Décision

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Immo Loges inc. c. Cloutier

2025 QCTAL 29266

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Québec

 

No dossier :

837440 18 20241209 G

No demande :

4557657

 

 

Date :

13 août 2025

Devant la juge administrative :

Chantale Trahan

 

Immo Loges inc.

 

SOCIÉTÉ EN COMMANDITE FL Loges

 

Locatrices - Partie demanderesse

c.

Laurie Cloutier

 

Olivier Leclerc

 

Locataires - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Par une demande introduite le 9 décembre 2024, les locatrices demandent des dommages-intérêts de 6 180 $, pour la perte de loyer et indemnité de relocation, avec les intérêts et l’indemnité additionnelle, ainsi que le remboursement des frais.

CONTEXTE

  1.          Les parties sont liées par un bail, du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025, au loyer mensuel de 2 005 $, plus 55 $ pour l’ajout d’un espace de stationnement, pour un loyer total de 2 060 $ par mois.

PREUVE DU LOCATEUR

  1.          La preuve démontre que les locataires n’ont pas pris possession du logement en juillet 2024. Celui-ci aurait été reloué le 1er octobre 2024 et les locatrices réclament une somme de 6 180 $, représentant la perte de l’équivalent de trois mois de loyer.
  2.          L’équipe de location s’est occupée de relouer le logement et celui-ci a été publié sur leur site internet et sur les réseaux sociaux. À l’audience, le représentant des locatrices ne peut pas confirmer le nombre de visites qui ont été effectuées pour la relocation du logement.

  1.          La locataire précédente a quitté le 17 juin 2024, de sorte que les locatrices ont effectué des travaux car il y avait eu de la condensation sur un coin de mur dans le logement. Elles ont procédé à l’installation d’un fil chauffant sur la dalle de béton du balcon pour éviter à nouveau de la condensation. Il s’agit d’une correction mineure, selon le représentant des locatrices.

PREUVE DU LOCATAIRE OLIVIER LECLERC

  1.          Le locataire témoigne qu’il n’a pas pris possession du logement et il demande une résiliation de bail en sa faveur, en raison qu’au moment de la délivrance, il était impropre à l’habitation, car il y avait un problème de moisissures. Il y aurait eu un incendie un peu plus tôt dans l’immeuble, mais les représentants des locatrices ont mentionné aux locataires que leur logement n’avait pas été touché par ledit incendie.
  2.          Au soutien de ses prétentions, le locataire dépose des photographies démontrant que le coin du plafond est recouvert de moisissures de surface. Il explique que sa conjointe souffre d’asthme et qu’il n’était pas question qu’ils emménagent dans le logement, avec leur jeune enfant.
  3.          La preuve révèle que monsieur Leclerc et madame Cloutier ont reçu copie d’un courriel de l’ancienne locataire, les informant de la situation, en même temps aux représentants des locatrices. Ces derniers ont informé les locataires qu’ils effectueraient des travaux pour que le logement soit en bon état lors de sa délivrance. Pourtant, les locataires ont refusé de l’intégrer.
  4.          En pièce P-7, le locataire Leclerc dépose un courriel reçu le 3 septembre 2024 de la compagnie locatrice, par erreur précise-t-il, faisant état d’une demande de maintenance dans le logement, à l’effet que la dame qui l’habite se plaint que le climatiseur coule beaucoup et qu’il est bruyant. Monsieur Leclerc a demandé au représentant des locatrices s’il avait le bail démontrant que le logement a été reloué pour le 1er octobre 2024, ce à quoi il a répondu qu’ils n’ont pas reçu de loyer avant le 1er octobre 2024 et qu’il arrive que les locataires aient l’autorisation d’occuper les lieux avant le début du bail.

