Ngo Ngom c. Fortin | 2024 QCTAL 2187 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 588789 31 20210920 G | No demande : | 3346130 | |||
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Date : | 24 janvier 2024 | |||||
Devant le juge administratif : | Richard Barbe | |||||
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Catherine Ngo Ngom locataire - Partie demanderesse
Et
Anne-Fleur Hagbang-Bayiba |
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Sous-locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
William Fortin |
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Locateur - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] La locataire et la sous-locataire demandent de déclarer le logement impropre à l’habitation en date du 1er juillet 2021. Elles demandent la résiliation du bail. Elles demandent une diminution de loyer de 10% pour les mois de mai 2020 à novembre 2020 et de condamner le locateur à rembourser à la locataire le trop-perçu de loyer avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 25 août 2021. Elles demandent également de condamner le locateur à rembourser à la locataire la somme de 1 600 $ pour les loyers de juillet et août 2021 avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 25 août 2021. Elles demandent aussi les frais.
[2] Les parties étaient liées par un bail à durée indéterminée débuté le 1er mai 2020 au loyer mensuel de 830 $.
LES FAITS PERTINENTS
[3] Le Tribunal a bien pris note de l’ensemble des témoignages et de la preuve administrée devant lui, mais il ne sera fait mention dans la présente décision que des éléments pertinents retenus pour fonder celle-ci.
LA PREUVE DES LOCATAIRES
[4] La demande est présentée par Mme Catherine Ngo Ngom qui a loué le logement de mai 2020 à novembre 2020 et par Mme Anne-Fleur Hagbang-Bayiha qui est la fille de Mme Ngo Ngom et qui a sous-loué le logement de décembre 2020 à août 2021.
Le témoignage de Mme Catherine Ngo Ngom
[5] Mme Ngo Ngom affirme avoir contacté Mme Johanne Coderre, soit la mère du locateur, en mai 2020, car l’air dans le logement était lourd, humide et inconfortable.
[6] Des photos (pièce P-2) ont été envoyées par SMS à Mme Coderre pour démontrer l’état d’une fenêtre de la chambre à coucher qui était problématique selon Mme Ngo Ngom.
[7] Mme Ngo Ngom affirme que Mme Coderre lui aurait répondu que le problème serait réglé, mais il n’y a pas eu de suite.
[8] Mme Ngo Ngom affirme qu’il était difficile de dormir à cause de l’humidité et qu’elle allait dormir ailleurs.
[9] Elle affirme avoir fait l’entretien de l’échangeur d’air à l’automne 2020.
[10] Elle déclare avoir quitté le logement le 1er décembre 2020, car elle l’a sous-loué à sa fille, soit Mme Anne-Fleur Hagbang-Bayiha.
[11] Elle affirme avoir fait l’entretien de l’échangeur d’air au printemps 2021 et que tout était normal.
[12] Elle dépose en preuve des SMS (pièce P-3) échangés avec le locateur entre juin et août 2021. Ces SMS mentionnent notamment qu’elle refuse une hausse de loyer en raison d’un problème d’humidité et de moisissures.
[13] Elle déclara avoir fermé l’échangeur d’air le 14 juin 2021 pour éviter l’entrée de l’air humide dans le logement.
[14] Les SMS mentionnent également également qu’elle a remarqué la présence de moisissures.
[15] Le 1er juillet 2021, elle a reçu du locateur un avis de réparation ou d’amélioration majeur (pièce P-4).
[16] Le 6 juillet 2021, elle a reçu un deuxième avis de réparation ou d’amélioration majeur accompagné d’une liste des travaux que le locateur voulait faire. Il était notamment question de réparer le mur et le cadre de la chambre principale qui avaient été l’objet d’une infiltration d’eau.
[17] Elle a contesté devant le TAL la demande d’évacuation temporaire (dossier numéro 578524) pendant les travaux. Elle s’est cependant désistée de cette demande.
