Montgrain c. Richer | 2025 QCTAL 31240 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
Bureau dE Gatineau |
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Nos dossiers : | 880012 22 20250501 G 880012 22 20250501 S | Nos demandes : | 4745200 4789493 |
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Date : | 02 septembre 2025 |
Devant le juge administratif : | Stéphane Sénécal |
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Eric Montgrain | |
Locateur - Partie demanderesse (880012 22 20250501 G) Partie défenderesse (880012 22 20250501 S) |
c. |
Natanyel Richer Sophie Robineau | |
Locataires - Partie défenderesse (880012 22 20250501 G) Partie demanderesse (880012 22 20250501 S) |
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D É C I S I O N
I N T E R L O C U T O I R E |
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- Le Tribunal est saisi d’une demande du locateur, déposée le 1er mai 2025, en reprise de logement.
- Le Tribunal est également saisi d’une demande des locataires en dommages-intérêts punitifs, moraux et en remboursement de frais extrajudiciaires.
- Les parties sont liées par un bail reconduit jusqu’au 1er août 2025, au loyer mensuel de 1 100 $.
FAITS :
- Le Tribunal doit se prononcer, de manière interlocutoire sur le respect des délais et de la procédure.
- Ainsi, l’avis de reprise indique que cette dernière est prévue pour le 1er août 2025. Ledit avis a été notifié le 28 mars 2025. La demande quant à elle, spécifie que la reprise est prévue pour le 28 septembre 2025.
- Le locateur mentionne qu’il ne connaissait pas les délais prévus à la loi.
- Les locataires, quant à eux, mentionnent qu’ils ont avisé le locateur du problème de délais et qu’il a décidé de poursuivre les procédures quand même.
QUESTIONS EN LITIGE :
- Est-ce que le locateur a respecté les conditions de reprise prévue à la loi?
- La procédure du locateur est-elle abusive?
- Dans l’affirmative, les locataires ont-ils droit aux dommages-intérêts réclamés?
ANALYSE ET DÉCISION :
- Le Tribunal rappelle qu’il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l’appréciation du Tribunal.[1]
- Ainsi, il doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue. Il suffit que le fait litigieux soit, par la preuve, probable. Si une partie ne s’acquitte pas de son fardeau, de convaincre le Tribunal elle verra sa demande rejetée.
- En matière de reprise de logement, l’article 1957 du Code civil du Québec (C.c.Q.) indique qu’un locateur, qui en est également le propriétaire, peut reprendre un logement pour y habiter ou y loger un membre de sa famille :
« 1957. Le locateur d'un logement, s'il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l'habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.
Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l'union civile. »
- Également, les articles 1960 et 1962 C.c.Q. stipulent :
« 1960. Le locateur qui désire reprendre le logement ou évincer le locataire doit aviser celui-ci, au moins six mois avant l'expiration du bail à durée fixe; si la durée du bail est de six mois ou moins, l'avis est d'un mois.
Toutefois, lorsque le bail est à durée indéterminée, l'avis doit être donné six mois avant la date de la reprise ou de l'éviction. »
« 1962. Dans le mois de la réception de l’avis de reprise ou d’éviction, le locataire est tenu d’aviser le locateur de son intention de s’y conformer ou non; s’il omet de le faire, il est réputé avoir refusé de quitter le logement. »
- Advenant que le locataire s’oppose à la reprise, le locateur doit obtenir l’autorisation du Tribunal pour le reprendre. L’article 1963 du C.c.Q. prévoit ce qui suit :
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre ou en évincer le locataire, avec l’autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu’il entend réellement reprendre le logement ou en évincer le locataire pour la fin mentionnée dans l’avis et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins et, lorsqu’il s’agit d’une éviction, que la loi permet de subdiviser le logement, de l’agrandir ou d’en changer l’affectation. »
- En ce qui concerne les conditions imposées par la loi, tel que l’écrivait Me Bisson dans l’affaire Dagostino c. Sabourin[2], en matière de reprise de logement, deux droits importants se rencontrent et s’opposent : d’une part le droit du propriétaire d’un bien de jouir de ce dernier comme bon lui semble et, d’autre part, le droit du locataire au maintien dans les lieux loués. C’est pour protéger de droit du locataire que le législateur impose des conditions au locateur.
