Coro-Rubio c. Paduano | 2022 QCTAL 13763 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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Nos dossiers : | 462142 31 20190523 G 504630 31 20200130 G | Nos demandes : | 2767117 2945200 | |||
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Date : | 13 mai 2022 | |||||
Devant la juge administrative : | Lise Gélinas | |||||
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Sergio Coro-Rubio |
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Locataire - Partie demanderesse (462142 31 20190523 G) Partie défenderesse (504630 31 20200130 G) | ||||||
c. | ||||||
Giuseppina Paduano |
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Locateur - Partie défenderesse (462142 31 20190523 G) Partie demanderesse (504630 31 20200130 G) | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le Tribunal est saisi de deux dossiers réunis.
Dossier 462142
[2] Par une demande introduite le 23 mai 2019, le locataire demande la restitution d’une somme d’argent, des dommages moraux pour troubles et inconvénients, le tout avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article
Dossier 504630
[3] Par une demande introduite le 30 janvier 2020, la locatrice demande des dommages-intérêts et des dommages moraux, le tout avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[4] Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018 au loyer mensuel de 450 $, renouvelé au 30 juin 2019, au loyer mensuel de 460 $. Il s’agit d’un immeuble de type triplex. Le locataire habite au sous-sol et la locatrice au rez-de-chaussée.
[5] Le Tribunal a bien pris note de l’ensemble des témoignages et de la preuve administrée devant lui, mais il ne sera fait mention dans la présente décision que des éléments pertinents retenus pour fonder celle-ci.
Réclamations du locataire
[6] Le locataire réclame 950 $, soit 450 $ pour le dépôt du premier mois de loyer lors de la signature du bail en 2017 et 500 $ à titre de dépôt en cas de bris matériels à l’hiver 2017-2018. Il réclame également 2 000 $ à titre de dommages moraux pour troubles et inconvénients causés par la locatrice.
[7] Lors de la signature du bail, le locataire remet 450 $ à la locatrice, soit l’équivalent du premier mois de loyer. Le locataire témoigne avoir remis tous les chèques des 24 mois de loyers occupés par lui du 1er juillet 2017 au 30 juin 2019, ce qui est admis par la locatrice. Or, selon le locataire, ce 450 $ n’a jamais été appliqué en paiement du premier mois de loyer ni ne lui a été remis, malgré sa demande, par la locatrice.
[8] Le locataire témoigne effectuer de menus travaux de soudure dans son logement, mais, dit-il, pas de nature commerciale.
[9] Au mois d’octobre 2017, un incident se produit lorsque le locataire cuisine des frites. Selon le locataire, il n’y a pas de feu, seule l’huile dans le chaudron fume et produit de la boucane noire qui monte au plafond. Le locataire témoigne qu’il a bien nettoyé et repeint le plafond.
[10] La locatrice, insatisfaite du résultat, allègue devoir nettoyer de nouveau et repeindre pour éliminer les traces de boucane noire. Selon le témoignage de la locatrice, il reste un cerne gris au plafond, ce qui est nié par le locataire.
[11] Le locataire témoigne séjourner à l’extérieur du pays pendant l’hiver 2017-2018 et précise ne pas sous-louer son logement, mais laisser accès à une amie, Angelica, pendant son absence.
[12] D’ailleurs, les parties conviennent qu’Angelica occupera le logement pendant l’absence du locataire du 15 novembre 2018 au mois de mai 2019. Or, cette occupation sera conditionnelle au dépôt de 500 $ en cas de bris dans le logement.[1]
[13] Le locataire témoigne que la locatrice entre dans son logement pendant son absence, sans préavis ni consentement. Le locataire dit s’en rendre compte, car ses affaires personnelles sont déplacées et des avis écrits de la locatrice sont déposés sur sa table de cuisine.
[14] Il allègue que la locatrice est entrée dans son logement en son absence et, insatisfaite de la température ambiante, elle augmente le chauffage, lui créant ainsi une dépense supplémentaire d’électricité.[2]
[15] Le locataire réclame également des dommages moraux pour troubles et inconvénients pendant l’occupation de son logement. Il allègue plusieurs commentaires et dérangements par la locatrice, tels des avertissements écrits laissés dans son logement en son absence et des doléances pour l’usage dont il fait de son logement.
[16] Or, au mois de mai 2019, les parties conviennent de résilier le bail au 30 juin 2019. Le locataire réclame son dépôt de 450 $ remis lors de la conclusion du bail et le dépôt de 500 $ remis en novembre 2017.[3]
[17] La locatrice refuse de lui remettre ces montants, et ce, selon le locataire, pour plusieurs raisons, infondées.[4] La locatrice allègue la sous-location non autorisée à l’hiver 2017-2018, les dommages causés au logement par l’humidité excessive causée par le surpeuplement lors de cette période et les heures de travail pour nettoyer et remettre le logement en bon état après le départ du locataire.
