoi il lui permet de quitter le logement et qu’il lui remboursera des montants payés par anticipation pour le loyer.

[57]         Le locateur refuse de la laisser partir, car il dit qu’il savait qu’il aurait de la difficulté à relouer le logement, car le logement est grand et on était durant la période précédant celle des fêtes.

[58]         Pour lui, il est également évident que la locataire voulait quitter, car elle ne pouvait pas garder son chien.

[59]         À la mi-novembre 2018, il est avisé que la locataire a retiré sa responsabilité du compte auprès d’Hydro-Québec.

[60]         La locataire revient le 26 novembre 2018 pour récupérer sa laveuse et sa sécheuse.

[61]         À ce sujet, la locataire avait écrit au locateur que si les nouveaux occupants voulaient avoir ses électroménagers, de leur vendre et de lui remettre l’argent.

[62]         Cependant, il dit avoir reçu un appel des policiers lui disant qu’il ne peut s’approprier les électroménagers de la locataire, et ce, alors qu’il dit ne pas avoir changé les serrures du logement.

[63]         Au départ de la locataire, le locateur dit avoir publié le logement sur Centris, Kijiji, Facebook et autres plateformes.

[64]         Il a rencontré différents candidats potentiels, mais aucun n’avait de bons résultats à l’enquête de crédit.

[65]         Le locateur précise que le logement attire normalement les familles, mais que ces dernières ne cherchent pas à déménager durant l’année scolaire.

[66]         Au sujet de la visite au logement de la locataire, il nie être entré de la manière dont la locataire le prétend.

[67]         Il souligne qu’il avait rendez-vous avec la locataire, laquelle les a laissés entrer lui et son fils.

[68]         Le 2 novembre 2018, la locataire écrit au locateur pour se plaindre de l’absence d’air conditionné, de bruit pendant la nuit, d’une mauvaise odeur en provenance du sous-sol, etc.

[69]         Dans cette même lettre, elle demande, pour ces différentes doléances, la résiliation du bail.

[70]         Le locateur lui répond qu’il n’est pas surpris du concours de circonstances et associe sa lettre à la découverte de la présence d’un chien dans le logement.

[71]         Il met en relief que le nouveau bail signé par la locataire le 15 novembre 2018 permet la présence d’un chien.

[72]         En ce qui concerne les frais d’Hydro-Québec réclamés (1 325,74 $)[8], le locateur fait comprendre au Tribunal qu’en raison de l’inoccupation du logement par la locataire, un autre occupant se plaignait d’avoir froid, le logement concerné n’étant pas chauffé comme à l’habitude.

QUESTIONS EN LITIGE

[73]         L’entente entre les parties relative au paiement par anticipation des loyers est-elle valide?

[74]         Le logement était-il impropre à l’habitation justifiant le départ de la locataire? La situation dépeinte par la locataire constitue-t-elle du harcèlement?

[75]         Sinon, à quelle indemnité le locateur a-t-il droit à titre de loyers perdus?


ANALYSE

L’entente entre les parties relative au paiement des loyers par anticipation est-elle valide?

[76]         La locataire fonde son recours sur les articles 1699 et 1904 du C.c.Q. qui édictent ce qui suit :

« 1699. La restitution des prestations a lieu chaque fois qu'une personne est, en vertu de la loi, tenue de rendre à une autre des biens qu'elle a reçus sans droit ou par erreur, ou encore en vertu d'un acte juridique qui est subséquemment anéanti de façon rétroactive ou dont les obligations deviennent impossibles à exécuter en raison d'une force majeure.

Le tribunal peut, exceptionnellement, refuser la restitution lorsqu'elle aurait pour effet d'accorder à l'une des parties, débiteur ou créancier, un avantage indu, à moins qu'il ne juge suffisant, dans ce cas, de modifier plutôt l'étendue ou les modalités de la restitution. »

« 1904. Le locateur ne peut exiger que chaque versement excède un mois de loyer; il ne peut exiger d'avance que le paiement du premier terme de loyer ou, si ce terme excède un mois, le paiement de plus d'un mois de loyer.

Il ne peut, non plus, exiger une somme d'argent autre que le loyer, sous forme de dépôt ou autrement, ou exiger, pour le paiement, la remise d'un chèque ou d'un autre effet postdaté. »

[77]         L’article 1904 est d’ordre public de protection. En d’autres termes, un locataire peut renoncer à la protection dont il bénéficie en vertu de cette disposition, mais ne peut toutefois le faire avant d’avoir acquis lui-même le droit de le faire.

