Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Snooks c. Procureur général du Canada

2020 QCCA 586

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-10-007092-198; 500-10-007093-196

(500-36-009226-195) (500-36-009227-193)

 

DATE :

 24 AVRIL 2020

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A.

MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A.

 

 

N°:       500-10-007092-198

            (500-36-009226-195)

 

DANIEL LORNE SNOOKS

APPELANT - Requérant

c.

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

INTIMÉ - Mis en cause

et

LINDA GIORDANO, en sa qualité de directrice de l’Unité spéciale de détention

MISE EN CAUSE - Intimée

 

 

N°:       500-10-007093-196

            (500-36-009227-193)

 

JUSTIN GERMA

APPELANT - Requérant

c.

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

INTIMÉ - Mis en cause

et

JOSÉE TREMBLAY, en sa qualité de directrice de l’Établissement Donnacona

STÉPHANE LALANDE, en sa qualité de directeur de l’Établissement Archambault

MIS EN CAUSE - Intimés

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Ce pourvoi s’intéresse à la question de savoir si l’appel des demandes d’habeas corpus est ici régi par les dispositions du Code Criminel[1] ou par celles du Code de procédure civile[2].

[2]           L’appelant Justin Germa (« M. Germa ») se pourvoit contre un jugement rendu par la Cour supérieure qui rejette sa demande d’habeas corpus assortie d’un certiorari auxiliaire à la suite de son transfèrement d’un établissement à sécurité moyenne vers un établissement à sécurité maximale[3].

[3]           Quant à l’appelant Daniel Lorne Snooks (« M. Snooks »), il se pourvoit de la même façon à la suite de son transfèrement d’un établissement à sécurité maximale vers l’Unité spéciale de détention[4].

[4]           En clair, les appelants contestent les décisions du Service correctionnel du Canada (« SCC ») qui a réévalué leur cote de sécurité et procédé à leur transfèrement non sollicité[5]. L’événement à l’origine du rehaussement de la cote de sécurité et du transfèrement de M. Germa survient en novembre 2018 alors qu’il est surpris lors d’une opération de surveillance à étaler sur une feuille de papier de l’huile de cannabis dans sa cellule. Les agents correctionnels fouillent sa cellule et saisissent 16 grammes de haschich. En ce qui concerne M. Snooks, il est transféré à l’Unité spéciale de détention après avoir poignardé un codétenu à plusieurs reprises à l’aide d’une arme artisanale.

[5]           Puisque ces décisions du SCC les auraient privés de leur liberté résiduelle, ils requièrent de la Cour supérieure la délivrance d’un bref d’habeas corpus. La juge de première instance traite les demandes dans une seule audience et rejette les demandes formulées par les appelants.

***

[6]           Les appelants se pourvoient.

[7]           Ils s’appuient sur le paragraphe 784(1) du Code criminel (« C.cr. »). pour déposer leur avis d’appel vingt-huit jours après le jugement entrepris, soit à l’intérieur du délai imparti de trente jours prévu à l’article 23 des Règles de la Cour d’appel en matière criminelle[6].

[8]           L’intimé soutient que les demandes d’habeas corpus trouvent leur fondement dans les décisions administratives rendues par le SCC. S’agissant de demandes d’habeas corpus de nature civile, les appelants auraient dû déposer leur déclaration d’appel dans le délai imparti de dix jours prévu à l’article 361 du Code de procédure civile (« C.p.c. »). Vu l’importance de la question et la confusion entretenue dans le milieu juridique, il demande à la Cour de qualifier les demandes d’habeas corpus introduites par les appelants et de tirer les conséquences de cette qualification.

[9]           Simplement posée, la question à résoudre est la suivante : les demandes d’habeas corpus découlant d’une décision de transfèrement non sollicité de détenus sont-elles assujetties à la procédure criminelle ou à la procédure civile?

***

[10]        Il convient de reproduire les dispositions législatives pertinentes pour assurer une bonne compréhension de l’affaire :

Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 :

775 Lorsque des procédures visées par la présente partie ont été engagées devant un juge ou un tribunal compétent, par une personne détenue du fait qu’elle est accusée ou qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction, ou à l’égard de cette personne, afin qu’il soit statué sur la légalité de son emprisonnement, le juge ou le tribunal peut, sans statuer sur la question, rendre une ordonnance en vue de la détention ultérieure de cette personne et prescrire que le juge, le juge de paix ou le juge de la cour provinciale sur le mandat duquel elle est détenue, ou que tout autre juge, juge de paix ou juge de la cour provinciale prenne les mesures, entende les témoignages ou accomplisse toute autre chose qui, de l’avis du juge ou du tribunal, serviront le mieux les fins de la justice.

