Décision

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Décision

Ouahi c. Grise

2021 QCTAL 7872

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

550702 31 20201229 G

No demande :

3144946

 

 

Date :

25 mars 2021

Devant la juge administrative :

Suzanne Guévremont

 

Youssef Ouahi

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Andre Grise

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le locateur demande l’autorisation de reprendre le logement concerné à compter du 1er juillet 2021 pour s’y loger, suivant les termes de l’article 1963 du Code civil du Québec.

CONTEXTE

[2]      La preuve non contestée révèle que les parties sont liées par un bail verbal du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021, au loyer mensuel de 370 $.

[3]      Le logement visé par la reprise comporte 2½ pièces. Il est situé au sous-sol d’un triplex de deux étages.

[4]      Les deux autres logements comportent 5½ pièces chacun. Le [...] est présentement loué à 1 100 $ (RDC). Le [...] est vacant et en rénovations (étage).

[5]      Le 21 décembre 2020, le locateur donne au locataire un avis de reprise de logement pour les fins ci-dessus mentionnées. Il est reçu le 23 décembre 2020 par son destinataire.

[6]      Le même jour, le locataire répond qu’il refuse de quitter le logement.

QUESTIONS

[7]      Le locateur a-t-il le droit de reprendre le logement et si oui, à quelles conditions?

PRÉTENTIONS ET PREUVE EN DEMANDE

[8]      Le demandeur déclare qu’il est à la fois locateur et unique propriétaire du logement.


[9]      Il se dit de bonne foi et déclare qu’il a réellement l’intention de reprendre le logement pour les fins ci-dessus mentionnées.

[10]   Il réside chez sa mère, dans un condo situé au centre-ville de Montréal.

[11]   Le temps est venu pour lui d’habiter seul.

[12]   Il possède un autre triplex situé au [...], à Anjou. Au jour de l’audience, aucun de ses locataires n’a manifesté l’intention de déménager.

[13]   Il est aussi le propriétaire d’un condominium de 4½ pièces, situé au [...], à Montréal. Ce condo est loué depuis le 25 janvier 2021.

[14]   Il a choisi le logement du locataire pour s’y loger parce qu’il convient à ses besoins.

[15]   Les autres logements qui lui appartiennent sont tous trop grands, incluant le condominium.

LA DÉFENSE

[16]   Le témoignage du locataire peut aisément se résumer ainsi :

[17]   Il conteste la reprise de possession parce qu’il ne croit pas à la bonne foi du locateur.

[18]   Il trouve improbable que le locateur veuille habiter un logement aussi petit que le sien, dans un sous-sol, alors qu’un autre logement à l’étage est vacant.

[19]   Qui plus est, il a reçu de la part du locateur deux avis de reprise de possession à quelques jours d’intervalle, dont l’un était pour une autre adresse qui n’est pas la sienne[1]. Le second a été transmis ultérieurement lorsqu’il a fait part de son erreur au locateur.

[20]   Le locataire prétend également qu’un loyer de 370 $ pour un logement comme le sien ne reflète pas le coût du marché en 2021. Il est convaincu que le locateur profitera de son départ pour le remettre en location et augmenter considérablement le loyer.

[21]   Le locataire insiste pour dire qu’il ne veut pas partir. En revanche, si la reprise est autorisée, il réclame une indemnité de 20 000 $.

[22]   Comme faits particuliers à prendre en compte, le locataire mentionne qu’il habite au même endroit depuis trente et un ans. Ce logement répond parfaitement à ses besoins. Qui plus est, sa vie sociale gravite autour de ce quartier et il appréhende devoir le quitter.

[23]   Anticipant maintes difficultés à se reloger le 1er juillet 2021, il souhaite également bénéficier d’un sursis de deux mois, avec la possibilité de quitter le logement avant, à sa convenance, s’il trouve un autre endroit qui lui convient dans l’intervalle.

[24]   Pour sa part, le locateur trouve exorbitant le montant réclamé par le locataire. Il soumet que 2 000 $ est une indemnité raisonnable en contrepartie de la reprise du logement.

[25]   Quant à la date de la reprise, il consent à ce qu’elle reste ouverte avec un préavis de départ de quinze jours et même à la reporter à la fin du mois d’août 2021 si cela peut aider le locataire.