[78]         La soussignée fait sienne l’analyse de la juge administrative, Linda Boucher, dans l’affaire Poliquin c. Gareau[9] :

 « [14] La jurisprudence a déterminé que cette clause d’ordre publique de protection n’est pas absolue et le locataire peut donc y renoncer, pourvu que cela soit volontairement, ou une fois que son droit lui ait été acquis.

(…)

[17] Cette interprétation visant à empêcher toute sollicitation de la part du locateur.

[18] À cet effet, la juge administrative Francine Jodoin énonçait déjà à l’occasion de l’affaire Matchim c. Hamadi ([2]) au sujet de l’article1904 C.c.Q. et de la possibilité d’y contrevenir :

« [9] Il importe toutefois de préciser que cette disposition vise à empêcher le locateur de solliciter, réclamer ou demander le versement de plus d'un mois de loyer de façon à en faire une condition à la formation du contrat de bail. Le législateur s'assure ainsi d'équilibrer le rapport de force qui peut parfois prévaloir lors de la conclusion d'un contrat de bail (1).

[10] En l'occurrence, la preuve révèle que c'est à la demande de la locatrice que le dépôt a été versé et qu'il ne s'agit pas véritablement d'une offre faite par les locataires pour obtenir le logement, car, n'eût été des réticences du mandataire de la locatrice pour leur louer le logement, ce dépôt n'aurait pas été versé.

[11] On place ainsi les locataires devant l'alternative de verser un dépôt sans quoi la location leur est refusée. Il s'agit là précisément de la situation que vise à prohiber l'article1904 C.c.Q. Il s'agit d'une disposition d'ordre public (article 1893 C.c.Q.) à laquelle on ne peut demander aux locataires de renoncer à l'avance.

[12] D'ailleurs, un tel dépôt lorsqu'il est remis ne peut permettre à la locatrice de décider unilatéralement de l'octroi d'une compensation pour les dommages encourus ou leur valeur.

[13] Aussi, après réflexion, le Tribunal en conclut qu'il ne peut se saisir, dans le cadre de la demande des locataires en remboursement du dépôt illégalement versé, d'une réclamation de la locatrice pour justifier qu'on lui accorde le droit de conserver le montant du dépôt. »

[Nos soulignements]

[19] La soussignée partage ces avis et, en l’occurrence, constate que l’initiative de verser au locateur un dépôt de garantie émane de ce dernier. Il s’agissait là d’une condition à la location.

[20] N’eut été de la réticence du locateur, le locataire n’aurait pas accepté de lui verser ce dépôt.

[21] De plus, il apparaît clairement que l’intention du locateur est que cette somme serve éventuellement à le compenser d’éventuels manquements du locataire, ce que le Tribunal ne saurait cautionner, car il ne peut unilatéralement décider du défaut du locataire et de la sanction. Le locateur se trouverait alors dans la position de juge et partie, ce qui va à l’encontre d’un principe de justice naturelle « nemo judex in sua causa debet esse ». »

(Références omises)


[79]         En l’instance, la preuve ne démontre pas que le dépôt de garantie versé par la locataire soit le fruit de son initiative ou ait volontairement été offert malgré l’entente signée le 10 août 2021.

[80]         Dans les circonstances du présent dossier, il est clair que ce dépôt devenait une condition à la conclusion du bail.

[81]         Le Tribunal retient le témoignage de la locataire et de sa fille lorsqu’elles disent que sans ce dépôt, le logement ne leur aurait pas été loué.

[82]         En fait, le Tribunal estime que le locateur a voulu se prévaloir d’une certaine garantie, puisque la locataire n’avait pas un long historique de location, considérant qu’elle n’était pas au pays depuis longtemps et ne pouvait pas se trouver une caution.

[83]         N’eût été la réticence du locateur à lui louer le logement, la preuve démontre que la locataire n’aurait pas accepté de lui verser ce dépôt.

[84]         Le fait que la locataire ignorait l’existence de l’article 1904 du C.c.Q. est toutefois sans importance, car même l’ignorance de la loi ne peut servir de motif à invalider l’entente.

[85]         Au surplus, la chronologie des faits démontre que cette entente a été signée avant la conclusion du bail lui-même.

