Décision

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Rose c. Zehana Immobilier inc.

2024 QCTAL 9824

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

745738 31 20231113 G

No demande :

4108775

 

 

Date :

20 mars 2024

Devant la juge administrative :

Claudine Novello

 

Régina Rose

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

ZEHANA IMMOBILIER INC.

 

Locateur - Partie défenderesse

et

Horacio J. Rose

 

Cessionnaire

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Par un recours introduit le 13 novembre 2023, la locataire demande au tribunal de statuer sur la validité d'une cession de bail et sur les motifs de refus du locateur. Elle demande également l'exécution provisoire de la décision et le recouvrement des frais judiciaires encourus.

[2]         Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024 au loyer mensuel de 955 $.

[3]         Les faits mis en cause démontrent que de 2008 à 2018 la locataire occupe le logement concerné avec son frère José Ignacio Rose Salano qui en est locataire en titre. Tous deux sont venus à Montréal y poursuivre leurs études.

[4]         En 2018, José Ignacio Rose Salano devenu ingénieur a fait l’acquisition d’une unité détenue en copropriété et cède son bail à sa sœur, Regina Rose.

[5]         En 2020, la locataire, Regina Rose fait à son tour l’acquisition d’une propriété avec son mari, mais conserve le logement concerné pour y loger éventuellement ses parents qui sont au Nicaragua en attente d’émigrer au Canada en vertu du programme de réunification des familles.

[6]         Au cours du mois de mai 2021, les parents de la locataire arrivent à Montréal et s’installent dans le logement, logement qu’ils connaissent pour y avoir séjourné lorsqu’ils rendaient visite à leurs enfants.

[7]         La mère de la locataire, âgée de 67 ans, juge dans son pays d’origine, suit des cours de francisation dans le but de trouver un emploi.

[8]         Le père de la locataire, Horacio J. Rose, le cessionnaire, âgé de 69 ans, avocat dans son pays d’origine, poursuit des études en administration aux HEC et prévoit lancer sa propre entreprise.


[9]         Le cessionnaire ne travaille pas et n’a donc pas de revenu d’emploi. Il détient toutefois des revenus d’épargne de plus de 70 000 $, dans un compte de banque ouvert depuis 2008.

[10]     Le 6 septembre 2023, la locataire transmet par courriel au locateur un avis de cession de bail au bénéfice de son père Horacio J. Rose. À cet avis, elle joint un contrat de cession de bail ainsi que deux cautionnements par lesquels elle et son frère se portent garants des obligations de leur père.

[11]     Le 18 septembre 2023, le locateur demande à la locataire de faire compléter au cessionnaire un formulaire afin qu’il puisse procéder à une enquête de crédit et une preuve de ses revenus.

[12]     Le même jour, la locataire répond :

« Bonsoir,

Pour donner suite à votre courriel du 18 septembre 2023 concernant la cession du bail à mon père Horacio Rose, je vous adresse le formulaire d’enquête de crédit que vous m’avez précédemment transmis, dûment complété.

Mon père est un étudiant et vit de ses propres épargnes. C’est pourquoi nous portons volontairement caution solidaire. Notez que mon frère José Rose et moi-même sommes les anciens locataires de cet appartement et que nous avons toujours honoré les paiements du loyer.

Je vous prie de bien vouloir accuser réception de la présente communication.

Je vous remercie pour l’attention que vous porterez à cette lettre.

Cordialement,

Regina Rose »

[13]     Le 28 septembre 2023, le locateur refuse la cession de bail au motif que le cessionnaire n’a pas de revenu. Il s’exprime comme suit :

« Bonjour Mme Regina Rose,

Veuillez noter qu’après analyse de la situation financière de Mr Horacio Jose, Nous ne pouvons pas accepter votre demande de cessation de Bail.

La principale raison de ce refus est le manque de revenu financier du candidat.

Je vous prie de bien vouloir accuser réception de la présente communication.

Cordialement,

M. Zehana »

[Reproduit tel quel]

[14]     Le 19 octobre 2023, par le biais de son avocate, la locataire conteste le refus du locateur a la cession qu’elle considère injustifié. Il convient de reprendre l’extrait pertinent de la lettre ainsi transmise :

« Monsieur Zehana,

Nous représentons les droits et intérêts de Madame Regina Rose et de Monsieur Horacio J. Rose (ci-après nos « Clients ») qui nous ont mandatés de vous faire parvenir la présente correspondance en réponse à votre mise en demeure du 18 septembre 2023 et à votre réponse de refus à l’avis de cession de bail.