ANALYSE ET DÉCISION

[26]   Les articles pertinents du Code civil du Québec dans le présent dossier sont les suivants :

« 1960. Le locateur qui désire reprendre le logement ou évincer le locataire doit aviser celui-ci, au moins six mois avant l'expiration du bail à durée fixe; [...] »

« 1961. L'avis de reprise doit indiquer la date prévue pour l'exercer, le nom du bénéficiaire et, s'il y a lieu, le degré de parenté ou le lien du bénéficiaire avec le locateur […].

La reprise ou l’éviction peut prendre effet à une date postérieure à celle indiquée sur l’avis, à la demande du locataire et sur autorisation du tribunal. »

« 1962. Dans le mois de la réception de l'avis de reprise, le locataire est tenu d'aviser le locateur de son intention de s'y conformer ou non; s'il omet de le faire, il est réputé avoir refusé de quitter le logement. »


[27]   Cela dit, l’article 1963 C.c.Q. exige du locateur qu’il démontre, selon une preuve prépondérante, qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin indiquée dans son avis et que la reprise ne constitue pas un prétexte pour atteindre d'autres fins.

[28]   Soulignons également que les articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec prévoient que celui qui veut faire valoir un droit doit faire la preuve des faits au soutien de sa prétention, et ce, de façon prépondérante, la force probante du témoignage étant laissée à l'appréciation du tribunal.

LA REPRISE DE POSSESSION DU LOGEMENT

[29]   À l’instar du locataire, le Tribunal se questionne sur le choix du locateur de reprendre un logement de 2½ pièces dans un sous-sol, alors qu’il possède d’autres logements plus grands et possiblement plus attrayants que celui loué au locataire.

[30]   Par ailleurs, le Tribunal ne peut pas s’immiscer dans les choix du locateur de vivre à un endroit plutôt qu’à un autre.

[31]   Dans le cas qui nous occupe, le locateur démontre, de manière prépondérante, que son projet repose sur des faits raisonnables et probables et non sur des prétextes.

[32]   Une fois cette preuve faite, le Tribunal ne peut tenir compte, dans sa décision d’accepter ou non la reprise, de considérations qui sont personnelles au locataire et qui ne sont pas prévues par la loi.

[33]   Dans l’affaire Dagostino c. Sabourin[2], le défunt régisseur Me Bisson écrivait ceci :

« En matière de reprise de logement, deux droits importants se rencontrent et s’opposent, d’une part le droit du propriétaire d’un bien de jouir de ce dernier comme bon lui semble et, d’autre part, le droit du locataire au maintien dans les lieux loués. C’est pour protéger le droit du locataire que le législateur impose des conditions au locateur. »

[34]   Le locataire soulève des doutes et des appréhensions légitimes, mais qui sont, en soi, insuffisants pour conclure à la mauvaise foi du locateur et au rejet de la demande.

[35]   Certes, le premier avis de reprise de possession reçu comportait une erreur matérielle. Cette erreur a rapidement été corrigée par un second avis donné dans le délai.

[36]   De plus, les explications données par le locateur sont crédibles et suffisent à convaincre le Tribunal que la reprise n’est pas un prétexte pour atteindre d’autres fins que celles exposées à l’audience.

[37]   Après délibérations et analyse des preuves soumises, l'autorisation à la reprise du logement sera donc accordée.

L’INDEMNITÉ

[38]   L’article 1967 du Code civil du Québec prévoit que lorsque le tribunal accorde une reprise du logement, il peut imposer les conditions qu’il estime justes et raisonnables, y compris une indemnité équivalente aux frais de déménagement.

[39]   Dans l’affaire Boulay c. Tremblay[3], l’honorable juge Jacques Lachapelle explique la nature de l’indemnité prévue à cet article et les critères qui doivent être retenus pour la déterminer. Il ne s’agit pas d’une demande en dommages-intérêts fondée sur une faute. La reprise du logement étant une exception au droit au maintien dans les lieux du locataire, le législateur a voulu que le locateur indemnise le locataire pour les inconvénients que lui occasionne l’exercice de ce droit, en gardant à l’esprit que le locateur ne commet aucune faute et se prévaut d’un droit que lui accorde la loi.

[40]   Soulignons que les opinions divergent quant aux facteurs à considérer dans l’établissement du montant à accorder.

[41]   Chez certains décideurs, lorsqu’une reprise de possession est permise, l’indemnité doit se limiter aux seuls frais de déménagement.


