Laverdure c. Fiducie Tony Papa

2018 QCRDL 6038

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

171092 31 20140826 G

No demande :

1564404

 

 

Date :

19 février 2018

Régisseure :

Chantale Bouchard, juge administrative

 

Robert Raymond Laverdure

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Fiducie Tony Papa

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

DEMANDE

[1]      Par un recours introduit le 26 août 2014, le locataire demande la condamnation de la locatrice à lui verser 6 175 $, soit la restitution d’un loyer payé en trop, avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévus au Code civil du Québec et les frais judiciaires.[1]

[2]      La demande, notifiée le 28 août 2014 par courrier recommandé (L-3, en liasse), en expose les motifs :

« Le locateur a demandé le dernier paiement du loyer à l’avance. […] Nous avons payés deux mois de loyer, un pour le premier mois du loyer, l’autre pour le dernier mois du loyer au début de notre bail […]. (Sic)

[3]      Le locataire est représenté à l’instance par madame Garrie Fenn Laverture, son épouse, munie d’un mandat à cet effet (L-1).[2]

[4]      Les parties étaient liées par le bail du logement de 6 ½ pièces pour la période du 15 août 2012 au 30 juin 2014, au loyer mensuel de 6 175 $ payable le premier jour du mois (L-2). Aux termes de cet acte, mention est faite à l’effet que le premier terme a été acquitté, tout comme le dernier : « Last month’s rent of 6 175 $ also paid ». La copie des deux chèques en question, avec estampilles d’encaissement en 2012, est déposée (L-8).

[5]      Après discussions avec la partie locatrice, le locataire quittait les lieux loués avant terme, tout en continuant de payer le loyer au moyen de chèques postdatés jusqu'à ce qu’elle trouve un nouveau preneur, et au plus tard, jusqu'à la fin du bail.

[6]      Or, il s’est avéré que le logement a été reloué à compter de mai 2014 (L-6).


[7]      Aussi, monsieur Tony Papa, représentant de la locatrice, lui faisait parvenir le courriel suivant en date du 29 avril 2014 (L-5) :

« Please be advised that you are no longer responsible either for damages or rent for code 26a at 1210 […]. It was nice knowing you both and best wishes […] ».   

[8]      La fin des engagements et responsabilités de la part du locataire y est clairement exprimée.

[9]      Étant donné que le chèque remis à l’avance pour couvrir le mois d’avril 2014 a été encaissé le 28 de ce mois (L-7 en liasse), il devenait aussi clair que celui encaissé au tout début du bail en 2012 pour couvrir le dernier mois devait servir à cette fin et être remboursé.

[10]   Le 7 août 2014, le locataire constituait en demeure la locatrice de lui rembourser cette somme payée en trop (L-4, en liasse). Cette demande extrajudiciaire, restée lettre morte, a justifié l’introduction du présent recours.

DROIT ET ANALYSE

[11]   D’emblée, il y a lieu de préciser que devant les instances civiles et selon les dispositions des articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec, il appartient à celui qui veut faire valoir un droit, ou l’extinction de celui-ci, de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, de façon prépondérante et probable. À moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante. Aussi, la conséquence que le tribunal tire d’un fait connu à un fait inconnu constitue une présomption laissée à son appréciation, lequel doit toutefois ne prendre en considération que celles qui sont graves, précises et concordantes.[3] Enfin, la force probante du témoignage est également laissée à l’appréciation du tribunal.[4] Si une partie ne s’acquitte pas de son fardeau de convaincre le tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c’est cette partie qui succombera et verra ses prétentions rejetées.[5]

[12]   Comme tout contrat, le bail oblige ceux qui l’ont conclu, non seulement pour ce qu’ils y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages, l’équité ou la loi.[6]

[13]   Ainsi, le contrat de location n’exclut pas les principes généraux des obligations.

[14]   À cet égard, l'article 1699 du Code civil du Québec permet d'ordonner la restitution à toute personne qui a reçu des biens sans droit ou par erreur :

« 1699. La restitution des prestations a lieu chaque fois qu’une personne est, en vertu de la loi, tenue de rendre à une autre des biens qu’elle a reçus sans droit ou par erreur, ou encore en vertu d’un acte juridique qui est subséquemment anéanti de façon rétroactive ou dont les obligations deviennent impossibles à exécuter en raison d’une force majeure.

 

Le tribunal peut, exceptionnellement, refuser la restitution lorsqu’elle aurait pour effet d’accorder à l’une des parties, débiteur ou créancier, un avantage indu, à moins qu’il ne juge suffisant, dans ce cas, de modifier plutôt l’étendue ou les modalités de la restitution. »  

[15]   Après analyse de la preuve non contestée et des dispositions législatives applicables, le Tribunal conclut que le dernier mois de loyer a été payé à deux reprises. Il y a donc lieu d’accueillir la demande, en principal, intérêts[7] et frais judiciaires selon le Tarif[8][9].

[16]   Incidemment, il peut être utile de rappeler les termes de l’article 1904 du Code civil du Québec qui se trouve au cœur du louage résidentiel et d’ordre public[10] dit « de protection », soit en faveur de la partie locataire :

« 1904. Le locateur ne peut exiger que chaque versement excède un mois de loyer; il ne peut exiger d’avance que le paiement du premier terme de loyer ou, si ce terme excède un mois, le paiement de plus d’un mois de loyer.

 

Il ne peut, non plus, exiger une somme d’argent autre que le loyer, sous forme de dépôt ou autrement, ou exiger, pour le paiement, la remise d’un chèque ou d’un autre effet postdaté. »  

[17]   CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve soumise devant le Tribunal;

[18]   CONSIDÉRANT que le locataire s’est acquitté de son fardeau de démontrer, par prépondérance, que sa réclamation était justifiée;

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

[19]   CONDAMNE la locatrice à payer au locataire la somme de 6 175 $, avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 26 août 2014, plus les frais judiciaires de 77 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Chantale Bouchard

 

Présence(s) :

la mandataire du locataire

Date de l’audience :  

23 novembre 2017

 

 

 


 



[1] Il s’agit d’une demande ayant pour seul objet une créance visée à l’article 73 de la Loi sur la Régie du logement (RLRQ, c. R-8.1), où un avocat ne peut agir et où les articles 82, 84 et 91 de cette loi reçoivent application relativement au délai d’exécution, à l’exécution forcée et à l’absence de droit d’appel.

[2] Conformément aux articles 72 de la Loi sur la Régie du logement (RLRQ, c. R-8.1) et 10 du Règlement sur la procédure devant la Régie du logement (RLRQ, c. R-8.1, r.5).

[3] Selon les articles 2846 et 2849 du Code civil du Québec.

[4] Article 2845 du Code civil du Québec.

[5] Ainsi s’en expriment les auteurs André Nadeau et Léo Ducharme, dans Traité de droit civil du Québec, vol. 9, 1965, Montréal, Wilson et Lafleur : « Celui sur qui repose l'obligation de convaincre le juge supporte le risque de l'absence de preuve, c'est-à-dire perdra son procès si la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve offerte de part et d'autre est contradictoire et que le juge est placé dans l'impossibilité de déterminer où se trouve la vérité. »

[6] Tel qu’édicté à l’article 1434 du Code civil du Québec.

[7] En application des articles 1618 et 1619 du Code civil du Québec.

[8] Tarif des frais exigibles par la Régie du logement, R.R.Q., 1981, c. [R-8.1, r. 6].

[9] Article 79.1 de la Loi sur la Régie du logement, L.R.Q., c. R-8.1.

[10] Voir l’article 1893 du Code civil du Québec.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.