Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Coopérative d'habitation Les Coopérants c. Lagacé

2022 QCTAL 797

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Québec

 

Nos dossiers :

565091 18 20210402 G

565091 18 20210402 Q

Nos demandes :

3218171

3371538

 

 

Date :

14 janvier 2022

Devant le juge administratif :

Stéphan Samson

 

Coopérative d'habitation Les Coopérants

 

Locateur - Partie demanderesse

(565091 18 20210402 G)

Partie défenderesse

(565091 18 20210402 Q)

c.

Linda Lagacé

 

Locataire - Partie défenderesse

(565091 18 20210402 G)

Partie demanderesse

(565091 18 20210402 Q)

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le Tribunal est saisi d’une demande de réouverture d’enquête en vertu de l’article 39 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement.

[2]         L’audition de la demande du locateur a eu lieu le 8 octobre 2021. Au début de cette audition, Madame Claudine Picard est présente pour représenter de la locataire. Toutefois, puisqu’elle n’a pas de mandat signé par la locataire, le Tribunal refuse de l’entendre. Elle demande alors une remise de l’audition au motif que l’avocat qui doit représenter la locataire ne serait pas disponible. Le Tribunal a rejeté la demande de remise et procédé sur le mérite de l’affaire.

[3]         La demande de réouverture d’enquête est justifiée, selon l’avocate de la locataire, par le fait que cette dernière n’est pas outillée intellectuellement pour faire une demande de remise. En effet, son état de santé mentale l’empêche d’être présente devant le Tribunal pour faire valoir ses moyens de défense.

[4]         La procureure du locateur, sans acquiescer à la demande de réouverture d’enquête, ne fait valoir aucun argument qui empêcherait le Tribunal d’accorder cette demande. Ainsi, la demande de réouverture d’enquête est autorisée.

[5]         Ayant autorisé la réouverture d’enquête, le Tribunal décide que toute la preuve doit être à nouveau administrée en raison de l’absence de la locataire ou de sa représentante lors de l’audition du 8 octobre 2021.


[6]         Par sa demande, le locateur requiert la résiliation du bail intervenu entre les parties au motif que la locataire contrevient au règlement de l’immeuble en ce qu’elle possède un chien.

[7]         Le locateur fait témoigner Madame Dominique Guy qui est à l’emploi de « Immeuble populaire de Québec » à titre de coordonnatrice de location, et ce, depuis 29 ans. Madame Guy mentionne qu’elle connaît la locataire depuis juillet 2002 et que cette dernière est membre de la Coop depuis cette date.

[8]         À la signature du bail par la locataire en juillet 2002, un règlement de l’immeuble lui a été remis. Ce règlement a été par la suite modifié en octobre 2006 et remis à tous les membres de la coopérative, dont la locataire en juillet 2007. Elle prétend que depuis juillet 2007, la locataire connaît le règlement de l’immeuble qui prévoit à l’article 8.1 ce qui suit :

« 8.1 le(la) membre s’engage à ne pas posséder, dans son appartement et à aucun endroit sur le terrain de la coopérative, un CHIEN pour toute la durée du bail. »

[9]         Madame Guy témoigne que le 18 novembre 2020, elle a pris connaissance d’un envoi par télécopieur, de la part de la locataire, d’un billet médical de la docteure Maude Lemieux qui mentionne que la locataire bénéficierait de la présence d’un petit chien étant donné sa condition médicale.

[10]     Le 3 décembre 2020, Madame Claudine Giroux, représentante du locateur, transmet à la locataire, une lettre dans laquelle on lui rappelle le paragraphe du règlement de l’immeuble ci-haut mentionné.

[11]     Le locateur est informé que la locataire a pris possession de son chien le ou vers le 2 février 2021. Madame Guy prétend que depuis elle a reçu des plaintes, mais aucune preuve n’est administrée par le locateur à cet effet.

[12]     Malgré la réception d’une déclaration écrite de la psychiatre traitante de la locataire portant la date du 5 mai 2021, le locateur refuse que cette dernière conserve son chien et exige la résiliation du bail.

[13]     Pour sa défense, la locataire fait témoigner Madame Claudette Picard, sa belle-sœur, puisqu’elle n’est pas apte à être présente devant le Tribunal.

[14]     Avant même de débuter le témoignage de Madame Picard, l’avocate de la locataire dépose au Tribunal la déclaration écrite de la psychiatre Maude Lemieux pour valoir témoignage. Cette déclaration écrite avait au préalable été communiquée à l’avocate du locateur qui consent à son dépôt au dossier du Tribunal.

[15]     Madame Picard mentionne que la docteure Lemieux est la psychiatre traitante de la locataire. Elle témoigne qu’avant l’arrivée de son chien, la locataire était souvent à l’hôpital pour différents problèmes de santé mentale. Elle a constaté que depuis que la locataire a son chien, cette dernière se porte beaucoup mieux et qu’elle est moins stressée.

[16]     Madame Picard mentionne qu’au départ, la locataire ne voulait pas de chien, mais que ces enfants ont insisté pour lui faire ce cadeau, car ils croyaient que cela pourrait être bénéfique pour leur mère.

