[1] Les appelants se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Thomas M. Davis), qui, le 10 janvier 2019, accueille le moyen déclinatoire pour défaut de compétence présenté par l’intimée et rejette la demande d’autorisation d’exercer une action collective recherchée par les appelants.
[2] Pour les motifs de la juge Savard, auxquels souscrivent les juges Pelletier et Sansfaçon, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel, avec frais de justice.
|
|
MOTIFS DE LA JUGE SAVARD |
|
|
[4] Le présent pourvoi porte sur une demande d’autorisation d’exercer une action collective déposée par les appelants, Regroupement des cols bleus retraités et pré-retraités de Montréal (le Regroupement) et sa personne désignée Denis Dumont. Ceux-ci reprochent à la Ville de Montréal (la Ville) d’avoir suspendu, à compter du 1er janvier 2017, l’indexation automatique de la rente de retraite que recevaient ses membres, conformément aux pouvoirs que lui confère la Loi favorisant la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal[1] (la Loi 15). La question s’est posée de savoir si cette action collective est une voie de droit appropriée ou si une telle demande ne relève pas plutôt de la compétence exclusive de l’arbitre de griefs.
[5] La Cour supérieure a accueilli le moyen déclinatoire pour défaut de compétence présenté par la Ville et a rejeté la demande d’autorisation recherchée par les appelants, faute de compétence[2]. Les appelants se pourvoient.
[6] Je propose de rejeter cet appel. Le litige faisant l’objet de la demande d’autorisation en cause relève, par son essence, de la compétence de l’arbitre de griefs. Contrairement aux prétentions des appelants, la Loi 15 ne crée pas un régime juridique distinct qui relèverait des tribunaux de droit commun et, par conséquent, de la compétence de la Cour supérieure vu le véhicule procédural choisi.
[7] La toile de fond au litige, telle qu’alléguée dans la demande d’autorisation et que le juge de première instance devait tenir pour avérée, se résume succinctement.
[8] Le 5 décembre 2014, le gouvernement provincial adopte la Loi 15 qui vise la restructuration des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal en vue d’en assainir la santé financière et d’en assurer la pérennité (art. 1). Des règles particulières y sont énoncées, notamment pour prévoir les modifications devant être apportées aux régimes pour le service accumulé après le 31 décembre 2013, d’une part, et celles visant à éliminer les déficits imputables pour le service accumulé avant le 1er janvier 2014, d’autre part. La Loi 15 établit également le processus devant être suivi pour atteindre cet objectif et permettre la restructuration recherchée, tant à l’égard des droits touchant les participants actifs (service accumulé après le 31 décembre 2013 et leur part du déficit accumulé avant le 1er janvier 2014) que ceux des retraités (leur part du déficit accumulé avant le 1er décembre 2014). Pour fins de commodité, je reproduis en annexe à mes motifs les dispositions de la Loi 15 pertinentes à l’analyse du pourvoi.
[9] Le Régime de retraite des salariés cols bleus de la Ville de Montréal (le Régime) est assujetti aux dispositions de la Loi 15. Les membres du Regroupement, dont M. Dumont, ont tous été salariés cols bleus de la Ville et ont pris leur retraite entre le 29 août 1982 et le 31 décembre 2013. À ce titre, ils bénéficient d’une rente aux termes du Régime.
[10] Le 19 décembre 2016, la Ville adopte une résolution ayant pour effet de suspendre l’indexation automatique des rentes des cols bleus retraités au 31 décembre 2013, s’autorisant à cette fin des pouvoirs que lui confère l’article 16 de la Loi 15. Cette suspension, qui s’explique en raison du caractère déficitaire du Régime, prend effet à compter du 1er janvier 2017.