 

784 […]

 

(3) Lorsqu’une demande de bref d’habeas corpus ad subjiciendum est refusée par un juge d’un tribunal compétent, aucune demande ne peut être présentée de nouveau pour les mêmes motifs, soit au même tribunal ou au même juge, soit à tout autre tribunal ou juge, à moins qu’une preuve nouvelle ne soit fournie, mais il y a appel de ce refus à la cour d’appel et, si lors de cet appel la demande est refusée, un nouvel appel peut être interjeté à la Cour suprême du Canada, si celle-ci l’autorise.

775 Where proceedings to which this Part applies have been instituted before a judge or court having jurisdiction, by or in respect of a person who is in custody by reason that he is charged with or has been convicted of an offence, to have the legality of his imprisonment determined, the judge or court may, without determining the question, make an order for the further detention of that person and direct the judge, justice or provincial court judge under whose warrant he is in custody, or any other judge, justice or provincial court judge, to take any proceedings, hear such evidence or do any other thing that, in the opinion of the judge or court, will best further the ends of justice.

 

 

 

784 […]

 

(3) Where an application for a writ of habeas corpus ad subjiciendum is refused by a judge of a court having jurisdiction therein, no application may again be made on the same grounds, whether to the same or to another court or judge, unless fresh evidence is adduced, but an appeal from that refusal shall lie to the court of appeal, and where on the appeal the application is refused a further appeal shall lie to the Supreme Court of Canada, with leave of that Court.

Règles de la Cour d'appel du Québec en matière criminelle, TR/2018-96 :

23 L’avis d’appel et, le cas échéant, la requête en autorisation d’appel sont signifiés et déposés dans les 30 jours de la décision. Si l’accusé est l’appelant ou le requérant et qu’il n’est pas représenté par avocat, la signification est faite par le greffier en transmettant une copie de l’acte de procédure à l’intimé. En cas d’appel par le poursuivant, l’avis d’appel ou la requête en autorisation d’appel sont signifiés à l’intimé en mains propres, avant ou après le dépôt, mais au plus tard dans les 15 jours de celui-ci, à moins qu’un juge n’en ordonne autrement.

23 The notice of appeal and, if applicable, the motion for leave to appeal shall be served and filed within 30 days from the judgment. If the appellant or the applicant is the accused and is not represented by counsel, the clerk shall effect service by sending a copy of the pleading to the respondent. In the case of an appeal brought by the prosecutrix, the notice of appeal or the motion for leave to appeal must be served on the respondent personally, before or after the filing of the pleading, but no later than 15 days from that filing, unless a judge orders otherwise

 

Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01 :

361. Le délai d’appel est de 10 jours si l’appel porte sur un jugement qui met fin à une injonction interlocutoire ou refuse la libération d’une personne; ce même délai s’applique pour porter en appel le jugement qui confirme ou annule une saisie avant jugement.

 

Ce délai est toutefois de cinq jours lorsqu’il s’agit de s’opposer à la libération d’une personne ou de faire appel du jugement qui accueille une demande d’autorisation touchant l’intégrité d’une personne, ordonne la garde en vue de soumettre une personne à une évaluation psychiatrique ou à la suite d’une telle évaluation.

 

363. Les délais d’appel sont de rigueur et emportent déchéance du droit d’appel.

 

Néanmoins, la Cour d’appel peut autoriser l’appel s’il ne s’est pas écoulé plus de six mois depuis le jugement et si elle estime que la partie a des chances raisonnables de succès et qu’elle a, en outre, été en fait dans l’impossibilité d’agir plus tôt. Elle peut, même après l’écoulement du délai fixé, autoriser un appel incident si elle l’estime approprié.

 

 

[…]

 

398. Toute personne privée de sa liberté sans qu’une décision du tribunal compétent l’ait ordonné peut s’adresser à la Cour supérieure afin qu’il soit statué sur la légalité de sa détention et que sa libération soit ordonnée si la détention est illégale. Un tiers peut également agir pour elle.

