Décision

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Décision

Tcheutchoua Peughouia c. Marquez Vilo

2020 QCTAL 5979

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

458077 31 20190501 G

No demande :

2751449

 

 

Date :

29 octobre 2020

Devant la juge administrative :

Pascale McLean

 

Jacky Tcheutchoua Peughouia

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Nelly Marquez Vilo

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Par une demande introduite le 1er mai 2019, la locatrice demande la résiliation du bail et l'expulsion de la locataire, en plus d’une somme de 1 400 $ à titre de dommages matériels. Puis, elle demande l’accès au logement pour exécuter des travaux et une ordonnance afin que la locataire se comporte de manière à ne pas troubler la jouissance des autres locataires et de la locatrice ou ses représentants.

[2]      Les parties sont liées par un bail annuel depuis le 1er juillet 2011, reconduit d’année en année jusqu’au 30 juin 2021, au loyer mensuel de 567,50 $ payable le premier jour de chaque mois.

[3]      Au soutien de sa demande en résiliation de bail, la locatrice allègue que la locataire a un comportement irrespectueux et agressif envers les représentants de la locatrice et les ouvriers et elle ne respecte pas l’entente rendue exécutoire suivant la décision du 22 mars 2019.

[4]      Quant à la somme de 1 400 $, elle est réclamée pour le bris d’un téléphone cellulaire par la locataire.

[5]      Le procureur de la locataire plaide, à titre de moyen préliminaire, le manque de compétence du Tribunal sur la réclamation de 1 400 $ et sur la demande en résiliation de bail, puisque ces événements sont de nature extracontractuelle. L’objection a été prise sous réserve afin de prendre connaissance des faits qui entourent cette demande.

Preuve de la locatrice

[6]      Seule Penka Peughouia Valette est présente pour témoigner. Elle explique que différents membres de la famille veillent au bon entretien de l’immeuble et à la perception des loyers.


[7]      Elle témoigne que la veille de l’audience, la locataire a été reconnue coupable d’une agression à l’égard de sa sœur, laquelle est survenue le 22 mars 2019 alors que cette dernière était présente pour effectuer des travaux dans le logement de la locataire.

[8]      Lors de cette altercation, la locataire a brisé le téléphone cellulaire de la locatrice. La somme de 1 400 $ est ainsi réclamée afin de le remplacer.

[9]      Penka Peughouia Valette affirme avoir été agressée elle-même par la locataire il y a trois ou quatre ans. La locataire voulait récupérer l’argent du loyer qu’elle venait de lui remettre. La représentante de la locatrice avait des marques de griffes sur le corps. Elle a appelé les policiers, mais n’a pas porté plainte, dit-elle.

[10]   Par conséquent, elle explique qu’il est difficile pour les membres de sa famille de faire leur devoir de locateurs. Il n’est pas possible de faire les travaux parce qu’elle est agressive. L’entrepreneur ne veut plus faire les travaux chez elle. La locataire ne coopère pas. Tout ce qui est demandé est qu’elle soit respectueuse des usagers de l’immeuble.

[11]   Elle ajoute que la locataire ne permet pas l’accès au logement, malgré un préavis de 48 heures.

[12]   Questionnée sur les préavis remis à la locataire pour les travaux à effectuer, elle répond que les préavis donnés sont verbaux. Aucun n’a été donné par écrit.

Preuve de la locataire

[13]   La locataire habite l’immeuble depuis près de dix ans.

[14]   D’emblée, elle admet avoir été déclarée coupable de méfait le 14 octobre 2020. Elle dépose l’ordonnance de probation qui prévoit, entre autres, qu’elle ne peut communiquer ou tenter de communiquer, directement ou indirectement, avec Mbogoum Peughouia Christophie Jouanie, sauf dans le cadre d’un litige devant ce Tribunal et qu’elle doit rembourser la somme de 300 $ à Mbogoum Peughouia Christophie Jouanie dans un délai d’un an.

[15]   Elle explique que le 31 mars 2019, Mbogoum Peughouia Christophie Jouanie se présente à son logement avec un entrepreneur pour effectuer des travaux. Madame Peughouia ne cesse de filmer son logement sans son accord. Une altercation s’en est suivie.

[16]   Quant à l’altercation survenue avec Penka Peughouia Valette, elle explique avoir payé le loyer en argent comptant. Madame Peughouia refuse de lui faire un reçu. Une mésentente s’en suit puisque la locataire ne veut pas remettre l’argent du loyer sans avoir une preuve de paiement.