Réclamations de la locatrice
[18] La locatrice réclame 2 500 $, dont 700 $ pour l’augmentation annuelle pour ses assurances habitation, une franchise de 1 000 $ assumée à la suite d’une réclamation en dommages, 350 $ pour l’achat de matériel et 450 $ pour main-d’œuvre.
[19] La locatrice témoigne que le locataire n’use pas du bien avec prudence et diligence, rendant son logement en mauvais état d’habitabilité et malpropre.
[20] Selon le témoignage de la locatrice, vu le mauvais usage des lieux par le locataire, ce dernier met le feu dans la cuisine de son logement, occasionnant plusieurs dommages au logement.
[21] Toutefois, le locataire n’ayant pas d’assurances habitation, la locatrice réclame les dommages auprès de ses assureurs. Selon la locatrice, des dommages à la hauteur de 4 000 $ sont causés par l’imprudence du locataire, plus la franchise de 1 000 $.
[22] Selon la locatrice, les réclamations lui occasionnent un changement d’assureurs[5] et une hausse supplémentaire de 700 $ pour sa nouvelle prime annuelle d’assurances.
[23] La locatrice réclame également 604,44 $, soit 154,44 $[6] pour le coût de la peinture spéciale pour éliminer le cerne au plafond de la cuisine et 450 $ pour les heures travaillées pour remettre le logement en bon état d’habitabilité. Selon la locatrice, malgré le nettoyage et l’application d’une peinture spéciale, le cerne de fumée reste imprégné au plafond de la cuisine.
[24] La locatrice soumet que le locataire sous-loue son logement sans son accord lors de son séjour à l’extérieur du pays à l’hiver 2017-2018, soit du 15 novembre 2017 au mois d’avril 2018, ce qui est nié par le locataire.[7]
[25] Elle témoigne que la locataire occupant ledit logement pendant l’absence du locataire accueille un nombre trop élevé de personnes dans le logement, ce qui, selon la locatrice, occasionne une humidité excessive et des dommages au logement.
[26] De plus, la locatrice allègue l’exploitation d’un commerce de soudure par le locataire dans son logement. Le locataire nie la commercialité de son activité de soudure.
[27] La locatrice refuse de mettre le 950 $ alléguant plusieurs dommages causés au logement.
[28] Tel se résume l’essentiel de la preuve.
ANALYSE ET DISCUSSION
[29] Le Tribunal juge opportun de rappeler les articles
[30] La force probante de la preuve testimoniale est laissée à l'appréciation du Tribunal, qui, pour ce faire, évalue la crédibilité des témoignages à la lumière de la chronologie des événements, de ce qui apparaît de la motivation des parties à agir et de la corroboration des allégations par d'autres témoignages notamment.
[31] Si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le Tribunal est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, la partie demanderesse perdra[8].
[32] Comme le soulignent les auteurs Nadeau et Ducharme dans leur Traité de droit civil du Québec :
« Celui sur qui repose l'obligation de convaincre le juge supporte le risque de l'absence de preuve, c'est-à-dire qu'il perdra son procès si la preuve qu'il a offerte n'est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve offerte de part et d'autre est contradictoire et que le juge est placé dans l'impossibilité de déterminer où se trouve la vérité. »[9]
Dommages moraux
[33] Les dommages moraux visent à compenser le stress, les inquiétudes, la fatigue et les troubles et inconvénients de toutes sortes qu'ont pu éprouver les locataires. Ces dommages sont difficiles à évaluer contrairement aux dommages pécuniaires, qui sont plus aisément quantifiables en raison de leur caractère objectif.
[34] Les dommages moraux ne peuvent se présumer et doivent être prouvés selon les règles de prépondérance. En effet, « le dommage ne se présume jamais; il doit être prouvé selon les règles ordinaires de prépondérance »[10].
[35] Tel que le mentionne le Tribunal dans l'affaire Obadia c. 3008380 Canada inc.[11], l'évaluation des dommages moraux demeure un défi :
« L'évaluation de tels dommages demeure un défi important car, sans nécessairement en laisser le quantum à la discrétion du tribunal, la jurisprudence a établi des balises vastes et larges, pour en arriver finalement à donner comme règle que ces pertes non pécuniaires doivent être équitables et raisonnables. Ainsi, le juge Dickson écrivait que cette indemnité diffère qualitativement de l'indemnisation des pertes pécuniaires puisqu'il s'agit d'un exercice davantage philosophique et social que juridique ou logique (Andrews c. Grand & Toys Alberta Ltd
[36] En l'instance, le Tribunal est d’avis que tant le locataire que la locatrice n’ont pas rempli leur fardeau de preuve à cet égard. Le Tribunal rejette les demandes en dommages moraux de chacune des parties.