Réponse à votre mise en demeure

Tout d’abord, il importe de vous rappeler qu’en tant que locataire des lieux loués sis au [...], app # 11, Montréal, Québec, H3T 1H8 (ci-après le « Logement ») madame Rose peut y donner accès aux personnes de son choix. Le fait qu’elle soit la seule inscrite au bail ne vous donne pas le droit de refuser à ce qu’elle cohabite avec d’autres occupants tels que Monsieur Rose et sa conjointe.

À ce propos, Monsieur Rose et sa conjointe sont de simples occupants; ils ne sont pas des sous-locataires comme vous l’entendez dans votre mise en demeure. C’est plutôt sa fille qui interagit avec vous puisque c’est la partie contractante au bail et s’occupe notamment du paiement des loyers mensuels tel qu’il se doit.

De surcroît, notre Cliente respecte ses obligations à titre de locataire et s’assure que les individus à qui elle permet d’entrer au Logement ne causent aucun trouble ni inconvénient aux autres résidents de la bâtisse ni à vous-même au sens de l’article 1860 du Code civil du Québec. En ce sens, vous comprendrez donc que notre Cliente réfute catégoriquement vos allégations à ce sujet.


Réponse à votre refus à la cession de bail

Relativement à l'Avis de cession daté du 23 août 2023 dont vous avez pris connaissance le 18 septembre 2023, vous avez communiqué votre refus à notre Cliente en date du 28 septembre 2023. Comme motif de refus, vous alléguiez la situation financière de monsieur Rose sans faire référence à quelque chose de précis et sans donner d'explications plu détaillées.

Au regard de votre réponse, votre refus nous semble totalement injustifié puisqu' :

a)      À la lumière du rapport ÉQUIFAX de M. Rose, il est possible de constater que le dernier a une côte de crédit excellente établie à 825, tel qu'il en appert de son extrait en Annexe 1.

b)      Du côté de ses revenus, bien qu'il soit aux études actuellement, ce dernier dispose des fonds nécessaires pour pouvoir subvenir au paiement du loyer mensuel qui est actuellement de 955 $, tel qu'il en appert de l'attestation de li banque en Annexe 2.

c)       En dernier lieu, le fils de notre Client, soit Monsieur Rose Solano est prêt à se rajouter comme caution au bail, tel qu'il en appert du document de cautionnement signé le 23 août 2023 en Annexe 3 qui accompagnait d'ailleurs l'Avis de cession transmis par la locataire.

En d'autres mots, le fait pour notre Client de ne pas travailler ne constitue pas en soi un motif de refus qu'on peut qualifier de « sérieux » en vertu de l'article 1871 du Code civil du Québec Bien qu'il soit un nouvel arrivant, ce dernier dispose d'une somme d'argent suffisante pour garantir le paiement des loyers et vous offre même une sûreté additionnelle avec cautionnement proposé par Monsieur Rose Solano.

Par conséquent, nous vous donnons un délai additionnel de dix (10) jours suivant la réception de la présente correspondance pour réviser votre décision initiale du 28 septembre 2023. S vous acceptez, la cession de bail prendra effet rétroactivement au 1 er octobre 2023. Or, si vous restez silencieux dans le délai prescrit ci-haut, nous n'aurons d'autre choix que d'entamer une procédure judiciaire auprès du Tribunal administratif du logement afin de faire protéger les droits et intérêts de notre Clients, et ce, sans autre avis ni délai.

Pour toute communication future, nous vous invitons à vous adresser directement à la soussignée dont la signature électronique apparaît ci-bas.

Veuillez agréer, Monsieur Zehana, nos salutations le plus distinguées »

[15]     La locataire maintient que le refus du locateur à la cession est injustifié alors que son père détient les fonds suffisant pour acquitter le loyer et, qui plus est, se voit offert des garanties de paiement. Elle ajoute qu’au fil des années tant elle que son frère ont acquitté leur loyer et se sont montrés des locataire fiables et respectueux de leurs obligations.

