Montagano c. Derose-Houle |
2018 QCRDL 41784 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Laval |
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No dossier : |
395178 36 20180427 G |
No demande : |
2488897 |
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Date : |
14 décembre 2018 |
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Régisseure : |
Lucie Sabourin, juge administrative |
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Leonor Charun Montagano |
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Locatrice - Partie demanderesse |
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c. |
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Samuel Derose-Houle |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le 27 avril 2018, la locatrice introduit auprès de la Régie du logement une demande dans laquelle elle requiert la résiliation du bail, l'expulsion du locataire et de tous les occupants, l'exécution provisoire de la décision malgré l’appel et les frais.
[2] La locatrice allègue, comme motifs de résiliation, les bruits excessifs causés par le locataire ou ses visiteurs, les ordures qui traînent au logement concerné et conséquemment le risque d’apparition de vermine ainsi que la fumée secondaire de cigarette. Elle prétend que ces manquements lui causent ainsi qu’aux autres locataires de l’immeuble un préjudice sérieux qui justifie la résiliation du bail.
[3] Le Tribunal a revu et analysé l'ensemble des témoignages et de la preuve documentaire et résume l'essentiel des éléments qui sont pertinents à la présente décision.
[4] Les parties ont signé un bail le 20 février 2018. Le locataire emménage au logement concerné au mois de mars 2018.
[5] Le logement du locataire se trouve au sous-sol de l’immeuble. La locatrice habite au rez-de-chaussée et d’autres locataires occupent le logement situé à l’étage. Cet immeuble a été construit il y a plus de 50 ans.
[6] En ce qui concerne les bruits excessifs, la locatrice affirme que le locataire et les personnes à qui il donne accès au logement parlent fort, crient et écoutent de la musique à un fort volume, et ce, très fréquemment. De plus, il y a beaucoup de va-et-vient au logement à toute heure du jour et de la nuit. Enfin, la locatrice soumet que le locataire se dispute souvent avec sa copine.
[7] La locatrice explique que sa quiétude et son sommeil sont perturbés par tous ces bruits, précisant que c’est surtout la nuit que cela la dérange.
[8] Le locataire affirme qu’il reçoit des amis au logement, mais pas aussi souvent que la locatrice le laisse sous-entendre. De plus, il précise qu’il avise ses invités de parler moins fort, d’autant qu’il a constaté que l’insonorisation de l’immeuble est déficiente.
[9] Quant à la musique, il précise qu’il porte une attention particulière sur ce point, par exemple en réduisant le volume de celle-ci durant la nuit. De plus, après que la police soit venue au logement, il s’est résolu à vendre sa guitare, car il n’y a pas de pièce dans l’immeuble lui permettant d’en jouer discrètement.
[10] Enfin, sa copine a quitté le logement au mois de mars ou d’avril 2018, considérant leurs mésententes.
[11] La locatrice ajoute que le locataire laisse des ordures dans le logement, ce qui favoriserait l’apparition de vermine.
[12] Au printemps dernier, un homme à tout faire, engagé par la locatrice, se rend au logement pour y effectuer des travaux. Il constate la présence de sacs à ordures au logement. De plus, il trouve que le logement est sale. Des photos prises par ce dernier, lors de cette visite, sont produites en preuve.
[13] Par ailleurs, aucune preuve n’est présentée quant à la présence de vermine dans le logement concerné ou dans l’immeuble, et ce, depuis l’arrivée du locataire jusqu’au jour de l’audience.
[14] Le locataire précise qu’au printemps dernier il a laissé un sac à ordures au logement, ce qui est un incident isolé, ajoutant qu’il sort régulièrement ses vidanges.
[15] De plus, il explique qu’il entreposait des objets au logement en vue de les revendre. Toutefois, il s’est départi de ces biens en juin 2018, et ce, pour contrer le mécontentement de la locatrice.
[16] Enfin, la locatrice allègue que le locataire a brisé une toile et qu’il a bloqué la toilette et le lavabo de la salle de bain. Le locataire explique que la toile n’est pas brisée et qu’il fait un usage normal des installations sanitaires.
[17] La locatrice invoque également qu’elle subit la fumée secondaire de cigarette, car le locataire fume beaucoup au logement.
[18] En ce qui concerne le droit ou non de fumer au logement, les parties produisent des copies différentes du bail.
[19] La copie de la locatrice comprend plusieurs ajouts manuscrits qui n’apparaissent pas à celle du locataire, dont l’un qui indique que le logement serait non-fumeur.
