Décision

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Décision

Duhamel c. Fortin

2013 QCRDL 10120

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No :          

31 121228 222 G

 

 

Date :

21 mars 2013

Régisseur :

André Monty, juge administratif

 

Christian Duhamel

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Suzanne Fortin

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le locateur demande l'autorisation pour reprendre le logement afin de s'y loger.

[2]      Il s'agit d'un bail du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013 au loyer mensuel de 611 $, payable le premier jour de chaque mois.

[3]      La preuve démontre que, le 5 décembre 2012, le locateur avise la locataire de son intention de reprendre le logement pour s'y loger à compter du 1er juillet 2013. Le 13 décembre 2012, la locataire répond à cet avis et s'y oppose.

[4]      La demande est produite à la Régie du logement dans les délais.

[5]      Suivant l'article 1963 C.c.Q. :

« 1963.      Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le re­pren­dre, avec l'autorisation du tribunal.

                Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »

[6]      À ce sujet, la preuve démontre que le logement est situé à l’étage d'un immeuble comportant 3 unités d'habitation. Le locateur allègue qu’il habite présentement le rez-de-chaussée de l’immeuble mais qu’il n’a plus les moyens d’y vivre puisque ses revenus ont diminué considérablement en 2012. Au soutien de ses prétentions, le locateur produit une preuve documentaire. Il désire reprendre le logement de la locataire pour s’y loger. Sa valeur locative est moindre. Il n’a pas l’intention d’y faire des travaux ni de vendre l’immeuble. Il déclare également qu’il n’a jamais eu de litige avec la locataire. Il n’aurait aucune objection si la locataire voulait déménager au rez-de-chaussée.

[7]      Le logement occupé par la locataire répond à ses besoins, d'où la présente demande.

[8]      La locataire prétend que le locateur agit de mauvaise foi et tente de l'évincer sous ce faux prétexte. Elle allègue que le locateur a rénové le logement du rez-de-chaussée et qu’il désire possiblement faire la même chose avec le sien.


[9]      Lors de la reprise d'un logement par le locateur, deux droits importants se rencontrent et s'opposent. Le droit du propriétaire d'un bien de jouir de celui-ci comme bon lui semble et le droit du locataire au maintien dans les lieux loués. C'est pour protéger ce droit du locataire que le législateur impose des conditions au locateur.

[10]   L'ensemble de la preuve ne permet pas de conclure que le locateur cherche illégalement à évincer la locataire. Les appréhensions de la locataire demeurent des appréhensions.

[11]   Le tribunal considère que le locateur respecte les prescriptions et exigences de la loi quant à son intention de reprendre le logement pour s'y loger.

[12]   Pour sa part, la locataire allègue qu'elle habite ce logement depuis bientôt 13 ans. Elle ne croyait pas devoir le quitter avant longtemps. La perspective d'un nouveau déménagement non prévu ni désiré ne la réjouit nullement. Elle réclame ses frais de déménagement, de rebranchement ainsi qu'une indemnité.

[13]   L'article 1967 C.c.Q. prescrit que :

« 1967.      Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une in­dem­nité équivalente aux frais de déménagement. »

[14]   La Cour du Québec a déjà décidé que :

« Dans les cas d'éviction du locataire pour subdivision du logement ou changement d'affectation, le législateur a prévu une indemnité de trois mois de loyer et des frais de déménagement et même une somme supérieure si le locataire le justifie. (Art. 1660.4 C.c.) Cependant, en matière d'éviction pour reprise de possession, le législateur n'a déterminé aucune indemnité précise. Il laisse au Tribunal le soin de fixer les conditions justes et raisonnables et notamment l'indemnité de déménagement.