[18] Mme Ngo Ngom a quitté le logement le 1er décembre 2020, car elle l’a sous-loué à sa fille, soit Mme Anne-Fleur Hagbang-Bayiha.
[19] Mme Ngo Ngom affirme que le mur et le plancher de la chambre avaient été arrachés et c’est pour ces raisons qu’elle demande la résiliation du bail au 1er juillet 2021. Elle demande que le logement soit déclaré impropre à l’habitation. Elle demande aussi une diminution de loyer et un remboursement de loyer.
[20] Elle déclare qu’elle a sous-loué le logement à sa fille malgré qu’elle savait qu’il y avait un problème d’humidité.
Le témoignage de Mme Anne-Fleur Hagbang-Bayiha
[21] Mme Hagbang-Bayiha a sous-loué le logement à sa mère le 1er décembre 2020.
[22] Elle a informé le locateur par SMS (pièce P-7) qu’il y avait des moisissures dans le logement. Elle dépose en preuve (pièce- P-8) des photos démontrant ce qui semble être de la moisissure de surface sur un plancher et sur un meuble. Ces photos ont été prises vers le 17 mai 2021.
[23] Elle affirme que le locateur est venu inspecter le logement deux jours plus tard et qu’il lui a parlé d’une possible fissure. Il a installé un hygromètre pour mesurer l’humidité et un déshumidificateur.
[24] Elle affirme qu’elle devait dormir sur un matelas par terre.
[25] Elle a fait un suivi par SMS avec le locateur le 4 juin 2021, mais elle affirme que ce dernier n’a pas donné suite à ses demandes.
[26] Mme Hagbang-Bayiha dépose en preuve (pièce P-9) une photo prise en juin 2021 qui démontre un taux d’humidité de 90% sur l’hygromètre situé dans la chambre des maîtres.
[27] Elle estime avoir été très patiente avec le locateur qui n’a pas réglé les problèmes allégués.
[28] Elle dépose en preuve (pièce P-10) des photos démontrant notamment l’ouverture faite dans le mur et dans le plancher de la chambre.
[29] Elle affirme avoir quitté le logement le 6 juillet 2021 pour aller vivre chez sa mère, car la situation était dangereuse pour la santé de son fils.
[30] Elle a transmis au locateur le 10 août 2021 un avis d’abandon du logement (pièce P-11) accompagné d’une mise en demeure demandant notamment une diminution de loyer et une compensation monétaire.
[31] Elle déclare ne pas avoir été informée d’un problème d’humidité avant de sous-louer le logement. Elle ajoute que le locateur n’a pas été en mesure de vérifier s’il y avait de la moisissure dans le logement avant le 19 mai 2021.
[32] Elle affirme qu’aucune moisissure n’est apparue après le 19 mai 2021.
LA PREUVE DU LOCATEUR
Le témoignage de Mme Johanne Coderre
[33] Mme Coderre est la mère du locateur et elle était la gestionnaire de l’immeuble entre son achat et la signature du bail avec Mme Ngo Ngom. Elle n’est plus gestionnaire depuis.
[34] Elle affirme que Mme Ngo Ngom n’a soulevé aucun problème avec le logement suite à la prise de possession. Des tiroirs et la vanité de la salle de bain ont cependant été réparés à la demande de la locataire.
[35] Elle a aussi fourni des galons de peinture à la locataire.
[36] Elle affirme n’avoir reçu aucun commentaire négatif à propos du logement avant que le logement soit sous-loué à la fille de la locataire.
[37] Elle affirme que Mme Ngo Ngom était satisfaite que sa fille prenne le logement à sa place.
[38] Elle explique que le logement est situé dans le sous-sol, ce qui nécessite un entretien particulier. Le bail stipule que l’entretien de l’échangeur d’air doit être fait par la locataire et elle a envoyé le 1er décembre 2020 un mémo (pièce D-7) aux locataires de l’immeuble pour leur rappeler de nettoyer les filtres de l’échangeur d’air.