[17]     Selon le témoin, le chien est en mesure d’avertir la locataire lorsque cette dernière est sur le point de perdre connaissance, ce qui lui évite des chutes. Ce serait même le chien qui ramènerait la locataire dans un état de conscience lorsque cette dernière perd connaissance.

[18]     Contre-interrogée par la procureure du locateur, le témoin confirme que le fils de la locataire habite le même immeuble donc il savait que la possession de chien était interdite.

Analyse et décision

[19]     Le locateur plaide que la présence du chien de la locataire en contravention avec le règlement de l’immeuble lui cause ainsi qu’aux autres occupants de l’immeuble un préjudice sérieux au sens de l’article 1863 C.c.Q.

[20]     La preuve révèle, selon le locateur, que la locataire connaissait le règlement de l’immeuble et que pour s’assurer d’être équitable envers tous les occupants de l’immeuble, ce dernier doit être respecté.


[21]     Pour le locateur, la déclaration écrite de la psychiatre traitante de la locataire n’est pas concluante.

[22]     La locataire, de son côté, plaide qu’il n’y a eu aucune preuve d’un préjudice sérieux causé au locateur ou aux autres occupants de l’immeuble. Le chien constitue une sécurité et un réconfort pour la locataire.

[23]     Au surplus, la locataire n’a entrepris aucune démarche pour se procurer un chien, cette démarche étend l’initiative de ses enfants. En terminant, elle mentionne que le locateur aurait pu demander au Tribunal l’exécution en nature de l’obligation, soit de la forcer à se départir de son chien au lieu de demander la résiliation du bail.

[24]     Le Tribunal fait siens les commentaires de la juge administrative Francine Tremblay dans l’affaire Les immeubles Beaulieu et Colin Desjardins[1], alors qu’elle s’exprime ainsi :

« [36] L'inexécution par le locataire de ses obligations permet au locateur de demander, entre autres, la résiliation du bail s'il démontre qu'il en subit un préjudice sérieux.

[37] En l'instance, la demande du locateur est fondée sur l'article 1863 C.c.Q., lequel énonce ce qui suit :

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail. »

[38] À ce chapitre, le Tribunal rappelle qu'en matière d'interdiction de posséder un animal, la tolérance du locateur n'est pas créatrice de droit.

[39] Par conséquent, la contravention d'une clause du bail permet au locateur de réclamer la résiliation du bail, en invoquant l'inexécution fautive d'une clause contractuelle.

[40] Cependant, et tel qu'expliqué aux parties à l'audience, lorsque le locateur demande la résiliation du bail, il doit prouver un « préjudice sérieux » (article 1863 C.c.Q.).

[41] À cet égard, le terme « sérieux » implique un certain degré d'importance et de gravité.

[42] Aucune présomption n'est applicable en l'espèce.

FARDEAU DE PREUVE

[43] Le locateur a le fardeau de prouver au Tribunal, par prépondérante de preuve, les faits au soutien de sa demande, et ce, en conformité avec les articles 2803 et 2804 C.c.Q.

[44] Ainsi, la preuve doit être claire et convaincante et s'appuyer sur des faits probables, considérant notamment le fait que l'objectif visé par le locateur milite à l'encontre du droit personnel de la locataire au maintien dans les lieux.

[45] Dans l'application de ces règles, le professeur Ducharme écrit :

« S'il est nécessaire de savoir sur qui repose l'obligation de convaincre, c'est afin de pouvoir déterminer qui doit assumer le risque de l'absence de preuve. En effet, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, le sort du procès va se décider en fonction de la charge de la preuve: celui sur qui reposait l'obligation de convaincre perdra. »(1)

[46] À ce titre, l'appréciation des témoignages est laissée à la discrétion du Tribunal (art. 2845 C. c. Q.). »

[25]     Après avoir analysé la preuve, le Tribunal est d’opinion que la locataire possède un chien malgré l’interdiction inscrite dans le règlement de l’immeuble.

[26]     Toutefois, pour obtenir la résiliation du bail, le locateur devait démontrer au Tribunal que la possession du chien lui cause et cause aux autres occupants de l’immeuble un préjudice sérieux.

[27]     Or, le locateur n’a pas rempli son fardeau de prouver l’existence d’un préjudice sérieux au sens de l’article 1863 C.c.Q. puisque la preuve administrée ne permet pas de conclure à l’existence d’un préjudice sérieux. Le devoir d’être équitable envers tous les occupants de l’immeuble ne peut à lui seul constituer un préjudice sérieux. Dans les circonstances, la demande du locateur sera rejetée.


[28]     Au surplus il apparaît aux yeux du Tribunal que la présence du chien de la locataire constitue pour cette dernière un bénéfice important pour sa santé mentale tel que le mentionne sa psychiatre traitante.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[29]     REJETTE la demande du locateur qui en supportera les frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Stéphan Samson

 

Présence(s) :

la mandataire du locateur

Date de l’audience : 

8 octobre 2021

Présence(s) :

Me Rose Morissette, avocate du locateur

Me Chantale Bouchard, avocate de locataire

Date de l’audience : 

1er décembre 2021

 

 

 


 


[1] 2021 QCTAL 291197.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.