Décision

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Daneau c. R.

2022 QCCS 3178

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre criminelle)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

RICHELIEU

 

N°:

765-36-000281-206

 

765-01-032453-173 (C.Q.)

 

DATE :

19 juillet 2022

______________________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE FRANCE CHARBONNEAU, J.C.S.

______________________________________________________________________________

 

ANDRÉE-ANNE DANEAU

Appelante – accusée

c.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

Intimée – poursuivante

______________________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________________

I. INTRODUCTION

[1]                L’appelante interjette appel d’une condamnation prononcée le 18 août 2020 par la Cour du Québec, district de Richelieu, pour avoir, le 27 novembre 2017, conduit un véhicule à moteur alors qu’elle avait consommé une quantité d’alcool telle que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes par 100 millilitres de sang, commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

[2]                Une requête en exclusion de la preuve a été présentée au procès alléguant une violation du droit constitutionnel prévu à l’article 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte »), soit le droit à l’avocat. L’appelante demandait en conséquence d’exclure le résultat des taux obtenus sur l’appareil éthylométrique[1].

II. LES FAITS

[3]                La Poursuite dans la présentation de sa preuve, a fait entendre l’agent David Godbout soit l’un des deux policiers présents lors de l’arrestation de l’appelante.

[4]                Au soutien de ses prétentions, l’appelante a fait entendre Me MarieChristine Latour, soit l’avocate qui a été appelée par l’appelante et qui lui a expliqué le droit à l’avocat lors de son arrestation.

[5]                Essentiellement, l’agent Godbout relate que le soir des évènements, il effectuait un barrage routier pour l’alcool lorsqu’il aperçoit un véhicule qui se dirige dans sa direction sur la route Marie-Victorin et qui, en arrivant à proximité du barrage, effectue un virage brusque dans le stationnement d’une pharmacie qui était fermée pour rejoindre une autre route[2].

[6]                Devant cette manœuvre, le policier a intercepté, à 2 h 15, le véhicule sur le chemin St-Roch[3].

[7]                En approchant du véhicule, l’agent Godbout constate que six personnes sont à bord, soit une personne par place assise et une autre personne couchée dans la valise du véhicule[4].

[8]                L’agent Pierre-Luc Lapointe s’adresse d’abord à l’appelante pour lui demander de jeter sa cigarette et, constatant une odeur d’alcool, il lui ordonne de sortir du véhicule[5]. C’est à ce moment que l’agent Godbout prend la relève de l’intervention.

[9]                Bien que l’appelante soit sortie normalement du véhicule, en discutant avec elle, l’agent Godbout observe certains symptômes, tels les yeux injectés de sang, une odeur d’alcool provenant de son haleine et une élocution fluide sur certains mots mais difficile sur d’autres[6]. Lorsque questionnée à cet effet, l’appelante déclare avoir consommé deux bières et une coupe de vin, sa dernière consommation remontant à 30 minutes auparavant[7].

[10]           L’agent Godbout indique à son collègue que l’appareil de détection approuvé (« ADA ») sera utilisé et il ordonne à l’appelante de fournir un échantillon d’haleine tout en lui expliquant la marche à suivre[8].

[11]           Vers 2 h 22, l’ADA est prêt à être utilisé et au deuxième souffle l’appareil enregistre un résultat fail[9].

[12]           L’appelante est alors mise en état d’arrestation, ses droits au silence et à l’assistance immédiate d’un avocat lui sont expliqués et l’ordre lui est donné de suivre les policiers au poste pour effectuer l’alcootest[10].

[13]           Une fois au poste de police, suite à la lecture de ses droits, l’appelante demande à contacter une avocate en particulier, Me Marie-Christine Latour, et avise l’agent qu’elle a son numéro de cellulaire dans son propre appareil[11].

[14]           Selon l’agent Godbout, alors que l’appelante exerçait son droit à l’avocat, après un délai de 15 minutes, à 2 h 54, il frappe à la porte de la salle où se déroule l’appel. Il attend à l’extérieur que l’appelante interrompe momentanément sa conversation avec son avocate avant d’ouvrir la porte pour l’aviser que l’éthylomètre est prêt et qu’elle pouvait mentionner cela à son avocate[12], souhaitant ainsi ne pas retarder le processus[13]. Il affirme se souvenir que cela est bel et bien arrivé[14], bien que cet élément ne figure ni à ses notes[15] ni à son rapport[16]. Il indique également avoir mentionné à l’appelante que son intervention n’avait pas pour but de mettre fin à l’appel avec son avocate[17].

[15]           Selon ses dires, il ne lui a jamais demandé de mettre fin à son appel et a indiqué au tribunal que la finalité de son intervention était qu’il ne voulait pas ajouter de délai supplémentaire[18].

[16]           Il est à noter que, selon le policier, l’appel à Me Latour aurait été placé à 2 h 39[19], il aurait été interrompu à 2 h 54[20] et l’appelante aurait raccroché à 2 h 57[21].

[17]           Questionné sur le fait que ni ses notes ni son rapport ne précisent qu’il a mentionné à l’appelante que son intervention ne visait pas à mettre un terme à sa conversation, le policier explique ainsi son interaction qu’il qualifie de fluide :

« J’ai cogné à la porte, je me suis assuré que la dame avait cessé de parler à son avocate, je lui ai fait mention que l’appareil était prêt, je l’ai invitée à faire mention à son avocate que l’appareil était prêt. Par la suite, j’ai refermé la porte et madame a continué son droit à l’avocat pendant plusieurs minutes. Si elle avait arrêté de parler quand j’ai ouvert la porte, probablement que j’aurais écrit davantage dans mon rapport, parce que j’aurais pris en considération que j’ai mis fin à l’appel à l’avocat. Dans le cas que ça s’est passé, je trouvais que c’était fluide, que je n’avais pas nécessairement brimé le droit à l’avocat de la dame, j’avais même refermé la porte pour m’assurer que c’était confidentiel. Donc oui, je l’ai écrit de façon très sommaire dans mon rapport, parce qu’à ce moment-là, pour moi, ça s’est bien déroulé, mais je me rappelle de lui avoir fait ces mentions-là. »  [nos soulignements][22]

[18]           Ainsi, il affirme ne pas avoir mis fin à la conversation et que Mme Daneau a continué la conversation avec son avocate[23].

[19]           C’était d’ailleurs la seule fois où il lui est arrivé d’interagir avec une personne détenue alors qu’une conversation privée avec un avocat avait lieu[24]; si cette fois il a interagi c’était parce que l’appareil était prêt et parce qu’il voulait s’assurer que la personne ne reste pas plus longtemps que requis au poste.