[39] Elle affirme ne pas avoir eu de plaintes de la locataire entre mai et novembre 2020.
[40] Elle déclare que les photos de la fenêtre démontrant un gonflement sur le contour sont le résultat d’une ancienne infiltration d’eau qui avait été réparée. Les scellants avaient été changés, dit-elle.
[41] Elle affirme que le problème avec la fenêtre était purement esthétique.
[42] Elle affirme que lorsque le problème d’humidité a été dénoncé, l’échangeur d’air était fermé et les filtres étaient encrassés, car il n’y a pas eu d’entretien.
Le témoignage du locateur
[43] Le locateur affirme qu’aucune problématique concernant le logement ne lui a été soulevée entre décembre 2020 et avril 2021. Tout allait bien quand Mme Ngo Ngom était locataire.
[44] Il déclare qu’un problème de moisissures lui a été dénoncé par SMS le 19 mai 2021. Il est allé voir le logement et il a constaté que tout avait été nettoyé avec de l’eau de javel et qu’il ne restait aucune trace de moisissure.
[45] Il affirme que le plancher était en bon état et qu’il y avait une légère odeur d’humidité.
[46] Il a constaté que l’échangeur d’air était fermé, mais il ne sait pas depuis quand.
[47] Le 22 juin 2021, il a envoyé à Mme Hagbang-Bayiha le guide d’utilisation de l’échangeur d’air pour qu’il soit bien utilisé.
[48] Il a constaté par la suite que Mme Hagbang-Bayiha avait encore éteint l’échangeur d’air.
[49] Il a appelé le Groupe Qualinet le 5 juin 2021 pour qu’une expertise du logement soit faite.
[50] Comme il lui fut conseillé d’ouvrir le mur, il a décidé de faire cette tâche lui-même. Il a alors constaté que de la laine était noircie. Il a retiré et jeté la laine noircie.
[51] Après avoir fait une ouverture dans le mur et le plancher de la chambre, il affirme n’avoir constaté aucune moisissure. Il n’a donc pas fait d’ouvertures supplémentaires.
[52] Après que Mme Hagbang-Bayiha ait abandonné le logement, il a fait réparer le mur et le plancher et le logement a été reloué le 5 août 2021. Il n’y a aucun problème depuis l’arrivée du nouveau locataire.
[53] Il dépose en preuve (pièce D-8) une facture de Fissure Dumont inc. datée du 5 juillet 2021. Il affirme avoir payé ces travaux de 4 196 $ inutilement puisque la cause d'un éventuel problème dans le logement ne concernait pas des fissures.
[54] Il affirme avoir constaté lors de ses visites du logement que la locataire fermait le déshumidificateur.
[55] Il a aussi constaté que les meubles étaient collés contre les murs, ne laissant pas d’espace pour l’aération.
[56] Il affirme que le Groupe Qualinet n’a pas pu faire de nettoyage, puisque le logement avait déjà été lavé à l’eau de javel et qu’il n’y avait aucune trace de moisissure.
[57] Il admet ne pas avoir eu le temps de refermer le plancher et le mur avant que Mme Hagbang‑Bayiha n’abandonne le logement.
Le témoignage de Mme Jade Dubé
[58] Mme Dubé est la conjointe du locateur. Elle déclare avoir visité le logement à plusieurs reprises entre mai et août 2021.
[59] Lors de ses visites, elle a constaté une odeur d’humidité. Elle a alors constaté que l’échangeur d’air était fermé et que les bouches de ventilation étaient sales. L’échangeur d’air ne pouvait donc pas évacuer l’humidité.
[60] Elle a aussi constaté que les filtres étaient bouchés et elle a montré à Mme Hagbang-Bayiha comment les laver et lui a expliqué l’importance de faire l’entretien de l’échangeur d’air.
