R. c. Hamdan | 2023 QCCQ 5909 | |||||
COUR DU QUÉBEC | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | |||||
LOCALITÉ DE MONTRÉAL « Chambre criminelle et pénale »
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N° : | 500-01-182188-182 | |||||
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DATE : | 13 septembre 2023 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | YVES PARADIS, J.C.Q. | ||||
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Sa Majesté le Roi | ||||||
Poursuivant | ||||||
c. | ||||||
Fadi HAMDAN | ||||||
Accusé | ||||||
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PEINE | ||||||
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APERÇU
[1] Le 31 janvier 2023, M. Fadi Hamdan est trouvé coupable d’un chef de fraude d’une valeur dépassant 5 000 $ commise entre le 21 octobre 2015 et le 13 février 2018.
[2] Les observations sur la peine sont présentées le 7 juin 2023. M. Hamdan témoigne quant à la peine. Des documents sont également déposés.
CONTEXTE
[3] M. Visvardis, qui vit seul, se lie d’amitié avec sa voisine, la mère de M. Hamdan. Au fil du temps, M. Visvardis fait la connaissance de M. Hamdan et lui confie l’administration de ses biens par une procuration générale notariée du 21 octobre 2015.
[4] Il convient de rappeler l’état des actifs de M. Visvardis au moment de la signature de cette procuration. Le relevé du compte [...37] de la Banque canadienne impériale de commerce (CIBC) indique un solde de 163 400 $ en date du 21 octobre 2015[1]. Le relevé de son compte [...39] de la CIBC indique un solde de 73 030,07 $[2]. Le relevé du compte [...29] de la Banque Scotia indique un solde de 21 365,13 $ en devises américaines au 31 octobre 2015[3]. Le relevé du compte [...84] de la Banque Scotia indique un solde de 436,13 $ au 31 octobre 2015[4]. Le relevé du compte [...32] de la Banque Royale du Canada (RBC) indique un solde de 21 871,54 $ en devises américaines[5]. Le 18 novembre 2015, des dépôts de 50 000 $ et 60 000 $ ont été effectués dans le compte [...39] à la CIBC. Les documents provenant de cette institution financière démontrent que ces sommes proviennent d’obligations d’épargne du Canada au nom de M. Visvardis, soit neuf obligations de 10 000 $ et quatre obligations de 5 000 $[6]. Ces obligations étaient contenues dans un coffret de sûreté.
[5] Le 1er février 2018, date de l’appel d’une travailleuse sociale à M. Hamdan l’avisant que M. Visvardis veut les documents relatifs à son portrait financier, il ne reste que 15,50 $[7] et 1 861,32 $[8] dans ses comptes.
[6] De fait, M. Hamdan a transféré ou a placé à son nom presque la totalité des actifs de M. Visvardis. Il a transféré par virement Internet et un retrait de 45 000 $ un total de 314 632 $ en devises canadiennes des comptes de M. Visvardis à la CIBC à ses propres comptes à la CIBC ou à la Banque nationale du Canada (BNC). Il a transféré 235 000 $ dans son compte de courtage. Il a utilisé les 43 715 $ en devises américaines transférés des comptes de M. Visvardis à son compte à la CIBC pour acquérir un terrain en Équateur dont il est toujours propriétaire et récupérer l’argent provenant d’une traite bancaire de 12 400 $ en devises américaines. Il a de plus effectué des retraits totalisant 49 343 $ des comptes de M. Visvardis à la CIBC. Enfin, il s’est emparé de l’argent américain contenu au coffret de sûreté de M. Visvardis.
VICTIME
[7] Le 16 décembre 2019, une entente de règlement dans le cadre d’un litige en Cour supérieure est entérinée[9]. Le Tribunal ordonne aux parties de s’y conformer. Cette entente prévoit un remboursement total de 275 000 $ au moyen des versements suivants:
[8] M. Visvardis décède le 8 mai 2020 à l’âge de quatre-vingt-onze ans[11].
[9] Il lègue tous ses biens meubles et immeubles à trois organismes de bienfaisance[12].