[20]           Le policier a de plus témoigné à l’effet qu’il demande toujours, et ce, depuis neuf ans, à travers la porte si la conversation est terminée avant d’entrer[25]. Pour cette raison, il n’écrit pas cela dans son rapport[26].

[21]           Il indique que selon son rapport, la suite de la conversation de Mme Daneau avec son avocate aurait duré trois minutes[27]. Cependant, il précise avoir perdu le visuel sur elle à quelques reprises, mais il prétend qu’elle ne serait pas restée dos à la porte tout le long[28].

[22]           Quant à la préoccupation d’éviter certains délais, le policier mentionne les délais de remorquage et l’intervalle entre les tests[29]. Toutefois, en l’instance il explique que c’était l’inverse, les policiers étaient prêts et il ne voulait pas «que les délais aient d’l’air grands, alors qu’ils étaient prêts à intervenir»[30]. Il a également mentionné qu’il ne voulait pas que Madame « reste au poste plus longtemps que nécessaire »[31].

[23]           Quant au témoignage de Me Latour, celle-ci a relaté avoir entendu un individu, qu’elle imagine être le policier qui devait être à une petite distance de l’appelante, dire « la machine est prête, il va falloir que tu raccroches avec ton avocate »[32]. En contre-interrogatoire, Me Latour est formelle à l’effet que ce sont là les paroles exactes qui ont été prononcées, elle estime même qu’il n’est pas possible qu’elle ait pu mal comprendre[33] :

Je suis certaine à 100% que c’est les paroles que j’ai entendues, c’est les seules paroles que j’ai entendues, la machine est prête, il va falloir que tu raccroches avec ton avocate. Ça fait sept ans et demi que je suis avocate, c’est la seule fois en sept ans et demi que ça m’est arrivé, puis c’est la seule fois en sept ans et demi que j’ai donné le droit à l’avocat à quelqu’un que je connaissais. Donc tout est très clair dans ma mémoire.[34]

[24]           Me Latour fait également état de l’impact de cette interruption sur l’appelante qui, déjà nerveuse, disait devoir raccrocher :

À ce moment-là, bien c’est sûr que durant le droit à l’avocat, au début de ma conversation, madame Daneau est énervée, elle est émotive, elle est en état d’arrestation, puis c’est une personne qui est sans antécédents judiciaires. Donc quand il y a eu interruption et que le policier est venu lui demander de raccrocher, parce que la machine est prête, madame Daneau s’est énervée, j’ai essayé de la calmer, mais ce qu’elle m’a dit rapidement, il faut que je raccroche, il faut que je raccroche, le policier veut que je raccroche. Puis la conversation a pris fin peut-être entre trente secondes et une minute après l’intervention du policier. [35]

 [Nos soulignements]

[25]           En contre-interrogatoire, elle explique davantage le contexte par lequel l’appelante aurait raccroché à la hâte suivant l’intervention du policier :

«Q : Là je comprends que vous étiez rendus au scénario de consommation, je comprends qu’elle avait compris cette partie-là, elle ne vous a pas manifesté qu’elle ne comprenait toujours pas c’était quoi ses options à ce moment-là?

R : Je ne peux pas vous dire qu’elle avait compris, on a été interrompues en plein milieu, puis suite à cette interruption-là, ce que madame Daneau m’a dit, c’est que le policier veut que je raccroche, le policier veut que je raccroche. Ce que j’ai essayé de faire à ce moment-là, c’est de la calmer, mais de là à dire, bien écoute-le pas, on a quelqu’un qui est stressé, puis je ne voulais pas non plus… je ne sais pas comment ça se passe au poste à ce moment-là, je ne voulais pas lui causer plus de trouble, d’être accusée d’entrave ou de refus ou peu importe. Donc madame m’exprime, bien là je dois raccrocher, je dois raccrocher, donc à ce moment-là, elle a raccroché en hâte, je n’ai pas pu valider avec elle, le droit à l’avocat ne m’appartient pas, ça appartient à la cliente, je n’ai pas pu valider avec elle qu’elle avait toutes les informations à ce moment-là.

Q : Mais est-ce que vous lui dites à ce moment-là que c’est le droit à l’avocat, que si elle a d’autres questions, elle peut continuer, est-ce que vous essayez de lui dire

R : Bien je la calme, j’essaie de la calmer, puis de lui dire, mais elle est empressée, puis elle veut raccrocher à ce moment-là à cause que le policier lui a demandé.

Q : O.k.

R : Il veut que je raccroche, je vais raccrocher.

Q : Est-ce que vous demandez de reparler au policier?

R : À ce moment-là, la ligne… la connexion s’est interrompue, donc non.

Q : Est-ce que […] étiez-vous en train de parler quand madame Daneau raccroche par exemple, est-ce que ç’a coupé en cours de conversation, comment se termine l’appel?

R : Ça s’est terminé que moi je lui dis, écoute, on peut continuer de parler, le droit à l’avocat, ça t’appartient et puis là madame Daneau a dit, non, non, non, moi je veux raccrocher, le policier veut que je raccroche. Puis ça s’est fait très rapidement en 30 secondes, puis j’ai dit, bon, parfait, on se reparlera.»[36]

 [Nos soulignements]

[26]           De plus, Me Latour a expliqué qu’elle n’avait pas été à même de compléter ses conseils à l’appelante[37], en particulier, elle était au milieu de ses conseils portant sur le scénario de consommation[38].

III. LES MOYENS D’APPEL

[27]           L’appelante soutient que la juge de première instance a erré en droit en n’excluant pas la preuve sous le par. 24(2). Également, elle soutient qu’elle a omis et négligé de considérer des éléments pertinents, faisant en sorte que sa décision n’ait plus droit au principe de retenue qu’exerce normalement un tribunal d’appel[39].

[28]           Le Tribunal retient aux fins de son analyse les moyens d’appel suivants :

-          la juge n’a pas analysé la crédibilité des témoins Godbout et Latour;

-          la conclusion de bonne foi du policier n’est pas fondée;

-          la juge n’a pas suivi la jurisprudence applicable relativement à l’incidence de la violation;

-          la juge a utilisé un raisonnement erroné quant au caractère complet des conseils reçus.

[29]           Le Tribunal, étant donné que la preuve de la défense reposait exclusivement sur le témoignage Me Latour et qu’à première vue il ne semblait pas y avoir de renonciation explicite de l’appelante au privilège avocat/client, ce dernier a demandé aux parties de bien vouloir l’informer de leur position quant à cette question.