[61] Elle a fourni un hygromètre à Mme Hagbang-Bayiha pour vérifier le taux d’humidité.
[62] Elle a réglé l’échangeur d’air selon les règles du manuel d’instruction.
[63] Elle a constaté que le déshumidificateur était débranché à chaque fois qu’elle visitait le logement. Elle a alors expliqué à Mme Hagbang-Bayiha comment le vider et l’utiliser.
[64] Elle affirme que le taux d’humidité du logement est revenu à la normale après le départ de Mme Hagbang-Bayiha.
[65] Elle affirme qu’elle n’a pu avoir accès au logement, car la serrure avait été changée.
LES REPRÉSENTATIONS DE L’AVOCAT DE LA LOCATAIRE ET DE LA SOUS-LOCATAIRE
[66] L’avocat de la locataire et de la sous-locataire affirme que nous sommes en présence d’un cas flagrant de logement impropre à l’habitation.
[67] Il affirme que Mme Ngo Ggom a constaté très vite les infiltrations d’eau dans le logement et qu’elle a contacté la gestionnaire de l’immeuble qui a reconnu l’existence d’un historique à ce sujet.
[68] Il ajoute que le logement a été sous-loué à la fille de la locataire qui a constaté une flaque d’eau dans la chambre et des moisissures en faisant le ménage.
[69] Il affirme que la sous-locataire a contacté le locateur qui ne lui a offert que des palliatifs. Il ajoute que le locateur a fait preuve de laxisme.
[70] Il affirme que la qualité de l’air était un danger pour la locataire et son enfant.
[71] Il affirme que le mur et le plancher n’ont pas été refermés.
[72] Il plaide que le logement n’était pas en état d’habitabilité pendant l’ouverture du mur.
[73] Il plaide les critères de l’affaire Veli c. Patenaude[1] concernant le caractère impropre d’une habitation.
[74] Il affirme que le taux d’humidité du logement était anormal sans que le locateur ne règle la situation.
[75] Il ajoute que la sous-locataire a dû quitter les lieux tout en continuant de payer le loyer.
[76] Il invoque les articles 1913 et 1915 du Code civil du Québec.
[77] Compte tenu de ce qui précède, il plaide que la demande de la locataire et de la sous-locataire devait être accueillie par le Tribunal.
LES REPRÉSENTATIONS DE L’AVOCAT DU LOCATEUR
[78] L’avocat du locateur plaide que les demanderesses n’ont pas démontré ne pas avoir eu la pleine jouissance du logement selon l’article 1854 du Code civil du Québec.
[79] Il plaide que le taux d’humidité élevé dans le logement n’a pas été dénoncé dans un délai raisonnable au locateur et que ce dernier n’a pas été en mesure d’agir en bonne et due forme plus rapidement.
[80] Il plaide que la dénonciation a été mal faite dès le départ.
[81] Il plaide qu’une diminution de loyer doit représenter une perte réelle et objective qui est sérieuse, significative et substantielle[2].
[82] Il affirme que le scellant de la fenêtre avait été changé et que le problème était purement esthétique.
[83] Il plaide qu’il n’y a aucune preuve du caractère sérieux des allégations des demanderesses comme l’exige la jurisprudence.
[84] Il affirme que le logement a été livré en bon état.
[85] Il affirme que les demanderesses n’ont pas fait fonctionner l’échangeur d’air comme il faut, malgré la stipulation du bail à ce sujet et malgré le mémo envoyé par la suite à ce sujet.
[86] Il plaide que la négligence des demanderesses a causé un problème d’humidité.
[87] Il plaide qu’aucune diminution de loyer ne peut être accordée entre décembre 2020 et avril 2021 puisqu’il n’y a aucune preuve d’un problème d’humidité durant cette période.
[88] Quant à l’état du logement, il plaide que la situation doit être extrême et dangereuse pour qu’un logement soit déclaré impropre à l’habitation[3].