[11] Sans remettre en question le pouvoir d’un organisme municipal de suspendre l’indexation des rentes ni le respect des formalités requises pour l’exercice d’un tel pouvoir en vertu de la Loi 15, les appelants estiment néanmoins cette résolution contraire à une entente conclue en 1982 entre la Ville et l’association accréditée représentant ses salariés cols bleus, le Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 (le Syndicat). Cette entente, qui concerne les modalités de fonctionnement du régime de retraite des salariés cols bleus, comporte deux documents distincts : d’une part, le règlement comme tel du régime prévoyant notamment pour la première fois l’indexation automatique des rentes pour les salariés prenant leur retraite après le 29 août 1982 et, d’autre part, un acte notarié permettant à la Ville d’échelonner sur 45 ans le déficit accumulé en vertu du régime et dont elle est responsable. Les appelants y voient là une entente globale et indissociable. Or, plaident les appelants, n’eût été l’indexation des rentes, les salariés cols bleus, par le Syndicat, n’auraient jamais accordé un si long terme à la Ville pour le remboursement du déficit. C’est l’existence de ce déficit qui lui permet maintenant, au terme de la Loi 15, de suspendre l’indexation automatique de la rente prévue dans le Régime.
[12] Estimant la décision de la Ville « foncièrement injuste, déraisonnable et abusive » vu l’entente de 1982, les appelants demandent à la Cour supérieure l’autorisation d’exercer une action collective au nom de ses membres en vue notamment de faire déclarer nulle la résolution en litige et d’ordonner à la Ville de rétablir l’indexation automatique des rentes.
[13] La Ville demande le rejet de cette demande d’autorisation en proposant un moyen déclinatoire. Elle plaide le défaut de compétence de la Cour supérieure. Selon ses prétentions, le litige porte sur la perte d’un bénéfice du Régime, et donc d’une condition de travail régie par les conventions collectives des cols bleus depuis 1982, et relève conséquemment exclusivement de la compétence de l’arbitre de griefs. La Loi 15, plaident-ils, n’a pas pour effet de soustraire les cols bleus retraités de la représentation syndicale et des recours prévus dans les conventions collectives.
[14]
Comme je le signalais en introduction, le juge de première instance
accueille ce moyen déclinatoire et rejette la demande d’autorisation, faute de
compétence. Il est d’avis que les droits revendiqués par les appelants découlent
des conventions collectives depuis 1982 et que, malgré leur expiration,
l’arbitre de griefs demeure compétent pour traiter de questions relatives au
Régime à l’égard des retraités. Selon le juge, la Loi 15, qui est
implicitement incluse dans les conventions collectives, ne modifie pas le
régime juridique applicable en semblables matières, d’autant que l’arbitre
pourra l’interpréter et l’appliquer, tout comme les dispositions du Code
civil du Québec invoquées par les appelants au soutien de leur contestation
suivant laquelle la Ville aurait agi de mauvaise foi (art.
[15] C’est contre ce jugement que les appelants se pourvoient.
[16] La solution de ce pourvoi réside dans la réponse donnée à la question suivante, qui a été formulée par le juge Pierre-C. Gagnon à une étape préliminaire du litige[3] et que je me permets de reformuler sensiblement : le régime juridique qui, aux termes de la Loi 15, permet à la Ville de suspendre l’indexation automatique de la rente des retraités cols bleus, relève-t-il des tribunaux de droit commun ou de l’arbitrage de griefs?
[17] Cette question requiert que je m’attarde aux sujets suivants : d’abord, à titre de rappel, la compétence de la Cour supérieure en matière d’action collective; ensuite, la compétence de l’arbitre de griefs en matière de régime de retraite; et finalement, la portée de la Loi 15 sur le régime juridique applicable.
[18] Je serai très brève sur cette question que j’aborde aux seules fins de cerner le débat devant la Cour, d’autant qu’elle n’est pas contestée.
[19]
La compétence de la Cour supérieure en matière d’action collective
repose sur l’article
[20] Bien que cette disposition propose un libellé sensiblement différent de celui prévalant sous l’ancien Code de procédure civile à son article 31, elle reprend néanmoins le droit antérieur : la compétence de la Cour supérieure en matière d’action collective ne peut servir à écarter une compétence exclusive attribuée à une autre juridiction ou à un organisme juridictionnel. C’est ce que la Cour a récemment décidé dans Verr c. Boardwalk Real Estate Investment Trust[4] où elle écrit que « [l]e principe établi par la Cour suprême dans l’arrêt Bisaillon demeure toujours applicable : l’action collective est un véhicule procédural qui ne modifie pas les règles de droit relatives à la compétence ratione materiae des tribunaux ». Conséquemment, la seule utilisation du véhicule procédural de l’action collective ne confère pas, à elle seule, compétence à la Cour supérieure.