 

L’avis d’assignation enjoint à celui qui exerce la garde de se présenter à la date qui y est indiquée afin d’exposer au tribunal les motifs de la détention.

 

Lorsque la privation de liberté résulte d’une garde dans un établissement visé par les lois relatives aux services de santé et aux services sociaux ou d’une détention dans un établissement de détention ou un pénitencier, la demande est notifiée au procureur général, avec un avis de la date de sa présentation.

361. The time limit for appealing a judgment that lifts an interlocutory injunction or denies a person’s release is 10 days; the time limit for appealing a judgment confirming or quashing a seizure before judgment is also 10 days.

 

The time limit for opposing a person’s release or appealing a judgment granting an application for authorization relating to personal integrity or ordering confinement for or after a psychiatric assessment is five days.

 

 

 

 

363. The time limits for appeal are strict time limits, and the right to appeal is forfeited on their expiry.

 

Nevertheless, the Court of Appeal may authorize an appeal if not more than six months have elapsed since the judgment and if it considers that the appeal has a reasonable chance of success and that, in addition, it was impossible in fact for the appellant to act earlier. The Court may, even after the time limit has expired, authorize an incidental appeal if it considers it appropriate.

 

[…]

 

398. Any person deprived of liberty without it having been ordered by a decision of the competent court may ask the Superior Court to rule on the lawfulness of the detention and order the person’s release if the detention is unlawful. A third person may act on the person’s behalf.

 

The summons directs the detaining authority to appear before the court on the date specified in order to explain the reasons for the detention.

 

If the deprivation of liberty is due to confinement in an institution governed by health services and social services legislation or to detention in a correctional facility or a penitentiary, the application must be notified to the Attorney General, together with a notice of the date of presentation.

[Soulignements ajoutés]

***

[11]        Dans In Re Storgoff[7], un arrêt prononcé en 1945, la Cour suprême reconnaît qu’une demande d’habeas corpus peut être de nature civile ou de nature criminelle.

[12]        Pour déterminer si, dans un cas donné, la demande d’habeas corpus est de nature civile ou criminelle, la majorité de la Cour suprême retient les motifs formulés par le vicomte Simon dans l’arrêt Amand de la Chambre des Lords :

It is the nature and character of the proceeding in which habeas corpus is sought which provide the test. If the matter is one the direct outcome of which may be trial of the applicant and his possible punishment for an alleged offence by a court claiming jurisdiction to do so, the matter is criminal.[8]

[13]        La nature de l’habeas corpus est donc tributaire de la qualification accordée à la procédure ou à la décision à l’origine de la privation de la liberté.

[14]        Si la procédure à l’origine de la privation de liberté du détenu concerne directement le renvoi à son procès et l’infliction d’une peine, la matière est criminelle et l’habeas corpus est de nature criminelle.

[15]        Cette qualification retenue depuis longtemps par les tribunaux s’arrime avec le texte de l’article 775 C.cr. qui désigne la demande d’habeas corpus de nature criminelle comme une procédure engagée « devant un juge ou un tribunal compétent par une personne détenue du fait qu’elle est accusée ou qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction […] afin qu’il soit statué sur la légalité de son emprisonnement ».

[16]        Ce sera le cas lorsque le détenu est formellement accusé et appelé à répondre d’un crime à la société[9]. Les exemples suivants concernent des demandes d’habeas corpus qui, en raison de la nature des procédures ayant mené à la privation de liberté, sont de nature criminelle : une personne visée par une demande d’extradition qui est incarcérée et qui prétend ne pas être la personne recherchée par l’État partenaire[10]; un prévenu illégalement détenu après que les procédures initiées ont été ajournées pendant plus de trois jours sans son consentement, contrairement à l’article 516 C.cr.[11]; un accusé atteint de troubles mentaux qui doit demeurer incarcéré pendant plus de 30 jours avant d’être admis à l’hôpital pour une évaluation de son aptitude à subir son procès, conformément à l’article 672.11a) C.cr.[12]; une personne déclarée criminellement non responsable pour cause de troubles mentaux, conformément à l’article 672.34 C.cr., détenue en institution psychiatrique et qui conteste la légalité de cette déclaration de non-responsabilité criminelle[13]; un prévenu détenu sous garde en attendant son procès, mais dont le procès n’est pas commencé dans les 90 jours à partir de la date où il a été conduit devant un juge de paix, contrairement à l’article 525 C.cr.[14].