[10] Jusqu’à maintenant 120 730,31 $ ont été versés en règlement de l’entente, laissant un solde dû de 154 269,69 $[13].
TÉMOIGNAGE DE M. HAMDAN
[11] M. Hamdan est né au Liban. Il arrive au Canada avec sa mère à l’âge vingt-deux ans. Il n’a alors que quelques milliers de dollars en épargne.
[12] Il commence à travailler dès son arrivée. De plus, il étudie en gestion hôtelière, puis en finances.
[13] Il se marie en 2002. Le couple a deux garçons.
[14] M. Hamdan a toujours occupé des emplois, étant recruté par de nouveaux employeurs ou promu. La qualité de ses performances est reconnue et soulignée[14]. Il est promu comme chef d’équipe en 2012. En 2015, la performance de l’équipe qu’il dirige est reconnue comme exceptionnelle[15]. En juin 2017, il est confirmé à un poste de directeur de section à un salaire annuel de 63 500 $, avec une possibilité de prime additionnelle[16].
[15] La situation s’avère difficile émotionnellement à partir de l’appel de la travailleuse sociale le 1er février 2018, mais demeure supportable jusqu’à la parution d’un article sur la présente affaire le 30 novembre 2018[17]. Avant que M. Hamdan ne voit cet article, il est retiré d’un groupe de travail. À 14h00 le même jour, il reçoit l’appel d’un gestionnaire le convoquant le lundi suivant à une rencontre avec les enquêteurs de la banque qui l’emploie. Il les rencontre le 3 décembre 2018. Il est congédié le 6 décembre 2018. L’accusation est déposée en décembre 2018.
[16] En raison de cette accusation, il ne peut se trouver un emploi. Il éprouve des difficultés à obtenir des prestations de chômage. En septembre 2019, il réussit à obtenir un contrat de six mois dans le domaine de la vente aux détails. Son employeur apprend l’existence de l’accusation dans la présente affaire. En mars 2020, ce contrat n’est pas renouvelé. Puis la pandémie est survenue. Il perçoit la prestation canadienne d’urgence (PCU), puis la prestation de remplacement. Il est maintenant pigiste dans le domaine audio-visuel. Cet emploi lui rapporte un revenu annuel variant entre 30 000 $ et 40 000 $.
[17] En 2017, son couple traverse des difficultés. Sa conjointe et lui se séparent en décembre 2017. Les deux enfants demeurent à sa charge. Il s’occupe également de sa mère.
[18] L’impact de l’accusation sur sa famille est considérable. Il a la charge de sa mère et de ses enfants, présentement âgés de dix-sept et de dix-neuf ans. Ces derniers sont toujours étudiants et vivent à la maison. Ils travaillent également. Le plus vieux de ses fils a souffert de la pandémie de sorte que sa présence auprès de lui est essentielle. Sa mère aura quatre-vingt-un ans. Personne d’autre ne peut s’occuper d’elle.
[19] Quant à son propre état de santé, il souffre d’un cancer de la peau qui nécessitera des interventions chirurgicales et des traitements.
[20] Il est propriétaire de sa maison à Beloeil qui a une valeur de 400 000 $, mais est grevée d’un solde hypothécaire de 216 000 $.
[21] Il ne peut rencontrer les échéances prévues à l’entente de règlement intervenue avec M. Visvardis en raison de ses problèmes financiers liés à ses difficultés à trouver un emploi et à la pandémie. Son avocat a communiqué avec un avocat pour renégocier les échéances, mais ce dernier n’avait pas le mandat des héritiers. Il n’a pas entendu parler des héritiers par la suite.
POSITIONS DES PARTIES
[22] La poursuite suggère une peine d’emprisonnement de trente mois, ainsi qu’une ordonnance de remboursement de 154 269,69 $[18] et une amende compensatoire du même montant, soit le solde dû en vertu de l’entente de règlement.
