Décision

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Simard-Lapointe c. Jutras

2025 QCTAL 17515

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Drummondville

 

No dossier :

745197 16 20231110 G

No demande :

4105123

 

 

Date :

15 mai 2025

Devant la juge administrative :

Brigitte Morin

 

Félix Simard-Lapointe

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Marc-Olivier P. Jutras

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Par un recours introduit le 10 novembre 2023, le locataire demande qu’il soit ordonné au locateur d’exécuter ses obligations, des dommages-intérêts et une diminution de loyer.
  2.          Il allègue que le locateur néglige de corriger plusieurs travaux qui occasionnent une perte de jouissance des lieux loués et lui ont occasionné plusieurs troubles et inconvénients. Malgré plusieurs messages et une mise en demeure, le locateur a négligé de remplir ses obligations. Il demande une diminution de loyer mensuel de 277 $ rétroactif au mois de novembre 2023 et des dommages de 2 000 $.
  3.          Le locataire a quitté les lieux le 1er mars 2025, les demandes d’ordonnance d’exécution des travaux sont donc sans objet.
  4.          La preuve non contredite démontre que les parties étaient liées par un bail devant se terminer le 30 juin 2025 au loyer mensuel de 505 $. Le locataire a commencé à occuper le logement concerné en novembre 2018. Le locateur est propriétaire depuis 2020. 
  5.          Il s’agit d’un immeuble de trois logements répartis sur trois étages. Le locataire occupe le rezdechaussée.
  6.          Le 14 octobre 2023, le locataire met en demeure le locateur d’exécuter plusieurs travaux de réparation. Malgré plusieurs messages textes envoyés depuis le 5 avril 2023, le locateur néglige de réparer les éléments suivants :

-          Installer une fenêtre dans la véranda du 2e étage,

-          Installer un escalier sécuritaire pour la sortie extérieure de la véranda;

-          Changer le comptoir de cuisine pourri et troué;

-          Réparer le siphon sous l’évier de cuisine;

-          Vérifier la tuyauterie de la laveuse qui s’écoule dans le mur.


  1.          Plusieurs photos déposées en preuve permettent de voir les éléments vétustes. Des escaliers sont manquants et leurs utilisations sont dangereuses, des gouttières mal installées laissent l’eau s’écouler dans les escaliers les rendant glissantes lors des pluies et des grands froids.
  2.          Des problèmes de plomberies dans la cuisine nécessitent la mise en place de récipients qui doivent être vidangés régulièrement. La tuyauterie de la laveuse à linge est défectueuse, ce qui occasionne des infiltrations d’eau dans le mur et nécessite que le locataire éponge le plancher à toutes les utilisations.
  3.          Une fenêtre est manquante au deuxième étage dans la véranda, l’eau s’accumule à l’étage inférieur près des installations électriques.
  4.      Le 18 juin 2024, un dégât d’eau occasionné par un refoulement cause des dommages. Le locateur néglige de trouver un plombier pour faire les réparations. Le locataire est contraint d’en trouver un afin que les réparations soient exécutées.
  5.      Ces nombreuses situations ont fait perdre du temps et des journées de travail au locataire. Le stress vécu pendant la période s’échelonnant de novembre 2023 à la date de son départ du logement le 1er mars 2025 lui a causé des pertes de concentration et a agi sur son caractère devenu irascible. Un arrêt de travail du 4 février au 15 mars 2025 a été rendu nécessaire afin qu’il puisse mieux gérer les difficultés. Le locataire a quitté le logement en raison des inactions du locateur.

Analyse :

  1.      Le bail est un contrat par lequel le locateur s’engage envers le locataire à lui procurer moyennant un loyer, la jouissance d’un bien meuble ou immeuble.[1] Plusieurs obligations découlent de ce contrat notamment pour le locateur l’obligation générale de procurer au locataire la jouissance paisible du bien loué pendant toute la durée du bail, d’assurer le maintien des lieux en bon état d’habitabilité, d’y faire les réparations nécessaires à l’exception des menues réparations d’entretien.[2] Cette obligation confère au créancier le droit d’exiger qu’elle soit exécutée entièrement, correctement et sans retard.[3]
  2.      En cas d’inexécution d’une obligation par l’une des parties, l’autre aura le droit de demander entre autres l’exécution en nature des obligations, la résiliation du bail, une diminution du loyer.[4] Afin de mettre en œuvre ces recours, le locataire doit, dans certains cas, mettre en demeure le locateur d’exécuter ses obligations.[5]
  3.      Afin d’obtenir une diminution de loyer, il est essentiel que les défectuosités soient majeures et diminuent de façon substantielle la jouissance paisible des lieux, l’auteur Denis Lamy dans son ouvrage La diminution de loyer [6] s’exprime ainsi :

« Des défectuosités mineures qui n’occasionnent qu’un simple désagrément aux locataires, sans pour autant diminuer de façon significative et substantielle la jouissance paisible des lieux ou la fonctionnalité du logement, ne justifient donc pas l’intervention du tribunal. 