[30]           La défense soutient que la décision de la juge de première instance de considérer qu'il y avait eu renonciation au privilège avocat-client est conforme au droit en vigueur et n'a jamais fait l'objet d'une quelconque contestation en appel.  

[31]           La défense s’est de plus rangée à la position de la poursuite, soit que l'appelante a implicitement renoncé au privilège avocat-client en invoquant dans sa requête, appuyée d'une déclaration sous serment, qu'elle n'avait pas pu exercer pleinement son droit à l'assistance d'un avocat et en faisant témoigner son avocate.

[32]           Dans les circonstances, ces arguments sont convaincants et il n’a pas lieu d’en faire un débat.

IV. ANALYSE

A)                            La norme d’intervention

[33]           La décision judiciaire d'écarter un élément de preuve en application du paragraphe 24(2) de la Charte constitue une question de droit, bien que certains aspects de la décision soient discrétionnaires[40]. Cependant, l’analyse des conditions préalables à l'exclusion exige une appréciation de la preuve et l'exercice d'une large part de jugement ce qui commande donc de la déférence de la part de la Cour d'appel[41].

[34]           L'examen en appel porte nécessairement et précisément sur ces questions et par conséquent, la déférence est due envers les conclusions des juges concernant le par. 24(2). En ce sens, elle serait davantage une question mixte de fait et de droit[42]. La Cour d’appel ne modifiera pas les conclusions du juge de première instance concernant le par. 24(2) en l'absence d'une erreur manifeste quant aux principes ou aux règles de droit applicables ou d'une conclusion déraisonnable[43].

[35]           La décision Lefebvre, rédigée par le juge Cournoyer alors qu’il était à la Cour supérieure, est éclairante sur la norme d’intervention applicable relativement à l’analyse effectuée en vertu du par. 24(2) et elle énumère les cas où la déférence habituelle n’est pas opportune. L’extrait suivant est d’ailleurs complètement reproduit, avec approbation, dans la décision B.T. Céramique inc.[44] de la Cour d’appel :

273  Dans l'arrêt R. c. Côté, le juge Cromwell définit la norme d'intervention sous le paragraphe 24(2) de la Charte :

[44] La norme de contrôle applicable à la détermination, par le juge du procès, de ce qui, suivant le par. 24(2), est susceptible de déconsidérer l'administration de justice eu égard aux circonstances, n'est pas controversée. La Cour l'énonce dans Grant, puis la confirme dans R. c. Beaulieu. Lorsque le juge du procès a pris en compte les considérations applicables et n'a tiré aucune conclusion déraisonnable, sa décision justifie une grande déférence en appel (Grant, par. 86, et Beaulieu, par. 5).

274  Dans l'arrêt R. c. Cole, le juge Fish offre la description suivante de la norme de contrôle:

[82] La norme de contrôle commande la retenue : "Lorsque le juge du procès a pris en compte les considérations applicables et n'a tiré aucune conclusion déraisonnable, sa décision justifie une grande déférence en appel" (R. c. Côté, par. 44). Cependant, lorsque les facteurs pertinents ont été négligés ou ignorés, une nouvelle analyse fondée sur l'arrêt Grant est nécessaire et opportune.

275  Lorsque la décision concernant l'exclusion d'un élément de preuve en vertu du par. 24(2) est entachée d'une erreur de principe, d'une interprétation erronée de la preuve, ou est le fruit d'une évaluation déraisonnable de la preuve, ou omet de prendre en compte les considérations pertinentes ou les négligent, cette décision n'a plus droit à la retenue considérable que l'on accorde généralement à ce genre de décision, et l'analyse en vertu [sic] au par. 24(2) peut être faite à nouveau par une cour d'appel.

276  Lorsque le juge du procès a examiné les bons facteurs, les cours d'appel devraient faire preuve d'une retenue considérable à l'égard de la décision rendue.[45]

 [Références omises, nos soulignements]

[36]           Outre ces cas de figure, il est à noter que lorsqu’un tribunal d’appel décèle une erreur dans la nature de la violation en cause, il ne doit pas accorder la déférence habituelle envers la conclusion subsidiaire du juge du procès sur l’exclusion de la preuve[46]. Une nouvelle analyse s’impose lorsque le juge a commis une erreur dans l’analyse initiale[47].

[37]           La Cour d’appel sera néanmoins déférente à l’égard des conclusions du premier juge qui ne sont pas viciées par une erreur[48].

[38]           Finalement, il est établi que l’évaluation de la crédibilité est une question de faits[49]. La norme de contrôle est celle de l’erreur manifeste et dominante[50]. Dans le cas de l’évaluation de témoignages, le seul désaccord avec le juge du procès ne peut en justifier la révision[51].

B)                            La violation

[39]           L’appelante, dans son mémoire, ne traite pas de l’analyse de la violation effectuée par la juge de première instance ni ne formule de reproche spécifique à cet égard.

[40]           La juge, après une revue des faits, expose sommairement son raisonnement relativement à l’existence d’une violation :

S’il y a eu interruption, il n’y a pas de violation au droit, s’il y a eu limitation, il y a une violation au droit à l’avocat. Alors ici, j’en viens à la conclusion qu’il y a eu violation car l’intervention du policier a fait en sorte que la conversation s’est terminée avant que les conseils n’aient été complétés.

[41]           Elle conclut à bon droit qu’il y a eu une limitation au droit à l’avocat dans le sens où les conseils prodigués n’étaient pas complets. Cette interprétation est fondée et elle n’est pas remise en cause en appel par l’intimée. Toutefois, le postulat selon lequel une interruption exclurait nécessairement toute possibilité de violation est difficile à saisir, notamment lorsque la juge conclut que l’interruption a causé une limitation qui a engendré une violation.

[42]           Globalement, la portée de la violation intervenue dans le présent dossier apparaît plus grande que ce qui a été cerné par la juge.  

[43]           Il y a lieu d’examiner cette question lors de l’analyse par la juge d’instance de la gravité de la conduite attentatoire ainsi que celle de  l’incidence de la violation sur les droits de l’appelante.

