Dermeguerditchian c. Remarais | 2024 QCTAL 28667 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||
Bureau de Montréal | ||||
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No dossier: | 767540 31 20240222 F | No demande: | 4214134 | |
RN :
| 4248098
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Date : | 12 septembre 2024 | |||
Devant la greffière spéciale : | Me Marie-Dorothée Lesage | |||
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Zareh Dermeguerditchian | ||||
Locateur - Partie demanderesse | ||||
c. | ||||
Joel Remarais | ||||
Locataire - Partie défenderesse | ||||
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DÉCISION
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[2] Les parties sont liées par un bail du 1er mai 2023 au 30 avril 2024, à un loyer mensuel de 1 035,00 $.
[3] Le locateur demande au Tribunal de statuer sur la modification suivante :
« Signature demandée au renouvellement du bail, raison changement de Propriétaire., à compter du 2024-05-01. » (sic)
[4] Lors de l’audience du 19 juin 2024, le locataire s’oppose de façon préliminaire à la demande de modification au bail. Ils soutiennent que cette demande ne figurait pas à l’avis de renouvellement du bail, conformément à l’article
La demande de modification
Les faits
[5] Le 24 janvier 2024, le locateur envoie un Avis d’augmentation de loyer et de modification d’une autre condition du bail au locataire. Cet avis, dont le modèle utilisé est celui du Tribunal administratif du logement (ci-après : « TAL »), mentionne uniquement que le nouveau loyer sera de 1 077,00 $.
[6] Dans cet avis, aucune autre modification aux conditions du bail n’est proposée au locataire.
[7] Le 22 février 2024, à la suite du refus du locataire, le locateur produit au TAL une Demande de modification au bail et il demande au Tribunal de statuer sur la modification mentionnée plus haut.
Question en litige
[8] Le Tribunal peut-il traiter une demande qui ne figurait pas à l’avis de renouvellement du bail envoyé au locataire, conformément à l’article
Analyse et conclusion
[9] Les articles sur la reconduction et de la modification au bail du Code civil du Québec sont clairs à l’effet que toutes les demandes de modification au bail doivent être données dans un avis écrit à l’autre partie avant l’introduction d’un recours :
« II. — De la reconduction et de la modification du bail
1941. Le locataire qui a droit au maintien dans les lieux a droit à la reconduction de plein droit du bail à durée fixe lorsque celui-ci prend fin.
Le bail est, à son terme, reconduit aux mêmes conditions et pour la même durée ou, si la durée du bail initial excède 12 mois, pour une durée de 12 mois. Les parties peuvent, cependant, convenir d’un terme de reconduction différent.
1942. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s'il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l'arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de 12 mois, l'avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.
Lorsque le bail est à durée indéterminée, le locateur ne peut le modifier, à moins de donner au locataire un avis d'au moins un mois, mais d'au plus deux mois.
Ces délais sont respectivement réduits à 10 jours et 20 jours s'il s'agit du bail d'une chambre.
1943. L'avis de modification qui vise à augmenter le loyer doit indiquer en dollars le nouveau loyer proposé, ou l'augmentation en dollars ou en pourcentage du loyer en cours. Cette augmentation peut être exprimée en pourcentage du loyer qui sera déterminé par le tribunal, si ce loyer fait déjà l'objet d'une demande de fixation ou de révision.
L'avis doit, de plus, indiquer la durée proposée du bail, si le locateur propose de la modifier, et le délai accordé au locataire pour refuser la modification proposée. »
« 1945. Le locataire qui refuse la modification proposée par le locateur est tenu, dans le mois de la réception de l'avis de modification du bail, d'aviser le locateur de son refus ou de l'aviser qu'il quitte le logement; s'il omet de le faire, il est réputé avoir accepté la reconduction du bail aux conditions proposées par le locateur.
Toutefois, lorsque le bail porte sur un logement visé à l'article 1955, le locataire qui refuse la modification proposée doit quitter le logement à la fin du bail. »
« 1947. Le locateur peut, lorsque le locataire refuse la modification proposée, s'adresser au tribunal dans le mois de la réception de l'avis de refus, pour faire fixer le loyer ou, suivant le cas, faire statuer sur toute autre modification du bail; s'il omet de le faire, le bail est reconduit de plein droit aux conditions antérieures. »
(Notre soulignement)
[10] L’objectif de ces articles, en exigeant au locateur d’envoyer un avis de renouvellement dans un délai spécifique, est notamment d’informer la partie locataire des changements qu’il veut apporter au bail. Sur le sujet, le Tribunal partage l’opinion de Me Nathalie Bousquet dans Esq Liq. Succ. D. Noël c. Labonté[1] lorsqu’elle mentionne ce qui suit :
« [15] Force est de constater à la lecture même de ces articles que l’intention du législateur est de permettre à un locateur de modifier des conditions d’un bail et de permettre au locataire de pouvoir disposer d’un délai de réflexion au locataire pour décider s’il accepte ou pas de renouveler un bail selon les nouvelles conditions demandées par le locateur. S’il refuse les modifications demandées, le locataire prend le risque que le locateur présente sa demande devant la Régie laquelle pourrait accorder les modifications demandées par le locateur.
[16] Le but de l’avis est donc d’informer le locataire de ce qui peut l’attendre, et de permettre à celui-ci de décider en toute connaissance de cause s’il renouvelle ou pas le bail aux conditions suggérées, sachant que le locateur peut, en cas de refus, saisir la Régie de cette demande. […]
[22] Le législateur ne parle pas pour ne rien dire, et rejeter l’objection du locataire en l’instance équivaudrait à faire fi de l’intention du législateur à ce que le locataire sache à quoi s’en tenir lorsqu’il se trouve en période de réflexion sur le renouvellement ou pas de son bail. »
[11] De surcroît, ajouter des modifications aux conditions du bail à la suite du refus du locataire correspondrait à le punir d’avoir refusé une augmentation. Le Tribunal ne peut encourager une telle pratique.