[23] Selon la défense, la victime n’a pas subi de préjudice réel. La spoliation est celle prévue à l’entente hors cours, soit 275 000 $, puisque les autres sommes ont été utilisées à des fins autorisées par M. Visvardis. D’ailleurs, ce règlement devrait être considéré comme un facteur atténuant, surtout que des sommes ont été remises. La défense ajoute qu’il n’y a aucune preuve d’accumulation de la part de M. Hamdan. La défense soumet que, selon la fourchette reconnue, la peine devrait en être une de 12 mois d’emprisonnement ferme qui pourrait être remplacée par une peine plus longue d’emprisonnement avec sursis de deux ans moins un jour accompagnée de l’exécution de travaux communautaires. Une peine d’emprisonnement avec sursis devrait être imposée puisque M. Hamdan ne représente pas un danger pour la société. Dans le cas où la proposition de la défense était retenue, une amende compensatoire ne devrait pas être imposée puisqu’elle serait commutée en exécution de travaux communautaires qui, comme le ferait l’amende compensatoire, profiterait à la communauté.
LES PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES
[24] Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer, parallèlement à d'autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d'une société juste, paisible et sûre par l'infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants: la dénonciation, la dissuasion générale et spécifique, l’isolation au besoin du délinquant, la réinsertion sociale, la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité et susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants[19].
[25] La peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant[20].
[26] Elle doit être adaptée aux circonstances aggravantes et atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant[21].
[27] Le tribunal doit également tenir compte du principe de l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables[22].
[28] Dans le cas de perte de bien imputable à la perpétration de l’infraction, le tribunal qui inflige la peine peut, en plus de toute autre mesure, ordonner à l’accusé de dédommager les victimes[23].
[29] Le tribunal qui est convaincu qu’une ordonnance de confiscation devrait être rendue à l’égard d’un bien peut, en remplacement de cette ordonnance, infliger au contrevenant une amende égale à la valeur du bien s’il est convaincu que le bien ne peut pas faire l’objet d’une telle ordonnance, notamment dans les cas où il est impossible de retrouver ce bien malgré des efforts en ce sens ou dans les cas où le bien se situe à l’extérieur du Canada[24].
ANALYSE
[30] Quiconque commet une fraude dont la valeur de l’objet de l’infraction dépasse cinq mille dollars est passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans[25]. Il s’agit d’une infraction dont la gravité objective est l’une des plus élevées prévues par la loi.
[31] La gravité subjective est évaluée en considérant les circonstances entourant la commission de l’infraction. Dans l’arrêt Vallières c. R., la Cour d’appel du Québec rappelle les principaux facteurs permettant de mesurer la responsabilité morale d’un délinquant en matière de fraude:
[32] Il faut maintenant appliquer ces facteurs à la présente affaire.
[33] Quant à l’ampleur de la spoliation, elle ne se limite pas à 275 000 $ comme le prétend la défense. Ce montant n’est que le résultat d’une entente entre les parties qui souhaitaient régler leur litige civil, sans admission de responsabilité[27]. Dans les faits, M. Hamdan a transféré ou a placé à son nom presque la totalité des actifs de M. Visvardis. Il a transféré 314 632 $ en devises canadiennes des comptes de M. Visvardis à la CIBC à son propre compte à la CIBC ou à son compte à la BNC. Il a de plus effectué des retraits totalisant 49 343 $ des comptes de M. Visvardis à la CIBC. Il a utilisé les 43 715 $ en devises américaines transférés des comptes de M. Visvardis pour acquérir un terrain et récupérer l’argent provenant d’une traite bancaire. Selon un relevé d’opérations de la CIBC, le taux de change était de 1.3597 le 18 novembre 2015[28], soit à l’époque où les chèques vidant les comptes en devises américaines ont été signés. Ces devises américaines représentent ainsi 59 439,28 $ en devises canadiennes. De plus, le coffret de sûreté de M. Visvardis contenait de l’argent comptant en devises américaines. Bien que M. Visvardis ait mentionné 700 $, il précise qu’il s’agissait de soixante-dix billets de 100 $. M. Hamdan parle de 10 000 $. Le Tribunal considère qu’il s’agit de 7 000 $ en devises américaines, ce qui représente 9 500 $ au taux de change de l’époque. Le total de ces sommes est de 432 914,28 $.