C)                            La gravité de la conduite attentatoire

[44]           La juge analyse comme suit la gravité de la violation :

Ici, la nature de la violation, le policier nous semble avoir été de bonne foi lorsqu’il ouvre la porte, il n’ouvre la porte qu’une fois, il mentionne que la machine est prête, je retiens que madame devra raccrocher avec son avocate, la machine est prête. Il nous dit que cette manœuvre a pour but de limiter la période de temps passé par une personne détenue dans le poste de police, qu’il y a eu des dossiers où des tests ont été contestés à cause de délais, et cetera. Bon alors, la nature de la violation ici, c’est l’ouverture d’une porte et une phrase ou deux prononcées par le policier à une personne qui était au téléphone avec son avocate depuis quinze minutes.[52]

[45]           Lorsqu’il apprécie la gravité d’une conduite attentatoire, le tribunal doit situer cette conduite sur une échelle de culpabilité[53]. Le postulat de départ est que les violations commises par inadvertance ou techniques ou par ailleurs mineures ont moins d’incidence sur la primauté du droit et par conséquent sur la considération dont jouit l’administration de la justice qu’un non-respect délibéré et insouciant des droits garantis par la Charte[54]. On peut comprendre que, selon la juge, la nature de la violation n’est pas élevée sur un continuum. À priori, la violation ne semble pas s’inscrire dans les pires cas de figure.

[46]           Relativement à cet aspect du test sous 24(2), l’appelante reproche essentiellement deux choses à la juge de première instance, soit de ne pas se prononcer sur la crédibilité des deux témoins, l’avocate-conseil Me MarieChristine Latour et le policier David Godbout, et de ne pas avoir déterminé que le policier faisait preuve d’une méconnaissance déraisonnable et inacceptable du droit applicable.

  1. La crédibilité des témoins Godbout et Latour

[47]     L’identification des faits saillants des deux témoignages rendus lors du procès, retenus par la juge, permettent d’apprécier son évaluation de la crédibilité des témoins.

[48]           De la version du policier, la juge retient ceci :

  • À 2 h 54, il cogne à la porte, s’assure que la conversation est arrêtée avant d’entrer, dit que l’appareil est prêt et que Mme Daneau peut en informer son avocate[55].
  • Il fait cela non pas pour mettre un terme à l’appel, mais pour informer la personne que l’appareil est prêt, pour ne pas qu’elle reste au poste trop longtemps[56].
  • La conversation dure encore 3 minutes et se termine à 2 h 57, mais Mme Daneau a le dos tourné, ce qui fait qu’il perd le visuel[57].

[49]           De la version de l’avocate, la juge retient ceci :

  • Elle a entendu « la machine est prête, il va falloir que tu raccroches avec ton avocate»[58].
  • L’accusée est énervée et émotive et elle l’est encore davantage après cela, elle répète qu’elle doit raccrocher, que le policier a dit ça[59].
  • Elle raccroche trois minutes plus tard[60].

[50]     Puis, la juge a concilié les deux versions :

Le policier nous dit donc qu’il n’avait pas l’intention de mettre un terme à la conversation et comme je le disais précédemment, qu’il ne voulait pas que la conversation s’arrête d’emblée. Son intention ici a de toute évidence été mal perçue par la requérante qui a versé dans l’émotivité et à ce moment-là, la conversation avec l’avocate s’est terminée.[61]

[51]     Il appert clairement que la juge retient que le policier n’avait pas l’intention de mettre un terme à la conversation. Puis, elle omet de traiter spécifiquement du fait que deux versions contradictoires, portant sur un élément central, s’opposent; les paroles exactes que l’avocate affirme avoir entendues de façon formelle (il va falloir raccrocher avec ton avocate) et celles que le policier prétend avoir prononcées (l’appareil est prêt, tu peux informer ton avocate).

[52]     Il faut comprendre du reste de son analyse qu’elle retient vraisemblablement la version de l’avocate lorsque parlant du policier, elle mentionne : « il mentionne que la machine est prête, je retiens que madame devra raccrocher avec son avocate, la machine est prête »[62].

[53]           Le reproche formulé par l’appelante, de ne pas se prononcer sur la crédibilité des témoins, doit donc être nuancé. En indiquant ce qu’elle retient, la juge se prononce effectivement sur les faits. Ses propos auraient certes bénéficié de plus de clarté, mais une intervention en appel n’apparaît pas nécessaire. En effet, les déterminations du juge sur la crédibilité demeurent des questions de fait et elles seront écartées uniquement si elles ne peuvent pas s’appuyer «sur quelconque interprétation raisonnable que ce soit de la preuve»[63].

  1. La bonne foi

[54]     D’emblée, le contenu des phrases prononcées par le policer semble peu pertinent pour la juge. Son raisonnement tend à occulter la gravité de la violation, principalement en raison d’une analyse erronée du concept de la bonne foi et d’une absence de considération de l’impact psychologique du droit à l’avocat :

Ici, la nature de la violation, le policier nous semble de bonne foi lorsqu’il ouvre la porte, il n’ouvre la porte qu’une fois, il mentionne que la machine est prête, je retiens que madame devra raccrocher avec son avocate, la machine est prête. Il nous dit que cette manœuvre a pour but de limiter la période de temps passée par une personne détenue dans le poste de police, qu’il y a eu déjà des dossiers où des tests ont été contestés à cause des délais, et cetera.[64]

[55]     De ce fait, elle tend à atténuer la gravité de la violation. L’appelante prétend plutôt qu’il s’agirait, de la part du policier, d’une méconnaissance déraisonnable et inacceptable du droit applicable.

[56]     En toile de fond, il convient de rappeler quelques principes applicables au droit à l’avocat dans les affaires de capacités affaiblies, tels que résumés par l’auteur Harrison[65] :

1)      Les policiers doivent surseoir à leur enquête et ne peuvent en aucune façon, jusqu’à ce que le détenu ait eu une possibilité raisonnable d’exercer ce droit, le forcer à prendre une décision ou à participer à quelque chose qui pourrait finalement avoir un effet préjudiciable sur un éventuel procès.

 

2)      L’obligation de sursis à l’enquête ne s’applique pas dans les situations urgentes, mais l’arrêt Prosper a clairement établi que l’existence d’une présomption en matière de preuve à l’égard des échantillons pris dans les deux heures que peut invoquer le ministère public ne constitue pas en soi une circonstance pressante ou urgente.

 

3)      Cette obligation de sursis ne s’applique pas dans les situations où la personne arrêtée ou détenue ne fait pas preuve de diligence raisonnable dans l’exercice de ses droits ou tente de retarder indûment l’enquête policière.

[57]           Ces règles ne sont pas nouvelles et sont toujours d’actualité[66]. Tel que le soumet l’appelante[67], si la police n’est pas tenue d’entreprendre une réflexion juridique au sujet de précédents contradictoires, elle doit cependant connaître l’état du droit[68]. Le principe du sursis de l’enquête va de pair avec l’exercice du droit à l’avocat. Autrement dit, on ne peut précipiter ce dernier pour accélérer l’enquête.