[86]         La preuve démontre que sans cette entente, le bail n’aurait pas été signé.

[87]         Or, la locataire ne pouvait renoncer à l’avance à la protection de l’article 1904 du C.c.Q., tel qu’expliqué dans les affaires citées précédemment.

Le logement était-il impropre à l’habitation justifiant le départ de la locataire?

La situation dépeinte par la locataire constitue-t-elle du harcèlement?

Sinon, à quelle indemnité le locateur a-t-il droit à titre de loyers perdus?

[88]         Cela dit, même si le Tribunal considère l’entente relative au dépôt invalide, le Tribunal doit regarder si la locataire a quitté son logement à bon droit.

[89]         Or, à ce sujet, la preuve est loin d’être prépondérante.

[90]         D’abord, pour être considéré impropre à l’habitation, un logement doit constituer une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, ou doit avoir été déclaré comme tel par le Tribunal ou par l’autorité compétente[10]. Il ne doit pas uniquement s’agir d’une probabilité potentielle[11]. Le caractère impropre d’une habitation ne peut pas s’établir sur une base subjective, mais de façon objective.

[91]         Or, le fait d’éprouver des problèmes avec une fenêtre du logement est loin de justifier la résiliation du bail.

[92]         Il en est de même des autres problèmes décriés par la locataire dans la lettre qu’elle adresse au locateur.

[93]         En fait, à ce sujet, le Tribunal retient les prétentions du locateur lorsqu’il explique que c’est en réaction à sa mise en demeure, interdisant la présence d’un chien dans son logement, que la locataire se fait justice en allant louer un autre logement lui permettant d’en posséder un.

[94]         Par ailleurs, la locataire attendra cette mise en demeure pour commencer à se plaindre formellement de l’état du logement, ce qui tend à donner raison au raisonnement du locateur.

[95]         Le Tribunal ne retient pas les prétentions de la locataire selon lesquelles elle se serait sentie en danger fasse aux agissements du locateur, la preuve n’étant pas crédible à ce sujet.

[96]         De surcroît, comme le départ de la locataire n’était pas justifié, il reste à déterminer le montant de l’indemnité à titre de loyers perdus et de frais d’énergie à laquelle le locateur a droit.

[97]         À ce sujet, le Tribunal estime démesurée une indemnité de relocation de sept mois, mais fera droit à une indemnité de relocation de quatre mois pour la période du 1er décembre 2018 au 31 mars 2019, soit (7 000 $) représentant quatre mois de loyer à 1 750 $.


[98]         Le Tribunal retient les explications du locateur, selon lesquelles les mois de décembre et janvier sont moins achalandés en termes de demande de location, considérant la période des fêtes.

[99]         Cependant, le Tribunal considère que le locateur aurait dû revoir sa stratégie d’affaires afin de relouer le logement plus rapidement, quitte à baisser le prix.

[100]     Cette considération repose sur l’obligation légale de mitiger ses dommages, comme prévu à l’article 1479 du C.c.Q.[12]

[101]     Cette règle est expliquée comme suit par les auteurs, Baudouin et Jobin :

« La règle de la réduction des pertes, ou de la minimisation des dommages est bien connue en common law. La jurisprudence québécoise l’a également sanctionnée d’innombrables fois, tant en matière extracontractuelle qu’en matière contractuelle et elle est maintenant codifiée à l’article 1479 C.c.Q. Cette règle est fondée sur le principe selon lequel le débiteur n’est tenu qu’aux seuls dommages directs et immédiats. On peut l’exprimer simplement en disant que le créancier a le devoir, lorsqu’il constate l’inexécution de l’obligation de son débiteur, de tenter d’atténuer autant que possible le préjudice qu’il subit. Agir autrement constitue, en droit civil, un comportement fautif, parce que contraire à la conduite d’une personne normalement prudente et diligente, et mène à une réduction des dommages autrement alloués au créancier. Lorsque le créancier ne réduit pas ses pertes, il est difficile de prétendre que le dommage a été entièrement causé par le fait du débiteur, même si celui-ci en est à l’origine. Les tribunaux n’admettent donc pas que le créancier réclame la partie des dommages qu’il a subis et qu’il aurait pu raisonnablement éviter en se comportant avec prudence, diligence et bonne foi. L’obligation de réduire sa perte est donc une obligation de moyens. »