[34] M. Visvardis mentionne qu’il dépensait entre 100 $ et 200 $ par mois en argent comptant que lui apportait M. Hamdan. Dans le scénario le plus favorable à M. Hamdan, cela a représenté 5 600 $ pendant la période frauduleuse. Les frais d’hébergement au centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) où résidait M. Visvardis n’étaient pas payés au moyen de l’argent transféré par M. Hamdan puisqu’ils étaient prélevés directement du compte [...39] de M. Visvardis à la CIBC[29], compte dans lequel étaient toujours déposés différents montants, dont des sommes provenant de la Régie des rentes, du crédit de solidarité et d’un déposant identifié « Dépôt Canada ». Ainsi, une fois ce montant de 5 600 $ déduit, le montant frauduleusement obtenu est de 427 314,28 $.
[35] M. Hamdan a bénéficié personnellement de ces sommes, notamment en les plaçant dans son compte de courtage et en achetant un terrain, dont il est toujours propriétaire. Il a placé certaines sommes dans un régime enregistré d’épargne-études (REEE) pour ses enfants, mais ces sommes ne sont pas significatives dans le contexte. Il mentionne avoir remis de l’argent à sa mère, mais le Tribunal a mentionné dans son jugement que son témoignage n’était pas crédible. De toute façon, le fait qu’il ait voulu faire profiter ses proches d’argent obtenu illégalement ne représente pas un facteur atténuant.
[36] La défense soumet qu’aucun préjudice réel n’a été subi par M. Visvardis. Cet argent était destiné par héritage à M. Hamdan. Ce dernier a été trop pressé. Toutefois, bien que M. Hamdan fût désigné comme héritier, cet argent ne lui appartenait pas au moment où il s’en est emparé. Il y a donc un préjudice réel au patrimoine de M. Visvardis, préjudice qui doit maintenant être assumé par les organismes désignés comme héritiers. M. Visvardis a donné toute sa confiance à M. Hamdan en signant la procuration. Il a été floué par une personne qu’il considérait son ami. De plus, la quiétude de la dernière partie de sa vie a été troublée par un recours civil visant à récupérer son argent. Ces éléments témoignent d’un préjudice important.
[37] Certaines sommes ont été redéposées au compte de M. Visvardis par M. Hamdan. Le 2 février 2018, une somme de 7 100 $ a été déposée. Le même jour, M. Hamdan a eu un échange par courriels avec une administratrice du CHSLD concernant un solde pour les frais d’hébergement de 7 075,62 $[30]. Ce dépôt a pour but de couvrir ce solde impayé qui avait suscité l’inquiétude de M. Visvardis. Le 13 février 2018, M. Hamdan dépose 37 500 $ au compte de M. Visvardis. Ce dépôt est effectué peu de temps avant la rencontre du 16 février 2018 avec M. Visvardis et des membres du personnel du CHSLD. Ce dépôt permettait à M. Hamdan d’exhiber un relevé du compte de M. Visvardis démontrant un solde de 38 069,27 $[31], solde augmenté artificiellement par ce récent dépôt. En conséquence, bien que ces remises d’argent doivent être considérées, elles ne représentent aucunement l’expression d’un repentir ou d’un remords.
[38] En exécution de l’entente entérinée par la Cour supérieure pour un montant de 275 000 $, M. Hamdan a effectué des versements de 111 500 $ et de 9 230,31 $[32], laissant un montant dû de 154 269,69 $. Cette entente de règlement a été signée sans admission de responsabilité. Ces paiements ne sont que le résultat d’une entente à la suite du recours civil. Ces remises d’argent doivent être considérées, mais elles ne représentent pas davantage l’expression d’un repentir ou d’un remords.
[39] La fraude s’est échelonnée du 21 octobre 2015 au 13 février 2018, soit sur une période de deux ans et plus de trois mois. Pour commettre cette fraude, M. Hamdan a commis de nombreuses actions. Cette fraude était préméditée et planifiée. M. Hamdan a utilisé un système frauduleux comprenant plusieurs virements, retraits dans des guichets, dépôts à ses comptes et placements dans un compte de courtage. Il a de plus entrepris différentes démarches pour acheter un terrain en Équateur.