[89] Il plaide que l’état du logement est le résultat des comportements des demanderesses, soit : le manque d’entretien de l’échangeur d’air, les meubles collés sur le mur, le déshumidificateur laissé fermé et le refus de laisser entrer le locateur pour vérifier le logement.
[90] Il plaide qu’une évaluation objective de l’état du logement ne permet pas de conclure à une menace sérieuse pour la santé et la sécurité.
[91] Il plaide qu’aucune expertise n’a été soumise au Tribunal concernant l’état du logement.
[92] Il ajoute que le fardeau de la preuve repose sur la partie qui abandonne le logement.
[93] Il plaide qu’il ne faut pas confondre un logement en mauvais état et un logement impropre à l’habitation.
[94] Il plaide qu’aucune expertise médicale n’a été soumise au Tribunal concernant l’état de santé des demanderesses.
[95] Il affirme que le logement n’avait aucun problème urgent et que le locateur a été diligent et est intervenu lorsque demandé.
[96] Il plaide que les demanderesses n’ont pas utilisé le logement avec prudence et diligence conformément à l’article 1855 du Code civil du Québec.
[97] Il plaide que la sous-locataire n’a pas abandonné le logement à bon droit, car il n’était pas impropre à l’habitation.
[98] Compte tenu de ce qui précède, il requiert que la demande soit rejetée.
ANALYSE ET DÉCISION
[99] Le Tribunal rappelle certaines règles générales relatives au fardeau de la preuve, lesquelles sont prévues aux articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec. Ces articles se lisent comme suit :
« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »
« 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
« 2845. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal. »
[100] Quant à savoir si le logement était impropre à l’habitation, le juge administratif Michel Huot a longuement analysé les critères concernant cette notion et une demande de diminution de loyer qui en découle dans l’affaire Létourneau c. Lefebvre[4]. Le juge administratif Michel Huot mentionne ce qui suit :
« [47] La Cour du Québec dans Liao c. Drakapoulos, sous la plume de l’honorable David L. Cameron, indiquait que la notion de logement impropre à l’habitation se rapporte à une situation extrême et non à un simple problème pour lequel des réparations, de l’entretien ou du nettoyage sont requis pour optimiser le confort de son occupant et ainsi éliminer tout risque. Il s’agit plutôt du cas où l’occupant du logement doit quitter le logement en raison du danger présent pour lui.
[48] Dans le présent cas, le Tribunal doit conclure que la locataire en ouvrant le mur de sa chambre a permis à des spores de moisissure de se répandre dans l’air. Rien dans la preuve présentée ne permet de connaître la concentration de spores de moisissure dans l’air du logement avant l’ouverture des murs par la locataire.
[49] Le Tribunal peut conclure, selon la balance des probabilités, que le logement était impropre à l’habitation au moment du test de la qualité de l’air réalisé par la firme Axxonlab vu le niveau très élevé de différentes spores de moisissure dans l’air.
[50] Toutefois, le Tribunal doit également conclure, selon la balance des probabilités, que cette situation a été causée par les ouvertures artisanales pratiquées par la locataire dans les murs de son logement.
[51] De plus, rien dans la preuve présentée ne permet de conclure, selon la balance des probabilités, que le logement était impropre à l’habitation avant le 2 février 2018, soit le moment où la locataire a fait des ouvertures artisanales dans les murs du logement sans les refermer. Le Tribunal constate que la locataire a déménagé ses effets personnels que le 30 mars 2018.
2. La locataire a-t-elle droit à une diminution de loyer pour la période où elle a vécu dans le logement, soit entre 14 février 2016 et le 6 février 2018?
[52] Le juge administratif Philippe Morisset fait une analyse dans la décision Vachon c. Chen des critères à retenir en matière de diminution de loyer. Il y a lieu de reprendre son analyse :
« Le locataire a-t-il droit à une diminution de loyer ?