[17]   Puis, elle affirme qu’une entente est intervenue le 22 mars 2019, dans laquelle il est prévu que la locatrice doit effectuer plusieurs travaux à son logement. Elle n’a reçu aucun préavis pour des travaux à effectuer depuis le 31 mars 2019. En date de l’audience, les travaux ne sont toujours pas faits, malgré les demandes répétées. Elle ne voit pas pourquoi il y aurait une ordonnance contre elle afin qu’elle donne accès au logement, quand on ne lui a pas demandé cet accès depuis plus d’un an.

Question en litige

[18]   Le Tribunal a-t-il compétence pour entendre la demande de résiliation de bail et la réclamation de 1 400 $ en dommages-intérêts?

[19]   Dans l’affirmative, la locataire contrevient-elle à ses obligations contractuelles et la locatrice en subit-elle un préjudice sérieux?

Compétence du Tribunal

[20]   Dans l’affaire 9179-0212 Québec inc. c. Ladouceur[1], la juge administrative Marie-Louisa Santirosi fait une revue de la jurisprudence en lien avec la compétence du tribunal, lorsque certains faits de nature délictuelle sont mis en lumière pour obtenir une résiliation de bail. Elle écrit :

« [70] En d'autres termes, la conduite d'une partie doit être analysée en la replaçant en contexte pour déterminer si elle constitue une entorse à une obligation contractuelle. Si la réponse est oui, et qu'elle découle d'un abus de droit contractuel, la responsabilité tire alors sa source du bail. Si la faute cause un préjudice sérieux au cocontractant, en l'occurrence le propriétaire, le bail pourra être résilié par le tribunal de la Régie du logement.


[71] Il peut arriver dans cette perspective qu'il y ait chevauchement d'une faute délictuelle et contractuelle puisque la composante extracontractuelle (le comportement) doit être analysée en la ramenant à son contexte factuel. »

[21]   La soussignée retient, de plus, les propos de la juge administrative Francine Jodoin dans l’affaire Charbonneau (Succession de Bertrand Charbonneau) c. Simard[2] lorsqu’elle énonce :

« [43] Ceci étant dit, quant aux comportements de la locataire à l'égard de la locatrice, de ses mandataires ou de ses employés, le professeur Jobin écrit :

« On observera que, strictement parlant, les insultes, les calomnies et les agressions ne constituent pas autant de violations du contrat de louage lui-même, mais des fautes extracontractuelles commises à l'occasion du contrat : elles ne devraient donc jamais conduire à la résiliation du bail, mais uniquement, au plan extracontractuel, à des dommages-intérêts et à l'injonction ou l'ordonnance. » (4)

[44] En certaines circonstances, le Tribunal pourra considérer les agissements d'un locataire à l'égard du locateur ou de ses employés lorsqu'il exerce ses droits de façon excessive et déraisonnable. Le Tribunal estime que la preuve soumise ne démontre pas de contravention aux obligations découlant de l'exécution du contrat de bail qui puisse justifier la résiliation du bail(5). » (références omises)

[22]   En l’instance, le Tribunal considère avoir compétence sur la demande en résiliation de bail, puisqu’elle ne repose pas uniquement sur le méfait, mais sur les agissements de la locataire liés à l’exercice de ses droits dans la relation contractuelle des parties.

[23]   Toutefois, l’objection sur la réclamation de 1 400 $ en dommages-intérêts sera maintenue. Cette demande porte exclusivement sur le lien délictuel entre les parties. De plus, la Cour municipale a prévu un remboursement de 300 $ à la victime, dans le cadre de l’ordonnance de probation.

Analyse et décision

[24]   D’entrée de jeu, il est pertinent de rappeler que selon les dispositions des articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec, il revient à la partie demanderesse de faire la preuve des faits allégués dans sa demande, et ce, de façon prépondérante, la force probante du témoignage et des éléments de preuve étant laissée à l'appréciation du Tribunal.

[25]   Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée.

[26]   En l’instance, pour faire droit à la demande de résiliation de bail de la locatrice, cette dernière doit établir un manquement de la locataire à ses obligations en vertu du bail et le préjudice sérieux qui en découle.

[27]   À cet effet, les articles 1860 et 1863 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoient :

« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.

Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.

Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »


[28]   La juge administrative Francine Jodoin, dans l’affaire Charbonneau (Succession de Bertrand Charbonneau) c. Simard[3], prévoit à ce sujet :

« [32] Lorsque les plaintes proviennent du propriétaire occupant, les règles mentionnées ci-haut s'appliquent généralement par analogie. Même si monsieur Charbonneau n'est pas locataire de l'immeuble, le Tribunal l'assimile comme tel, à titre de représentant de la locatrice (2) qui vit dans l'immeuble.

[33] Si on envisage le recours sous l'angle du trouble de jouissance, pour donner ouverture à la résiliation du bail, la preuve doit révéler une série de faits établissant des inconvénients anormaux ou excessifs qui présentent un caractère de persistance ou de répétition; le locataire auteur du trouble doit avoir agi de façon illégitime ou fautive; il faut aussi prouver la dénonciation du trouble au locataire et sa persistance par la suite (3).

[34] En cette matière, le Tribunal ne peut fonder son appréciation sur des considérations subjectives et doit chercher à déterminer, si les locataires plaignants vivent une situation qui par sa répétition, insistance et ampleur constitue une atteinte grave, excessive ou déraisonnable justifiant la résiliation du bail. Cette analyse doit se fonder sur des critères objectifs et probants. Ce qui est incommodant pour certains peut ne pas l'être pour d'autres et ainsi, le tribunal est appelé à se prononcer uniquement sur une situation extraordinaire et inhabituelle. »

[29]   Le Tribunal rappelle qu’il sanctionne par la résiliation du bail seulement dans les cas où la preuve révèle une série de faits établissant des inconvénients anormaux ou excessifs qui présentent un caractère de persistance ou de répétition et qui constitue une atteinte grave, excessive ou déraisonnable.

[30]   En l’instance, la locatrice reproche à la locataire son caractère agressif qui l’empêche d’effectuer les travaux dans son logement et qui rend difficile l’exercice de son devoir de locateur. Elle appuie cette affirmation sur les événements du 31 mars 2019, qui ont conduit à la condamnation criminelle pour méfait et sur un autre incident où la locataire l’a agressée, il y a trois ou quatre ans.

[31]   Elle ajoute que la locataire trouble la jouissance des autres locataires et qu’elle ne coopère pas lorsque vient le temps d’effectuer les travaux.

[32]   La locatrice demande aussi la résiliation de bail puisque la locataire ne respecte pas l’entente entérinée le 22 mars 2019. Or, cette entente fait suite à un recours introduit par la locataire en exécution de travaux, en diminution de loyer et en dommages-intérêts. L’entente prévoit plusieurs engagements de la locatrice envers la locataire et non l’inverse.

[33]   À ce sujet, la locatrice affirme que la locataire ne permet pas l’accès au logement, ce qui est nié par la locataire. Aucune preuve n’est soumise pour corroborer ces dires. La locatrice témoigne de préavis donnés verbalement.

[34]   Après analyse de la preuve, le Tribunal en vient à la conclusion que la locatrice n’a pas fait la preuve, selon la balance des probabilités, des manquements de la locataire et que ceux-ci lui causent un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail.

[35]   En ce sens, le témoignage de Penka Peughouia Valette est vague et imprécis sur la fréquence et l’ampleur des dérangements. Il est contredit par le témoignage de la locataire et non corroboré par une preuve documentaire ou testimoniale. Aucune dénonciation des différents problèmes allégués n’est déposée en preuve. Devant une telle faiblesse de la preuve, le Tribunal ne peut que rejeter la demande en résiliation de bail.

[36]   Quant à la demande d’une ordonnance contre la locataire afin qu’elle donne accès au logement, elle sera rejetée. La locatrice n’a pas fait la preuve de la remise d’un préavis à la locataire pour procéder aux travaux, selon la balance des probabilités. Ainsi, elle n’a pas fait la preuve d’un refus d’accès au logement de la locataire.

[37]   Finalement, la locatrice demande une ordonnance afin que la locataire cesse de se comporter de manière à troubler la jouissance des autres locataires. Or, aucune preuve n’est présentée pour démontrer une telle perte de jouissance des lieux par d’autres locataires.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[38]   REJETTE la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Pascale McLean

 

Présence(s) :

le mandataire de la locatrice

la locataire

Me Daniel Crespo-Villarreal, avocat de la locataire

Date de l’audience :  

15 octobre 2020

 

 

 


 



[1] R.D.L., 2019-08-26, 2019 QCRDL 27902.

[2] R.D.L., 2020-07-08, 2020 QCRDL 12804.

[3] R.D.L., 2020-07-08, 2020 QCRDL 12804.

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