Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Lavan c. Louis

2023 QCTAL 33193

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

638683 31 20220616 T

No demande :

3957882

 

 

Date :

26 octobre 2023

Devant la juge administrative :

Karine Morin

 

Thambimuthu Lavan

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Reine-Marie Louis

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Par un recours déposé le 4 juillet 2023, le locateur requiert la rétractation de la décision rendue le 5 juin 2023, laquelle fixe le loyer mensuel à 690 $ pour la période du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023.

[2]         Il prend connaissance de cette décision à la fin du mois de juin 2023 et dépose sa demande le 4 juillet 2023.

[3]         Au soutien de sa demande de rétractation, le locateur témoigne ne pas avoir pris connaissance de l’avis d’audience envoyé par le Tribunal le 27 mars 2023 avant l’audience du 8 mai 2023 puisqu’il doit voyager en raison de son occupation. Bien qu’il ne soit pas parti pour toute cette période, il n’a pas porté attention à cet avis, affirme-t-il.

[4]         Au moment de la signature du bail, la locataire était d’accord pour fixer le prix du loyer mensuel à 790 $, soit 100 $ de plus que le loyer payé par l’ancienne locataire, puisque des travaux ont été exécutés dans le logement.

[5]         Pour sa part, la locataire requiert le rejet de la présente demande de rétractation.

[6]         Elle ajoute s’être sentie obligée d’accepter de fixer le loyer à 790 $ lors de la signature du bail, sans quoi le locateur aurait refusé de lui louer le logement.

ANALYSE ET DÉCISION

[7]         La demande du locateur est fondée sur l'article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[1], lequel se lit comme suit :

« 89. Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.

Une partie peut également demander la rétractation d'une décision lorsque le Tribunal a omis de statuer sur une partie de la demande ou s'est prononcé au-delà de la demande.

La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l'empêchement.


La demande de rétractation suspend l'exécution de la décision et interrompt le délai d'appel ou de révision jusqu'à ce que les parties aient été avisées de la décision.

Une partie qui fait défaut d'aviser de son changement d'adresse conformément à l'article 60.1 ne peut demander la rétractation d'une décision rendue contre elle en invoquant le fait qu'elle n'a pas reçu l'avis de convocation si cet avis a été transmis à son ancienne adresse. »

[8]         Les Tribunaux supérieurs ont déjà décidé que :

« Il ne faut pas confondre formalisme et procédure : celle-ci est essentielle à la marche ordonnée des instances. Le principe de l'irrévocabilité des jugements est nécessaire à une saine administration de la justice, d'où le sérieux que doivent avoir les motifs de rétractation. La procédure doit contribuer à la protection des droits des deux parties et la remise en question des décisions doit demeurer l'exception et ne pas devenir la règle[2]. »

[9]         Par ailleurs, l'absence d'une partie ne donne pas ouverture systématiquement à la rétractation de jugement tel que le mentionnent les auteurs Rousseau-Houle et De Billy[3] :

« Le seul fait qu'une partie soit absente à l'audience ne lui donnera pas automatiquement droit à une demande en rétractation. En vertu de l'article 89, la partie doit motiver son absence par une cause jugée suffisante. »

[10]     Il est bien établi par la jurisprudence que le motif invoqué au soutien d'une demande en rétractation ne doit pas résulter de la négligence d'une partie dans l'exercice de ses droits et, qu'en l'absence d'une telle négligence, le droit d'être entendu doit prévaloir[4].

[11]     En l’instance, le locateur affirme ne pas avoir porté attention à l’avis d’audience reçu puisqu’il est appelé à voyager pour le travail, d’où son absence à l’audience.

[12]     Dans les circonstances de présent dossier, le Tribunal est d’avis que le locateur a été négligent dans l’exercice de ses droits.

[13]     Par ailleurs, dans le cadre d'une demande de rétractation, le Tribunal doit analyser les moyens sommaires de défense soulevés à l'encontre de la demande originaire, en l'instance, une demande en fixation de loyer.

[14]     Il est bien établi qu'en l'absence de moyens de défense, la demande de rétractation doit être rejetée comme l'enseigne la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt C.N.T. c. Les Entreprise C.J.S. inc[5]. :

« Le juge auquel une requête en rétractation est présentée pour réception doit décider si prima facie les faits allégués sont suffisants pour justifier la réception. Si au stade de la réception, les faits allégués doivent être tenus pour avérés, cela ne veut pas dire que le juge soit nécessairement lié, dans l'exercice de sa discrétion, par les allégations de la requête. Il pourra refuser de recevoir la requête si, par exemple, il acquiert par des moyens juridiques la conviction que la nouvelle preuve que l'on veut faire est telle que le jugement n'aurait pas été différent si elle avait été faite au procès (Voir Fontaine c. Baril, [1974] C.A. 234). »

[15]     En l’espèce, à titre de moyen sommaire de défense, le locateur invoque l’accord de la locataire à fixer le loyer à 790 $ mensuellement en raison des travaux qu’il a dû exécuter dans le logement. De son avis, il y a donc entente verbale quant au prix du loyer.