[58]           En 2009, l’arrêt Robichaud rappelait les trois obligations des policiers relativement au droit à l’avocat; celui d’informer le prévenu sans délai de son droit de recourir à l’aide d’un avocat, celui de lui donner la possibilité raisonnable d’exercer ce droit et celui de s’abstenir de l’interroger ou d’autrement lui soutirer des éléments de preuve, par exemple en le soumettant à l’alcootest, jusqu’à ce que la personne détenue ait eu cette possibilité raisonnable[69].

[59]           Il rappelait également les limites de ce droit qui doit être exercé de façon conciliable avec les besoins de la société[70] :

Le prévenu doit faire preuve d’une diligence raisonnable dans l’exercice de son droit à l’assistance d’un avocat sinon les obligations imposées aux policiers par ce droit sont suspendues et ne les empêchent plus de continuer leur enquête. On ne peut permettre à une personne arrêtée ou détenue d’entraver le travail des policiers en lui permettant de faire en sorte que ces derniers ne puissent effectuer adéquatement leur tâche.[71]

[60]           Finalement, cet arrêt précise que le rôle de déterminer le délai raisonnable dans lequel le droit à l’assistance d’un avocat doit être exercé ne peut être dévolu qu’au tribunal[72] :

[9] L’appréciation dans chaque cas de la possibilité raisonnable donnée par les policiers à la personne détenue d’exercer son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat et celle de la diligence raisonnable dont cette personne doit faire preuve dépend de l’ensemble des circonstances que doit apprécier le juge des faits en les considérant globalement.[73]

[61]           Ainsi, il n’existe pas de durée standard raisonnable pour l’exercice du droit à l’avocat, elle dépendra des circonstances.

[62]           En l’espèce, le policier est conscient qu’il ne doit pas entrer dans une salle où un détenu échange avec son avocat; il affirme ne l’avoir jamais fait auparavant et il demande « normalement toujours » au détenu si la conversation est terminée avant de pénétrer dans la salle. Il s’est toutefois permis d’interrompre la conversation, alors qu’il savait qu’elle n’était pas terminée, afin de signaler que l’ivressomètre était prêt à être utilisé. Il est permis de se demander pour quel motif il a décidé d’interrompre la conversation, s’agissant de la seule fois de sa carrière où il a agi de la sorte. Il aurait également mentionné, selon la version retenue par la juge, qu’il fallait que l’appelante raccroche avec son avocate.

[63]           Également, le policier se fonde d’abord sur les délais à l’intérieur desquels les policiers doivent agir en matière de capacités affaiblies pour justifier un certain empressement. Puis, il indique qu’il souhaitait éviter à l’appelante d’être au poste trop longtemps et qu’il voulait en quelque sorte manifester qu’eux, les policiers, étaient prêts à agir. La juge retient : «[i]l nous dit que cette manœuvre a pour but de limiter la période de temps passée par une personne détenue au poste de police, qu’il y a déjà eu des dossiers où des tests ont été contestés à cause de délais, et cetera.»[74].

[64]           Notons que dans Hamel, la Cour d’appel a rappelé qu’un élément intrinsèque à l’enquête, soit le bénéfice de la présomption (Prosper), ne peut être considéré comme une urgence justifiant de faire fi du droit constitutionnel de la personne détenue de consulter un avocat et donc qu’il s’avérait difficile de considérer qu’un élément extrinsèque puisse l’être[75].

[65]           Dans la présente affaire, le policier indique qu’il voulait raccourcir le temps que l’appelante passerait au poste, mais il semble demeurer préoccupé par certains délais d’enquête. La Cour, dans Hamel, rappelle également qu’il n’existe aucune disposition du Code criminel obligeant une personne à subir un alcooltest dans une période donnée, la limite temporelle prévue ne concernant que le bénéfice de la présomption[76]. Aussi, la Cour mentionne que les policiers ne peuvent invoquer ou créer une situation d’urgence artificielle[77]. Dans cette affaire, l’irrespect de la règle de droit établie dans Prosper a empêché une conclusion de bonne foi[78].

[66]           D’autre part, la conclusion de la juge de première instance à l’effet que les conseils n’ont pas pu être complétés emporte la conséquence juridique qu’une possibilité raisonnable n’a pas été donnée. Ajoutons à cela qu’il n’y a aucune preuve à l’effet que l’appelante aurait voulu ralentir l’enquête policière.

[67]           Bien qu’il n’existe pas de durée déterminée pour l’exercice du droit à l’avocat, celle-ci devant être évaluée selon les circonstances, on pourrait prétendre qu’un délai de 15 ou 18 minutes est raisonnable. Cependant, le principe du sursis de l’enquête jusqu’à ce qu’une possibilité raisonnable d’exercice du droit à l’avocat ait été donnée permet de conclure que le fait que l’appareil éthylométrique soit prêt ne constitue pas un motif d’interruption d’une conversation privilégiée. Le policier devait attendre. La mention qu’il ne l’avait jamais fait auparavant démontre sa connaissance du principe. La situation aurait pu être différente si l’appelante avait tenté de prolonger indûment l’exercice de son droit à l’avocat, or, rien dans la preuve ne permet de soutenir une telle allégation.

[68]           Ainsi, il appert que le policier a fait preuve d’une certaine négligence envers les droits constitutionnels de l’appelante. Ce constat n’est pas sans conséquence dans l’analyse de la bonne foi.

[69]           Pour en revenir aux propos de la juge, il ne faut pas confondre bonne foi et absence de mauvaise foi; l’absence de mauvaise foi ne démontre pas nécessairement la bonne foi et l’inverse est aussi vrai[79].

[70]           L’absence de mauvaise foi, laquelle n’équivaut pas à la bonne foi, «n’atténue pas la gravité de l’atteinte si c’est par une méconnaissance du droit applicable ou par l[a] négligence [des policiers] dans l’observation des normes constitutionnelles que celle-ci a été commise»[80]. Dans Cyr-Desbois, la Cour d’appel a conclu que la juge d’instance ne pouvait affirmer que les policiers avaient agi de bonne foi puisque leurs agissements démontraient une méconnaissance des droits de l'appelante, tout au plus, elle pouvait décider qu'ils n'étaient pas de mauvaise foi[81].

[71]           Le même raisonnement doit s’appliquer ici en ce sens que la juge de première instance pouvait tout au plus déterminer que les policiers n’avaient pas agi de mauvaise foi, mais elle ne pouvait pas conclure qu’ils étaient de bonne foi.

