Lemonde c. Bourque | 2024 QCTAL 27135 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||
Bureau de Sherbrooke | ||||
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No dossier: | 707022 26 20230503 F | No demande: | 3902761 | |
RN :
| 4318924
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Date : | 19 août 2024 | |||
Devant la greffière spéciale : | Me Chantal Houde | |||
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Vincent Lemonde | ||||
Locateur - Partie demanderesse | ||||
c. | ||||
Stéphane Bourque | ||||
Locataire - Partie défenderesse | ||||
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DÉCISION
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[1] Le locateur a produit une demande de fixation de loyer conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec et de remboursement des frais.
[2] Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023, à un loyer mensuel de 535,00 $, comprenant le coût de l’espace de stationnement.
[3] Le locateur demande la réunion du présent dossier à celui de fixation de 2024-2025 portant le numéro 780410. Toutefois, bien que le Tribunal ait accusé la réception de cette requête le 2 mai 2024, le dossier n’a pas été joint pour la présente audience. Le locateur recevra sous peu une date d’audition pour cette demande.
LA RÉCEPTION DES COURRIELS
[4] À titre de moyen préliminaire, l’avocat du locataire plaide que son client n’a pas reçu le formulaire de renseignements nécessaires à la fixation de loyer (ci-après : Formulaire RN).
[5] Le locateur produit à cet effet une série de courriels successifs démontrant que les parties utilisent habituellement ce mode de communication. Le locataire admet avoir reçu le courriel précédent daté du 27 février 2023, concernant l’avis d’augmentation.
Le droit.
[6] Les dispositions pertinentes sont prévues à l’article 56 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[1], à l’article 31 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information[2], ainsi qu’aux articles suivants du Code civil du Québec :
« 56. Une partie qui produit une demande doit en notifier une copie à l’autre partie.
La notification de la demande peut être faite par tout mode approprié qui permet à celui qui notifie de constituer une preuve de la remise ou de la publication du document.
Elle l’est notamment par l’huissier de justice, par l’entremise de la poste recommandée, par la remise du document en mains propres par un service de messagerie, par un moyen technologique ou par avis public.
Quel que soit le mode de notification utilisé, la personne qui accuse réception du document ou reconnaît l’avoir reçu est réputée avoir été valablement notifiée. »
[7] L’article 31 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (ci-après « L.C.C.J.T.I.), établit les balises et présomption lors de la transmission par courriel:
Le document technologique est présumé reçu ou remis lorsqu'il devient accessible à l'adresse que le destinataire indique à quelqu'un être l'emplacement où il accepte de recevoir de lui un document ou celle qu'il représente publiquement être un emplacement où il accepte de recevoir les documents qui lui sont destinés, dans la mesure où cette adresse est active au moment de l'envoi. Le document reçu est présumé intelligible, à moins d'un avis contraire envoyé à l'expéditeur dès l'ouverture du document.
Lorsque le moment de l'envoi ou de la réception du document doit être établi, il peut l'être par un bordereau d'envoi ou un accusé de réception ou par la production des renseignements conservés avec le document lorsqu'ils garantissent les date, heure, minute, seconde de l'envoi ou de la réception et l'indication de sa provenance et sa destination ou par un autre moyen convenu qui présente de telles garanties. »
[8] Quant aux moyens de preuve applicables, les articles suivants du Code civil du Québec y pourvoient :
« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »
« 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. »
« 2805. La bonne foi se présume toujours, à moins que la loi n'exige expressément de la prouver.»
« 2811. La preuve d'un acte juridique ou d'un fait peut être établie par écrit, par témoignage, par présomption, par aveu ou par la présentation d'un élément matériel, conformément aux règles énoncées dans le présent livre et de la manière indiquée par le Code de procédure civile (chapitre C-25.01) ou par quelque autre loi. »
L’analyse
[9] Les auteurs Patrick Gingras et Nicolas Vermeys [3] mentionnent qu’il il peut s’avérer ardu d’établir la réception d’une communication par courriel, cependant l’article 31 L.C.J.T.I. crée une présomption de réception:
Nous l’avons vu, l’utilisation de communications électroniques pour la transmission de documents est aujourd’hui reconnue comme étant un mode de transmission valide tant par la loi187 que par la jurisprudence188:
Si effectivement l’avis est écrit et envoyé soit par télécopie soit par courrier électronique, il s’agira essentiellement d’une question de preuve quant à l’envoi et la réception et non de validité de l’avis [...]189.