[40] M. Hamdan n’a aucuns antécédents judiciaires. Toutefois, l'absence d'antécédents judiciaires n'est pas très significative lorsque l’infraction résulte d’une série d’actes planifiés sur une longue période[33].
[41] M. Visvardis était une personne âgée particulièrement vulnérable. Il n’avait aucune famille au Canada. Il vivait seul. Il souffrait de dégénérescence maculaire qui l’empêchait de lire et de problèmes de dos qui limitaient considérablement ses déplacements. Cet état de vulnérabilité se traduisait dans son attitude relativement à la gestion de son patrimoine puisqu’il mentionne que, bien que M. Hamdan ne lui rendît pas compte de sa gestion, il ne posait pas de question pour ne pas créer un froid entre eux. Il avait confiance que M. Hamdan gérait son patrimoine dans son intérêt. Cet abus de confiance de la victime constitue un facteur aggravant[34]. Le fait que l’infraction a eu un effet important sur la situation financière de M. Visvardis, une personne vulnérable en raison de son âge et de sa situation personnelle, constitue un autre facteur aggravant[35].
[42] La seule motivation sous-jacente à la commission de l’infraction est l’appât du gain, la cupidité. M. Hamdan gagnait bien sa vie et n’avait pas de difficulté financière. La preuve ne révèle aucun problème de consommation d’alcool ou de drogues. Il ne souffrait d’aucun désordre physique. Le seul désordre psychologique révélé par la preuve résulte de ses problèmes conjugaux. Ceux-ci sont survenus en 2017, alors que les transactions relatives à la fraude ont débuté en 2015 et que la partie substantielle du patrimoine de M. Visvardis a été transférée avant 2017. En 2015, la performance de l’équipe qu’il dirige est reconnue comme exceptionnelle. En juin 2017, il est confirmé à un poste de directeur de section. Manifestement, à cette époque, il ne souffrait pas d’un désordre psychologique pouvant affecter sa capacité de jugement.
[43] La défense soumet que l’entente de règlement survenue dans le cadre du recours civil est un facteur atténuant. Le Tribunal conçoit mal qu’une entente intervenue dans le cadre d’un recours par lequel une victime de fraude veut récupérer les biens dont elle a été flouée puisse constituer un facteur atténuant, surtout lorsque cette entente prévoit que les parties souhaitent régler le litige sans admission de responsabilité[36].
[44] La défense soumet qu’une peine d’emprisonnement ferme aurait un effet collatéral important sur les enfants et la mère de M. Hamdan. À ce sujet, dans R. c. G.G., la Cour d’appel du Québec mentionne que, dans des circonstances exceptionnelles et précises, les conséquences d’une longue peine d’emprisonnement sur la famille peuvent avoir une incidence sur l’analyse par le juge d’une peine appropriée, cependant la peine ne peut être réduite à un point où la peine devient disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction ou la culpabilité morale du délinquant[37]. Les deux fils de M. Hamdan sont âgés de dix-sept et de dix-neuf ans. La preuve que l’état d’un de ses fils nécessite sa présence et que leur mère ne peut s’occuper d’eux ne résulte que du témoignage de M. Hamdan, que le Tribunal a jugé non crédible au procès. Bien que la mère de M. Hamdan soit âgée, elle réside toujours seule dans le même appartement qu’à l’époque où elle a connu M. Visvardis. Le crime n’est pas le résultat d’un geste isolé non prémédité, mais plutôt de la mise en application d’un système sur plus de deux ans. M. Hamdan s’est engagé dans cette aventure criminelle sachant que ses fils étaient jeunes, que sa mère était âgée et que sa présence leur était utile.
[45] M. Hamdan a souligné qu’il doit subir des interventions chirurgicales et des traitements en raison d’un cancer de la peau. Bien que les difficultés de santé d’un délinquant puissent constituer une circonstance atténuante, sauf dans des circonstances exceptionnelles ce n’est généralement pas un facteur qui sera considéré pour réduire la peine[38]. Seront jugés exceptionnels les cas où le délinquant souffre d’une maladie grave et incurable, où son décès est imminent, ou encore les cas où les services carcéraux ne sont pas en mesure de répondre aux besoins particuliers qu’engendre l’état de santé d’un délinquant[39]. Il n’y a aucune preuve que les services carcéraux ne seront pas en mesure de répondre à ses besoins.