[16]     Dans la décision C.I.F. c. Paquette[6], le Tribunal siégeant en révision d'une décision de première instance, explique le droit d'un nouveau locataire de faire réviser le montant du loyer prévu à son bail :

« [23] Il est vrai de soutenir que la locataire connaissait le loyer payé par l'ancien locataire dès le 18 juin. Peut-on alléguer qu'elle a alors renoncé à l'application de l'article 1950 C.c.Q.?

[24] Le tribunal exclut cet argument. En effet, le seul fait pour la locataire de consentir à payer le loyer convenu, alors que son délai pour le recours en fixation de loyer n'est pas expiré, ne peut constituer une renonciation à l'exercice d'un droit. Les dispositions sur le louage résidentiel relèvent de l'ordre public et la locataire ne pouvait y renoncer que selon les règles propres à ce régime.

[25] Quant au droit d'un locataire de faire réviser le loyer convenu au bail, il s'agit d'une mesure d'exception au principe reconnu de la liberté contractuelle dans le but d'assurer le contrôle des loyers.

[26] À cet égard, l'auteur Me Pierre-Gabriel Jobin, fait les commentaires suivants :

« Mais on doit se rappeler que, en matière de louage résidentiel, la hiérarchie des règles est souvent inversée : la liberté contractuelle perd son statut de principe supérieur. En l'espèce, c'est le contrôle du loyer qui, de part avec le maintien dans les lieux, devient le principe. Il est donc parfaitement concevable que le contrôle du loyer s'exerce dans certains cas qui n'ont pas été prévus expressément par le législateur mais qui sont étroitement liés à ceux prévus.

Par le contrôle des augmentations de loyer, le législateur ne cherche pas, essentiellement, à éviter des surprises au locataire, à protéger son consentement : le contrôle vise à combattre la lésion et à assurer l'équité du contrat. (...) ». (3)

[27] La locataire ne peut renoncer à ses droits que si ces derniers sont acquis. Ce n'est qu'à ce moment que la partie protégée par le législateur peut y renoncer. De plus, la validité de cette dernière est encore soumise aux règles sur les conditions d'acquisition (4).

[28] Or, le bail obligatoire prévoit non seulement la divulgation du loyer antérieur payé, mais aussi les délais prévus par la loi pour l'exercice de ce recours.

[29] Il ne fait plus de doute que les dispositions sur le louage résidentiel constituent une brèche dans le principe généralement reconnu de la liberté contractuelle. Aussi, le locateur ne peut invoquer les règles sur le consensualisme pour faire obstacle à l'application de l'article 1950 C.c.Q.

[30] L'objectif visé par le législateur en instaurant ce régime de protection et de contrôle des loyers est d'éviter que le nouveau locataire d'un logement ne subisse une hausse abusive de loyer à l'occasion d'un changement de locataire (5). »

(…)

[36] Dans le même sens plus récemment, la juge administrative Camille Champeval (6) s'exprime ainsi :

« Le recours en fixation de loyer prévu à l'article 1950 C.c.Q. est offert aux locataires désirant faire réviser le montant du loyer convenu au bail. La signature du contrat de bail ne constitue pas une renonciation à l'exercice subséquent d'un recours en fixation de loyer. Il est bien établi (1) qu'il s'agit là d'une exception à la règle de la liberté contractuelle, ceci dans l'objectif de prioriser la protection des locataires contre des hausses abusives de loyer. » »

(Références omises)

[17]     En conséquence, le Tribunal conclut que le locateur n'a donc pas démontré l'existence de moyens sommaires de défense à l'encontre de la demande originaire de la locataire.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[18]     REJETTE la demande en rétractation du locateur qui en assume les frais;

[19]     MAINTIENT la décision rendue le 5 juin 2023.

 

 

 

 

 

 

 

 

Karine Morin

 

Présence(s) :

le locateur

la locataire

Date de l’audience : 

26 septembre 2023

 

 

 


 


[1] RLRQ, c. T-15.01.

[2] Entreprises Roger Pilon inc. et al. c. Atlantis Real Estate Co., [1980] C.A. 218.

[3] Le bail de logement : analyse de la jurisprudence, Wilson & Lafleur Ltée (1989) Montréal, p. 307.

[4] Tremblay c. Savard 2016 QCCQ 1291. Groupe JSV inc. c. Goal Capital inc. C.A., 2014-02-28 (jugement rectifié le 2014-03-07), 2014 QCCA 398, SOQUIJ AZ-51050462, 2014EXP-884, J.E. 2014-483.

[5] 1992 CanLII 2911 (QCCA).

[6] 2010 QRDL 31312.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.