[72]           Une conclusion de bonne foi devrait inclure deux composantes, soit la bonne foi subjective et un comportement raisonnable[82]. Ainsi, la croyance subjective d’un policier en la légalité de sa conduite peut être pertinente, mais elle ne devrait pas être déterminante quant à la question de la bonne foi[83]. « In short, subjective good faith by the police will not in all cases result in a finding of good faith and should not result in such findings if the Charter violation was negligent or otherwise unreasonable »[84].

[73]           Dans Lévesque-Mancini, on note que la bonne foi exige une méprise raisonnable de la part du policier et qu’elle ne se satisfaisait pas d'une méconnaissance flagrante de l'étendue de ses pouvoirs[85]. L’agent dans cette affaire avait des motifs subjectifs d’arrestation, mais, objectivement, il n’en possédait pas[86]. L’absence de bonne foi ne signifie pas pour autant mauvaise foi. En définitive, la police avait fait preuve d’ignorance de la loi, sans agir de mauvaise foi[87].

[74]           Ainsi, l’erreur commise de bonne foi par la police doit être raisonnable et elle ne peut être établie sur le fondement d’une simple négligence dans l’observation des normes prescrites par la Charte[88]. La considération dont jouit l’administration de la justice exige des tribunaux qu’ils se dissocient des éléments de preuve obtenus par suite de la négligence dont a fait preuve la police dans l’observation des normes prescrites par la Charte[89].

[75]           Ces enseignements s’appliquent en l’instance au sens où la juge du procès a conclu à la bonne foi, alors qu’il s’agissait plutôt d’absence de mauvaise foi. En effet, le policier a fait fi d’une règle qu’il prétend connaître, a démontré une méconnaissance de l’étendue de son pouvoir et une certaine négligence dans l’observation des normes prescrites en matière de droit à l’assistance d’un avocat.

[76]           Ces conclusions s’infèrent des faits présentés lors du procès et incluent la conclusion factuelle de la juge de première instance relative à l’intention du policier qui ne souhaitait pas nécessairement mettre un terme à la conversation et qui, nous l’ajoutons, a pu croire sincèrement en la légalité d’interrompre une conversation pour informer l’appelante qu’elle devrait raccrocher. La juge a utilisé un aspect subjectif pour conclure à une bonne foi qui requiert également un élément objectif. Elle a donc omis de considérer cette part intégrante de la notion de bonne foi.

[77]           Tel que spécifié dans Paterson[90], même lorsque l'atteinte à un droit garanti par la Charte n'est pas le résultat d'un acte délibéré ou d'un abus systémique ou institutionnel, il est justifié d'écarter la preuve s'il y a eu violation manifeste d'une règle bien établie régissant la conduite de l'État.

  1. L’impact psychologique

[78]     La Cour d’appel a réitéré dans l’arrêt Tremblay, que l’importance du droit à l’avocat n’était plus à démontrer. Elle a précisé le but et les composantes du droit à l’assistance d’un avocat :

Le droit à l’assistance d’un avocat prévu à l’alinéa 10 b) de la Charte vise à assurer un processus décisionnel et judiciaire équitable aux personnes arrêtées ou détenues en leur donnant la possibilité d'être informées des droits et des obligations que la loi leur reconnaît et, surtout, d'obtenir des conseils sur la façon d'exercer ces droits et de remplir ces obligations.

[Nos soulignements, citations omises][91]

 

[79]           Ainsi, il est clair que l’obtention de conseils est partie intégrante du droit à l’avocat et la juge a conclu à une violation à cet égard.

[80]           Cependant, le droit à l’avocat va plus loin. Comme l’a souligné la Cour d’appel, une personne détenue par les représentants de l’État est désavantagée dans ses rapports avec celui-ci, privée de sa liberté, elle risque de s’incriminer[92]. « Le droit à l’assistance d’un avocat est donc primordial et permet aussi aux personnes ainsi détenues de ne pas se sentir totalement subordonnées au bon plaisir de la police »[93]. Le droit à l’avocat vise à établir un équilibre entre le droit à la liberté et le pouvoir extraordinaire de détenir une personne contre son gré, à assurer un processus décisionnel équitable entre l’accusé et les agents de l’État[94]. La Cour d’appel a souligné l’importance de la valeur psychologique de l’appel à l’avocat, spécifiquement dans le cas d’une personne détenue pour conduite avec capacités affaiblies[95].

[81]           Dans son analyse de la gravité de la conduite attentatoire de l’État, la Cour d’appel dans Blackburn-Laroche, rappelle que l’inégalité de pouvoir entre la personne détenue et l’État est une considération pertinente[96]. Dans cette affaire, il s’agissait d’une violation au droit à l’avocat de son choix, mais les propos peuvent se transposer au droit à l’assistance effective d’un avocat. La Cour souligne la soumission du détenu à l’autorité des policiers et la position dominante de ceux-ci qui peuvent se trouver à empêcher la réalisation de l’objet de la garantie visant à atténuer la vulnérabilité juridique du détenu[97].

[82]           En l’espèce, il nous semble que la juge de première instance a occulté cet aspect du droit à l’avocat, en évaluant la gravité de la violation. L’appelante a pu discuter avec son avocate, mais une interruption a non seulement fait en sorte qu’elle n’a pas pu bénéficier de l’ensemble des conseils juridiques souhaités, mais l’objet de la garantie visant à atténuer sa vulnérabilité a été restreint puisqu’elle a été déstabilisée par l’intervention du policier. Ainsi, il nous semble que la gravité de la violation est plus importante que ce que la juge de première instance laissait entrevoir.

V. CONCLUSION

[83]           Les principales erreurs qui influencent l’ensemble de l’analyse, particulièrement celles relatives aux premier et second critères de Grant, consistent en l’absence de considération de l’impact psychologique du droit à l’avocat et de son incidence réelle sur l’appelante et en la caractérisation erronée de bonne foi retenue par la juge de première instance.

[84]           Conséquemment, le Tribunal estime que la juge de première instance a commis une erreur manifeste quant aux principes ou aux règles de droit applicables dans son analyse de 24(2) de la Charte.

[85]           Le Tribunal estime donc que la déférence habituelle n’est pas opportune.

VI. DISPOSITIF

POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[86]           ACCUEILLE l’appel ;

[87]           ANNULE le verdict de culpabilité; 

[88]           ACQUITTE l’appelante.

 

 

 

 

__________________________________

France CHARBONNEAU, J.C.S.

 

Me Camille Blanchette-Sinotte

Latour Dorval Avocats

Procureure de l'appelante-accusée

 

Me Marissa Maria Kazadellis

Procureure de l’intimée-poursuivante

 

Le dossier a été mis en délibéré le 11 mai 2022.

 


[1]  Mémoire de l’appelante, par. 2.

