Décision

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R. c. Boissonneault

2019 QCCA 1074

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-10-006476-178

(540-01-079427-178)

 

DATE :

 14 juin 2019

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

CLAUDINE ROY, J.C.A.

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

APPELANTE - poursuivante

c.

 

ALAIN BOISSONNEAULT

INTIMÉ - accusé

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 13 juin 2017 par la Chambre criminelle de la Cour du Québec, district de Laval (l’honorable Lise Gaboury), jugement qui prononçait un acquittement dans le dossier de l’intimé.

― I

[2]           En première instance, l’intimé faisait face à une accusation portée en vertu de l’article 161 (4) du Code criminel. Plus spécifiquement, il lui était reproché de s’être présenté à la bibliothèque Laure-Conan de Laval alors qu’il faisait l’objet, en vertu de l’article 161 (1) a) du même code, d’une interdiction à vie « de se trouver dans … un centre communautaire ».

[3]           Tous les faits sur lesquels pouvait se fonder la juge de première instance furent admis par les parties. Ils consistent en ceci :

-        L’intimé s’était s’est vu imposer l’interdiction susmentionnée le 28 mars 2008 après avoir été trouvé coupable d’une infraction d’ordre sexuel.

-        Il était membre de la bibliothèque Laure-Conan depuis le 13 octobre 1996.

-        Cette bibliothèque est située près de son domicile.

-        L’intimé s’y est trouvé en plusieurs occasions.

-        La bibliothèque dessert une clientèle variée qui inclut des enfants.

-        On y organise régulièrement des conférences et des ateliers.

-        La bibliothèque est située dans un immeuble où sont présents d’autres services (sans qu’ils soient spécifiés).

-        La bibliothèque est située au rez-de-chaussée et on y accède directement de la rue par la porte principale (il y a aussi une entrée réservée aux employés).

[4]           Au paragraphe 3 de ses motifs, la juge circonscrit correctement la question en litige telle qu’elle se présente à elle : « la bibliothèque [Laure-Conan] est-elle un « centre communautaire » au sens de l’alinéa 161 (1) a) ? ».

[5]           Pour situer la question dans son contexte, il est utile de reproduire en entier l’alinéa ici en cause. La disposition confère au tribunal le pouvoir d’imposer certaines interdictions au contrevenant, soit :

a) de se trouver dans un parc public ou une zone publique où l’on peut se baigner s’il y a des personnes âgées de moins de seize ans ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il y en ait, une garderie, un terrain d’école, un terrain de jeu ou un centre communautaire[.]

― II

[6]           Après avoir passé en revue certains arrêts et jugements pertinents qu’elle prend soin de distinguer au besoin (R c. Allaby, 2017 SKCA 25, R c. McIntyre, 2015 ONSC 70 et R. c. Budreo, (2000) 46 O.R. (3d) 481, demande d’autorisation d’appeler à la Cour suprême du Canada rejetée le 3 mai 2001), et après avoir cité un passage d’un ouvrage du Professeur Pierre-André Côté (Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2009), la juge tire ses conclusions. On peut en résumer la teneur comme suit. La disposition telle qu’elle est rédigée ne permet pas d’invoquer la règle ejusdem generis mais les termes ici en cause ne sont pas clairs. Il faut en préciser la portée en s’aidant du sens ordinaire des mots et en tenant compte du fait qu’un contrevenant astreint à une ordonnance en vertu du paragraphe 161 (4), de même que la société en général, doivent pouvoir comprendre ce qui est interdit sans être contraints de faire une recherche dans les débats législatifs. Or, dans l’acceptation courante des termes visés, il ne viendrait à l’idée de personne de se rendre dans un centre communautaire pour emprunter des livres - une bibliothèque n’est pas un centre communautaire. L’intimé n’ayant pas enfreint l’interdiction en fréquentant une bibliothèque, il doit donc être acquitté.

― III

[7]            L’expression « centre communautaire » est particulièrement malléable, pour ne pas dire passe-partout. Ainsi, il est intéressant de noter que dans la totalité de la législation actuellement en vigueur au Québec, ces deux mots n’apparaissent ensemble que deux fois en tout et pour tout, dans les deux cas pour désigner des « centres communautaires juridiques » - l’expression ainsi qualifiée figure dans la Loi sur l’aide juridique et sur la prestation de certains autres services juridiques, RLRQ, c. A-14, et la Loi sur les impôts. RLRQ, c. I-3. On peut d’ailleurs imaginer bien des descriptions qui s’accommoderaient de la même expression : un centre communautaire de loisirs, par exemple, ou un centre communautaire de santé, un centre communautaire municipal, un centre communautaire pour aînés ou un centre communautaire récréatif.