[16]     Le locateur, pour sa part, maintient son opposition à la cession pour les motifs allégués à sa lettre de refus. Au demeurant, il allègue que la locataire a failli à ses obligations en sous-louant son logement sans son consentement, défaut pour lequel il requiert la résiliation du bail (737823).

[17]     Il admet toutefois que la locataire a toujours acquitté le loyer.

[18]     Horacio J. Rose et José Ignacio Rose Salano corroborent le témoignage de la locataire.

[19]     Horacio J. Rose ajoute que son compte d’épargne ouvert en 2008 n’a cessé de s’accroitre de manière qu’entre le début du processus de cession à ce jour, il a passé de près de 60 000 $ à 70 000 $. Il a les fonds suffisants pour acquitter le loyer.

[20]     Ainsi se résume la preuve et représentations des parties.

[21]     Rappelons que le droit à la cession de bail est prévu aux articles 1870 et 1871 du Code civil du Québec (C.c.Q) qui stipulent ce qui suit :

« 1870. Le locataire peut sous-louer tout ou partie du bien loué ou céder le bail. Il est alors tenu d'aviser le locateur de son intention, de lui indiquer le nom et l'adresse de la personne à qui il entend sous-louer le bien ou céder le bail et d'obtenir le consentement du locateur à la sous-location ou à la cession.

1871. Le locateur ne peut refuser de consentir à la sous-location du bien ou à la cession du bail sans un motif sérieux.

Lorsqu'il refuse, le locateur est tenu d'indiquer au locataire, dans les 15 jours de la réception de l'avis, les motifs de son refus; s'il omet de le faire, il est réputé avoir consenti. »

[22]     Dans l'affaire Rondeau c. Guay, le juge Lassonde de la Cour du Québec mentionne :

« L'utilisation du terme « sérieux » par le législateur laisse clairement transpirer l'intention de ce dernier de restreindre la marge de manœuvre du locateur. (...)


[28] Les raisons qui amènent un locateur à refuser la cession doivent être objectives, raisonnables, réelles et sérieuses. On considère généralement que le refus du locateur peut être fondé sur la qualité même du cessionnaire, la situation financière du cessionnaire, son insolvabilité ou son défaut de se conformer aux obligations découlant du bail([1]). »

[23]     Dans la cause Szemes c. Northside Inc.([2]) la juge administrative Francine Jodoin, appelée à apprécier les motifs de refus du locateur à la cession de bail, la juge administrative écrit :

« [13] Il est vrai que la loi ne prévoit nulle part un ratio, une norme objective ou un pourcentage de revenu au-delà duquel un locateur peut légitimement présumer de l'incapacité de paiement du loyer. Les gens sont libres d'allouer leur revenu aux différents postes budgétaires comme bon leur semble.

[14] C'est pourquoi, lorsqu'il est question de la capacité financière d'un candidat cessionnaire, l'évaluation doit s'effectuer dans le contexte global des obligations financières découlant du bail (chauffage, électricité, eau chaude, etc.) mais sans limites strictes et restrictives en fonction des revenus gagnés. »

[24]     Le Tribunal retient les témoignages de la locataire, du cessionnaire et de son frère. De l’avis du Tribunal, le cessionnaire apparait comme une personne sérieuse et responsable et dispose de garanties et de fonds suffisants pour assumer ce loyer. Contrairement aux allégations du locateur, le tribunal ne croit pas que la somme apparaissant à son compte de banque n’a été versé de manière temporaire et ponctuelle, et que dans le but d’obtenir un rapport de crédit favorable. La preuve de la fluctuation de ses fonds au cours des années ne milite pas en ce sens.

[25]     Dans les circonstances, le Tribunal conclut que les motifs invoqués par le locateur à la cession ne sont pas suffisamment sérieux pour en justifier le refus.

[26]     Il y a un conflit évident entre les parties, mais celui-ci ne peut faire obstacle au droit de la locataire de céder son bail.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[27]     ACCUEILLE la demande;

[28]     DÉCLARE VALIDE la cession de bail en faveur de Horacio J. Rose, à compter de la présente décision;

[29]     CONDAMNE le locateur à payer à la locataire, les frais de justice de 107 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Claudine Novello

 

Présence(s) :

les locataires

Me Amina Kebli, avocate des locataires

le mandataire du locateur

Date de l’audience : 

13 février 2024

 

 

 


[1] (1998) J.L. 196.

[2] 2019 QCRDL 40949.

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