- En l’espèce, il est opportun, tout d’abord, de s’assurer que l’avis de reprise et la demande respectent les limites imposées par la loi.
- La preuve démontre que l’avis soumis par le locateur a été notifié le 28 mars 2025. Comme la Cour du Québec l’a décidé dans l’affaire Bon Apparte c. Rivera[3], le mot « donné » prévu à l’article 1960 du C.c.Q., cité précédemment, doit être interprété comme « reçu » par le locataire. Il appartient au locateur de s’assurer que ledit avis a été reçu dans le délai prévu. Ainsi, dans le présent cas, il ne respecte pas le délai minimal de six (6) mois prescrit par la loi[4] avant la fin du bail, soit le 1er août 2025.
- De surcroît, la date de reprise prévue dans la demande est postérieure à la fin du bail. Il est pertinent de référer à l’analyse de notre collègue, Me Pascale McLean dans l’affaire Mouhajir c. Smama [5]. Elle s’exprime donc ainsi :
« [14] En l’instance, l’avis de reprise, donné par le locateur le 5 janvier 2024, indique que la date prévue pour l’exercice de la reprise est le 30 juin 2024 alors que le terme du bail est le 1er juillet 2025.
[15] Or, il a déjà été déterminé qu’un avis prévoyant une date de reprise du logement en cours de bail, ou à une date antérieure au terme prévu du bail, était invalide.
[16] Interprétant l’article 1961 du Code civil du Québec dans la cause Cool c. Brodeur[6], le juge administratif, François Leblanc, émet l’avis qu’une date de reprise de logement avant la fin du bail n’est pas permise et rend invalide l’avis donné :
“[9] Donc, si l’article 1961 prévoit que la reprise peut avoir lieu, à la demande du locataire, après la fin du bail, cela veut dire qu’au contraire elle ne peut avoir lieu avant la fin du bail.
[10] C’est donc dire qu’un avis prévoyant que la reprise doit avoir lieu avant la fin du bail est invalide.”
[17] En l’espèce, l’avis ne respecte pas les exigences de la loi, indiquant une date de reprise avant la fin du bail. Il est donc invalide.
[18] L’avis étant invalide, le Tribunal ne peut faire droit à la demande de reprise, les conditions d’exercice de ce droit n’étant pas respectées. »
- Une simple erreur cléricale peut ne pas invalider l’avis de reprise de logement[7], mais en l’espèce, il ne s’agit pas d’une simple erreur, car la date de reprise projetée par les locateurs, le 28 septembre 2025 est postérieure à la date de la fin du bail à d’une durée fixe de douze (12) mois, soit le 1er août 2025.
- La jurisprudence majoritaire est très claire à l’effet que tout vice, à l’avis de reprise, aux délais ou à la demande, est fatal.[8] Ainsi, le Tribunal considère que le droit au maintien dans les lieux doit avoir préséance sur celui de la reprise lorsque les conditions imposées par la loi ne sont pas respectées comme en l’espèce.
- De surcroît, le Tribunal prend en considération qu’un refus d’autorisation de la présente reprise de logement n’empêcherait pas le locateur de solliciter à nouveau le logement dans le futur.
- Relativement à la demande des locataires, le Tribunal ne peut y faire droit. En effet, ce n’est pas parce que le locateur ne connaît pas les délais ou ne les respecte pas par ignorance de la loi, que la procédure doit être considérée comme abusive. Il a le droit d’expliquer au Tribunal la raison du non-respect dudit délai.
- Dès lors, le Tribunal ne peut faire droit à leur demande.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- REJETTE la demande (4745200) du locateur;
- REJETTE la demande (4789493) des locataires.
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| Stéphane Sénécal |
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Présence(s) : | le locateur les locataires |
Date de l’audience : | 27 juin 2025 |
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[4] Mackarous c. Gravelle, Me Stéphane Sénécal, juge administratif, R.D.L., Gatineau, 2019-09-26, 470 925 22 20190712 G et 2 804 006, 2019 QCRDL 31041; Voir également : (C. Q., 2019-11-18), 2019 QCCQ 7125, SOQUIJ AZ-51645874.