[20] Le locataire reconnaît qu’ils ont discuté de la cigarette lors de la signature du bail, il comprend alors que la locatrice lui suggère de fumer dehors. Toutefois, aucune interdiction de fumer au logement n’a été inscrite au bail.
[21] Le locataire reconnaît qu’il fume environ 25 cigarettes par jour. Lorsque la température le permet, il fume à l’extérieur du logement, sinon il ouvre une fenêtre pour permettre l’évacuation de la fumée secondaire.
[22] Enfin, la locatrice produit un billet médical qui souligne qu’elle « ne peut pas tolérer un environnement avec odeur de cigarettes, car elle présente des réactions allergiques sévères à la fumée ».
[23] Bien que la locataire mentionne à plus d’une reprise que les locataires occupant le logement situé à l’étage se plaignent de certains des problèmes allégués en l’instance, ces derniers n’ont pas été assignés comme témoins. Par ailleurs, le locataire affirme que ses voisins ne lui adressent aucun reproche lorsqu’il les croise.
[24] Enfin, la locatrice témoigne que la situation s’est améliorée quant à chacun des éléments reprochés.
ANALYSE
[25] D’entrée de jeu, il importe de préciser que les articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoient qu’il appartient à la partie qui veut faire valoir un droit d'établir de manière prépondérante les faits au soutien de sa prétention. De plus, « [l]a force probante du témoignage est laissée à l’appréciation du tribunal[1].»
[26] Pour obtenir la résiliation du bail, la locatrice doit notamment démontrer que le comportement du locataire lui cause un préjudice sérieux[2].
[27] La résiliation est une sanction importante qui prive le locataire du droit au maintien dans les lieux. Ainsi, la preuve et les motifs y conduisant devront l'être tout autant.
[28] De plus, le locataire doit respecter l'obligation prévue à l'article 1860 C.c.Q. qui énonce ce qui suit:
1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.
Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.
Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail.
[29] Comme occupante de l'immeuble, la locatrice est en droit d'exiger le respect de cette obligation.
[30] En cette matière, les règles régissant le bon voisinage sont également pertinentes à la solution du litige. À cet égard, l'article 976 C.c.Q. précise ce qui suit:
976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leur fonds, ou suivant les usages locaux.
[31] Dans la décision Lacasse c. Picard[3], il fut décidé :
Pour réussir en la présente cause, les locateurs doivent établir que les locataires ou une personne dont ils sont responsables ou à qui ils permettent l'accès au logement a eu, au cours d'une certaine période, des comportements et des attitudes qui par leurs répétitions et insistances agacent, excèdent ou importunent gravement les autres locataires du même immeuble, troublant ainsi la jouissance normale des lieux à laquelle ils ont droit.
[32] Le Tribunal ne doit pas fonder son appréciation sur des considérations subjectives et il doit déterminer si les plaignants vivent une situation qui par sa répétition, son insistance et son ampleur constitue une atteinte grave, excessive ou déraisonnable justifiant la résiliation du bail. Cette analyse doit se fonder sur des critères objectifs et probants. Ce qui est incommodant pour certains peut ne pas l'être pour d'autres et ainsi, le Tribunal est appelé à se prononcer uniquement sur une situation extraordinaire et inhabituelle.
[33] Le Tribunal n'a aucun motif de mettre en doute les déclarations de la locatrice quant à l'existence de certains bruits. Il appert qu’elle est manifestement irritée et qu’elle ne veut plus du locataire. Toutefois, quant à l’ampleur et la fréquence de ces bruits, la preuve est basée sur des allégations formulées de manière générale. Le seul témoignage entendu est celui de la locatrice, les autres locataires n’ayant pas été assignés à comparaître.
[34] Par ailleurs, le locataire, informé des problèmes de bruit et de leur impact sur la locatrice, a pris des mesures correctrices (limite ses invités, vente de sa guitare). De plus, il appert que sa copine a quitté le logement avant l’introduction de la présente demande auprès de la Régie.
[35] Le locataire a témoigné calmement et avec sincérité. Il démontre de plus une empathie envers la locatrice et une capacité à reconnaître qu’il doit s’ajuster si son comportement dérange.
[36] Ainsi, la preuve démontre que le locataire réagit aux reproches qui lui sont communiqués, la locatrice reconnaissant que la situation s’est améliorée.