[55] L’article 1854 du Code civil du Québec stipule ce qui suit :
« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l’usage pour lequel il est loué, et de l’entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »
[56] Lorsque le locateur ne respecte pas cette obligation, le locataire peut exercer les recours prévus à l’article 1863 du Code civil du Québec :
« 1863. L’inexécution d’une obligation par l’une des parties confère à l’autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l’exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l’inexécution lui cause à elle-même ou, s’agissant d’un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L’inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer ; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l’avenir. »
[57] Il s’agit d’obligations de résultat. Conséquemment, les moyens de défense du locateur sont limités. Selon la doctrine et appliquées par la jurisprudence, les auteurs Jobin et Baudouin mentionnent ce qui suit :
« ... Dans le cas d’une obligation de résultat, la simple constatation de l’absence du résultat ou du préjudice subi suffit à faire présumer la faute du débiteur, une fois le fait même de l’inexécution ou la survenance du dommage démontré par le créancier. Dès lors, le débiteur, pour dégager sa responsabilité, doit aller au-delà d’une preuve de simple absence de faute, c’est-à-dire démontrer que l’inexécution ou le préjudice subi provient d’une force majeure. Il ne saurait être admis à dégager sa responsabilité en rapportant seulement une preuve d’absence de faute. »
[58] De plus, le deuxième alinéa de l’article 1854 du Code civil du Québec va plus loin. Il impose une obligation de garantie et donc, la responsabilité du locateur s’en trouve accrue. Toujours selon les mêmes auteurs :
« En présence enfin d’une obligation de garantie, le débiteur est présumé responsable. La seule façon pour lui d’échapper à sa responsabilité est de démontrer que c’est par le fait même du créancier qu’il a été empêché d’exécuter son obligation, ou encore que l’inexécution alléguée se situe complètement en dehors du champ de l’obligation assumée »
[59] Ainsi, une fois la preuve du dommage établie par le locataire, il revient alors au locateur de démontrer que sa responsabilité ne pouvait être retenue en raison d’une situation s’apparentant à un cas de force majeure. Qui plus est, en présence d’une obligation de garantie, le locateur est présumé responsable. La seule façon pour lui alors d’échapper à sa responsabilité est de démontrer que c’est par le fait même du locataire qu’il a été empêché d’exécuter son obligation, ou encore que l’inexécution alléguée se situe complètement en dehors du champ de l’obligation assumée.
[60] Relativement à la diminution de loyer, celle-ci doit correspondre à la perte réelle subie. Elle doit être objective et non pas varier selon les caractéristiques propres à chaque locataire.
[61] Pour donner ouverture à une diminution de loyer, il faut que la perte de jouissance soit réelle, sérieuse, significative et substantielle.
[62] En conséquence, pour obtenir une diminution de loyer, la perte de valeur locative ou la diminution de prestation d’une situation ou encore les défectuosités dénoncées par le locataire doivent lui occasionner une perte de jouissance des lieux qui est réelle, substantielle et significative. Le trouble ne doit pas être mineur ou n’être qu’un simple préjudice esthétique. Somme toute, le trouble doit être sérieux.
[63] Selon les dictionnaires, le mot « sérieux » fait référence au caractère de ce qui mérite attention et considération du fait de son importance et de sa gravité (critique, réel, préoccupant et inquiétant).
[64] Les principes applicables quant au montant qui peut être alloué à titre de diminution de loyer sont les suivants :
« Le recours en diminution du loyer a pour but de rétablir l’équilibre dans la prestation de chacune des parties au bail ; lorsque le montant du loyer ne représente plus la valeur de la prestation des obligations rencontrées par le locateur parce que certains services ne sont plus dispensés ou que le locataire n’a plus la pleine et entière jouissance des lieux loués, le loyer doit être réduit en proportion de la diminution subie.
