Ledoux c. Kagoné |
2014 QCRDL 15831 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier: |
129501 31 20140110 T |
No demande: |
1458461 |
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Date : |
30 avril 2014 |
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Régisseure : |
Sylvie Lambert, juge administratif |
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Joanie Ledoux
Roberson Suprême |
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Locataires - Partie demanderesse |
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c. |
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OUSMANE KAGONÉ |
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Locateur - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Les locataires demandent la rétractation de la décision rendue le 19 mars 2014 (décision visée) par la juge administratif Jocelyne Gascon.
[2] Cette décision résilie le bail et ordonne l’expulsion de tous les locataires et tous les occupants du logement, condamne les locataires à payer au locateur la somme de 2 600 $ à titre de loyer impayé, plus les intérêts et les frais et ordonne l’exécution de la décision malgré l’appel.
[3] Au soutien de la demande de rétractation, les locataires allèguent qu’ils n’ont jamais reçu l’avis de convocation pour l’audience du 12 mars 2014 ayant mené à la décision visée.
[4] Le dossier indique que l’avis d’audience a été transmis par la Régie le 24 février 2014 à l’adresse du logement concerné.
[5] Les locataires témoignent à l’effet qu’ils n’ont pas reçu cet avis d’audience puisqu’ils ont abandonné le logement concerné le 30 janvier 2014.
[6] Ils n’ont pas informé le service postal de leur changement d’adresse. Ils ont conservé la clé de la boîte aux lettres du logement après leur départ et vont prendre leur courrier régulièrement à tous les 15 à 22 jours.
[7] C’est d’ailleurs en allant prendre leur courrier, quelques jours après que la décision visée soit rendue, qu’ils ont eu connaissance de celle-ci.
[8] Selon le locateur, les locataires savaient que l’audience de sa demande devait avoir lieu.
[9] Il a signifié sa demande de recouvrement de loyer le 13 janvier 2014 en mains propres et les locataires avaient reçu un premier avis de convocation pour l’audience fixée le 11 février 2014.
[10] De plus, les locataires prenaient leur courrier ; ils ont la clé de la boîte aux lettres du logement concerné.
[11] Le dossier indique que l’avis pour l’audience du 11 février a été transmis aux locataires le 21 janvier 2014, soit 9 jours avant leur déménagement.
[12] Le procès-verbal de l’audience du 11 février 2014 fait mention d’une demande de remise du locateur et de l’absence des locataires.
L’analyse
[13] Au terme de leur demande, les locataires doivent répondre aux conditions de l'article 89 de la Loi sur la Régie du logement qui énonce ce qui suit :
« 89. Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.
Une partie peut également demander la rétractation d'une décision lorsque la Régie a omis de statuer sur une partie de la demande ou s'est prononcée au-delà de la demande.
La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l'empêchement.
La demande de rétractation suspend l'exécution de la décision et interrompt le délai d'appel ou de révision jusqu'à ce que les parties aient été avisées de la décision.»
[14] Le recours en rétractation en est un d’exception au principe de l’irrévocabilité des jugements. En ce sens, les critères y donnant ouverture doivent être appliqués restrictivement et avec rigueur afin de préserver cette stabilité nécessaire à une saine administration de la justice. La procédure doit contribuer à la protection des droits de toutes les parties et la remise en question des décisions rendues ne doit pas devenir la règle, d’où le sérieux que doivent revêtir les motifs de rétractation.[1]
[16] La jurisprudence nous enseigne que lorsqu’une partie invoque ne pas avoir reçu l’avis d’audience au soutien de sa demande de rétractation, le Tribunal doit non seulement vérifier s’il est vrai qu’elle n’a pas reçu l’avis mais également si ce défaut de réception est due à sa négligence.
[17] Dans l’affaire Tacci c. Mitchelle, 10 mai 2013, 31 100305 120, (RDL), la juge administratif Francine Jodoin, procède à l’analyse de la jurisprudence sur le sujet. Elle s’exprime en ces termes :
« [17] Lorsque le motif de rétractation repose sur le fait qu'une partie n'a pas reçu l'avis d'audience, cela ne permet pas d'accueillir d'emblée la demande sans autre vérification. Il faut quand même s'assurer de la véracité d'une telle affirmation et vérifier que la négligence n'est pas en cause.
[18] En effet, le droit d'être entendu n'est pas absolu et est balisé par l'obligation d'une partie de prendre les moyens nécessaires pour recevoir les avis de convocation qui lui sont adressés.