[8]           C’est précisément parce qu’elle est susceptible de recevoir une extension nettement plus large que d’autres que cette expression fut jugée impropre et inconstitutionnelle par la Cour d’appel de l’Ontario dans son arrêt Budreo, supra, paragr. [6]. Cet arrêt portait sur ce qui à l’époque était le paragraphe (3) de l’article 810.1 du Code criminel (on trouve encore aujourd’hui un lointain vestige de ce dernier paragraphe à l’alinéa 810.1 (3.02) b) du même code). Cette disposition, en vertu de laquelle une personne pouvait contracter un engagement de ne pas fréquenter certains lieux, énumérait notamment « une garderie, un terrain d’école, un terrain de jeu ou un centre communautaire. » Dans un jugement unanime sous la plume du juge John Laskin, la Cour d’appel de l’Ontario confirme le jugement du juge Then de la Cour supérieure de la même province. En particulier, la Cour d’appel conclut que l’article 810.1 du Code criminel est conforme à la Charte canadienne des droits et libertés, à cette importante nuance près qu’il faut considérer inopérants les mots « centre communautaire ». Le juge Laskin écrit, au paragraphe [3] : « In a lengthy and well reasoned decision, Then J. concluded that s. 810.1 was constitutional except in two respects. First, he declared "community centre," one of the places a person could be prohibited from attending under s. 810.1(3), to be inoperative because it was overly broad contrary to s. 7 of the Charter and could not be justified under s. 1 ». Et plus loin, au paragraphe [41], il ajoute: « accepting Then J.'s deletion of community centres, the restrictions contemplated by s. 810.1 are narrowly targeted to meet Parliament's objective. »

[9]           Comme le relève la juge de première instance au paragraphe [8] de ses motifs, cet arrêt eut pour conséquence qu’en 2008 le Parlement canadien retrancha de l’alinéa 810.1 (3.02) b) la mention d’un centre communautaire qui complétait l’énumération des lieux à ne pas fréquenter. L’analogie est évidente entre l’alinéa 810.1 (3.02) b) et l’alinéa 161 (1) b) mais la modification apportée en 2008 n’a pas provoqué de modification correspondante dans cette dernière disposition.

[10]        L’intimé, ici, ne demandait pas que la mention « centre communautaire » soit déclarée inopérante, mais seulement qu’elle soit interprétée dans le sens que retient la juge de première instance. C’est sous cet angle que la Cour d’appel de Colombie-Britannique aborda un problème très voisin. Dans l’arrêt R. c. Lachapelle, où il s’agissait de savoir si une fête foraine installée sur un terrain privé (« a private hayfield ») était visée par l’expression « playground » ou « terrain de jeu », la Cour confirma l’acquittement de l’intimé. Rédigeant des motifs auxquels souscrivent ses deux collègues, la juge Newbury fait notamment observer ceci :

[29]      Cases construing the phrase “public park” are of course of limited usefulness in construing “playground”. They turn at least in part on the meaning of “public” and on the effect of the phrase “where persons under the age of 14 years are present or can reasonably be expected to be present” - words that do not, at least grammatically, modify “playground” in s. 161(1)(a). Heywood, D’Angelo, Perron, and Simon do, however, illustrate two areas of tension that also arise with respect the construction of “playground” as it appears in s. 161(1)(a). First, the cases show the tension between the designation of a space and the activities carried on there. Heywood and Perron illustrate an activity-centred approach that looks to “what goes on there” rather than what the space is called or ‘designated’. Of course, the activities carried on at a particular site are, as stated in Perron, relevant to whether it qualifies as a “public park” - and indeed the likely presence of children was said by the majority in Heywood to be a necessary element of “public park” in the context of provisions such as the previous s. 179(1). In this case, however, the Crown’s argument goes further: it says that the fact that children are or may be expected to be present for purposes of recreation, is sufficient by itself to make the site a “playground” (or a “park” for that matter) for purposes of s. 161(1)(a).