(Notre soulignement)

[102]     Dans l’arrêt Red Deer College c. Michaels and Finn[13], le juge Laskin écrit :

« (...) un demandeur lésé a le droit de recouvrer les dommages-intérêts pour les pertes qu’il a subies, mais l’étendue de ces pertes dépend de la question de savoir s’il a pris ou non les mesures raisonnables pour éviter qu’elles s’accroissent immodérément. »

(Notre soulignement)

[103]     D’autant plus, soulignons que le logement a été reloué uniquement le 1er août 2019, soit huit mois après le départ de la locataire, mais que le locateur dit vouloir réclamer les loyers perdus jusqu’à la fin prévue au bail, juin 2019.

[104]     Le Tribunal n’est pas convaincu que le locateur ait entièrement mitigé ses dommages par une publication générale sur plusieurs plateformes.

[105]     Le Tribunal faisant droit à une indemnité pour perte de loyer du 1er décembre 2018 au 31 mars 2019, le locateur devra remettre (5 250 $) pour la période du 1er avril 2019 au 30 juin 2019, soit trois mois de loyer considérant l’invalidité de l’entente signée entre les parties le 10 août 2018, concernant les loyers payés en avance.

[106]     Pour les frais d’énergie réclamés, le locateur produit une facture de 455,44 $ pour la période du 19 novembre 2018 au 11 janvier 2019, une facture de 659,79 $ pour la période du 12 janvier 2019 au 11 mars 2019 et une facture de 167,07 $ pour la période du 12 mars 2019 au 10 mai 2019, pour un total de (1 282,30 $).

[107]     La procureure de la locataire plaide que les frais réclamés sont trop dispendieux, considérant les explications du locateur, selon lesquelles il a dû augmenter le chauffage considérant les plaintes d’un autre occupant de l’immeuble.

[108]     Toutefois rien ne démontre que le locateur ait chauffé le logement de façon déraisonnable considérant qu’un logement, même inhabité, doit être chauffé l’hiver.

[109]     Ainsi, le Tribunal fera droit à la somme de (1 115,23 $) à titre de frais d’énergie[14].


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

DOSSIER 429167 :

[110]     DÉCLARE invalide l’entente signée par les parties le 10 août 2018;

[111]     CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la somme de 5 250 $, plus les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., à compter du 23 novembre 2018, plus les frais judiciaires de 99 $;

[112]     CONSTATE la résiliation du bail aux torts de la locataire.

DOSSIER 509000 :

[113]     CONDAMNE la locataire à payer au locateur la somme de 7 000 $ plus les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., à compter du 31 août 2020 (date de l’amendement), plus les frais judiciaires de 101 $;

[114]     CONDAMNE la locataire à payer au locateur la somme de 1 115,23 $ plus les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., à compter du 20 février 2020;

[115]     REJETTE la demande quant au surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Rachel Tupula

 

Présences :

la locataire

Me Émilie Evans, avocate de la locataire

le locateur

Me Vincent Basile, avocat du locateur

Dates d’audiences : 

26 mai 2023

31 août 2021

Présences :

la locataire

le locateur

Me Vincent Basile, avocat du locateur

Date de l’audience : 

4 mars 2020

Présences :

la locataire

Me Vincent Basile, avocat du locateur

Date de l’audience : 

28 septembre 2020

 

 

 


 

 


[1] P-5.

[2] Poliquin c. Gareau, 2022 QCTAL 3401 (CanLII).

[3] Article 1913 du Code civil du Québec.

[4] LAMY, Denis, La Diminution de loyer, « Partie IV les autres recours du locataire » 2004, Montréal, para. 182 à 184.

[5] Article 1479 du Code civil du Québec.

[6] Red Deer College c. Michaels, 1975 CanLII 15 (CSC).

[7] L-5, somme correspondant aux deux premières factures.

[8] P-5.

[9] Poliquin c. Gareau, 2022 QCTAL 3401 (CanLII).

[10] Article 1913 du Code civil du Québec.

[11] LAMY, Denis, La Diminution de loyer, « Partie IV les autres recours du locataire » 2004, Montréal, para. 182 à 184.

[12] Article 1479 du Code civil du Québec.

[13] Red Deer College c. Michaels, 1975 CanLII 15 (CSC).

[14] L-5, somme correspondant aux deux premières factures.

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