Lacombe c. Larin |
2017 QCRDL 26733 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
346048 31 20170705 G |
No demande : |
2287183 |
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Date : |
17 août 2017 |
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Régisseure : |
Claudine Novello, juge administrative |
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Christopher Lacombe
Stéphanie Huet Latreille |
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Locateurs - Partie demanderesse |
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c. |
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Christopher Larin
Valeria Stephens |
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Locataires - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Les locateurs demandent au tribunal de les autoriser à reprendre le logement concerné, à compter du 1er décembre 2017, pour y loger les parents du locateur, Francine Rizzoli et Brian Lacombe, suivant les termes de l'article 1963 du Code civil du Québec.
[2] La preuve révèle que les parties sont liées par un bail à durée indéterminée au loyer mensuel de 950 $.
[3] La preuve démontre que le 2 juin 2017, les locateurs faisaient tenir aux locataires un avis de reprise de logement, pour y loger leurs parents, à compter du 1er décembre 2017. Le 30 juin 2017, les locataires ont répondu qu’ils s’opposaient à la reprise et refusaient de déménager.
[4] Mentionnons d'abord que les articles 1957 et 1963 du Code civil du Québec stipulent :
1957. Le locateur d'un logement, s'il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l'habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.
Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l'union civile.
1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins.
[5] L'immeuble concerné consiste en un duplex dans lequel les parents du locateur occupent le logement situé au rez-de-chaussée depuis environ deux ans, tandis que les locataires occupent celui situé à l’étage.
[6] Les locateurs témoignent que le 1er juin 2017, ils ont fait l’acquisition de cet immeuble avec l’intention d’y habiter avec les parents du locateur.
[7] Dans cette optique, ils désirent reprendre le logement de l’étage afin d’y loger les parents du locateur et d’emménager eux-mêmes dans le logement situé au rez-de-chaussée. Le logement du rez-de-chaussée est mieux adapté pour accueillir leur famille composée de deux adultes et deux enfants, alors que celui de l’étage convient parfaitement aux parents du locateur.
[8] Les parents du locateur, Francine Rizzoli et Brian Lacombe, corroborent le témoignage des locateurs et confirment qu’ils souhaitent habiter le logement des locataires, si la reprise de celui-ci leur est accordée.
[9] Ils ajoutent que si les locateurs n’avaient pu faire l’acquisition de l’immeuble, ils l’auraient eux-mêmes acheté afin de pouvoir réaliser leur projet de vivre ensemble.
[10] Francine Rizzoli précise qu’elle garde souvent les enfants de son fils et vivre à proximité d’eux sera plus pratique. Par ailleurs, son mari étant souvent appelé à travailler à l’extérieur de la ville, elle se sentira plus en sécurité près des siens.
[11] Le locataire présent conteste la reprise de son logement et croit que les locateurs usent d’un prétexte pour obtenir son éviction des lieux alors qu’ils ne s’entendent pas bien avec les parents du locateur.
[12] En l’espèce, le locataire présent ne soulève que des doutes et appréhensions, lesquels ne permettent pas au tribunal de conclure à la mauvaise foi des locateurs.
[13] Les locateurs répliquent qu’ils ne connaissent pas les locataires et veulent réellement reprendre le logement concerné pour y loger leurs parents dans la réalisation de leur projet familial.
[14] Tel que l'écrivait Me Bisson dans l'affaire Dagostino c. Sabourin[1], en matière de reprise de logement, deux droits importants se rencontrent et s'opposent : d'une part le droit du propriétaire d'un bien de jouir de ce dernier comme bon lui semble et, d'autre part, le droit des locataires au maintien dans les lieux loués. C'est pour protéger ce droit des locataires que le législateur impose des conditions aux locateurs.
[15] En l'espèce, le tribunal considère que les locateurs respectent les exigences de la loi quant à la reprise du logement et il est satisfait qu’ils désirent bien le logement pour y loger les parents du locateur.