[30]      This brings us to the deeper tension between the ordinary or grammatical meaning of a word and the context in which it is used. The “modern rule” of statutory interpretation of course engages and reconciles both the “literal meaning” rule and the “mischief rule” (see E.A. Driedger, Construction of Statutes (2nd ed., 1983) at 1-2 and 81-7); but I do not read cases such as Rizzo Shoes or Clark, supra, as inconsistent with, or intended to modify, the statement made in Heywood quoted earlier in these reasons, namely:

When a statutory provision is to be interpreted the word or words in question should be considered in the context in which they are used, and read in a manner which is consistent with the purpose of the provision and the intention of the legislature: Elmer A. Driedger, Construction of Statutes (2d ed., 1983) at p. 87; R. v. Hasselwander 1993 CanLII 90 (SCC), [1993] 2 S.C.R. 398. If the ordinary meaning of the words is consistent with the context in which the words are used and with the object of the act, then that is the interpretation which should govern. [At 784; emphasis added.]

[31]      In my respectful view, we would be permitting context to overwhelm the ordinary and grammatical meaning of the word “playground” if we were to accede to the Crown’s argument. If it were correct, the term would include a cul de sac at the end of a street where children play hockey, a courtyard between two office towers where older children play with skateboards, or a private driveway with a basketball hoop. In my opinion, these are not ordinarily referred to as “playgrounds” because they are not outdoor areas whose purpose is to provide children with a place to play. I do not suggest that a “playground” must necessarily be a permanent structure or facility, nor that particular facilities or equipment must be provided, but the purpose of the site should be clear. (Usually the purpose of a playground is made evident by facilities such as swings.) I do suggest that “what goes on there” is not the only criterion incorporated by the ordinary and grammatical meaning of the word “playground”. Most of the dictionary definitions mentioned above connote a purpose for which the space is intended, rather than merely the use of space, whether temporary or permanent, formal or informal. By keeping sight of this “ordinary sense” of the term, a balance may be achieved between the objective of protection of children and the principle that an offender who is subject to an order under s. 161 should be in a position to know where he is allowed and not allowed to be found. As well, the overbreadth problem found in Heywood may be avoided.

[32]      I conclude, then, that the summary conviction appeal judge did not err in law in applying the ordinary meaning of “playground” as referring to an outdoor area the purpose of which is to accommodate play by children. Overall, the carnival was a commercial operation intended for the amusement of the public. The “public” of course includes children, but we were not referred to any evidence to the effect that children’s play was its main object or purpose. A carnival may have rides intended for children but will also have other amusements intended for adults or for families generally. No doubt a carnival in Gitanmaax is different from a larger operation such as the P.N.E. in Vancouver, but I do not think that either would be referred to as a “playground” in the grammatical and ordinary sense of the word, even read in the context of s.161 and harmoniously with the object and scheme of the Code and the intention of Parliament. Had it been Parliament’s intention to prohibit sexual offenders such as Mr. Lachapelle from attending at any place where children are present or may be expected to be present for purposes of play, it would have been an easy matter to say so.

Ce jugement indique la voie à suivre, qui est d’ailleurs celle sur laquelle la juge de première instance s’est engagée pour acquitter l’intimée.

[11]        Il est certain que des enfants de moins de quatorze ans peuvent se trouver dans une bibliothèque comme d’ailleurs dans un réseau de transport en commun, un centre d’achat, une clinique de soins dentaires et quantité d’autres endroits extérieurs ou intérieurs. Mais la disposition ne vise pas « tout endroit où il y a des enfants de moins de quatorze ans », elle cible des lieux à risque et l’on sait que l’emploi de l’expression « centre communautaire », indépendamment de sa validité constitutionnelle, peut être critiqué, selon les expressions consacrées « pour cause d’imprécision et de portée excessive » (« vague and overbroad ») - voir R. c. Khawaja, [2012] CSC 69, paragraphe 9. Aussi y a-t-il lieu de l’interpréter en conséquence et, dans ces conditions, de lui réserver le sens que lui attribue la juge de première instance, « endroit servant à héberger diverses activités à caractère social organisées par ou pour les citoyens ». Ce n’est pas ainsi qu’on pourrait correctement décrire la Bibliothèque Laure-Canant et la juge a donc eu raison de statuer en faveur de l’intimé.

[12]        POUR CES MOTIFS, la Cour rejette l’appel.

 

 

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

CLAUDINE ROY, J.C.A.

 

 

 

 

 

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

Me François Girard-Leduc

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’appelante

 

Me Richard Sylvain

LES AVOCATS SYLVAIN ET PARADIS INC.

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

13 juin 2019

 

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