[21] Ce principe étant établi, il y a lieu de déterminer si le litige soulevé par la demande d’autorisation des appelants relève, par son essence, de la compétence de l’arbitre de griefs et de s’interroger sur l’étendue de celle-ci en matière de régime de retraite et des droits des retraités.
[22] Le principe est connu et a maintes fois été répété : les tribunaux judiciaires ne sont pas compétents pour connaître d’un litige qui, dans son essence, relève de l’interprétation, de l’application, de l’administration ou de l’inexécution de la convention collective et à l’égard duquel l’arbitre de griefs a le pouvoir d’accorder une réparation adéquate. Un tel litige relève de la compétence exclusive de l’arbitre de griefs[5].
[23] Dans Bisaillon c. Université Concordia[6], le juge LeBel, pour les juges majoritaires, souligne que la compétence de l’arbitre est tributaire de deux facteurs, l’un matériel, le second à dimension personnelle :
29 Comme l’expose Me Robert P. Gagnon : « La
compétence de l’arbitre est tributaire de deux facteurs. Le premier a trait à
l’objet ou à la nature du litige; c’est l’aspect matériel de sa compétence.
Le second met en cause les personnes qui sont parties à ce litige; il s’agit
alors de la dimension personnelle de la compétence de l’arbitre » (p.
506). On se rappellera toutefois que la compétence matérielle comprend la
capacité d’accorder une réparation adéquate (R. c. Mills,
[Soulignements ajoutés.]
[24] Comme c’est souvent le cas, il y a lieu, en l’occurrence, de s’attarder principalement au volet matériel de la compétence de l’arbitre puisque sa dimension personnelle ne paraît pas en cause ici. Les retraités concernés par la mésentente ont en tout temps été assujettis à l’une des conventions collectives desquelles découlerait le litige, le cas échéant. L’arbitre aurait donc compétence sur les parties[7].
[25] Pour déterminer la compétence matérielle de l’arbitre de griefs, il faut d’abord déterminer l’essence du litige et, ensuite, vérifier si le contexte dégagé entre dans le champ d’application de la convention collective[8]. Une approche libérale s’impose, laquelle favorise « […] la reconnaissance à l’arbitre de griefs d’une compétence exclusive étendue sur les questions relatives aux conditions de travail, pour autant que celles-ci puissent se rattacher expressément ou implicitement à la convention collective »[9].
[26] En l’espèce, le litige porte sur la modification unilatérale apportée aux rentes des retraités et le problème de sa validité à la lumière de l’entente de 1982. Il se rattache ainsi aux droits des retraités qui allèguent la perte d’un bénéfice prévu dans le Régime, soit l’indexation automatique de leur rente. Or, nul ne conteste qu’un régime de retraite est une composante de la rémunération et constitue un élément des conditions de travail d’un salarié. En milieu syndiqué, le contenu d’un régime de retraite est « […], comme les autres aspects du contrat de travail, négocié dans un cadre collectif impliquant uniquement l’employeur et le syndicat […] »[10]. Ici, le juge de première instance retient que le Régime, incluant son historique, est incorporé dans les conventions collectives négociées depuis 1982 par la Ville et le Syndicat, à tout le moins implicitement[11].
[27] Cette conclusion, que les appelants contestent, trouve amplement appui dans les faits allégués dans la demande d’autorisation et la preuve appropriée que la Ville a été autorisée à produire. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’intervenir sur cette question[12].
[28] Or, dans Bisaillon c. Université Concordia, la Cour suprême retient que le volet matériel de la compétence de l’arbitre est satisfait lorsque des modifications concernant des participants actifs sont apportées à un régime de retraite auquel renvoie la convention collective. Le juge LeBel écrit :
50 Par ailleurs, en ce qui concerne l’aspect matériel du litige, la compétence de l’arbitre de chacune des conventions collectives de Concordia est établie en l’espèce. Les faits allégués dans la requête de l’intimé Bisaillon, c’est-à-dire les modifications unilatérales apportées au Régime de retraite par l’employeur et le problème de leur validité, se rattachent à tout le moins implicitement, peut-être même expressément, à ces conventions collectives et à leur application.
