Décision

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Nicula c. Groupe CLV inc.

2024 QCTAL 24585

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

Nos dossiers :

735373 31 20230925 G

752707 31 20231221 G

Nos demandes :

4051397

4150179

 

 

Date :

26 juillet 2024

Devant le juge administratif :

Michel Rocheleau

 

Julian Nicula

 

Mary Ann Boswell

 

Locataires - Partie demanderesse

c.

Groupe CLV Inc.

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le 25 septembre 2023, le locataire dépose une demande par laquelle il demande une diminution de loyer mensuelle de 50 % portant intérêts, une ordonnance d’exécution en nature pour la réparation de l’ascenseur, ainsi qu’une autorisation à déposer son loyer jusqu’à ce que l’ascenseur de l’immeuble soit redevenu fonctionnel. (Dossier 735373)

[2]         Le 21 décembre 2023, la locataire dépose une demande par laquelle elle demande une diminution de loyer mensuelle de 50 % portant intérêts, une ordonnance d’exécution en nature pour la réparation de l’ascenseur, ainsi qu’une autorisation à déposer son loyer jusqu’à ce que l’ascenseur de l’immeuble soit redevenu fonctionnel. (Dossier 752707)

[3]         Du consentement des parties et en vertu des pouvoirs conférés par l’article 57 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement, le Tribunal accorde la réunion des dossiers ci-dessus.

Contexte

[4]         Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023, reconduit jusqu’au 30 juin 2024, au loyer mensuel de 977 $ (752707), ainsi que d’un bail du 1er décembre 2022 au 30 novembre 2023, lequel fut reconduit jusqu’au 30 novembre 2024 (735373).

[5]         Les locataires habitent respectivement un logement au 3e étage et 4e étage d’un immeuble composé de 48 logements répartis sur six étages.


[6]         Il est admis de part et d’autre que l’ascenseur fut complètement hors service entre les mois de mai et octobre 2023. Cette période est celle qui couvre la diminution de loyer réclamée. L’ascenseur fut complètement remplacé en octobre 2023, si bien qu’il n’y a plus lieu de se pencher sur la question de la demande d’exécution en nature ni sur celle de l’autorisation à déposer le loyer au Tribunal. Seule la question de la diminution de loyer sera donc abordée. 

Preuve des locataires

[7]         Monsieur Julian Nicula témoigne. Il habite l’appartement 45 situé au 4e étage avec sa conjointe.

[8]         Il fait part des difficultés rencontrées avec les bris d’ascenseur ayant mené au remplacement de celui-ci. Ce bris a entrainé les locataires de l’immeuble vers un ascenseur non fonctionnel durant une période consécutive de six mois, soit de mai à octobre 2023, ceci est admis par toutes les parties.

[9]         Il produit une lettre transmise par huissier le 14 août 2023 par laquelle il dénonce sa détresse et celle de sa conjointe de devoir monter les escaliers sans l’aide de l’ascenseur[1].

[10]     La conjointe de Monsieur Nicula témoigne également. Elle a vécu un tel stress de devoir au quotidien monter les 4 étages qui sépare l’entrée de l’immeuble à son logement. Elle a paralysé au niveau de la colonne vertébrale à un certain moment, dit-elle.

[11]     Il lui fut difficile d’entrer dans l’immeuble et ne pas pouvoir emprunter l’ascenseur avec des sacs d’épicerie et autres marchandises pour se rendre à son logement.

[12]     Contre-interrogée, elle affirme ne pas avoir utilisé l’aide offerte par la locatrice pour pallier au bris d’ascenseur, à savoir mettre un portier à la disposition des locataires[2].

[13]     Les locataires produisent une mise en demeure provenant d’un groupe de 11 locataires au sujet de l’ascenseur dysfonctionnel. Cette lettre porte la date du 29 juin 2023 et fut reçue le 4 juillet par la locatrice[3]. La lettre mentionne une série de dix griefs pour lesquels les locataires entendent rechercher compensation pour la perte de jouissance paisible de leur logement et des accessoires liés à celui-ci.

[14]     La locataire Mary Ann Boswell témoigne. Elle habite le 3e étage de l’immeuble depuis 2019. Elle expose sensiblement le même désarroi que Monsieur Nicula du préjudice que lui cause le dysfonctionnement de l’ascenseur.

[15]     Contre-interrogée, elle fait part de la chronologie des bris d’ascenseur depuis longtemps.

Preuve de la locatrice 

[16]     Monsieur Ezra Barrette témoigne en tant que représentant de la locatrice. Il se décrit comme le gestionnaire de cet immeuble.

[17]     L’immeuble construit dans les années 1920 a été acquis en 2020.

[18]     Il admet que les locataires de l’immeuble ont pu être incommodés par les travaux visant à remplacer l’ascenseur au cours de la période décrite par les locataires.

[19]     Il fait remarquer que les demandes en l’instance sont les seules n’ayant pas été réglées, faisant référence aux autres demandes du groupe des locateurs qui ont toutes été réglées.

[20]     Il souligne qu’un service de portier fut offert aux locataires de l’immeuble au cours des travaux afin de pouvoir aider ceux qui en avaient besoin.

[21]     Il témoigne n’avoir jamais reçu la mise en demeure des locataires du 29 juin 2023[4]. Il termine en soulignant que les locataires en l’instance méritent compensation pour le préjudice subi, mais ajoute que la diminution de loyer de 50 % est exagérée. Il ne suggère pas de montant à offrir ni de pourcentage approprié.

[22]     Ceci résume l’ensemble des éléments pertinents mis en preuve.