[12] Par conséquent, le Tribunal accueille l’objection du locataire et rejette la demande de modification au bail.
Demande de fixation de loyer
[13] Le Tribunal, lorsque saisi d’une demande de fixation ou de réajustement de loyer, en vertu de l’article
[14] Le locateur a le fardeau de prouver, selon la règle de la prépondérance de la preuve et de la balance des probabilités, les dépenses et les montants inscrits dans le formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer (ci-après : « le Formulaire »).
[15] Le locateur a produit le Formulaire ainsi que les pièces justificatives et les factures au soutien des renseignements qui y sont inscrits.
[16] Le Tribunal a pris en considération l’ensemble des témoignages et la preuve administrée devant lui, et il a porté assistance aux parties qui n’étaient pas représentées par avocat.
Validité des factures
[17] Lors de l’audience du 19 juin 2024, le locataire met en doute la validité d’une facture apportée en preuve par le locateur, la facture décrit les travaux suivants : « Repair ceiling, walls, scrap, plaster, paint » pour un montant de 1 515 $. Le locataire soutient que des travaux de peinture ont eu lieu il y a plusieurs années, mais pas en 2023. Le locateur explique longuement en quoi consistaient les travaux inscrits à la facture.
[18] Le Tribunal rappelle les règles de preuve énoncées au Code civil du Québec (ci-après : « C.c.Q. »). Selon les articles
« 2830. L’acte sous seing privé n’a point de date contre les tiers, mais celle-ci peut être établie contre eux par tous moyens.
Néanmoins, les actes passés dans le cours des activités d’une entreprise sont présumés l’avoir été à la date qui y est inscrite.
2831. L’écrit non signé, habituellement utilisé dans le cours des activités d’une entreprise pour constater un acte juridique, fait preuve de son contenu. »
[19] L’article 76 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[3] précise également ceci :
« 76. Peut se prouver par la production d’une copie qui en tient lieu si le membre du Tribunal est satisfait de sa véracité:
1° un acte juridique constaté dans un écrit; ou
2° le contenu d’un écrit autre qu’authentique.
Toutefois, la preuve peut être faite par tout moyen lorsqu’une partie établit que, de bonne foi, elle ne peut produire l’original de l’écrit, non plus que toute copie qui en tient lieu. »
[20] Le locateur doit établir que les dépenses relatives aux travaux ont effectivement été engagées. À l'aide des factures et de son témoignage, le locateur a dûment prouvé que les dépenses ont été contractées; rien ne permet de croire que ces factures ne reflètent pas la réalité.
Réparations ou améliorations majeures
[21] Concernant les dépenses inscrites à la section 12 du Formulaire, plusieurs dépenses sont rayées séance tenante, puisqu’elles n’ont pas bénéficié au logement concerné par la demande de fixation[4].
[22] Après calcul, l’ajustement du loyer permis en vertu du Règlement sur les critères de fixation de loyer[5] est de 49,54 $ par mois, s’établissant comme suit :
Taxes municipales et scolaires | 10,84 $ |
Assurances | 3,64 $ |
Gaz | 0,00 $ |
Électricité | 0,00 $ |
Mazout | 0,00 $ |
Frais d’entretien | 0,00 $ |
Frais de service | 0,00 $ |
Frais de gestion | 2,90 $ |
Réparations majeures, améliorations majeures, mise en place d’un nouveau service |
1,53 $ |
Ajustement du revenu net | 30,63 $
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TOTAL |
49,54 $ |
[23] Le locateur demande au Tribunal de fixer le loyer à 1 077,00 $ par mois. Or, le loyer mensuel calculé à 1 084,54 $ est supérieur au loyer demandé par le locateur.
Réduction du loyer d’un logement
[24] Quant aux inconvénients relatés par le locataire, concernant l’état et la salubrité du logement, ils ne se situent pas dans le cadre de l’article 8 du Règlement, s’agissant plutôt d’allégations portant sur les défauts d’entretien, de réparations ou d’obligations relatives au bon état d’habitabilité.
[25] Le locataire devra donc, afin de faire statuer sur le mérite de ses allégations, se prévaloir de ses droits en introduisant auprès du Tribunal administratif du logement le ou les recours appropriés convenant à sa situation et selon les conclusions recherchées.
[26] CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;
[27] CONSIDÉRANT qu’un ajustement mensuel de 49,54 $ est justifié;
[28] CONSIDÉRANT que le locateur a limité sa demande à 1 077 $ et que le Tribunal ne peut adjuger au-delà de ce montant;
[29] CONSIDÉRANT que la preuve ne justifie pas la condamnation du locataire au remboursement des frais;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[30] REJETTE la demande de modification au bail.
[31] FIXE le loyer à 1 077 $ par mois, du 1er mai 2024 au 30 avril 2025.
[32] Les autres conditions du bail demeurent inchangées.
[33] Le locateur assume les frais de la demande.
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Me Marie-Dorothée Lesage, greffière spéciale | ||
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Présence(s) : | le locateur le locataire | ||
Date de l’audience : | 19 juin 2024 | ||
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[1] 2013 CanLII 114408 (QC TAL).
[2] Règlement sur les critères de fixation de loyer, chapitre T-15.01, r. 2.
[3] RLRQ, c. T-15.01.
[4] Règlement sur les critères de fixation de loyer, RLRQ, c. T-15.01, r. 2, article 5.
[5] RLRQ, c. T-15.01, r. 2.
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