[29] Qu’en est-il par ailleurs lorsque les modifications portent sur la rente reçue par les salariés retraités, comme en l’espèce?
[30] Dans l’arrêt Dayco[13], la majorité de la Cour suprême, sous la plume du juge Laforest, retient que les droits d’un salarié en vertu de la convention collective, dont ceux afférents au régime de retraite, se cristallisent au moment de la retraite et que l’arbitre de griefs demeure compétent pour déterminer si les conditions de la convention collective alors en vigueur, malgré son expiration, créent en sa faveur des droits acquis. Le juge de première instance cite d’ailleurs, à bon droit, le passage suivant de cet arrêt :
[…] L’arbitre a conclu, d’une façon générale, qu’il est possible que la promesse de prestations de retraite survive à la convention collective dans laquelle elle figure. Pour les motifs exposés ci-après, je pense qu’il a eu raison de tirer cette conclusion[14].
[31] J’ajoute les extraits suivants des motifs majoritaires qui complètent ce passage :
L'analyse de l'arbitre a comporté deux volets. Premièrement, il a décidé que la simple expiration, sans plus, de la convention collective ne rendait pas inarbitrable un grief alléguant une violation après cette expiration. Pourvu que le grief soit fondé sur cette convention collective, la question reste arbitrable. Deuxièmement, il a examiné si le droit aux prestations de retraite pouvait devenir acquis de manière à justifier de la façon requise un grief après l'expiration de la convention collective. À mon avis, le premier volet de la méthode de l'arbitre est inattaquable. J'approuve aussi le deuxième volet, quoique je le fasse sous deux réserves.
[…]
En résumé, je suis d'avis que les droits accordés aux retraités peuvent, si les conditions d'une convention collective le stipulent, survivre à cette convention. De plus, quoiqu'il ne soit pas strictement nécessaire de statuer sur ce point dans le présent pourvoi, je conclurais que ces droits subsistants deviennent acquis à la date où l'employé prend sa retraite et qu'ils survivraient à toutes négociations collectives subséquentes qui auraient pour objet de les faire cesser. J'ai conclu ainsi que les propositions générales de l'arbitre à cet égard étaient exemptes d'erreur et que l'arbitre était compétent pour entendre le grief du syndicat. Bien entendu, je ne ferai aucune observation sur la question de savoir si les conditions de la convention conclue entre la société et le syndicat créent effectivement un tel droit acquis. C'est à l'arbitre qu'il appartient de trancher cette question au moment où l'audience d'arbitrage porte sur le fond[15].
[Soulignements ajoutés.]
[32] En concluant ainsi, la Cour suprême reconnaît donc le droit d’un syndicat de déposer un grief au nom des salariés retraités lorsque ceux-ci estiment qu’il y a eu violation de leurs droits acquis en vertu d’un régime de retraite incorporé dans la convention collective. Elle ne se prononce cependant pas sur l’existence ou non d’un droit personnel du retraité à un recours individuel en pareilles circonstances. De fait, le juge Laforest s’interroge sur les voies d’action offertes aux retraités dans l’éventualité où l’employeur modifierait leurs rentes. Son questionnement repose sur l’incertitude entourant l’étendue du devoir de représentation d’un syndicat à leur égard , lequel devoir est la contrepartie du monopole de représentation qui lui est dévolu[16]. Le juge Laforest soulève la question de savoir si au Canada, contrairement aux États-Unis, les retraités avaient le droit de porter contre leur syndicat une plainte de représentation de mauvaise foi advenant son refus de déposer un grief en leur nom. Ceux-ci pourraient alors se trouver en possession d’un droit qu’ils ne peuvent faire exécuter. Il refuse toutefois d’y répondre vu le dépôt dans cette affaire d’un grief par le syndicat au nom des retraités :
[…] En dernière analyse, je souscris à la conclusion de l’arbitre dans la mesure où le droit des retraités à des prestations de retraite peut (tout dépendant du texte de la convention collective) devenir acquis collectivement parlant, et où toute réduction de ces prestations pourrait faire l’objet d’un grief déposé par le syndicat. Il n’est pas nécessaire de décider dans le présent pourvoi si cette acquisition d’un droit crée aussi un droit personnel ouvrant droit à des poursuites par un retraité, pris individuellement[17].