[2]  Notes sténographiques p.14.

[3]  Ibid., p. 9, lignes 17 et 18.

[4]  Ibid., p. 10, lignes 14 à 17.

[5]  Ibid., p. 11, lignes 2 à 7.

[6]  Ibid., p. 11, ligne 20 et p. 12, lignes 4 à 8.

[7]  Ibid., p. 11, ligne 20 à p. 12, ligne 3.

[8]  Ibid., p. 12, lignes 9 à 14.

[9]  Ibid., p. 12, ligne 12 à p. 13, ligne 3.

[10] Ibid., p. 13.

[11] Ibid., p. 14, lignes 20 à 25.

[12] Ibid., p. 35, lignes 15 à 24.

[13] Ibid., p. 17, lignes 19 à 21.

[14] Ibid., p. 44, ligne 21 à p. 45 ligne 1.

[15] Ibid., p. 36, ligne 24 à p. 37 ligne 11.

[16] Ibid., p. 38, lignes 12 à 25.

[17] Ibid., p. 41, ligne 8 à p. 42, ligne 2 et p. 46, ligne 14 à p. 47, ligne 11.

[18] Ibid., p. 17, lignes 19 à 21.

[19] Ibid., p. 15, lignes 16 et 17.

[20] Ibid., p. 17, lignes 12 à 24.

[21] Ibid., p. 18, lignes 16 à 18.

[22] Ibid., p. 46, ligne 14 à p. 47, ligne 11.

[23] Ibid., p. 41, ligne 18 à p. 42, ligne 2 et p. 51, ligne 24 à p. 52, ligne 14.

[24] Ibid., p. 45, lignes 9 à 21.

[25] Ibid., p. 49, ligne 14 à p. 50, ligne 15.

[26] Ibid., p. 50, ligne 22 à p. 51, ligne 9.

[27] Ibid., p. 47, ligne 12 à p. 47, ligne 20.

[28] Ibid., p. 47, ligne 21 à p. 49, ligne 1.

[29] Ibid., p. 51, ligne 24 à p. 52, ligne 14.

[30] Ibid., p. 52, ligne 15 à p. 53, ligne 4.

[31] Ibid., p. 51, lignes 10 à 23.

[32] Notes sténographiques, p. 56, lignes 8 à 23.

[33] Notes sténographiques, p. 75, lignes 8 à 15.

[34] Notes sténographiques, p. 75, ligne 21 à p. 76, ligne 3.

[35] Notes sténographiques, p. 57, lignes 1 à 13.

[36] Notes sténographiques, p. 68, ligne 13 à p. 70, ligne 6.

[37] Notes sténographiques, p. 65, ligne 15 à p. 71, ligne 25.

[38] Notes sténographiques, p. 67, ligne 25 à p. 68, ligne 6 et p. 71, ligne 8 et ligne 25.

[39] Mémoire de l’appelante, par. 31.

[40]  Martin VAUCLAIR et Tristan DESJARDINS, Béliveau-Vauclair : Traité général de preuve et procédure pénales, 28e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2021, par. 51.85.

[41]  Martin VAUCLAIR et Tristan DESJARDINS, Béliveau-Vauclair : Traité général de preuve et procédure pénales, 28e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2021, par. 51.85.

[42]  Martin VAUCLAIR et Tristan DESJARDINS, Béliveau-Vauclair : Traité général de preuve et procédure pénales, 28e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2021, par. 51.86.

[43]  Martin VAUCLAIR et Tristan DESJARDINS, Béliveau-Vauclair : Traité général de preuve et procédure pénales, 28e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2021, par. 51.86. R. c. Tremblay, 2021 QCCA 24, par. 63, citant R. c. Law, 2002 CSC 10, par. 32.

[44]  B.T. Céramique inc. c. Agence du revenu du Québec, 2020 QCCA 402 (autorisation d’appeler rejetée, C.S.C., 03-09-2020, no 39177), par. 181.

[45]  R. c. Lefebvre, 2018 QCCS 4468, par. 273-276.

[46]  Martin VAUCLAIR et Tristan DESJARDINS, Béliveau-Vauclair : Traité général de preuve et procédure pénales, 28e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2021, par. 28.189., citant R. c. Le, 2019 CSC 34, par. 138.

[47]  Martin VAUCLAIR et Tristan DESJARDINS, Béliveau-Vauclair : Traité général de preuve et procédure pénales, 28e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2021, par. 28.189.

[48]  Martin VAUCLAIR et Tristan DESJARDINS, Béliveau-Vauclair : Traité général de preuve et procédure pénales, 28e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2021, par. 28.189, citant notamment R. c. Le, 2019 CSC 34, par. 138, R. c. Vu, 2013 CSC 60, par. 67 et R. c. CyrDesbois, 2021 QCCA 305, par. 70 (lequel reprend Vu). Aussi, Hamel c. R., 2021 QCCA 801, par. 51.

[49]  Martin VAUCLAIR et Tristan DESJARDINS, Béliveau-Vauclair : Traité général de preuve et procédure pénales, 28e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2021, par. 51.88. Également, R. c. Brunelle, 2022 CSC 5, par 8, citant R. c. R.P., 2012 CSC 22, par. 10.

[50]  Martin VAUCLAIR et Tristan DESJARDINS, Béliveau-Vauclair : Traité général de preuve et procédure pénales, 28e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2021, par. 51.99.

[51]  Martin VAUCLAIR et Tristan DESJARDINS, Béliveau-Vauclair : Traité général de preuve et procédure pénales, 28e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2021, par. 51.99.

[52]  Notes sténographiques, p. 142, lignes 12 à 24.

[53]  R. c. Le, 2019 CSC 34, par. 143, citant R. c. Paterson, 2017 CSC 15, par. 43.

[54]  R. c. Le, 2019 CSC 34, par. 143, citant R. c. Grant, 2009 CSC 32, par. 74 et R c. Harrison, 2009 CSC 34, par. 22.

[55] Notes sténographiques, p. 140, lignes 3 à 10.

[56] Notes sténographiques, p. 140, lignes 15 à 20.

[57] Notes sténographiques, p. 140, lignes 8 à 15.

[58] Notes sténographiques, p. 141, lignes 5 à 7.

[59] Notes sténographiques, p. 141, lignes 7 à 11.

[60] Notes sténographiques, p. 141, lignes 11-12.

[61] Notes sténographiques, p. 141, lignes 12 à 19.

[62] Notes sténographiques, p. 142, lignes 14 à 16.