Il s’agit en somme de rétablir le loyer au niveau de la valeur des obligations rencontrées par le locateur par rapport à ce qui est prévu au bail ; la diminution ainsi accordée correspond à la perte de la valeur des services ou des obligations que le locateur ne lui fournit plus. Il ne s’agit donc pas d’une compensation pour des dommages ou des inconvénients que la situation peut causer. »
[65] Au sujet de la diminution de loyer, le professeur Jacques Deslauriers écrit :
« 1225. Le locataire qui subit une diminution partielle de jouissance peut demander une diminution de loyer (art. 1863, 1865, 1604 C.c.Q.) si le préjudice qui en résulte n’est pas assez sérieux pour justifier la résiliation du bail. Ce recours constitue un choix pour le locataire qui n’envisage pas la possibilité ou la nécessité absolue de rétablir le service dont il est privé dans un délai raisonnable. Il ne s’agit pas de permettre au locataire de recouvrer sous forme de diminution de loyer les dommages subis à la suite de la dégradation des lieux ou d’une carence de services, mais bien d’évaluer la part du loyer attribuable au service ou à l’espace non fourni et à diminuer le loyer en conséquence. Il ne s’agit ni d’un moyen de pression ni de représailles ni de dommages-intérêts. Il s’agit plutôt d’une compensation pour les services non fournis. La diminution doit correspondre à la perte réelle de la valeur locative du local d’habitation. Le locataire qui demande une diminution de loyer ne doit pas être la cause des problèmes entraînant la diminution de jouissance, par sa négligence qui a « inviter la vermine à s’installer » et son manque de collaboration pour l’éliminer. »
[66] Plus loin, le professeur Deslauriers exprime la distinction qu’il faut faire entre la diminution du loyer et le droit à des dommages-intérêts :
« 1245. La résiliation du bail, la rétention ou la diminution du loyer sont des recours qui peuvent être accompagnés d’une réclamation de dommages-intérêts. Il s’agit de recours distincts pouvant être exercés concurremment, séparément ou même de façon consécutive.
1246. Dans tous les cas, le locataire peut exiger des dommages-intérêts, sous réserve de certaines dispositions spécifiques qui en dispensent le locateur, quand les inconvénients subis résultent de faits ou de comportements de tiers dont il ne peut être tenu responsable parce qu’il a posé les gestes voulus pour les éviter ou y remédier (art. 1859, 1861, 1863 C.c.Q.). Les seuls dommages-intérêts qui peuvent être réclamés sont ceux qui résultent directement de l’inexécution de l’obligation du bailleur et ceux que les parties pouvaient prévoir lors du contrat, car il s’agit de responsabilité contractuelle (art. 1458, 1863, 1613 C.c.Q.). »
[67] Toujours en regard de la distinction à faire entre la diminution de loyer et les dommages et intérêts, la juge Matteau, dans King George Electronique inc. c. 2842122 Canada inc., mentionnait :
« [75] Le recours en diminution de loyer a pour but de rétablir l’équilibre dans la prestation respective des parties au bail. Il vise dès lors à compenser le locataire pour la perte de l’usage et des avantages du bien loué, en réduisant le loyer en proportion de la diminution réelle de la jouissance par rapport à l’ensemble de la jouissance convenue.
[76] Il est également utile ici de rappeler que le recours en diminution de loyer n’a pas le même objet qu’un recours en dommages. Alors que le second permet au locataire de recouvrer les dommages qu’il a subis à la suite d’une dégradation des lieux ou de la diminution des services, le premier vise à recouvrer la part du loyer attribuable à la fourniture du service ou à l’utilisation de l’espace dont il a été privé. » » (Références omises)
[53] La preuve présentée est à l’effet que la locataire a dénoncé la défectuosité aux locateurs le 6 février 2018 par une mise en demeure. Rien dans la preuve présentée ne permet de conclure qu’il y avait eu dénonciation par la locataire d’un quelconque problème concernant le logement avant ce moment.