[19] Dans la décision Lettrage Graphico-Tech inc. c. Quden inc.((2)), le juge François Marchand de la Cour du Québec énonce ce qui suit :
« En matière de rétractation de jugement, il faut trouver un juste équilibre entre deux principes qui s'affrontent, soit celui de la stabilité des jugements rendus et celui du droit à une défense pleine et entière. Il est donc essentiel de déterminer si la négligence de la partie défenderesse de protéger adéquatement ses droits est excusable ou non. La jurisprudence la considère excusable lorsqu'elle a été en quelque sorte causée par des circonstances extérieures à la partie elle-même, soit parce qu'elle a été induite en erreur ou surprise par la partie adverse ou par des tiers dont elle ne répond pas. La situation est fort différente, lorsque la partie défenderesse a fait preuve d'un manque de sérieux flagrant dans la conduite de ses affaires, en ne faisant pas un suivi adéquat de son dossier. »
[20] Ainsi, il fut décidé, à plusieurs reprises, que le fait de ne pas communiquer son changement d'adresse en sachant que des procédures judiciaires étaient en cours constitue de la négligence et ne peut justifier une demande en rétractation((3)). Les tribunaux refusent donc de cautionner, dans le cadre d'une demande en rétractation, la négligence grossière d'une partie. »
[18] Quant à la notion de négligence, la juge Jodoin reprend l’analyse que fait la juge administratif Anne Mailfait d’un arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Lalancette c. Audet 2013 QCRDL 3007 :
« [21] À cet égard, le tribunal fait sienne l'analyse effectuée par le juge administratif, Anne Mailfait, dans l'affaire Lalancette c. Audet((4)) :
« [15] Le concept de négligence, comme critère de rejet d'une demande de rétractation, a été récemment circonscrit et balisé par la Cour d'Appel du Québec :
[9] À l'audience, en Cour supérieure, l'avocat de l'appelante plaide qu'il y a ici une cause suffisante pour rétracter le jugement. « L'avocat ajoute qu'il ne s'agit pas d'un cas de « surprise » ou de « fraude » ou encore de « mauvaise foi évidente ».
[10] Dans son exposé, le procureur de l'appelante admet qu'au regard des faits de l'espèce l'appelante a fait preuve « d'inadvertance ou d'insouciance le 26 janvier » lorsqu'elle reçoit les procédures ci-haut mentionnées. Elle ajoute, toutefois, qu'en aucun cas cette inconduite pouvait être assimilée à de la négligence grossière, seul cas qui justifie de rejeter la requête en rétractation.
[11] Cette dernière proposition n'est pas fondée. La Cour ne peut accepter les propositions générales de l'appelante qui veut que la négligence de la partie soit toujours une cause suffisante de rétractation pourvu que cette négligence ne soit pas grossière.
[12] L'examen de la jurisprudence [1] montre dans un premier temps que les tribunaux ne reprennent pas systématiquement la distinction entre la simple négligence et la négligence grossière. En deuxième lieu, la qualification de « grossière » sera utilisée particulièrement lorsque la négligence relève du seul fait du requérant. En revanche, on excusera la négligence lorsque celle-ci fut induite ou occasionnée par le comportement de la partie adverse ou d'un tiers.
[13] En l'espèce, l'appelante œuvre dans le milieu des affaires. Son représentant est familier avec les procédures judiciaires. Si l'on accepte, aux fins de discussion, que son représentant a cru avoir remis tous les dossiers à ses nouveaux procureurs le 24 janvier 2011, rien n'explique sa conduite lorsqu'il reçoit deux jours plus tard de nouvelles procédures. Une lecture de ces procédures peu complexes permettait à quiconque de saisir l'urgence de la situation.
[14] La conduite « insouciante » du représentant de l'appelante ou le « faux sentiment de sécurité » qu'il a pu éprouver n'ont pas été ici provoqués par le comportement de la partie adverse ou de tiers. Il n'y a aucun élément de surprise susceptible d'expliquer l'inaction de l'appelante. »
[16] Une première conclusion s'impose : le rejet d'une demande de rétractation n'exige plus la preuve d'une négligence qui soit grossière. Elle peut être de moindre intensité, sérieuse ou gravité et cette mesure sera en fonction des circonstances et de l'auteur de la négligence.
[17] La nonchalance ou la désinvolture pourrait donc constituer une négligence suffisamment sérieuse pour entraîner le rejet d'une demande de rétractation. » (sic)
[19] Le Tribunal est d’accord avec les principes ci-devant énoncés et avec l’analyse qu’en font les juges Jodoin et Mailfait.
[20] Les locataires savaient qu'une procédure était pendante devant le Tribunal et qu’une audience allait être fixée; ils ont été signifiés de la demande du locateur en mains propres le 13 janvier 2014.
[21] Les locataires savaient ou devaient savoir que l’avis ne leur serait pas transmis à leur nouvelle adresse puisqu’ils n’ont pas effectué de suivi de courrier auprès du service postal après leur déménagement. Ils savaient ou devaient savoir que l'avis d’audience ne leur parviendrait pas.
[22] Les locataires avaient la clé de la boîte aux lettres du logement concerné et ils pouvaient, en tout temps, faire le suivi de leur courrier.
[23] Malgré cela, ils ne vont pas chercher leur courrier plus souvent ni ne communiquent avec la Régie pour effectuer un changement d’adresse ou s’enquérir des démarches qu’ils doivent faire pour s’assurer d’être informés de l’avancement du dossier.
[24] La preuve démontre que les locataires ont laissé cheminer cette affaire sans s'en préoccuper davantage.
[25] Le Tribunal est d’avis que les locataires n’ont pas justifié leur absence à l'audience du 12 mars 2014 pour un motif valable. Il n'y a donc pas lieu de faire droit à leur demande de rétractation.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[26] REJETTE la demande.
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Sylvie Lambert |
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Présence(s) : |
les locataires le locateur |
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Date de l’audience : |
25 avril 2014 |
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[1] Bergeron c. Carrière, [1970] R.P. 91 (C.A.); Robsky c. A. Harper Ass. Inc. [1976] R.P. 121 (C.A.); Fattal c. Pilon, 500-02-035546-824, M. le juge Bernard Desjarlais, le 15 novembre 1982, (C.P.).