[42]   Pour d’autres décideurs, dont la soussignée, une interprétation plus large de l’article 1967 C.c.Q. est possible, et ce, sans pénaliser le locateur qui exerce un droit légitime.[4]

[43]   Cette école suit parfaitement la pensée du juge Lucien Dansereau dans l’affaire Carlin c. Dec[5], dans laquelle le magistrat conclut que l'article 1967 du Code civil du Québec ne vise pas que les frais de transport des biens du locataire.

[44]   C’est ainsi que d’autres facteurs ont souvent été pris en considération dans la fixation de l’indemnité, notamment l'âge du locataire, son état de santé, la durée d'occupation du logement, l'attachement au logement, le coût du transport des biens et les frais de branchement aux services publics (téléphone, électricité, câblodistribution, etc.).

[45]   De l’avis de la soussignée, cette liste n’est pas exhaustive puisque chaque cas est particulier et doit donc être évalué à son mérite.

[46]   Il va de soi que le fait d’avoir habité un logement pendant 31 ans constitue un fait important quant à l’évaluation de cette indemnité.

[47]   Après analyse de l'ensemble des faits soumis, des frais liés au déménagement, de l’âge du locataire et de son degré d’enracinement, le Tribunal fixe le montant de l’indemnité à 2 800 $.

[48]   Comme condition juste et raisonnable, il sera également permis au locataire d'opérer compensation de l'indemnité obtenue à même les loyers à échoir, le solde étant payable en un seul versement le jour de son départ.

LA DATE À LAQUELLE LA REPRISE SERA EXERCÉE

[49]   En vertu de la loi, si la reprise est autorisée, le locataire peut demander au Tribunal de modifier la date de la reprise (1961 C.c.Q.).

[50]   Le législateur a décrété ce privilège au locataire possiblement pour atténuer les conséquences reliées à la perte définitive de son logement.

[51]   Cela-dit, soupesant les troubles et inconvénients de chaque partie, le Tribunal fixe la date de la reprise au 2 septembre 2021, avec la possibilité pour le locataire de partir avant cette date, sur préavis écrit de 15 jours et sans pénalité.

MISE EN GARDE

[52]   L'article 1968 C.c.Q. permet d'accorder des dommages-intérêts et même des dommages punitifs à un locataire qui le demande, si la reprise de logement est obtenue de mauvaise foi.

[53]   De plus, l'article 1970 C.c.Q. précise qu'un logement qui fait l'objet d'une reprise ne peut, sans l'autorisation du Tribunal administratif du logement, être reloué ou utilisé pour une autre fin que pour celle pour laquelle le droit a été exercé.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[54]   AUTORISE le locateur à reprendre le logement concerné afin de s’y loger, à compter du 2 septembre 2021 ou à la date du départ du locataire, s’il libère plus tôt le logement;

[55]   PERMET au locataire de quitter le logement avant le 1er septembre 2021 à sa convenance et sans pénalité, sur préavis de 15 jours;

[56]   À défaut d'un départ volontaire le 1er septembre 2021, ORDONNE l'éviction du locataire et de tous les autres occupants du logement après cette date;

[57]   CONDAMNE le locateur à payer au locataire une indemnité de 2 800 $, au plus tard le jour du départ définitif du logement;


[58]   AUTORISE le locataire à opérer compensation de l'indemnité obtenue à même les loyers à échoir jusqu’à son départ, le solde étant payable en un seul versement le jour de son déménagement.

 

 

 

 

 

 

 

 

Suzanne Guévremont

 

Présence(s) :

le locateur

le locataire

Date de l’audience :  

3 février 2021

 

 

 


 



[1] Avis de reprise de possession pour le 7325 avenue Mousseau, Anjou (pièce L-1)

 

[2] 31-991119-037, 00-01-26.

[3] [1994] J.L. 132.

[4] Allard c. Chevrier 2015 QCRDL 10275; Biron c. Giroux 2012 QCRDL 10564; Poulin c. Arcand 2012 QCRDL 21241; Fauteux c. Savage 2010 QCRDL 46200; Himmo c. Alatan 2009 QCCQ 7267; Oleszczuk c. Lorange 2010 QCRDL 21443.

[5] C.Q. Montréal 500-02-063681-980, le 26 mars 1999.

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