Décision

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Décision

Garon c. Stathopoulos

2021 QCTAL 27861

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

584976 31 20210823 G

No demande :

3326775

 

 

Date :

03 novembre 2021

Devant la juge administrative :

Suzanne Guévremont

 

Marie-Michelle Garon

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Vivian Stathopoulos

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      La locataire a produit une demande afin que le tribunal statue sur le motif de refus de la cession par la locatrice. Elle demande aussi l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel et la condamnation de la locatrice au paiement des frais.

[2]      De son côté, la locatrice prétend avoir refusé à bon droit la cession du logement.

[3]      Pour trancher le litige, le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :

1.    La locatrice peut-elle refuser la cession du bail en raison de travaux à faire dans le logement?

2.    Peut-elle invoquer d’autres raisons au-delà du délai de réponse prévu dans la loi?

3.    Sinon, la cession du bail en faveur de Stéphane Rompré est-elle valide?

[4]      Le Tribunal a bien pris note de l’ensemble des témoignages et de la preuve administrée devant lui, mais il ne sera fait mention dans la présente décision que des éléments pertinents retenus pour fonder celle-ci.

CONTEXTE ET PREUVES

[5]      Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021 au loyer mensuel de 1 035 $. Le bail est reconduit jusqu'au 30 juin 2022 au loyer mensuel de 1 350 $.

[6]      La preuve soumise révèle que le 6 août 2021, un avis de cession du bail est transmis et reçu par la locatrice, conformément à l'article 1870 du Code civil du Québec.

[7]      L'avis mentionne le nom et les coordonnées du cessionnaire proposé, monsieur Stéphane Rompré et la date de la prise d’effet de la cession, le 1er septembre 2021.

[8]      Le 13 août 2021, la locatrice répond par écrit qu’elle refuse de consentir à la cession du bail parce qu’elle souhaite terminer des travaux dans le logement.


[9]      Cette réponse parvient à la locataire le 20 août 2021. Trois jours plus tard, elle introduit le présent recours, considérant qu’il ne s'agit pas d'un motif valable de refus d'une cession de bail.

[10]   À l’audience, la locatrice invoque deux raisons supplémentaires pour empêcher la cession.

[11]   D’abord, elle prétend que la locataire a dissimulé au cessionnaire la demande en dommages introduite contre elle à la Cour supérieure, le 14 juin 2021.[1] Selon la locatrice, le simple constat d’une déclaration mensongère ou incomplète dans le contrat de cession liant la cédante et le cessionnaire est, en soi, un motif pour la refuser.

[12]   Ensuite, la locatrice blâme la locataire pour lui avoir caché le fait qu’il existe trois décisions de la Régie du logement qui concernent une personne portant le nom du candidat cessionnaire. Selon la locatrice, la locataire avait l’obligation de l’en informer.

[13]   Chaque partie dépose, au gré de son témoignage, divers documents servant à l’appuyer.

[14]   La locataire produit l’avis de cession (L-1), le rapport d’enquête de crédit prouvant que le cessionnaire est solvable et sans antécédents criminels (L-2), trois décisions de la Régie du logement qui concernent des locataires portant le même nom que le cessionnaire, mais qui ne sont pas lui, précise-t-elle (L-3), le contrat de cession de bail (L-4), la réponse de la locatrice, voulant qu’elle refuse la cession (L-5) et ses preuves de notification de la demande et de l’amendement (L-6 et L-7).

[15]   Quant à la locatrice, elle dépose un exemplaire du recours en dommages introduit le 14 juin 2021 à la Cour supérieure de Montréal (P-1).

ANALYSE ET DÉCISION

[16]   Les articles 1870 et 1871 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoient les règles édictées en matière de cession du bail pour chaque partie.

[17]   Ces dispositions sont impératives, car elles sont d'ordre public, selon l'article 1893 C.c.Q.

[18]   La cession débute par l'envoi au préalable, par la locataire, d'un avis d'intention de céder son bail conformément à l'article 1870 C.c.Q. Cet article se lit comme suit :

« 1870. Le locataire peut sous-louer tout ou partie du bien loué ou céder le bail. Il est alors tenu d'aviser le locateur de son intention, de lui indiquer le nom et l'adresse de la personne à qui il entend sous-louer le bien ou céder le bail et d'obtenir le consentement du locateur à la sous-location ou à la cession. »

[19]   Une fois l’avis reçu par la locatrice, la loi prévoit qu’elle ne peut refuser de consentir à la cession que pour un motif sérieux, tel que l'indique l'article 1871 C.c.Q. :

« 1871. Le locateur ne peut refuser de consentir à la sous-location du bien ou à la cession du bail sans un motif sérieux.

Lorsqu'il refuse, le locateur est tenu d'indiquer au locataire, dans les 15 jours de la réception de l'avis, les motifs de son refus; s'il omet de le faire, il est réputé avoir consenti. »

[20]   Qu’en est-il en l’instance?

[21]   Suivant la preuve, la locataire donne à la locatrice un avis de cession dont le contenu est conforme à l’article 1870 C.c.Q. puisqu’il mentionne le nom et l’adresse du candidat.

[22]   De sa propre initiative, sans que la loi ne l’y oblige, la locataire transmet également à la locatrice le résultat d’une enquête de crédit démontrant la solvabilité du cessionnaire et l’absence d’antécédents criminelles en ce qui le concerne.

