Décision

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Décision

Grosz c. 9155-8270 Québec inc.

2018 QCRDL 27822

1

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

31-101123-152 31 20101123 T

No demande :

2548890

 

 

Date :

20 août 2018

Régisseure :

Francine Jodoin, juge administrative

 

Heidi Grosz

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

9155-8270 Québec inc.

 

Locateur - Partie défenderesse

et

Curtis Edghill

 

 

Partie intéressée

 

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      La locataire demande la rétractation d’une décision rendue par défaut, le 18 décembre 2014.

[2]      Elle a été avisée de l’existence de celle-ci par la notification d’un bref de saisie en date du 18 juillet 2018.

[3]      Elle se dit étonnée de cette décision, car elle n’a jamais reçu la procédure du locateur, ni l’avis de convocation qui a été transmis à une ancienne adresse de résidence. De plus, elle ajoute qu’il s’agit d’une deuxième demande du locateur comportant les mêmes objets, car une demande antérieure a été rejetée le 25 octobre 2010[1].

[4]      Elle avait, dit-elle, quitté le logement en 2008.

[5]      Le mandataire du locateur produit un accusé de réception d’un envoi postal, daté du 3 décembre 2010 pour attester de la preuve de notification de la procédure. Il argumente que la locataire a été négligente en ne procédant pas à un changement d’adresse.

[6]      La locataire ne nie pas sa signature sur le document, mais elle ignore la nature du document reçu.

[7]      L’article 89 de la Loi sur la Régie du logement[2] permet à une partie qui a été empêchée de se présenter à l’audience, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante d’obtenir la rétractation de la décision rendue.

[8]      En l’occurrence, le Tribunal estime que le témoignage de la locataire est crédible et probant en ce qui concerne son ignorance de l’existence de la procédure du locateur. Il va de soi qu’elle aurait réagi promptement en recevant une procédure qui apparait, quant à elle, en tout point identique à une autre et pour laquelle elle a obtenu jugement en sa faveur.

[9]      Incidemment, le Tribunal estime qu’il est utile de référer à l’article 345 du Nouveau Code de procédure civile[3] (NCpc) qui donne ouverture à la rétractation lorsque le maintien de la décision risque de déconsidérer l’administration de la justice :

«345. Le jugement peut, à la demande d’une partie, être rétracté par le tribunal qui l’a rendu si son maintien est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice; il en est ainsi si le jugement a été rendu par suite du dol d’une autre partie ou sur des pièces fausses ou si la production de pièces décisives avait été empêchée par force majeure ou par le fait d’une autre partie. »

[10]   Dans l’affaire Lepointdevente.com c. Festival de Jazz de Québec[4], la Cour du Québec s’est interrogée sur le sens qu’il convient de donner à ce critère :

« La déconsidération de l’administration de la justice

[36]       Selon les termes du premier alinéa de l’article 345 C.p.c., la rétractation d’un jugement peut s’imposer « …si son maintien est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice ».

[…]

[41]       L’emploi de l’expression « …susceptible de … », à l’article 345 C.p.c., contribue à alléger le fardeau de la preuve de la partie qui sollicite la rétractation. Cette partie n’est pas tenue de démontrer que le maintien du jugement déconsidère, en fait, l’administration de la justice. Ce qu’elle doit plutôt établir, « c’est une possibilité, non une certitude ».[26]

[42]       Le juge est quant à lui convié à un « exercice de proportionnalité » [27] ou de mise en balance entre deux principes : l’irrévocabilité et la stabilité des décisions judiciaires [28], d’une part, et la recherche de la vérité, d’autre part.

[43]       Dans un État de droit, la stabilité des jugements rendus par les tribunaux est « un élément central d’une saine administration de la justice et d’un système juridique ordonné ».[29] Cette stabilité est importante.[30] Elle assure au justiciable que « la détermination de ses droits et obligations », à la suite d’« une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé »[31], ne sera pas remise en cause inconsidérément.

[…]

[47]       Cela étant, la recherche de la vérité est également un principe fondamental de notre système de justice. Elle constitue même « l’objectif primordial du procès civil »[38], sa « caractéristique essentielle »[39] :

Le procès civil est un débat contradictoire conduit selon des règles qui en assurent l'équité et l'efficacité devant un tribunal indépendant et impartial et au terme duquel sont départagés les droits et obligations des parties généralement privées. La recherche de la vérité est donc au cœur du procès civil et toutes les normes édictées en vue de son déroulement visent à en assurer le dévoilement ou la manifestation.[40]  

  […]

[49]       Ainsi, la partie qui obtient un jugement en sa faveur par suite de manœuvres trompeuses ou malhonnêtes, de fausses représentations, de réticences ou de silences[41], ou par suite de la falsification de documents ou de la dissimulation de pièces décisives, par mauvaise foi ou négligence, ne devrait pas pouvoir tirer profit de son mépris pour la vérité et de sa propre turpitude.[42]

[50]       Les deux situations expressément ciblées par le législateur ne sont évidemment pas les seules que peut recouper « le motif général de la déconsidération de la justice ».[43] L’expression « for instance », que l’on trouve dans la version anglaise du texte de l’article 345 C.p.c., indique bien que ces situations sont des exemples non limitatifs.[44]

[11]   En matière de rétractation de jugement, le juge doit rechercher un équilibre entre deux principes fondamentaux de notre droit : l’irrévocabilité et la stabilité des décisions judiciaires, d’une part, et la recherche de la vérité, d’autre part.


[12]   Ceci étant dit, l’expression apparaissant à l’article 89 de la Loi sur la Régie du logement précitée, « ou toute autre cause jugée suffisante » est suffisamment large pour englober une situation où, à la suite du déroulement d’une instance, il est constaté une série de quiproquos, de confusion et d’incompréhension qui vicie le processus judiciaire de même que le maintien de la décision risque de créer une injustice qui, de l’avis du Tribunal, dénature la justice.

[13]   Le Tribunal estime que le processus est entaché à partir du moment où la preuve sommaire soumise au stade de la rétractation indique qu’une décision préalable semble avoir disposé en tout ou en partie de la deuxième demande du locateur.

[14]   Il appartiendra au Tribunal saisi de la demande originaire, de trancher, après avoir entendu une preuve complète, la question de savoir si la réclamation du locateur est recevable ou pas, considérant la décision déjà rendue.

[15]   Dans ce contexte, le Tribunal estime qu’il y a lieu de faire droit à la demande de rétractation.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[16]   RÉTRACTE et ANNULE la décision rendue le 18 décembre 2014;

[17]   RÉFÈRE le dossier à la mise au rôle pour la convocation des parties sur la demande originaire pour une durée de 75 minutes.

 

 

 

 

 

 

 

 

Francine Jodoin

 

Présence(s) :

le locataire

le mandataire du locateur

Date de l’audience :  

13 août 2018

 

 

 


 



[1] 9155-8270 Québec inc. c. Grosz 2010 QCRDL 38868.

[2] RLRQ c. R-8.1.

[3] RLRQ c. C-25.01.

[4] 2016 QCCQ 1573.

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