Pierre c. Boulet |
2016 QCRDL 5013 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
252030 31 20151222 G |
No demande : |
1898834 |
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Date : |
09 février 2016 |
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Régisseur : |
Robin-Martial Guay, juge administratif |
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Jean-Steve Pierre |
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Locataire - Partie demanderesse |
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c. |
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Geneviève Boulet
Grégory Abel
Stephane Pigeon |
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Locateurs - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le Tribunal est saisi d’une demande du locataire qui s’oppose et conteste l’avis d’éviction qu’il a reçu des locateurs relativement à un changement d’affectation du logement concerné.
[2] La demande a été signifiée à chacun des trois locateurs par poste certifiée.
[3] En l’espèce, la preuve révèle que les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2015 au 30 juin 2016 au loyer mensuel de 530 $.
[4] Les locateurs ont acquis l’immeuble comprenant huit logements dont le logement concerné en date du 9 septembre 2015.
[5] Le 1er décembre 2015, les locateurs faisaient transmettre au locataire un avis d’éviction pour changement d’affectation du logement concerné.
[6] Le locataire a reçu l’avis d’éviction en date du 8 décembre 2015 et déposé sa demande d’opposition au changement d’affectation de son logement le 22 décembre 2015, soit dans le délai prescrit par la loi.
[7] Au soutien de sa demande, le locataire allègue essentiellement que les locateurs sont de mauvaise foi, qu’ils font un changement d’affectation pour louer les logements plus chers.
[8] Dans son cas, dit-il, il aura à payer 370 $ de plus par mois pour son logement, soit 900 $ au lieu des 530 $ qu’il paie présentement. Le locataire allègue aussi que les locateurs l’ont informé de leur intention de faire de la location touristique.
[9] Les articles pertinents du Code civil du Québec qui s’appliquent au cas sous étude sont les suivants :
« 1959. Le locateur d'un logement peut en évincer le locataire pour subdiviser le logement, l'agrandir substantiellement ou en changer l'affectation.»
« 1960. Le locateur qui désire reprendre le logement ou évincer le locataire doit aviser celui-ci, au moins six mois avant l'expiration du bail à durée fixe; si la durée du bail est de six mois ou moins, l'avis est d'un mois.
Toutefois, lorsque le bail est à durée indéterminée, l'avis doit être donné six mois avant la date de la reprise ou de l'éviction.»
« 1961. L'avis de reprise doit indiquer la date prévue pour l'exercer, le nom du bénéficiaire et, s'il y a lieu, le degré de parenté ou le lien du bénéficiaire avec le locateur.
L'avis d'éviction doit indiquer le motif et la date de l'éviction.
Toutefois, la reprise ou l'éviction peut prendre effet à une date postérieure, à la demande du locataire et sur autorisation du tribunal.»
[10] Il appert de « l’avis d’éviction pour changement d’affectation et de travaux majeurs de votre logement » (Pièce P-1) qui a été remis au locataire, que les locateurs souhaitent : « entreprendre des travaux importants de réfections entières des logements et par la suite d’en changer l’affectation ». (Sic)
[11] L‘avis d’éviction des locateurs résume les travaux importants comme étant la salle de bain entière, la cuisine entière, le revêtement des planchers ainsi que les portes et les fenêtres.
[12] À l’audience, l’un des locateurs est venu affirmer qu’il évaluait le coût des travaux à quelques 100 000 $, ajoutant que les travaux et le changement d’affectation souhaité ne nécessitait pas l’émission de permis par la corporation municipale ou l’arrondissement de Montréal-Nord. Bien que cette affirmation nous laisse aussi songeur, voire perplexe qu’il en soit ainsi. Passons !
[13] Dans le cas sous étude, bien que l’avis d’éviction et les deux feuilles en annexe parlent à quatre occasions de changement d’affectation du logement, nulle part l’avis d’éviction ne fait état et indique au locataire la nouvelle affectation projetée du logement.
[14] L’alinéa 2 de
l’article
[15] Cela étant, le
locateur qui souhaite changer l’affectation d’un logement ou d’un terrain doit
obligatoirement indiquer dans son avis la nouvelle affectation projetée. Ce
n’est d’ailleurs qu’à ce moment-là que le locataire pourra évaluer s’il y a
lieu de s’y opposer. C’est également sur la base de l’avis d’éviction du
locateur que le locataire pourra éventuellement exercer ses recours en
dommages-intérêts en cas de mauvaise foi de sa part. Québec (Curateur
public) c. Bolduc,
[16] En l’espèce, l’avis d’éviction des locateurs du 1er décembre 2015 échappe à cette condition puisqu’il n’indique pas l’affectation projetée du logement concerné; ce qui n’est pas sans en affecter la validité.