ANALYSE ET DÉCISION

[23]     Le bail est un contrat par lequel la locatrice s'engage envers les locataires à leur procurer moyennant un loyer, la jouissance d'un bien meuble ou immeuble.

[24]     Plusieurs obligations découlent de ce contrat notamment pour la locatrice, l'obligation générale de procurer aux locataires la jouissance paisible du bien loué pendant toute la durée du bail, d'assurer le maintien des lieux en bon état d'habitabilité, d'y faire les réparations nécessaires à l'exception des menues réparations d'entretien[5].

[25]     L'inexécution d'une obligation prévue par le bail confère le droit de demander, entre autres, la diminution du loyer. Cette diminution vise à évaluer la valeur objective de la perte locative subie par le locataire en raison de l'inexécution des obligations de la locatrice.

[26]     La perte de jouissance doit être réelle, sérieuse, significative et substantielle.

[27]     L'auteur Denis Lamy détaille les situations pour lesquelles une diminution de loyer peut être accordée :

« Le législateur avait donc clairement à l'esprit des situations qui allaient affecter sérieusement le logement du locataire. Selon les dictionnaires, le mot « sérieux » fait référence au caractère de ce qui mérite attention et considération du fait de son importance, de sa gravité (critique, réel, préoccupant, inquiétant). »

[28]     Dans l'affaire Beaulieu c. Belleville, le régisseur, Me Daniel Laflamme, faisait sans nul doute référence à ce principe, lorsqu'il fit les commentaires suivants :

« De plus, un inconvénient bénin ou une simple trivialité ne permettent pas d'invoquer la garantie, en effet, prétendre le contraire serait d'imposer un fardeau déraisonnable au locateur et rendrait le commerce de location résidentielle presque impossible. Seuls les problèmes réduisant la jouissance des lieux peuvent être considérés.

Des défectuosités mineures qui n'occasionnent qu'un simple désagrément aux locataires, sans pour autant diminuer de façon significative et substantielle la jouissance paisible des lieux ou la fonctionnalité du logement, ne justifient donc pas l'intervention du Tribunal.

En conséquence, pour obtenir une diminution de loyer, la perte de valeur locative ou la diminution de prestation d'une situation donnée ou encore les défectuosités dénoncées par le locataire doivent lui occasionner une diminution significative réelle ou une perte substantielle. Le trouble ne doit pas être mineur ou n'être qu'un simple préjudice esthétique, il doit être sérieux[6]. »

[Références omises]

[29]     En l'instance, l’avocate de la locatrice allègue que les locataires n'ont pas transmis de lettre de mise en demeure avant que ne soit entrepris le présent recours. Tel n’est pas le cas[7].

[30]     En l'instance, le trouble a été provoqué par des travaux effectués par la locatrice. Elle ne pouvait ignorer la perte de jouissance en résultant.

[31]     Le Tribunal est aussi d'avis que la locatrice était donc en demeure de plein droit et qu'elle ne pouvait ignorer que les travaux sur l'ascenseur troublaient la jouissance des locataires. De plus, les nombreuses communications transmises par les locataires avant et après le début des travaux ne laissaient plus de place à l'interprétation. Le Tribunal est d'avis qu'une mise en demeure formelle n'était pas nécessaire dans les circonstances.

[32]     La preuve démontre clairement que les locataires n'ont pas eu accès à un ascenseur pendant six mois, ce qui est admis. Ils ne sont pas tous au sommet de leur forme, le Tribunal est d'avis qu'ils ont souffert de devoir gravir et descendre 3 ou 4 étages plusieurs fois par jour.

[33]     Le Tribunal conclut que les locataires ont justifié leur droit d'obtenir une diminution de loyer résultant du défaut de la locatrice de leur procurer la jouissance paisible de leur logement durant les travaux d'envergure entrepris dans l'immeuble sur l’ascenseur. Suivant les admissions, les travaux se sont échelonnés sur une période de six mois et le Tribunal juge raisonnable d'accorder à titre de diminution de loyer, la somme de 1 200 $ à chacun des locataires pour la perte de jouissance subie pendant cette période, soit 200 $ pour chaque mois.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Dossier 735373

[34]     ACCUEILLE en partie la demande du locataire;


[35]     CONDAMNE la locatrice à payer au locataire la somme de 1 200 $ en diminution de loyer avec intérêts au taux légal, majorés de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 25 septembre 2023;

[36]     CONDAMNE la locatrice à payer au locataire les frais de justice de 91 $;

[37]     REJETTE les autres conclusions de la demande.

Dossier 752707

[38]     ACCUEILLE en partie la demande de la locataire;

[39]     CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire la somme de 1 200 $ en diminution de loyer avec intérêts au taux légal, majorés de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 21 décembre 2023;

[40]     CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire les frais de justice de 96,75 $;

[41]     REJETTE les autres conclusions de la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Michel Rocheleau

 

Présence(s) :

le locataire (dossier 735373)

la locataire (dossier 752707)

Me Mélanie Zawahiri, avocate des locateurs

Date de l’audience : 

20 juin 2024

 

 

 


 


[1] Pièce L-1.

[2] Pièce L-2, en liasse, série de courriels de la locatrice afin d’informer les locataires de l’évolution de la situation de l’ascenseur et offre d’aider ces derniers.

[3] Pièces L-4 et L-5 (preuve de réception produite après audience sur autorisation donnée par le soussigné).

[4] Idem, note 3.

[6] Lamy, Denis, La diminution de loyer, Montréal, Wilson & Lafleur, 2004. P. 29-30.

[7] Précité, note 3.

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