QUESTION EN LITIGE

  1. Les locataires étaient-ils justifiés de refuser de prendre possession de leur logement lors de sa délivrance ?
  2. De leur côté, les compagnies locatrices ont-elles rencontré leur fardeau de preuve de démontrer que les locataires doivent payer une indemnité de relocation équivalente à 3 mois de loyer ?

ANALYSE ET DÉCISION

Fardeau de preuve

  1.      Le Tribunal tient à souligner qu’il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. Ainsi, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.
  2.      Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif mais plutôt qualitatif. La preuve testimoniale est évaluée en fonction de la capacité de convaincre des témoins et non pas en fonction de leur nombre.
  3.      Le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible mais probable et il n'est pas toujours aisé de faire cette distinction. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.
  4.      Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée[1].

Les locataires étaient-ils justifiés de refuser de prendre possession de leur logement lors de sa délivrance ?

  1.      La défense des locataires est basée sur l’article 1914 du Code civil du Québec qui édicte ce qui suit 

« 1914. Le locataire peut refuser de prendre possession du logement qui lui est délivré s'il est impropre à l'habitation; le bail est alors résilié de plein droit. »


  1.      Il peut arriver que les circonstances justifient la résiliation d’un bail avant la fin du terme. À cet égard, les articles 1854 et 1863 du Code civil du Québec énoncent ce qui suit :

« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »

  1.      Également, l'article 1912 du Code civil du Québec énonce :

« 1912. Donnent lieu aux mêmes recours qu'un manquement à une obligation du bail:

 Tout manquement du locateur ou du locataire à une obligation imposée par la loi relativement à la sécurité ou à la salubrité d'un logement;

 Tout manquement du locateur aux exigences minimales fixées par la loi, relativement à l'entretien, à l'habitabilité, à la sécurité et à la salubrité d'un immeuble comportant un logement. »

  1.      C'est le deuxième alinéa de l'article 1913 du Code civil du Québec qui définit le logement impropre :

« 1913. Le locateur ne peut offrir en location ni délivrer un logement impropre à l'habitation.

Est impropre à l'habitation le logement dont l'état constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, ou celui qui a été déclaré tel par le tribunal ou par l'autorité compétente. »

  1.      Dans leur ouvrage analysant l'état de la jurisprudence en 1989, les autrices Thérèse Rousseau Houle et Martine de Billy[2] élaborent ainsi les critères permettant de déterminer le caractère impropre d'un logement :

« Quant à la preuve de la menace sérieuse à la santé et à la sécurité, cette preuve doit démontrer un certain caractère objectif »

« Certaines décisions ont établi que le critère d'inhabitabilité devait être déterminé selon un critère objectif. On doit se demander s'il est possible pour une personne ordinaire de vivre dans les conditions décrites et non si la personne qui se plaint peut vivre dans de telles conditions. »

  1.      Pour évaluer l'état d'insalubrité du logement, le Tribunal doit appliquer des critères objectifs, selon la jurisprudence. À ce sujet, l'honorable Jean-Guy Blanchette écrit dans l'affaire Gestion immobilière Dion, Lebeau inc. c. Grenier[3] :

« (...) pour évaluer si l'impropreté d'un logement à l'habitation constitue une menace sérieuse pour la santé, la Cour doit procéder à ladite évaluation d'une façon objective et se demander si une personne ordinaire peut vivre objectivement dans les conditions exposées lors de l'audition. Ce ne sont pas les appréhensions subjectives ni l'état psychologique du locataire ou des occupants qui doivent prévaloir, mais bien la situation ou l'état des lieux compris et analysé objectivement lors de la prise de décision du déguerpissement (...) ».