[23]   Conformément à la jurisprudence, les motifs de la locatrice doivent être fondés sur la qualité même du cessionnaire, soit sur la capacité de payer du cessionnaire, son insolvabilité ou son défaut de se conformer aux obligations résultant du bail.

[24]   Or le 13 août 2021, la locatrice refuse la cession du bail pour un motif qui ne concerne nullement le candidat proposé.  Elle n’enquête pas sur lui ou, si elle le fait, elle n’en parle pas dans la réponse qu’elle transmet à la locataire.

[25]   Son refus, le 13 août 2021, parle de lui-même. Il repose uniquement sur son intention de terminer des travaux dans le logement.


[26]   Ce motif, à lui seul, ne peut pas faire échec à la cession du bail de la locataire.

[27]   En effet, la cession du bail ne prive pas la locatrice de son droit d’exécuter des travaux dans le logement. Elle l’oblige toutefois à respecter la loi en pareille circonstance.

[28]   Décider autrement équivaut à permettre à la locatrice de se soustraire aux règles d’ordre public en louage résidentiel, notamment le droit conféré à tout locataire, quel qu’il soit, à céder son bail plutôt que de le résilier et ce, pour « en assurer et en garantir la survie et la continuité ».

[29]   Cette formule n’est pas nouvelle. Elle est empruntée à un extrait souvent cité en jurisprudence, tiré de la cause Grégorio c. Bédard[2] où le locateur s’opposait à la cession, mais acceptait de résilier le bail. Les propos du régisseur sont les suivants :

« Je suis d’avis que la cession tend à assurer et à garantir la survie et la continuité du bail. L’offre d’y mettre fin est à contre-courant de toute la législation en matière de bail résidentiel. Elle va à l’encontre de l’esprit et de la lettre des textes pertinents du Code civil du Québec. La considérer bonne et valable permettrait au locateur de dénier et de faire échec sans motif sérieux au droit de la locataire.  Pourtant, les textes lui accordent clairement et sans ambiguïté ce droit à la cession de bail.

Il est faux de prétendre, et je le dis avec respect, qu’en cédant son bail, un locataire ne cherche qu’à se dégager de ses obligations. Il peut arriver qu’un locataire cède son bail pour vendre au cessionnaire les meubles garnissant sa résidence, le faire profiter des travaux de décoration effectués dans le logement ou, plus simplement, vouloir favoriser un parent ou un ami.  Il peut exister des tas d’autres raisons qui fassent qu’un locataire tire lui-même profit ou procure à quelqu’un d’autre un avantage en cédant son bail. Ce faisant, il ne lèse pas le locateur. »

[30]   En somme, la locatrice fait fausse route lorsqu’elle plaide pouvoir refuser la cession du bail uniquement parce qu’elle veut exécuter des travaux dans le logement. Le cessionnaire, le cas échéant, possède les mêmes droits que ceux appartenant à la locataire, rien de plus.

[31]   Cela-dit, la locatrice peut-elle invoquer d’autres raisons au-delà du délai de réponse prévu dans la loi?

[32]   Ici aussi, le Tribunal répond par la négative.

[33]   Pour décider de la validité d’un refus, le Tribunal doit s’en tenir au motif mentionné par la locatrice dans son avis et non aux motifs qu’elle invoque ultérieurement à l’audience, pour tenter de bonifier son avis.

[34]   En effet, la jurisprudence refuse de considérer des motifs différents donnés après coup, puisque l’article 1871 C.c.Q. implique que le locateur doit, dans le délai imparti, transmettre au locataire, l'ensemble des motifs justifiant son refus.[3]

[35]   Finalement, comme l'indique le juge André Renaud, de la Cour du Québec, dans l'affaire Féral c. Tomov rendue le 17 novembre 2003[4], lequel cite avec approbation l'analyse du juge Jacques Désormeaux dans l'affaire Carignan c. Dubreuil rendue le 20 novembre 2001 :

« La sanction du refus injustifié du propriétaire à la cession en entraîne la validité... ».

[36]   Ainsi, la cession du bail en faveur de Stéphane Rompré est donc valide et opposable à la locatrice.

[37]   L’exécution provisoire de présente décision n’est pas justifiée aux termes de l’article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[38]   ACCUEILLE partiellement la demande;

[39]   DÉCLARE non fondé le motif de refus de la locatrice de consentir à la cession du bail et, par conséquent,


[40]   DÉCLARE la cession de bail en faveur de Stéphane Rompré valide et opposable à la locatrice;

[41]   CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire les frais de justice de 79 $ et de notification de 9,75 $;

[42]   REJETTE la demande quant au surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Suzanne Guévremont

 

Présence(s) :

la locataire

la locatrice

Me David Ghavitian, avocat de la locatrice

Date de l’audience :  

8 octobre 2021

 

 

 


 



[1] Pièce P-1.

[2] R.L. Montréal, 31-950313-014 G, le 18 mai 1995, r. Bernard.

[3] Dudarev c. Voutieros, R.L. Montréal, 31-020626-061, 8 juillet 2002, r. Jodoin; Lire aussi Mota c. Bouhalfaya, R.L. Montréal, 31-050519-156G,13 octobre 2005; permission d’appel rejetée dans Dakirellah c. Mota, C.Q. 500-80-005467-056, 2 décembre 2005; Dick c. Cloutier 2014 QCRDL 606.

[4] (500-80-001958-033).

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