En conséquence, pour obtenir une diminution de loyer, la perte de valeur locative ou la diminution de prestation d’une situation donnée ou encore les défectuosités dénoncées par le locataire doivent lui occasionner une diminution significative réelle ou une perte substantielle. Le trouble ne doit pas être mineur ou n’être qu’un simple préjudice esthétique, il doit être sérieux. »

  1.      L’auteur Antoine Morneau-Sénéchal[7] précise en ces termes :

« Le recours en diminution de loyer vise effectivement à « rétablir l’équilibre entre les prestations des parties : le paiement du loyer pour le locataire et l’exécution des obligations pour le locateur ». Ce recours est approprié lorsque le locataire subit une perte de jouissance d’une partie de son logement. Cette perte de jouissance peut être causée par des facteurs variés : bruits anormaux d’un voisin, éléments du logement non fonctionnels, infiltration d’eau, infestation d’insectes, etc. La diminution de loyer vise à être temporaire et sera levée lorsque la perte de jouissance prendra fin.


[…] En principe, la diminution peut être réclamée à partir du moment où on a dénoncé la situation au locateur au moyen d’une mise en demeure. Cette règle a pour but de permettre au locateur de corriger la situation qui cause la perte de jouissance. Cependant, la jurisprudence est venue assouplir cette règle en permettant de passer outre l’exigence d’une mise en demeure pour faire « démarrer » la diminution de loyer lorsque le locateur est « présumé connaître la situation », qu’il ne peut l’ignorer ou qu’il a lui-même indiqué qu’il ne ferait rien pour remédier au problème. »

  1.      La preuve présentée par le locataire démontre de nombreuses défaillances tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’immeuble. Certaines composantes sont dangereuses, les escaliers désuets et en mauvais état., la plomberie de la cuisine, de la salle de bain et les comptoirs sont endommagés causant des fuites et dégât d’eau. Une fenêtre manquante au deuxième étage rend dangereuse une installation électrique à proximité.
  2.      Le mauvais entretien et l’inaction du locateur ont diminué la jouissance des lieux et ont entraîné une perte de valeur locative allant au-delà des simples inconvénients. Le Tribunal octroie une diminution de loyer de 150 $ pour la période du 1er novembre 2023 au 28 février 2025 (18 mois) totalisant la somme de 2 700 $.
  3.      En ce qui concerne la réclamation de dommages-intérêts, l’octroi de tels dommages compensatoire et l’évaluation des pertes subies obéissent aux règles générales du droit commun. Le créancier de l’obligation doit démontrer une faute du débiteur, un dommage et un lien de causalité entre la faute et le dommage. Ces dommages ne peuvent se présumer et doivent être prouvés de façon prépondérante.
  4.      La faute du locateur a été démontrée, son inaction à faire les réparations a occasionné une perte de temps au locataire. Les nombreuses démarches de ce dernier, les messages texte laissés sans réponse, l’obligation de faire exécuter les travaux à la place du locateur ont entraîné aussi des conséquences négatives sur son moral. Un déménagement s’est imposé puisque la gestion de l’inaction du locateur est devenue insoutenable. Le Tribunal considère que la somme de 1 000 $ compensera adéquatement la perte du locataire pour tous les troubles et inconvénients subis.
  5.      VU ce qui précède :

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      ACCUEILLE en partie la demande du locataire;
  2.      CONDAMNE le locateur à payer au locataire à titre de diminution de loyer la somme de 2 700 $ avec les intérêts au taux légal, plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 2 août 2024, date de l’amendement;
  3.      CONDAMNE le locateur à payer au locataire les dommages de 1 000 $ avec les intérêts au taux légal plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 2 août 2024, date de l’amendement;
  4.      CONDAMNE le locateur à payer au locataire les frais de 110 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Brigitte Morin

 

Présence(s) :

le locataire

Date de l’audience : 

10 mars 2025

 

 

 


 


[1] Art. 1851 C.c.Q.

[2] Art. 1854 C.c.Q., 1910 C.c.Q., 1864 C.c.Q.

[3] Art. 1590 C.c.Q.

[4] Art. 1863 C.c.Q.

[5] Art. 1594 et 1595 C.c.Q.

[6] Lamy, Denis, La diminution de loyer, Éd. Wilson & Lafleur ltée, 2004, p. 29-30.

[7] Le louage résidentiel, ed Wilson & Lafleur, Montréal, 2020 pp. 162-163.

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