  1.      Ces principes élaborés en 1989 sont toujours d'actualité, le tout tel qu'il appert des extraits suivants d'une décision du juge administratif Gérald Bernard[4] :

« Le tribunal doit dès à présent indiquer que l'état d'inhabitabilité ou d'insalubrité du logement n'est pas fonction de critères subjectifs, de crainte appréhendée ou de possibilité théorique. Un logement impropre à l'habitation doit être déclaré tel à la lumière de critères objectifs qui permettent de déceler clairement des signes ou facteurs réels et évidents de danger, de nocivité et de toxicité ou que le logement est l'objet d'une éventualité ou d'un évènement pouvant causer des dommages au logement ou des blessures aux personnes qui y habitent. Il faut plus qu'une simple appréhension et plus qu'une simple crainte subjective. »

  1.      De plus dans l'affaire Hajjar c. Hébert[5], le Tribunal a établi les éléments que le locataire doit démontrer :

« 1)  les problèmes reliés à la chose louée ou dans l'immeuble en général;

2)  la dénonciation de leurs plaintes au locateur;

3)  l'inaction du locateur a exécuter ses obligations légales;

4)  leur départ est justifié, car le logement était impropre à l'habitation au sens de l'article 1913 du Code civil du Québec et si la santé des occupants est en jeu, une preuve médicale est requise;

5)  la relation de cause à effets entre l'état du logement et les dommages réclamés ».

  1.      En l'instance, il appartenait aux locataires de prouver au moyen d'une preuve objective, crédible et probante que le logement était en mauvais état d'habitabilité, ou en mauvais état de réparation, ou encore, était impropre à l'habitation au 1er juillet 2024.
  2.      L'article 1913 du Code civil du Québec détermine qu'un logement est impropre à l'habitation lorsque son état constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public. À cet égard, la preuve n’est pas prépondérante à l’effet que le logement constituait une menace sérieuse pour la santé et la sécurité des occupants. Au surplus, les locatrices se sont mobilisées immédiatement pour effectuer les travaux correctifs et les réparations nécessaires dans le logement. Cependant, la décision des locataires avait été prise de ne pas emménager dans le logement, alors qu’ils devaient permettre aux locatrices d’exécuter les travaux correctifs.
  3.      Le fait de ne pas prendre livraison du logement permet au Tribunal de constater la résiliation du bail, en vertu de l'article 1975 du Code civil du Québec.

De leur côté, les compagnies locatrices ont-elles rencontré leur fardeau de preuve de démontrer que les locataires doivent payer une indemnité de relocation équivalente à trois mois de loyer ?

  1.      Le Tribunal considère que les locatrices n’ont pas rencontré leur fardeau de preuve de démontrer la perte locative à partir du moment où les locataires n’ont pas emménagé dans le logement le 1er juillet 2024. Le courriel P-7 laisse perplexe le Tribunal sur le moment où le logement a été reloué. Il aurait été facile de déposer le nouveau bail au soutien de leur demande pour faire cette démonstration. Compte tenu que les locatrices n’ont pas fait cette preuve et qu’au surplus, cette preuve tend à démontrer qu’elle n’est pas entièrement fondée et que le logement était habité dès le début septembre 2024 par des nouveaux locataires, voire peut-être même avant, le Tribunal ne peut y faire droit. Par conséquent, la demande est rejetée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      REJETTE la demande des locatrices, qui en assument les frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Chantale Trahan

 

Présence(s) :

le mandataire des locatrices

le locataire

le mandataire de la locataire

Date de l’audience : 

8 juillet 2025

 

 

 


 


[1]  Articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec, CCQ-1991.

[2]  ROUSSEAU-HOULE Thérèse et DE BILLY Martine, Le bail de logement : Analyse de la jurisprudence, Les Éditions Wilson & Lafleur Ltée, 1989, Montréal, p.120.

[3]  Gestion immobilière Dion, Lebeau inc. c. Grenier, Cour du Québec, 450-02-000251-903, J.E. 91-345, Monsieur le juge Jean-Guy Blanchette, 11 décembre 1990.

[4]  Jocelyne Gagnon c. André Couture, R.L. Rimouski, 06-040922-010G, le 07 juin 2006.

[5]  Hajjar c. Hébert, [1999], J. L. 316.

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