[63]  Martin VAUCLAIR et Tristan DESJARDINS, Béliveau-Vauclair : Traité général de preuve et procédure pénales, 28e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2021, par. 35.5, citant R c. Pierce, 2016 QCCA 1163, par. 26, R c. R.P., 2012 CSC 22, par. 10, R c. Burke, [1996] 1 R.C.S. 474, par. 7. Burke est également cité dans R. c. Brunelle, 2022 CSC 5, par. 8.

[64]  Notes sténographiques, p. 142, lignes 12 à 20.

[65]  Karl-Emmanuel HARRISON, Capacités affaiblies : principes et application, 3e éd., LexisNexis Canada Inc., 2017, «16.3.4 L’opportunité réaliste d’exercer raisonnablement le droit à l’avocat», par. 40 à 43.

[66]  Cette obligation de sursis à toute mesure ayant pour objet de soutirer des éléments de preuve de nature incriminante tant que la possibilité raisonnable d’exercer le droit à l’assistance de l’avocat a été réitérée notamment dans R. c. Drolet, 2021 QCCA 1421, par. 33. L’inobservation de cette obligation entraîne une violation de la Charte, par. 34. Également, dans Hamel c. R., 2021 QCCA 801, par. 8, il est rappelé qu’il y a plus de 25 ans, la Cour Suprême précisait, dans l’arrêt Prosper, que l’urgence ne naît pas de la seule recherche d’efficience en matière d’enquête policière et d’établissement de la preuve. Au par. 9, il est précisé que le droit constitutionnel de consulter un avocat a préséance sur le droit de la poursuite de se fonder sur une présomption en matière de preuve et l’impossibilité d’invoquer cette présomption découle des exigences posées par la Charte.

[67]  Mémoire de l’appelante, par. 34.

[68]  R. c. Le, 2019 CSC 34, par. 149, citant R c. Grant, 2009 CSC 32, par. 133.

[69]  Robichaud c. R., 2009 QCCA 1886, par. 6, citant R c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173.

[70]  Robichaud c. R., 2009 QCCA 1886, par. 7, citant R. c. Smith,  [1989] 2 R.C.S. 368, à la p. 385.

[71]  Robichaud c. R., 2009 QCCA 1886, par. 7, citant R. c. Tremblay, [1987] 2 R.C.S. 435 et R. c. Smith,  [1989] 2 R.C.S. 368, à la p. 385.

[72]  Robichaud c. R., 2009 QCCA 1886, par. 8.

[73]  Robichaud c. R., 2009 QCCA 1886, par. 9, citant R c. Brown, 2009 NBCA 27, par. 23, R. c. Luong, 2000 ABCA 301, par .10-12.

[74]  Notes sténographiques, p. 142, lignes 17 à 20.

[75]  Hamel c. R., 2021 QCCA 801, par. 83.

[76]  Hamel c. R., 2021 QCCA 801, par. 91, citant R c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236, p. 276.

[77]  Hamel c. R., 2021 QCCA 801, par. 116, citant notamment R c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206, par. 41 et R. c. Silveira, [1995] 2 R.C.S. 297, par.85.

[78]  Hamel c. R., 2021 QCCA 801, par. 133, citant Lévesque-Mancini c. R., 2014 QCCA 1517, par. 83 et R. c. Blackburn-Laroche, 2021 QCCA 59, par. 180.

[79]  R. c. Tremblay, 2021 QCCA 24, par. 65, citant Lévesque-Mancini c. R., 2014 QCCA 1517, par. 83 à 87 et R. c. Paterson, 2017 CSC 15, par. 44.

[80]  R. c. Drolet, 2021 QCCA 1421, par. 73, citant notamment R. c. Blackburn-Laroche, 2021 QCCA 59, par. 180, R. c. Cyr-Desbois, 2021 QCCA 305, par. 53, R c. Tremblay, 2021 QCCA 24, par. 65, R. c. Paterson, 2017 CSC 15, par. 44 et R c. Grant, 2009 CSC 32, par.65.

[81]  R. c. Cyr-Desbois, 2021 QCCA 305, par. 53, citant R c. Le, 2019 CSC 34, par. 147 et R. c.Lévesque-Mandacini, 2014 QCCA 1517, par. 83, 86-89.

[82]  Kent W. ROACH, Constitutional Remedies in Canada, 2e édition, Toronto, Thomson Reuters, 2021, section «10:36 Good Faith Violations – Summary».

[83]  Kent W. ROACH, Constitutional Remedies in Canada, 2e édition, Toronto, Thomson Reuters, 2021, section «10:36 Good Faith Violations – Summary».

[84]  Kent W. ROACH, Constitutional Remedies in Canada, 2e édition, Toronto, Thomson Reuters, 2021, section «10:37 Inadvertent and Minor Charter Violations».

[85]  Lévesque-Mancini c. R., 2014 QCCA 1517, par. 85.

[86]  Lévesque-Mancini c. R., 2014 QCCA 1517, par. 86.

[87]  Lévesque-Mancini c. R., 2014 QCCA 1517, par. 87.

[88]  R. c. Le, 2019 CSC 34, par. 143, citant R. c. Buhay, 2003 CSC 30, par. 59 et R. c. Paterson, 2017 CSC 15, par. 44.

[89]  R. c. Le, 2019 CSC 34, par. 143.

[90]  R. c. Paterson, 2017 CSC 15, par. 44, citant R. c. Harrison, 2009 CSC 34, par. 24-25.

[91]  R. c. Tremblay, 2021 QCCA 24, au par. 39, citant Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383, à la p. 394; R. c. Manninen, [1987] 1 R.C.S. 1233, aux pp. 1242 et 1243; R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173.

[92]  R. c. Tremblay, 2021 QCCA 24, par. 40. La décision R. c. Lefebvre, 2018 QCCS 4468, par. 338, rappelle, dans le cadre de la mise en œuvre du droit de consulter l’avocat de son choix, que celle-ci ne peut être abordée sans être sensible au déséquilibre qui existe entre le pouvoir de l’État et celui du citoyen.

[93]  R. c. Tremblay, 2021 QCCA 24, par. 40. Également repris dans Hamel c. R., 2021 QCCA 801, par. 59.

[94]  R. c. Tremblay, 2021 QCCA 24, par. 73.

[95]  R. c. Tremblay, 2021 QCCA 24, par. 73, également au par. 40, citant R. v. Rover, 2018 ONCA 745, par. 45.

[96]  R. c. Blackburn-Laroche, 2021 QCCA 59, par. 176.

[97]  R. c. Blackburn-Laroche, 2021 QCCA 59, par. 176, citant R c. Grant, 2009 CSC 32, par. 22 et R c. Willier, 2010 CSC 37, par. 38.

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