[37] Il va sans dire que chacun des occupants de l’immeuble doit composer avec une certaine part d’inconvénients qu’engendre l’insonorisation d’un immeuble construit il y a plus de 50 ans.
[38] Quant à la présence de déchets au logement, le locataire témoigne qu’il s’agit d’un cas isolé. De plus, il a cessé en juin 2018 d’entreposer au logement des objets destinés à la revente. Par ailleurs, rien dans la preuve ne démontre la présence de vermine dans l’immeuble, s’agissant d’une appréhension de la locatrice.
[39] Quant aux bris (toile, toilette) dont la responsabilité n’a pas été admise, ils sont soit ponctuel ou mineur et ne justifient pas la résiliation du bail.
[40] Les reproches formulés par la locatrice, que ce soit quant au bruit ou au mauvais entretien du logement, n'ont pas, selon la preuve administrée, la gravité nécessaire pour justifier une résiliation du bail. Bien que la locatrice soit sérieusement contrariée, cela ne suffit pas pour prononcer la résiliation du bail, d’autant qu’elle reconnaît que la situation s’est améliorée.
[41] Enfin, en ce qui a trait à la fumée secondaire de cigarette, le Tribunal conclut qu’aucune interdiction de fumer n’apparaît au bail du locataire. En effet, les ajouts inscrits à la copie du bail de la locatrice sont postérieurs à la conclusion du contrat de location et figurent uniquement sur cette copie.
[42] Par ailleurs, quant aux effets de la fumée secondaire sur la santé de la locatrice, aucun ennui de santé n’a été démontré, car aucune expertise médicale n’appuie les dires de la locatrice. Le Tribunal ne peut retenir le billet médical produit, que l’on peut qualifier de complaisant, comme constituant une preuve suffisante au soutien des conclusions recherchées.
[43] Ainsi, il n’y a pas lieu de résilier le bail pour ce motif.
[44] Enfin, le Tribunal reprend les propos exprimés dans l’affaire Ortiz c. Gargallo[4] :
[35] L'établissement de la norme du caractère dérangeant d'une odeur, de l'incommodité, ne peut reposer sur la subjectivité ou la sensibilité de l'un : cela nécessite une démonstration objective du caractère incommodant inhabituel et élevé. Tout comme lorsqu'un voisin écoute de la musique.
[36] Conclure que toute détection d'une odeur particulière par des voisins justifie la résiliation d'un bail emporterait la mise en place d'une norme d'intolérance qui est contraire au contrat social apparaissant dans le droit en vigueur.
[…]
[38] En ce qui a trait aux odeurs, ii peut être utile de se rappeler que, comme l'indique l'auteur Denis Lamy dans son livre intitulé « La diminution de loyer » (Wilson & Lafleur, Édition 2004, page 107), la norme permettant d'invoquer la survenance de préjudice sérieux découlant d'odeurs, dans le cadre de demandes de diminution de loyer, exige la démonstration de la source et de la provenance des odeurs ainsi qu'une preuve démontrant la présence d'odeurs « fortes, persistantes, désagréables et insupportables au point de l'incommoder en permanence ».
[39] Des décisions judiciaires ont dit cela en d'autres termes similaires en soutenant qu'un locateur ne peut pas modifier un bail afin d'interdire dorénavant l'usage du tabac qui n'était pas auparavant interdit par le bail, tel par exemple le juge administratif Serge Adam dans l'affaire Klein c. Veilleux (dossier 26-100114-007G, 29 août 2012) et le juge administratif Daniel Laflamme dans l'affaire Delavallée c. Habitations Vernon (dossier 37-020618-003G, 13 février 2003) qui furent cités avec approbation dans la décision rendue le 18 mai 2017 par la juge administrative Anne-Marie Forget dans l'affaire Bergeron c. Balis (dossier 168861).
[40] Tous se doivent donc de faire preuve de tolérance. Le tribunal conclut que la preuve en l'espèce ne permet pas de conclure en la survenance d'incommodités qui dépassent le seuil de la tolérance que se doivent les voisins en l'espèce : la demande doit donc être rejetée.
[45] En conclusion, quant aux motifs de résiliation invoqués par la locatrice, elle n’a pas démontré le bien-fondé de sa demande en raison de l'inexécution des obligations par le locataire et du préjudice en découlant.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[46] REJETTE la demande de la locatrice.
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Lucie Sabourin |
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Présence(s) : |
la locatrice le locataire Me Gabrielle St-Onge, avocate du locataire |
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Date de l’audience : |
19 septembre 2018 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.