Restitution d’une somme et dommages-intérêts matériels
[38] En ce qui concerne la franchise de 1 000 $ et l’augmentation de 700 $ de la prime annuelle, le Tribunal note que le refus de l’assureur de renouveler ladite police d’assurances habitation à échoir le 1er juin 2018 est justifié par le nombre de réclamations effectuées par locatrice dans les trois années précédentes[12].
[39] Ainsi, vu la preuve prépondérante insuffisante relativement à la démonstration du lien direct entre le dommage et la faute du locataire, le Tribunal rejette la réclamation de 1 700 $.
[40] Ainsi, même si le locataire accepte de verser une somme de 500 $ pour de potentiels dommages au logement pendant son absence à l’hiver 2017-2018, le Tribunal estime que la locatrice n’a pas démontré, par preuve prépondérante, des dommages causés au logement en son absence. La réclamation de cette somme est donc injustifiée.
[41] Pour obtenir gain de cause dans son recours en dommages-intérêts matériels, la locatrice doit démontrer la commission d’une faute par le locataire et faire la preuve des dommages qu'elle a subis. Elle doit également démontrer que les dommages découlent directement de la faute du locataire[13].
[42] Certes, la locatrice a dépensé des sommes pour remettre le logement en état de relocation et le rafraichir, mais cela lui incombe lors du départ d’un locataire.
[43] Ainsi, au moment de la fin du bail ou de la remise des lieux au locateur, il n'existe pas pour ce dernier un droit à la rénovation et à l'amélioration du logement dont le locataire doit faire les frais.
[44] Le locateur a plutôt un droit à des dommages-intérêts pour les changements, pertes et dégradations causés au logement et constatés au départ du locataire. Ce droit à la remise en état d'origine est cependant limité et balisé par la loi, puisque le locataire ne répond pas de la vétusté, de l'usure normale, ni de la force majeure, précise l'article
[45] Les améliorations ou les ajouts apportés lors des travaux ne sont donc pas indemnisables. Sans oublier qu’il faut aussi tenir compte de l'âge des biens, accessoires et dépendances du logement en cause et considérer la part intrinsèque d'usure normale de ceux-ci dans le temps, d'où la prise en compte d'une dépréciation propre à chaque cas d'espèce.
[46] Toutefois, le Tribunal juge opportun de rappeler que, selon la jurisprudence et la doctrine, il est considéré comme normal pour un locateur d'avoir à rafraichir un logement afin de favoriser la relocation après quelques années d'occupation[14].
[47] Le Tribunal rejette la demande de dommages pour la main-d’œuvre, mais il accorde la somme de 154,44 $ pour les frais de peinture spéciale appliquée en raison des dommages causés par le locataire au plafond de la cuisine.
[48] Le préjudice ne justifie pas l'exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l'article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[15].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
Dossier 462142 :
[49] ACCUEILLE en partie la demande du locataire;
[50] CONDAMNE la locatrice à payer au locataire la somme de 950 $, plus les frais de justice de 87,50 $;
[51] REJETTE la demande quant au surplus.
Dossier 504630 :
[52] ACCUEILLE en partie la demande de la locatrice;
[53] CONDAMNE le locataire à payer à la locatrice la somme de 154,44 $, plus les de justice de 103 $;
[54] REJETTE la demande de la locatrice qui en assume les frais.
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Lise Gélinas | ||
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Présence(s) : | le locataire la locatrice | ||
Dates des audiences : | 12 décembre 2021 et 14 février 2022 | ||
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[1] Pièce L-4.
[2] Pièces L-5 et L-6.
[3] Pièce L-4 et P-14.
[4] Pièce P-15.
[5] Pièce P-6.
[6] Pièce P-4.
[7] Idem.
[8] Léo DUCHARME, Précis de la preuve, 6e édition, 2005, Wilson et Lafleur ltée, p. 62.
[9] Nadeau, André et Ducharme, Léo, vol. 9, 1965, Montréal, Wilson et Lafleur, pages 98 et 99.
[10] Éditions Vice-versa inc. c. Aubry (opinion du juge Beaudoin, dissident), C.A., 15 août 1996,
[11] (R.D.L., 1998-02-11)
[12] Pièce P-6.
[13] Article
[14] Faribault, Léon, Traité de droit civil du Québec, Tome 9, Montréal, Wilson et Lafleur, 1961, p. 187; Office municipal d'habitation de Sherbrooke c. Bachand,
[15] RLRQ, chapitre T-15.01.
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