[46] Considérant les suggestions des parties quant à la peine, dont l’emprisonnement avec sursis, le Tribunal doit dans un premier temps conclure que ni l'emprisonnement dans un pénitencier ni des mesures probatoires ne sont des sanctions appropriées. Ce n’est qu’après avoir déterminé que la peine appropriée est un emprisonnement de moins de deux ans que le Tribunal doit se demander s'il convient que le délinquant purge sa peine dans la collectivité[40].
[47] La poursuite demande au Tribunal de rendre une ordonnance de dédommagement équivalente aux montants non payés en vertu de l’entente de règlement. Avant de déterminer la durée de la peine, le Tribunal doit déterminer si une ordonnance de dédommagement doit être imposée et l’ampleur de cette ordonnance puisqu’il doit considérer l’effet cumulatif de la peine dont l’ordonnance de dédommagement est une composante[41]. En effet, une ordonnance de dédommagement est une modalité de la peine qui doit globalement respecter les principes de totalité et de proportionnalité [42].
[48] La capacité financière de M. Hamdan à rembourser les sommes non recouvrées est limitée. Selon la jurisprudence, bien que la capacité de payer soit toujours un facteur pertinent, elle n’est pas toujours déterminante[43]. L’article
[49] Considérant la capacité financière actuelle et à envisager de M. Hamdan, il semble utopique d’espérer que les héritiers soient totalement remboursés. Toutefois, considérant l’importance des montants obtenus, les moyens par lesquels ils ont été obtenus et les conséquences financières et personnelles subies par M. Visvardis, une ordonnance prévoyant leur remboursement devrait être ordonnée.
[50] Selon l’article
[51] Le paragraphe
Le délinquant qui, à la date précisée dans l’ordonnance visée aux articles 732.1, 738, 739 ou 742.3, omet de payer la totalité de la somme indiquée dans l’ordonnance ou de faire un versement, contrevient à l’ordonnance et le destinataire de la somme peut, par le dépôt de l’ordonnance, faire enregistrer toute somme qui demeure impayée au tribunal civil compétent. L’enregistrement vaut jugement exécutoire contre le délinquant comme s’il s’agissait d’un jugement rendu contre lui, devant ce tribunal, au terme d’une action civile au profit du destinataire.
[52] L’entente intervenue entre M. Hamdan et M. Visvardis a été entérinée par la Cour supérieure qui a ordonné aux parties de s’y conformer. Il y a donc déjà un jugement exécutoire rendu contre M. Hamdan. Une ordonnance de dédommagement est donc superfétatoire. En conséquence, le Tribunal ne rend pas une telle ordonnance.
[53] Il faut maintenant déterminer la peine. Selon les auteurs Parent et Desrosiers, dans les cas de fraudes d’importance intermédiaire, se caractérisant par des détournements frauduleux d’une valeur totale variant de 100 000 $ à 500 000 $, les peines infligées varient de 6 mois à 3 ans environ, avec prédominance pour des peines de 12 à 20 mois, comprenant la possibilité d’emprisonnement avec sursis[45]. Ces auteurs ajoutent que des fraudes de ce type comportant plusieurs circonstances atténuantes donnent généralement lieu à des peines de 8 à 18 mois d’emprisonnement avec prédominance pour des peines de 15 mois[46]. Ils mentionnent également que de telles fraudes comportant plusieurs facteurs aggravants donnent généralement lieu à des peines oscillant entre 18 mois et 36 mois, avec possibilité de peines plus sévères[47].