Notons par ailleurs que, en vertu du premier alinéa de l’article 31 de la L.C.C.J.T.I., il existe une présomption à l’effet que cette transmission a lieu dès lors que l’auteur d’un message électronique appuie sur la touche « envoyer» de son logiciel de courriel:
Un document technologique est présumé transmis, envoyé ou expédié lorsque le geste qui marque le début de son parcours vers l’adresse active du destinataire est accompli par l’expéditeur ou sur son ordre et que ce parcours ne peut être contremandé ou, s’il peut l’être, n’a pas été contremandé par lui ou sur son ordre.
Cependant, à moins d’avoir accès au compte de l’autre partie190, ou de recevoir un accusé de réception de sa part191, il peut s’avérer ardu d’établir qu’une telle communication a été reçue par le destinataire. À cette fin, il importe de souligner que le second alinéa de l’article 31 de la L.C.C.J.T.I. crée une présomption de réception. »
(Les citations sont omises)
[10] Au sujet de cette présomption de réception, dans GLP Paysagiste inc. c. Thibodeau , le Tribunal confirme que cette présomption peut être renversée par une preuve contraire:
« [23] Ainsi, l'article 31 de cette Loi crée une présomption de réception du courriel à l'égard d'une adresse de courriel publique ou commerciale. Il s'agit toutefois d'une présomption réfragable c'est-à-dire qui peut être renversée par une preuve contraire.
[24] Cependant, à défaut de réponse formelle au courriel transmis ou de mécanisme permettant de confimer la réception, il faut reconnaître qu'il est possible qu'il y ait eu un certain délai entre l'envoi et l'ouverture et la prise de connaissance du courriel.
[25] Il s'agit là de circonstances qu'il appartient au Tribunal d'évaluer en fonction de l'utilisation habituelle du courriel du destinataire.
[26] De même, lorsqu'il n'y a pas obtention d'une réponse suite à l'envoi d'un courriel, il y a lieu de vérifier si son expéditeur a fait une démarche supplémentaire pour s'assurer que le destinataire l'a reçu. »
[11] D’une part, l’expéditeur a le fardeau de démontrer que l’adresse utilisée est celle où le locataire accepte de recevoir des messages, tel que l’explique la juge administrative Francine Jodoin dans la décision de Aquilini Properties c. Domingo[4] :
« [14] Le document produit par le locateur atteste d’une livraison du message au destinataire, mais non de l’ouverture du message par le destinataire ou de la connaissance de ce dernier. Par ailleurs, la preuve ne révèle pas que l’adresse utilisée par le locateur pour cet envoi soit celle où le locataire accepte de recevoir des messages.
[15] En somme, le document produit atteste de la transmission, mais non de la réception.
[16] Le Tribunal rejette donc la demande pour absence de preuve de notification, sauf pour le locateur à se pourvoir à nouveau. »
[12] D’autre part, le destinataire ne peut pas simplement nier la connaissance d’un courriel afin de repousser cette présomption[5], comme l’indique la Cour d’appel dans Services financiers Paccar ltée c. Kingsway, compagnie d’assurances générales [6]:
« [13] En vertu de cette disposition, l’intimée peut invoquer qu’une présomption de réception existe en sa faveur concernant la lettre du 22 mars. Par ailleurs, M. Arcand ne prétend pas que la télécopie a été envoyée au mauvais numéro ni que le télécopieur ne fonctionnait pas à cette date. L’intimée a également produit le bordereau de transmission pour établir le moment d’envoi du document.
[14] La seule preuve directe concernant la connaissance de l'appelante de cette lettre est le témoignage de M. Arcand, qui nie une telle connaissance. Son affirmation à cet effet, sans plus, n'est pas suffisante pour repousser la présomption créée par l'article 31 de la loi précitée. »
Dans une cause récente[7], la greffière spéciale, Me Bousquet, réfère à un jugement de la Cour d’appel quant à la preuve de non-réception :
« [40] Dans l’arrêt St-Georges c. Québec (sous-ministre du revenu), les honorables juges de la Cour d’Appel rappellent que pour repousser les effets d’une présomption légale, la preuve doit comporter un certain degré de précision et de probabilité en sa faveur par oppositions à des allégations vagues et ambiguës. Ainsi en règle générale la simple affirmation n’est pas suffisante [[8]]. »
[13] Cela étant, plusieurs décisions[9] confirment que dès que l’adresse électronique du destinataire est un « emplacement » valide où il accepte de recevoir des correspondances et que l’expéditeur démontre que ce moyen de communication a déjà été utilisé par les parties, il y a présomption de réception.