[17]        À l’inverse, lorsque la privation de liberté résulte d’une procédure ou d’une décision administrative ou civile, dépourvue de caractère punitif[15], la demande d’habeas corpus est alors de nature civile[16]. Il en sera ainsi lorsque l’objet de la procédure n’est pas punitif, mais coercitif. Ce sera notamment le cas de la décision d’un agent du ministère de l’Immigration d’ordonner la détention d’un non-résident canadien revendiquant sans apparence de droit le statut de réfugié en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[17]. Ce sera également le cas des procédures disciplinaires internes mises en place au sein des établissements carcéraux comme le placement en isolement[18]. Ce type de mesure ne vise pas à punir, mais bien à maintenir l’ordre au sein de ces établissements[19].

***

[18]        Une fois cela dit, qu’en est-il de la décision de transfèrement non sollicité d’un détenu?

[19]        Examinons la façon avec laquelle les tribunaux ont qualifié ce type de décision.

[20]        Dans May c. Établissement Ferndale[20], des détenus, dont M. May, sont transférés d’un établissement à sécurité minimale vers un établissement à sécurité moyenne sans qu’ils aient commis de faute. Le SCC avait pris une directive de réviser la cote de sécurité de tous les détenus purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité qui n’avaient pas suivi en totalité un programme de traitement des délinquants violents. Pour ce faire, il s’était servi d’un logiciel de révision des cotes de sécurité comportant une matrice de notation que le SCC avait refusé de communiquer aux détenus malgré leurs demandes répétées.

[21]        La Cour suprême accorde la demande d’habeas corpus sollicitée par les détenus en précisant que ce refus du SCC les avait privés de leur liberté résiduelle et que cela constituait une violation de l’équité procédurale et de l’obligation de communication. Les décisions relatives au transfèrement sont qualifiées de « décisions administratives » :

La privation de liberté n’est légale que si elle relève de la compétence du décideur. En l’absence d’une disposition expresse au contraire, les décisions administratives doivent être conformes à la Charte. Les décisions administratives prises en violation de la Charte sont nulles pour défaut de compétence : Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1078. L’article 7 de la Charte énonce qu’il ne peut être porté atteinte à la liberté qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Les décisions administratives doivent également être rendues dans le respect de l’obligation d’équité procédurale de la common law et des obligations légales applicables. Les décisions relatives au transfèrement qui ont des incidences sur la liberté des détenus doivent donc respecter toutes ces exigences.[21]

[Soulignements ajoutés]

[22]        Les détenus soutenaient également que les exigences de l’arrêt Stinchcombe[22] s’appliquaient, de sorte que tous les éléments de preuve contenus dans leur dossier auraient dû leur être communiqués. Sur cette question, la Cour suprême écrit que les principes de cet arrêt ne s’appliquent pas. Elle renchérit en qualifiant les décisions de transfèrement de « décisions de nature purement administrative ». Elle s’exprime ainsi :

Il importe de se rappeler que les principes de l’arrêt Stinchcombe ont été énoncés dans le contexte particulier d’une instance criminelle mettant en jeu l’innocence de l’accusé. La gravité des conséquences possibles d’une poursuite criminelle explique l’application d’une obligation de communication assez intense. En l’espèce, les décisions attaquées demeurent de nature purement administrative. On ne trouve pas ici de procès criminel et l’innocence des intéressés n’est pas en jeu. Les principes de l’arrêt Stinchcombe ne s’appliquent pas dans ce contexte administratif.[23]

[Soulignements ajoutés]

[23]        Quelques années plus tard, dans Établissement de Mission c. Khela[24], la Cour suprême précise qu’un détenu peut notamment, par une demande d’habeas corpus, requérir l’examen du caractère raisonnable de la décision du SCC. Voici comment elle qualifie la décision de transfèrement :

Un examen visant à déterminer si une décision est raisonnable et, par conséquent, légale, appelle nécessairement la déférence (Dunsmuir, par. 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 59; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, par. 11-12). En effet, une décision ordonnant un transfèrement non sollicité est néanmoins une décision administrative prise par un décideur possédant une expertise relative à un pénitencier en particulier. Examiner cette décision selon une norme autre que la norme de la décision raisonnable pourrait bien entraîner une microgestion des prisons par les tribunaux.[25]