[54] La décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans R. v. Taylor[48] est pertinente puisqu’elle discute de circonstances très semblables aux circonstances de la présente affaire. Mme Taylor a été trouvé coupable de fraude après procès. Alors qu’elle était engagée à titre d’aide-soignante d’une dame âgée de près de quatre-vingt-dix ans, décédée au moment du procès, Mme Taylor a profité d’une procuration pour se faire émettre une carte à son nom de l’institution financière de la victime qu’elle a utilisée pour retirer la majeure partie de ses économies, soit 126 000 $. Mme Taylor a utilisé cet argent à son profit et non pour combler les besoins de la victime. Mme Taylor était âgée de trente-huit ans au moment de la peine et n’avait pas d’antécédents judiciaires. Lors de la commission de l’infraction, elle était elle-même victime d’une relation conjugale abusive. La Cour d’appel a considéré la situation de totale dépendance de la victime qui considérait Mme Taylor comme une amie et le fait que la fraude, qui s’était échelonnée sur plusieurs mois, était planifiée pour refuser que la peine de 21 mois soit purgée dans la collectivité. Selon la Cour, les objectifs de dénonciation et dissuasion ne seraient pas rencontrés par un emprisonnement avec sursis.
[55] Dans la présente affaire, plusieurs facteurs aggravants et peu de facteurs atténuants sont présents. Le montant floué se situe près du maximum de la fourchette. Il s’agit d’une fraude planifiée qui a nécessité plusieurs actes échelonnés sur plus de deux ans. Il s’agit d’un abus de confiance d’une personne vulnérable. La cupidité est la seule motivation sous-jacente à la fraude. L’argent retourné dans le compte de M. Visvardis et les sommes remboursées en vertu de l’entente réduisent la perte, mais ne représentent aucun remords ou repenti. L’absence d’antécédents judiciaires est peu significative dans les circonstances. Le fait que M. Hamdan ne sera pas présent pour ses enfants et sa mère est une conséquence de sa conduite criminelle, conséquence prévisible au moment où il a commis l’infraction.
[56] Dans ces circonstances, la peine suggérée par la défense ne répond pas adéquatement aux objectifs de dénonciation et de dissuasion. Une peine d’emprisonnement de trente mois répond à ces objectifs et est justifiée par la responsabilité morale de M. Hamdan.
[57] La poursuite demande également une amende compensatoire d’une valeur équivalente au montant de l’entente de règlement qui n’a pas encore été payé.
[58] En vertu du paragraphe
[59] Même si l’amende compensatoire fait techniquement partie de la peine, une telle ordonnance se distingue de la peine infligée pour la commission d’une infraction désignée en ce qu’elle a pour but de remplacer le produit de la criminalité plutôt que de punir le contrevenant[49]. L’amende compensatoire tient donc de la nature d’une ordonnance de confiscation: en remplacement d’une ordonnance de confiscation, le Tribunal peut infliger au contrevenant une amende égale à la valeur du produit de la criminalité qui aurait été confisqué. La valeur du bien en question dicte le montant de l’amende[50].
[60] Dans la présente affaire, en vertu du paragraphe
[61] La valeur des produits de la criminalité non recouvrés dépasse la valeur de l’amende en remplacement demandée par la poursuite, qui la limite aux montants non recouvrés à la suite de l’entente hors cours. Selon l’arrêt R. c. Vallières de la Cour suprême du Canada, l’équivalence entre le montant de l’amende et la valeur du bien est inhérente à la notion de remplacement[51]. Dans la présente affaire, le Tribunal aurait exercé sa discrétion pour ordonner une telle amende à partir du montant spolié en déduisant les montants déposés au compte de M. Visvardis en février 2018 et les montants perçus en vertu de l’entente.
[62] Toutefois, en vertu du paragraphe
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
CONDAMNE M. Fadi Hamdan à une peine d’emprisonnement de 30 mois.