[54] De plus, la locataire prétend que le logement a toujours été très humide depuis son arrivée en 2016, alors que le rapport14 de madame Marcotte fait référence à l’analyse de l’état des lieux et des facteurs démontrant l’absence d’humidité excessive dans le logement dans le passé.
[55] Le Tribunal conclut que la locataire ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve et la demande en diminution de loyer doit être rejetée. La locataire n’a pas convaincu le Tribunal, selon la balance des probabilités, que le logement avait un problème d’humidité excessive ni que sa jouissance des lieux a été diminuée par des défectuosités.
[56] La preuve présentée ne permet pas de conclure à une perte réelle ni significative de la valeur locative avant la mise en demeure du 6 février 2018.
[57] De plus, la preuve présentée ne permet d’aucune façon de conclure que l’état du logement a engendré des problèmes de santé à l’enfant Émilie et à la locataire, en l’absence d’un rapport médical établissant un lien de causalité entre les hospitalisations de l’enfant Émilie, son état de santé et celui de la locataire et l’état du logement.
[58] En conséquence, le recours de la locataire en diminution de loyer rétroactive est rejeté. »
[Le Tribunal souligne] [Références omises]
[101] Dans la présente affaire, le Tribunal fait sienne l’analyse de cas fait par le juge administratif Michel Huot.
[102] La preuve prépondérante ne démontre pas que le logement était impropre à l’habitation.
[103] Il n’y a aucune preuve d’expert permettant au Tribunal de constater un danger pour la santé et la sécurité pour les demanderesses.
[104] La preuve prépondérante démontre plutôt qu’il y a eu de la moisissure de surface dans la chambre des maîtres qui a été éliminée avec de l’eau de javel.
[105] Le fait que le locateur ait dû faire une ouverture dans un mur et dans le plancher de la chambre n’empêchait aucunement la sous-locataire d’occuper le logement.
[106] De plus, ces travaux, bien qu’ils aient pu incommoder la sous-locataire, étaient nécessaires afin que le locateur constate l’état du logement et auraient été réparés pendant l’occupation de la sous-locataire si elle n’avait pas abandonné le logement sans motif raisonnable.
[107] La preuve prépondérante démontre qu’il n’y a eu aucun problème concernant le logement pendant que la locataire Catherine Ngo Ngom louait le logement.
[108] Par conséquent, la demande est rejetée en ce qui concerne Catherine Ngo Ngom vu l’absence totale de preuve.
[109] En ce qui concerne la sous-locataire Anne-Fleur Hagbang-Bayiba, s’il y a eu un problème d’humidité, cela est dû à sa négligence. La preuve prépondérante démontre qu’elle n’a pas respecté son obligation d’entretenir l’échangeur d’air et d’utiliser le déshumidificateur.
[110] De plus, la preuve prépondérante ne démontre pas qu’elle a subi une perte sérieuse, substantielle et significative de la jouissance de son logement.
[111] Compte tenu de ce qui précède, sa demande est également rejetée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[112] REJETTE la demande de la locataire et de la sous-locataire qui en supporte les frais.
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Richard Barbe | ||
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Présence(s) : | la locataire la sous-locataire Me Ioan Grosuliac, avocat de la locataire et de la sous-locataire le locateur Me Mathieu Desjardins, avocat du locateur | ||
Date de l’audience : | 30 novembre 2022 | ||
Présence(s) : | la locataire la sous-locataire le locateur Me Mathieu Desjardins, avocat du locateur | ||
Date de l’audience : | 12 octobre 2023 | ||
Présence(s) : | la locataire la sous-locataire Me Gislain Kabie, avocat de la locataire et de la sous-locataire le locateur Me Olivier Pomerleau, avocat du locateur | ||
Date de l’audience : | 11 janvier 2024 | ||
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[1] 2010 CanLII 106902 (QC TAL), par. 54 à 56.
[2] Létourneau c. Lefebvre,
[3] Id., par. 47 et suivants.
[4] Préc., note 2.
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