[Soulignements ajoutés]

[24]        Force est de constater que la décision de transfèrement non sollicité est considérée comme une décision administrative de nature civile[26]. Elle est essentiellement liée à la gestion du risque présenté par les détenus et vise le maintien de l’ordre au sein de l’établissement. La décision ne concerne pas la déclaration de leur culpabilité ou l’infliction d’une peine en découlant, pas plus qu’elle ne remet en question leur innocence. Cette demande d’habeas corpus n’est pas davantage introduite par une personne détenue « du fait qu’elle est accusée ou qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction », comme le prévoit l’article 775 C.cr.

[25]        Les demandes d’habeas corpus découlant de la décision de transfèrement non sollicité sont donc assujetties à la procédure civile et non à la procédure criminelle.

***

[26]        S’agissant de demandes d’habeas corpus de nature civile, l’intimé a raison d’affirmer que les appelants auraient dû déposer une déclaration d’appel dans le délai imparti à l’article 361 C.p.c., ce qu’ils n’ont pas fait[27]. De même, ils n’ont formulé aucune demande pour être relevés de ce défaut.

[27]        Quelle est la sanction découlant de ce défaut?

[28]        L’article 363 C.p.c. prévoit que les délais d’appel sont de rigueur et emportent déchéance du droit d’appel. La Cour peut autoriser l’appel si, première condition, il ne s’est pas écoulé plus de six mois depuis le jugement.

[29]        Puisqu’il s’est écoulé plus de six mois depuis le jugement entrepris, la Cour n’a pas le pouvoir d’autoriser l’appel. Dans ces circonstances, la seule issue possible est celle de constater et déclarer la déchéance du droit d’appel des appelants[28].

***

[30]        En résumé, la décision de transfèrement non sollicité est une décision administrative de nature civile. La demande d’habeas corpus des appelants étant de nature civile, elle était assujettie à la procédure prévue aux articles 398 à 402 C.p.c. L’appel des jugements rendus était quant à lui soumis au délai d’appel de dix jours conformément à l’article 361 C.p.c. Ce délai d’appel est de rigueur et emporte déchéance du droit d’appel selon l’article 363 C.p.c. Les appelants n’ont présenté aucune demande pour être relevés du défaut d’appeler dans le délai imparti. Plus de six mois se sont écoulés depuis le jugement de première instance. En conséquence, leur droit d’appel est déchu.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[31]        CONSTATE et DÉCLARE que le droit d’appel des appelants est déchu;

[32]        REJETTE l’appel des appelants, sans frais de justice vu les circonstances de l’affaire.

 

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A.

 

 

 

 

 

MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A.

 

Me Marie-Claude Lacroix

Me Isabel Simao

Simao Lacroix

Pour les appelants

 

Me Véronique Forest

Me Guillaume Bigaouette

Ministère de la Justice Canada

Pour les intimés et les mis en cause

 

Date d’audience :

31 janvier 2020

 



[1]     Paragr. 784(3) C.cr. et art. 23 des Règles de la Cour d'appel du Québec en matière criminelle, TR/2018-96.

[2]     Art. 361 et 402 C.p.c.

[3]     Germa c. Tremblay, 2019 QCCS 1764 [Jugement entrepris Germa].

[4]     Lorne Snooks c. Giordano, 2019 QCCS 1766 [Jugement entrepris Snooks].

[5]     Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 28, 30 et 34; Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, art. 17-18.

[6]     Règles de la Cour d'appel du Québec en matière criminelle, TR/2018-96.

[7]     [1945] S.C.R. 526.

[8]     Amand v. Home Secretary and Minister of Defence of Royal Netherlands Government: HL 1943, [1943] A.C. 147, 156. Notre Cour retient le même critère dans Re Wattebled, [1952] J.Q. no 10, 1952 CanLII 367, p. 211 (C.A.).

[9]     R. c. Shubley, [1990] 1 R.C.S. 3, p. 20.

[10]    Re Wattebled, [1952] J.Q. no 10, 1952 CanLII 367 (C.A.). Voir aussi Loi sur l'extradition, L.C. 1999, ch. 18, paragr. 29(1) et (3).

[11]    Par exemple: Tyrone-Stewart v. Centre de détention de Montréal, 2007 QCCS 7015; Murphy c. R., 2016 QCCS 6844.