[16] Ainsi, puisqu'il juge indiqué d'autoriser la reprise du logement concerné, le tribunal est d'opinion qu'il y a lieu d'examiner les circonstances propres aux locataires, en regard des termes de l'article 1967 du Code civil du Québec.
[17] Cet article se lit comme suit :
1967. Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement.
[18] Dans l'affaire Boulay c. Tremblay[2], le juge Lachapelle précise la nature de l'indemnité applicable en matière de reprise de logement de la façon suivante :
«Dans les cas d'éviction du locataire pour subdivision du logement ou changement d'affectation, le législateur a prévu une indemnité de trois mois de loyer et des frais de déménagement et même une somme supérieure si le locataire le justifie. (Art. 1660.4 C.c.) Cependant, en matière d'éviction pour reprise de possession, le législateur n'a déterminé aucune indemnité précise. Il laisse au Tribunal le soin de fixer les conditions justes et raisonnables et notamment l'indemnité de déménagement.
Pierre-Gabriel Jobin conclut à l'examen des dispositions de l'article 1659.7 :
«... Il serait sage d'indemniser le locataire victime d'une reprise de possession; celui-ci devrait avoir droit à l'indemnité, sauf quand son déménagement n'est pas provoqué en réalité, par la reprise de possession, mais qu'il obéit à d'autres préoccupations personnelles du locataire.»
Le juge aux termes de l'article 1659.7 a donc discrétion pour fixer les conditions justes et raisonnables et le montant de l'indemnité. Comme le signale le juge Pigeon, lorsque le juge a une telle discrétion, il «doit en user «judiciairement», ce qui signifie qu'il doit le faire pour un motif valable.» (Rédaction et interprétation des lois, Éditeur Officiel du Québec, Québec, 1965-1978, p. 30)
Ainsi il doit justifier tout autant son refus d'accorder que de ne pas accorder une indemnité de déménagement de même que des conditions justes et raisonnables. Il doit prendre sérieusement en compte la demande du locataire et contrairement à ce que certains prétendent, ne refuser cette demande qu'exceptionnellement.
Il convient ici de rappeler que la reprise de possession est une exception au droit du maintien dans les lieux du locataire et qu'elle est provoquée par le locateur. Il est en conséquence légitime que le locataire se voit indemniser pour les dépenses et les inconvénients qu'il a subis. Ce droit est cependant balisé par le droit du locateur de disposer de ses biens et par conséquent, de son droit à la reprise de possession. Si le Tribunal a discrétion pour déterminer le montant, il doit tenir compte de ce droit du locateur et ne peut certes pas condamner aux dommages-intérêts qui découlent d'une reprise de possession abusive.»
[19] L'article 1659.7 du Code civil du Bas-Canada est remplacé depuis le 1er janvier 1994 par l'article 1967 du Code civil du Québec. Cette nouvelle disposition est de même nature et a la même portée que l'ancienne.
[20] Le tribunal partage l'opinion du juge Lachapelle et, comme lui, il croit que les locataires ont le droit de se voir compenser pour les dépenses et les inconvénients occasionnés par ce déménagement forcé.
[21] Partant, compte tenu des circonstances dont a témoigné le locataire présent, le tribunal estime que l'octroi d'une indemnité de l'ordre de 1 000 $ est juste et raisonnable pour compenser les locataires pour les frais d'un déménagement et pour tous les troubles et inconvénients y afférents.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[22] AUTORISE les locateurs à reprendre le logement concerné à compter du 1er décembre 2017 pour y loger Francine Rizzoli et Brian Lacombe;
[23] ORDONNE l'éviction des locataires à compter du 1er décembre 2017;
[24] CONDAMNE les locateurs à payer aux locataires la somme de 1 000 $, au plus tard le 30 novembre 2017;
[25] Les locateurs assument les frais de leur demande.
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Claudine Novello |
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Présence(s) : |
les locateurs le locataire le mandataire de la locataire |
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Date de l’audience : |
7 août 2017 |
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AVIS :
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