[Soulignement et caractère gras ajoutés.]
[33] Je rappelle que l’arrêt Dayco a été rendu en 1993 et que, dans l’arrêt Bisaillon, prononcé en 2006, la Cour suprême ne répond pas à cette question puisque le litige opposait l’employeur et les participants actifs du régime de retraite, dont la majorité était syndiquée et à l’égard de qui les syndicats impliqués avaient un devoir de juste représentation. Dans l’arrêt Association provinciale des retraités d’Hydro-Québec c. Hydro-Québec[18], notre Cour soulève cette même question à l’égard des retraités, mais précise ne pas avoir à y répondre.
[34] À mon avis, l’arrêt Tremblay c. S.E.P.B.[19], prononcé près de 10 ans après l’arrêt Dayco, permet de répondre à cette question. Dans cette affaire, la Cour suprême reconnaît que la fin d’emploi d’un salarié ne fait pas disparaître toute obligation de représentation à son endroit, laquelle survit à l’égard des situations juridiques constituées pendant la période d’emploi :
[21] Cette obligation [de représentation du syndicat] résulte d’un mandat légal de représentation qui vaut pour l’ensemble d’une unité de négociation, dont la composition varie nécessairement dans le temps. La nature continue de cette obligation à l’égard de l’ensemble d’unités susceptibles de se modifier continuellement ne permet pas de conclure que le départ d’un salarié fait disparaître toute conséquence de l’exécution de l’obligation de représentation à son endroit. Une situation juridique peut s’être constituée de telle façon que le syndicat devra continuer à agir et à représenter le salarié pour en régler les conséquences. La reconnaissance d’une telle obligation découlant à l’origine de l’exécution du devoir de représentation s’imposerait d’autant plus que le syndicat continue alors à détenir le pouvoir exclusif de négociation à l’égard de l’employeur et, le plus souvent, à contrôler l’accès à la procédure de grief ainsi que son déroulement. La persistance, sous une telle forme, d’une obligation résiduelle de représentation à l’égard des employés qui cessent de travailler dans l’entreprise, au sujet de problèmes découlant de leur période d’emploi, correspond à l’économie générale de ce système de représentation exclusive et collective. […]
[Soulignements ajoutés.]
[35] Je partage donc l’opinion de Me Claude Tardif lorsqu’il écrit qu’ « [i]l est donc possible de soutenir que les syndicats ont l’obligation de représenter leurs retraités en ce qui concerne les situations juridiques constituées à l’époque où ceux-ci étaient actifs au sein de l’entreprise »[20]. J’en conclus donc que, sur ces questions, les retraités, tout comme les participants actifs dans l’arrêt Bisaillon, perdent « […] [leur] droit d’agir sur une base individuelle, indépendamment du syndicat qui [les] représente »[21].
[36] En l’occurrence, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur l’étendue de cette obligation[22], ou même sur les voies d’action offertes aux retraités advenant le défaut du syndicat de déposer un grief en leur nom[23]. Lors de l’audition du pourvoi devant la Cour, les parties ont en effet indiqué que le Syndicat avait déjà déposé un grief au nom des retraités contestant la suspension de l’indexation de leur rente, à tout le moins pour protéger leurs droits[24]. Celui-ci a cependant été mis en suspens en attendant le sort du moyen déclinatoire de la Ville. La question de l’étendue du devoir de représentation ne se pose donc pas ici.
[37] En somme, tout comme le juge de première instance, j’estime que le litige allégué dans la demande d’autorisation d’exercer une action collective se rattache aux droits des retraités en vertu du Régime. Il relève, dans son essence, de l’inexécution alléguée des conventions collectives en vigueur au moment du départ à la retraite des retraités. En principe, le litige relèverait donc de la compétence exclusive de l’arbitre de griefs.