[17] Qu’à cela ne tienne, l’article 1966, al. 2 exige aussi que le locateur démontre qu'il entend réellement changer l'affectation du logement et que la loi le permet. La loi inclut un règlement (municipal ou autre).
[18] Le locateur doit mettre en preuve des faits précis qui démontrent ses intentions réelles de changer l’affectation du logement. Cela équivaut implicitement à devoir prouver sa bonne foi.
[19] Aussi, la production de plans, d’un budget et d'un permis de la corporation municipale ou de l’arrondissement lorsque requis s'avèreront pertinents. Dans le cas sous étude, les locateurs ont affirmé qu’il n’était pas pertinent pour eux de produire pareils documents puisque dans les faits, ils ne sont pas requis de par la loi et la réglementation municipale d’obtenir pareils documents pour changer l’affectation des logements et de l’immeuble.
[20] En l’espèce, c’est lors d’une rencontre avec le locataire que ce dernier apprenait des locateurs qu’ils entendaient transformer l’immeuble en « maison d’hébergement » avec spécificités.
[21] Les spécificités résident dans le fait que les huit logements de l’immeuble ne seront frappés d’aucune restriction quant à la présence d’animaux et comprendront des services obligatoires et payables pour chaque locataire du câble de base et de l’Internet ainsi que de ceux généralement utiles pour qui possède un animal de compagnie, tels que vétérinaire et maitre-chien. Encore une fois, rien de tel n’apparaît sur l’avis d’éviction des locateurs.
[22] Est-il nécessaire de rappeler que les dispositions sur le changement d’affectation doivent être interprétées de façon restrictive puisqu’elles constituent une exception au principe du maintien dans les lieux.
[23] En l’espèce, les locateurs ont affirmé à l’audience qu’ils entendent louer les huit logements qui composent l’immeuble sous le vocable « maison d’hébergement », ce qui est autorisé par le règlement de zonage de l’arrondissement de Montréal-Nord.
[24] Le Tribunal juge que le projet des locateurs ne constitue pas un changement d'affectation du logement concerné. Le Tribunal estime que le logement concerné et l’immeuble qui l’abrite ne sont pas appelés à prendre une autre vocation que celle d’un immeuble résidentiel à logements.
[25] Le fait qu’il n’y aurait aucune restriction sauf celle prévue par la loi quant à la présence d’animaux dans l’immeuble et les huit logements qu’il abrite ne constitue pas un changement d’affectation de l’immeuble qui demeurera en totalité un immeuble résidentiel à logements.
[26] De plus, que tous et
chacun des huit logements de l’immeuble soient pourvus des services
obligatoires et payables pour chaque locataire du câble de base et de l’Internet
ainsi que de ceux généralement utiles pour qui possède un animal de compagnie, tels
que vétérinaire et maitre-chien, ne font pas que l’immeuble et les logements
qui le composent changent d’affectation au sens de l’article
[27] Au surplus, il sied de signaler que la preuve ne démontre pas que de tels professionnels occuperont un espace pour leurs opérations à l’intérieur de l’immeuble et a fortiori que la réglementation les y autoriserait.
[28] En réalité, il n’y aura pas une utilisation différente du logement concerné si ce n’est que le locataire aurait, a-t-il dit, à souffrir des inconvénients liées à la présence souhaitée par les locateur de chiens de races et de grands gabarits, tels que doberman et grand danois et, qu’il verrait le prix de son loyer passer de 530 $ à quelque 900 $ par mois, tel qu’annoncé par les locateurs en raison de l’obligation qu’il aura de payer pour les services qu’il les utilise ou non.
[29] En l’instance, le Tribunal juge que l’avis d’éviction est l’expression d’une tactique des locateurs visant à évincer des locataires pour augmenter les revenus de l’immeuble qu’ils ont acquis récemment. Les locateurs n’ont pas convaincu le Tribunal qui souhaite réellement changer l’affectation de l’immeuble pour en faire une maison d’hébergement.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[30] ACCUEILLE la demande du locataire;
[31] DÉCLARE nul l'avis d’éviction du 1er décembre 2015;
[32] REFUSE le changement d’affectation du logement;
[33] CONDAMNE la partie défenderesse à payer au locataire 100 $ pour les frais judiciaires et de signification.
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Robin-Martial Guay |
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Présence(s) : |
le locataire les locateurs |
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Date de l’audience : |
1er février 2016 |
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