Pierre-Gabriel Jobin conclut à l'examen des dispositions de l'article 1659.7 :

« ...Il serait sage d'indemniser le locataire victime d'une reprise de possession; celui-ci devrait avoir droit à l'indemnité, sauf quand son déménagement n'est pas provoqué en réalité, par la reprise de possession, mais qu'il obéit à d'autres préoccupations personnelles du locataire. »

Le juge aux termes de l'article 1659.7 a donc discrétion pour fixer les conditions justes et raisonnables et le montant de l'indemnité.  Comme le signale le juge Pigeon, lorsque le juge a une telle discrétion, il «doit en user «judiciairement», ce qui signifie qu'il doit le faire pour un motif valable.» (Rédaction et interprétation des lois, Éditeur officiel du Québec, Québec, 1965-1978, p. 30)

Ainsi, il doit justifier tout autant son refus d'accorder que de ne pas accorder une indemnité de déménagement de même que des conditions justes et raisonnables.  Il doit prendre sérieusement en compte la demande du locataire et contrairement à ce que certains prétendent, ne refuser cette demande qu'exceptionnellement.

Il convient ici de rappeler que la reprise de possession est une exception au droit du maintien dans les lieux du locataire et qu'elle est provoquée par le locateur.  Il est en conséquence légitime que le locataire se voit indemniser pour les dépenses et les inconvénients qu'il a subis.  Ce droit est cependant balisé par le droit du locateur de disposer de ses biens et par conséquent, de son droit à la reprise de possession.  Si le Tribunal a discrétion pour déterminer le montant, il doit tenir compte de ce droit du locateur et ne peut certes pas condamner aux dommages-intérêts qui découlent d'une reprise de possession abusive.

Il ressort de la lecture des articles 1660.4, 1659.8 et 1659.7 que les conditions justes et raisonnables et l'indemnité que doit fixer le Tribunal doivent se limiter aux dépenses et inconvénients ayant trait directement à la reprise de possession, au départ du locataire et à son aménagement et son déménagement dans un autre logement. »[1]

[15]   Il apparaît évident que la locataire a le droit de se voir compenser pour la perte de son droit au maintien dans les lieux. Par contre, le locateur n'a pas à être pénalisé pour l'exercice d'un droit tout à fait légitime. Ainsi l'indemnité prévue à l'article 1967 C.c.Q. ne peut accorder un avantage indu à la locataire et lui permettre de s'offrir un déménagement plus luxueux que ses ressources ne lui permettent.


[16]   La Cour du Québec a aussi établi certains critères qu'il faut considérer dans l'évaluation de cette indemnité. Selon le juge Dansereau[2], l'âge du locataire, sa condition physique, la durée d'occupation, son enracinement au logement et la valeur du mobilier sont des critères pertinents.

[17]   Il convient d'ajouter que l'article 1968 C.c.Q. prévoit un recours en faveur de la locataire en recouvrement de dommages-intérêts et même de dommages punitifs si la reprise de logement est obtenue de mauvaise foi. De plus, l'article 1970 du C.c.Q. précise qu'un logement qui fait l'objet d'une reprise ne peut, sans l'autorisation de la Régie, être reloué ou utilisé pour une autre fin que pour celle pour laquelle le droit a été exercé.

[18]   Le tribunal considère que, dans les circonstances, il y a lieu d'accorder à la locataire une indemnité de 1 680 $.

[19]   La locataire demande au tribunal d’autoriser la reprise pour septembre 2013 uniquement. Le locateur s’y oppose parce qu’il soumet qu’il sera difficile pour lui de relouer le logement du rez-de-chaussée à cette date.

[20]   Le tribunal doit tenir compte des inconvénients pour chacune des parties lorsqu’il accorde une reprise à une date postérieure à celle demandée par le locateur. Dans le cadre du présent dossier, le tribunal considère que le préjudice pour le locateur pourrait être très grand s’il faisait droit à la demande de la locataire. Il ne pourra donc y faire droit.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[21]   ACCUEILLE la demande du locateur qui en supporte les frais judiciaires;

[22]   AUTORISE le locateur à reprendre possession du logement concerné afin de s'y loger à compter du 1er juillet 2013, date à laquelle la locataire devra avoir quitté les lieux;

[23]   CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la somme de 1 680 $ à la date de son départ.

 

 

 

 

 

André Monty

 

Présence(s) :

le locateur

la locataire

Date de l’audience :  

28 février 2013

14 mars 2013

 


 



[1] BOULAY c. TREMBLAY, [1994] J.L. 132 (C.Q.).

[2] CARLIN c. DEC, C.Q. Montréal 500-02-06381-980, le 26 mars 1999, j. Dansereau.

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