ORDONNE à M. Hamdan de payer une amende en remplacement d’une ordonnance de confiscation de biens qui constituent des produits de la criminalité au montant de 154 269,69 $, à être payée au plus tard le 13 septembre 2028;
CONDAMNE M. Hamdan, à défaut de paiement de cette amende de remplacement d’une ordonnance de confiscation de biens, à purger une peine d’emprisonnement de 24 mois à être purgée consécutivement à la peine d’emprisonnement autrement ordonnée par la présente décision;
ORDONNE que les montants remboursés après le présent jugement dans le cadre de l’entente entérinée par la Cour supérieure dans le dossier 500-17-103274-182 réduisent d’autant le montant de l’amende de remplacement imposée dans la présente décision;
ORDONNE que la durée de l’emprisonnement, à défaut du paiement de l’amende de remplacement, soit réduite sur remboursement après le présent jugement de montants dans le cadre de l’entente entérinée par la Cour supérieure dans le dossier 500-17-103274-182 du nombre de jours ayant le même rapport avec la durée de l’emprisonnement qu’entre le remboursement et le montant initial de l’amende.
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| __________________________________ Yves Paradis, J.C.Q. | |
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Me Nicolas Cornelius Ammerlaan | ||
Pour la poursuite
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Me François Taddeo | ||
Pour M. Fadi Hamdan | ||
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Date d’audience: | 7 juin 2023 | |
[1] P-6, relevés mensuels du compte [...37] de la CIBC, page 1.
[2] P-7, relevés mensuels du compte [...39] de la CIBC, page 1.
[3] P-9, relevé du compte [...29] de la Banque Scotia, page 1.
[4] P-10, relevés mensuels du compte [...84] de la Banque Scotia, page 1.
[5] P-12, relevé du compte [...32] de la Banque Royale du Canada, page 1.
[6] P-7, relevés mensuels du compte [...39] de la CIBC, pages 67 à 81 (la pagination sur support informatique peut être différente que celle sur les documents sur papier).
[7] P-6, page 57.
[8] P-7, page 62.
[9] S-1, procès-verbal du 16 décembre 2019.
[10] S-1, entente de règlement, paragr. 2 à 5.
[11] S-1, certificat de décès.
[12] S-1, testament, article IV.
[13] S-1, lettre du 16 mai 2023 de mission inclusion.
[14] S-4, lettre du 16 novembre 2009 relativement à un programme de reconnaissance et document de 2011 reconnaissant l’excellence de la qualité du service à la clientèle.
[15] S-4, document de 2015 reconnaissant à l’équipe de M. Hamdan une performance d’équipe exceptionnelle.
[16] S-4, lettre du 5 juin 2017 dont l’objet est « Confirmation dans le poste de directeur de section ».
[17] S-3, article de La Presse intitulé « Fraude envers les aînés, quand la menace est tout près ».
[18] S-1, lettre du 16 mai 2023 de mission inclusion.
[19] Article
[20] Article
[21] Alinéa 718.2a) C.cr.
[22] Alinéa 718.2b) C.cr.
[23] Alinéa
[24] Paragr.
[25] Paragr.
[26] Vallières c R.,
[27] S-1, entente de règlement, deuxième page.
[28] P-14, page 2.
[29] P-26, annexes I et J.
[30] P-32.
[31] P-25, page 13.
[32] S-1, lettre du 16 mai 2023 de Me Judith Pinsonneault.
[33] R. c. Cioffi,
[34] Sous-alinéa 718.2a) (iii) C.cr.
[35] Sous-alinéa 718.2a) (iii.1) C.cr.
[36] S-1, entente de règlement, deuxième page.
[37] R. c. G.G.,
[38] Christie-Sanguinet v. R.,
[39] Michaud c. R.,
[40] R. c. Proulx,
[41] R. c. Simoneau,
[42] Charrière c. R.,
[43] Charrière c. R., précité, note 40, paragr. 211 et R. c. Simoneau, précité, note 39, paragr. 18.
[44] Charrière c. R., précité, note 40, paragr. 211; R. c. Simoneau, précité, note 39, paragr. 54 et R. v. Lavallée,
[45] Hugues Parent et Julie Desrosiers, Traité de droit criminel, t. 3 « La peine », 3e éd., Montréal, Thémis, 2020, p. 1018, paragr. 730.
[46] Id., p. 1018, paragr. 731.
[47] Id., p. 1019, paragr. 732.
[48] R. v. Taylor,
[49] R. c. Vallières,
[50] Id., paragr. 28.
[51] Id., paragr. 30.
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