[12]    Par exemple : R. v. R.R., 2006 ONCJ 141. Voir aussi R. v. Chen et al, 2012 ONSC 4889.

[13]    D.L. c. Institut Philippe-Pinel de Montréal, 2014 QCCA 1316 (Bich, j.c.a.).

[14]    Vukelich v. British Columbia (Director of The Vancouver Pre-Trial Centre), 87 C.C.C. (3d) 32, 1993 CanLII 800 (C.A. B.C.).

[15]    Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152, p. 154.

[16]    Une demande d’habeas corpus de nature civile peut également viser une situation factuelle où aucune procédure ni décision n’est à l’origine de la privation de liberté. Ce sera notamment le cas lorsqu’un enfant est retenu par l’un de ses parents contrairement à un jugement qui en fixe la garde légale ou lorsqu’un enfant est sous la garde d’un tiers qui n’est pas son tuteur légal : S.P.L. c. L.L.A., 2006 QCCA 1053, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 8 février 2007, no 31675; Droit de la famille — 091454, 2009 QCCS 2756; Droit de la famille — 09834, 2009 QCCS 1636; Droit de la famille — 071180, 2007 QCCS 2366; D.(R.) c. B.(C.), 2003 CanLII 33337 (C.S.); V.(M.) c. G.(R.), 2003 CanLII 42633 (C.S.); N.P. c. J.L., 2003 CanLII 914 (C.S.); Droit de la famille — 125, J.E. 84-356 (C.S).

[17]    Noor v. Canada (Minister of Employment and Immigration), 70 D.L.R. (4th) 248, 1990 CanLII 8046 (C.A.). Voir aussi, par exemple : Lussier c. Centre d'hébergement Champlain, [1997] R.J.Q. 807, 1997 CanLII 10322 (C.A.) (demande d’habeas corpus présentée par une personne inapte hébergée dans un établissement de santé suivant la décision de son mandataire, afin que le tribunal statue sur la légalité de cette détention).

[18]    Ross v. Riverbend Institution, 2008 SKCA 19, paragr. 28; Vukelich v. Mission Institution, 2005 BCCA 75, paragr. 36-38. Voir aussi Wilson v. Correctional Service Canada, 2011 NSCA 116, paragr. 28-32.

[19]    R. c. Shubley, [1990] 1 R.C.S. 3, p. 20. Voir aussi Winters c. Legal Services Society, [1999] 3 R.C.S. 160, paragr. 50-51.

[20]    2005 CSC 82.

[21]    Id., paragr. 77.

[22]    [1991] 3 R.C.S. 326.

[23]    May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, paragr. 91.

[24]    2014 CSC 24.

[25]    Id., paragr. 75.

[26]    Voir également David c. Canada (Procureur générale) 2015 QCCA 2106, paragr. 7-8; Vukelich v. Mission Institution, 2005 BCCA 75, paragr. 30-38; Ross v. Riverbend Institution, 2008 SKCA 19, paragr. 30; Wilson v. Correctional Service Canada, 2011 NSCA 116, paragr. 32; Blais v. Canada (Attorney General), 2012 NSCA 81, paragr. 11. Sans se prononcer directement sur la question, la Cour, dans Beals c. Anctil, 2018 QCCA 2000, a considéré la demande d’habeas corpus découlant d’un transfèrement non sollicité comme une demande de nature civile assujettie aux dispositions du C.p.c.

[27]    Les appelants n’ont présenté aucune demande pour être relevés du défaut d’avoir déposé leur requête.

[28]    Duval c. Olymbec Groupe corporatif, 2018 QCCA 1737, paragr.2; Lambert c. Bérubé, 2017 QCCA 1149, paragr. 22-24; M.B. c. N.L., 2016 QCCA 686, paragr. 2; Droit de la famille - 152235, 2015 QCCA 1419, paragr. 6; Placements Suclo ltée c. Métro Richelieu inc., 2011 QCCA 2087, paragr. 2; Jeremic c. Arjinian, 2011 QCCA 469, paragr. 6; Fabrikant c. Swamy, 2008 QCCA 921, paragr. 3; Microlab inc. c. Dauphin [1983] C.A. 269. Voir aussi Québec (Communauté urbaine) c. Services de santé du Québec, [1992] 1 R.C.S. 426, p. 444-445.

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