[14] Dans le cas qui nous occupe, le locataire a accepté de recevoir les documents relatifs à son bail par courriel. De plus, cette adresse est utilisée couramment entre les parties lors de leurs communications.
[15] En conséquence, le Tribunal est d’avis que le témoignage vague et imprécis du locataire relativement au Formulaire RN, ne permet pas de repousser cette présomption légale. Le Tribunal conclut ainsi que la simple affirmation de non-réception, sans plus, du locataire n’est pas suffisante. Le Tribunal rejette l’objection préliminaire du locataire et procède au calcul de fixation.
LA FIXATION
[17] Le Tribunal a autorisé le locateur à produire après audience, la liste des loyers en vigueur au mois de décembre 2022, les primes d’assurances en vigueur au 31 décembre 2021, ainsi que l’historique de consommation d’électricité de 2022, au plus tard le 7 juin 2024.
[18] Ces documents ont été déposés au greffe dans les délais, à l’exception de la police d’assurance de 2021. En conséquence le calcul ne tiendra pas compte de la variation entre les deux montant des primes d’assurances pour les années de référence.
[19] Le locateur a le fardeau de prouver, selon la règle de la prépondérance de la preuve et de la balance des probabilités, les dépenses et les montants inscrits dans le formulaire de renseignements nécessaires pour permettre au Tribunal de calculer l'augmentation du loyer selon les critères prévus au Règlement sur les critères de fixation de loyer [10].
[20] Dans le cadre d’une demande de fixation du loyer présentée en vertu de l'article 1947 du Code civil du Québec, le Tribunal ne peut pas tenir compte des inconvénients soulevés, lesquels n'ont pas pour effet de contrer la fixation du loyer au terme du bail à renouveler, tel qu’expliqué lors de l’audience.
[21] Après calcul, l’ajustement du loyer permis en vertu du Règlement sur les critères de fixation de loyer est de 19,37 $ par mois, s’établissant comme suit :
Taxes municipales et scolaires | 3,16 $ |
Assurances | 0,00 $ |
Gaz | 0,00 $ |
Électricité | 0,47 $ |
Mazout | 0,00 $ |
Frais d’entretien | 0,63 $ |
Frais de services | 0,00 $ |
Frais de gestion | 0,94 $ |
Réparations majeures, améliorations majeures, mise en place d’un nouveau service |
7,52 $ |
Ajustement du revenu net | 6,65 $
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TOTAL |
19,37 $ |
[22] CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;
[23] CONSIDÉRANT qu’un ajustement mensuel de 19,37 $ est justifié;
[24] CONSIDÉRANT l’absence de preuve justifiant la condamnation du locataire au paiement des frais de la demande;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[25] REJETTE l’objection préliminaire du locataire.
[26] FIXE le loyer, après arrondissement au dollar le plus près, à 554,00 $ par mois du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024, comprenant le coût de l’espace de stationnement.
[27] Les autres conditions du bail demeurent inchangées.
[28] Le locateur assume les frais de la demande.
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Me Chantal Houde, greffière spéciale | ||
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Présence(s) : | le locateur le locataire | ||
Date de l’audience : | 10 mai 2024 | ||
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[1] RLRQ, c. T-15.01.
[2] Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, chapitre C-1.1.
[3]. GINGRAS Patrick; VERMEYS, Nicolas, « Je tweet, tu clavardes, il blogue : les aléas juridiques de la communication électronique » dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire (2011), Vol. 335, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2001, p. 47.
[4] Aquilini Properties c. Domingo, 2020 QCRDL 16302 (CanLII).
[5] Devmar développement de marchés international inc. c. Cellulaire 3D inc., 2018 QCCQ 53.
[6] Les services financiers Paccar limitée c. Kinsway compagnie d’assurances générales et 9150 9174 Québec inc. c. Gestion d’assurances Transcan inc., 2012 QCCA 1030.
[7] Manlius c. Simard, 2021 QCTAL 13669 (CanLII).
[8] St-Georges c. Québec (sous-ministre du revenu), 2007 QCCA 1442.
[9] Charron c. Coleman, 2014 QCRDL 2803; Begum c. Jean, 2023 QCTAL 20882 (CanLII).
[10] RLRQ, c. T-15.01, r. 2.
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