[38] Demeure toutefois l’argument des appelants relatif à la portée de la Loi 15 qui, plaident-ils, aurait exclu le litige de la compétence de l’arbitre de griefs.
[39] Les appelants avancent que la Loi 15 a créé un régime juridique particulier ayant pour effet d’exclure la question de la suspension de l’indexation des rentes des retraités du champ d’application de la convention collective. Selon eux, l’abolition de l’indexation automatique de la rente pour les participants actifs (art. 11 et 13), le pouvoir discrétionnaire conféré exclusivement à l’organisme municipal de suspendre l’indexation de la rente des retraités (art. 16) et l’absence de tout processus de négociation sur cette dernière question (art. 17) attestent de cette intention du législateur. Finalement, ils reprochent au juge de première instance de ne pas avoir distingué la situation des participants actifs de celle des retraités au terme de la Loi 15.
[40] À mon avis, les appelants font fausse route.
[41] La Loi 15 est une loi au caractère technique[25]. Elle prévoit des obligations différentes selon que les modifications devant être apportées aux régimes de retraite concernent les participants actifs, d’une part, ou les retraités, d’autre part.
[42] Ainsi, dans ses grandes lignes, à l’égard des participants actifs, la Loi 15 exige entre autres la modification des régimes de retraite à compter du 1er janvier 2014 afin d’y prévoir le partage à parts égales des coûts et le partage des déficits éventuels pour le service postérieur au 31 décembre 2013 entre les participants actifs et l’organisme municipal (art. 7). Un partage égal vaut également pour les déficits imputables aux participants actifs le 1er janvier 2014, pour le service accumulé avant cette date (art. 12). L’indexation automatique de la rente est également proscrite (art. 11 et 13). À l’égard des retraités, la Loi 15 autorise l’organisme municipal, à compter du 1er janvier 2017, à suspendre l’indexation des rentes des retraités avant le 1er janvier 2014 afin qu’ils assument leur part des déficits (art. 17).
[43] Il est vrai, comme le soulignent les appelants, que la Loi 15 prévoit un mécanisme de négociation entre l’organisme municipal et les participants actifs en vue de convenir d’une entente pour modifier le régime de retraite conformément aux dispositions législatives, lequel mécanisme est complété si nécessaire d’un processus de conciliation et d’arbitrage de différend (art. 25 à 49). Ce processus de négociation ne s’applique cependant pas aux modifications visant les retraités. Quant à eux, l’article 17 de la Loi 15 prévoit uniquement l’obligation pour l’organisme municipal qui désire suspendre l’indexation de leur rente d’informer au préalable les retraités et leur donner l’occasion de se faire entendre dans le cadre d’une séance d’information organisée par le comité de retraite. L’organisme municipal doit également transmettre à Retraite Québec sa décision motivée et un compte rendu de la séance d’informations tenue avec les retraités.
[44] Les appelants voient dans cette différence de traitement entre les participants actifs et les retraités une volonté du législateur d’exclure la question de la suspension de l’indexation de la rente des retraités du champ d’application de la convention collective. Cette suspension n’ayant jamais été négociée et ne pouvant l’être selon la Loi 15, elle ne pourrait donc être sujette à l’arbitrage.
[45]
Je vois plutôt dans cette distinction le simple reflet des règles
régissant le processus de négociation collective en vertu du Code du travail.
Un syndicat a une obligation de négocier de bonne foi avec l’employeur les
conditions de travail des salariés de l’unité de négociation, ce qui s’applique
ici à la négociation d’un régime de retraite au bénéfice des participants
actifs (art.
[46] À mon avis, on peut présumer que le législateur connaît les règles régissant la compétence exclusive de l’arbitre de griefs. S’il avait voulu par l’adoption de la Loi 15 créer un régime juridique qui relève des tribunaux de droit commun, et ainsi s’écarter du régime de représentation exclusive découlant du monopole de représentation syndicale, il se serait exprimé clairement à cet effet. Je ne vois rien de tel dans la Loi 15, pas plus d’ailleurs que dans les débats parlementaires. Celle-ci ne crée pas un régime juridique distinct qui relèverait des tribunaux de droit commun pour les salariés retraités syndiqués.
[47] Le juge de première instance ne commet donc pas d’erreur lorsqu’il rejette les prétentions des appelants quant à la portée de la Loi 15, aux paragraphes [35] et [36] de ses motifs.
[48]
Somme toute, le litige soulevé par les appelants dans la demande
d’autorisation d’exercer une action collective relève de la compétence
exclusive de l’arbitre de griefs qui verra, le cas échéant, à déterminer les
droits des retraités. Il devra se prononcer à la lumière notamment de la
Loi 15, qu’il a le pouvoir d’interpréter et d’appliquer « dans la
mesure où il est nécessaire de le faire pour décider d’un grief »
(art.
[49] Sur le tout, je suis d’avis que le litige relève de la compétence exclusive de l’arbitre de griefs et je propose en conséquence de rejeter l’appel, avec frais de justice.
|
|
|
|
MANON SAVARD, J.C.A. |
[1] RLRQ, c. S-2.1.1.
[2]
Regroupement des cols bleus retraités et pré-retraités de Montréal c.
Ville de Montréal,
[3]
Regroupement des cols bleus retraités et pré-retraités de Montréal c.
Ville de Montréal,
[4]
Verr c. Boardwalk Real Estate Investment Trust,
[5]
Weber c. Ontario Hydro,
[6]
Bisaillon c. Université Concordia,
[7] Id., p. 688-690.
[8] Id., p. 685.
[9] Id., p. 686.
[10]
Association provinciale des retraités d’Hydro-Québec c. Hydro-Québec,
[11] Paragraphes [28] et [29] du jugement dont appel.
[12] D’ailleurs, lors du débat sur le dépôt des conventions collectives à titre de preuve appropriée (Regroupement des cols bleus retraités et pré-retraités de Montréal c. Ville de Montréal, supra, note 3), la Cour supérieure souligne que les appelants reconnaissaient que le Régime était incorporé dans les conventions collectives:
[7] En particulier, en ce qui concerne les neuf conventions collectives successives, le Regroupement considère qu’il serait superfétatoire de les produire. À ce sujet, le Regroupement concède qu’à toute époque pertinente, le régime de retraite des cols bleus de la Ville a été incorporé à la convention collective des cols bleus, de sorte qu’un litige portant sur le régime de retraite pouvait mener à arbitrage devant un arbitre de griefs. [Soulignement ajouté].
[13]
Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada,
[14] Ibid., p. 269, repris au paragraphe 15 du jugement dont appel.
[15] Id., p. 269 et 305.
[16] Id., p. 282 où le juge Laforest écrit : « […] La seule différence tient aux voies de droit. Aux États-Unis, l’expression [TRADUCTION] « droits acquis à des prestations de retraite » connote un droit qu’un retraité peut faire exécuter à sa propre demande sans l’aide de son ancien agent négociateur. Cette possibilité de mise à exécution n’existe peut-être pas au Canada, quoique je ne juge pas nécessaire de statuer sur ce point dans le présent pourvoi ». Voir aussi les p. 303-304 où il élabore sur cette question.
[17] Id., p. 270.
[18]
Association provinciale des retraités d’Hydro-Québec c. Hydro-Québec,
[19]
Tremblay c. Syndicat des employées et employés
professionnels-les et de bureau, section locale 57,
[20]
Claude Tardif, « Les droits des retraités à l’intérieur des rapports
collectifs de travail? »,
[21] Bisaillon c. Université Concordia, supra, note 6, p. 695, paragr. 56.
[22] On peut s’interroger par exemple sur la portée de cette obligation à l’occasion de la négociation de la convention collective. Voir notamment Association provinciale des retraités d’Hydro-Québec c. Hydro-Québec, supra, note 18; C. Tardif, « Les droits des retraités à l’intérieur des rapports collectifs de travail? », supra, note 20, p. 280 et s.
[23]
Voir notamment les motifs du juge Forget dans Banque Laurentienne c.
Werve,
[24] Ce grief serait en suspens en attendant le sort du présent pourvoi.
[25]
Sherbrooke (Ville de) c. Syndicat canadien de la fonction publique,
section locale 2729,
[26] Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada, supra, note 13, p. 299.
[27] Ibid.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.