Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Office d'habitation Pierre-De Saurel c. Noël

2023 QCTAL 27966

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Longueuil

 

No dossier :

564692 37 20210331 G

No demande :

3216737

 

 

Date :

05 septembre 2023

Devant le juge administratif :

Marc C. Forest

 

Office d'Habitation Pierre-De Saurel

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Danielle Noël

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

La demande

[1]         Le Tribunal est saisi d’une demande de résiliation de bail pour trouble de comportement  de la locataire.

Question juridique

[2]         La locataire a-t-elle un comportement inacceptable? Ce comportement est-il si inacceptable qu’il cause un grave préjudice et que le bail doit être résilié?

Analyse et commentaires

[3]         Commençons par regarder les articles de loi applicables à la situation.

Le droit

« 976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux. »

« 1858. Le locateur est tenu de garantir le locataire des troubles de droit apportés à la jouissance du bien loué.

Le locataire, avant d'exercer ses recours, doit d'abord dénoncer le trouble au locateur. »

« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.

Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.

Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »


[4]         Selon l’article 976 du Code civil du Québec, les voisins se doivent d’accepter les inconvénients normaux du voisinage, et les articles 1858 et 1960 du Code civil du Québec précisent que le locataire se doit d'avoir une conduite pour ne pas troubler la jouissance des autres locataires.

[5]         Le locateur est tenu de garantir aux autres locataires une jouissance normale des lieux. Par conséquent, il est en droit d'exercer le présent recours s’il juge que la locataire nuit aux autres locataires.

[6]         Et comme le mentionne le dernier paragraphe de l'article 1860, le locateur peut en cas de violation des obligations du locataire demander la résiliation du bail

[7]         L’auteur Jean Taboul (Revue du Barreau, tome 71/2012, p. 119) commente l’article 976 du Code civil du Québec :

« Les différents critères doivent être appréciés en fonction de ce qu’une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances que la victime, considérerait comme normal ou anormal.

La Cour d’appel, dans l’arrêt Auberge du parc, a confirmé l’importance d’une telle approche (104). Pour cela, elle fait référence à l’affaire Daigle c. Caron, qui, bien que portant sur une injonction interlocutoire, est souvent donnée en exemple d’une reconnaissance du critère de raisonnabilité. Elle s’est également appuyée sur une fine analyse de Louis-Paul Cullen, qui siège désormais à la Cour supérieure :

Dans chaque cas, pour décider si les inconvénients subis excèdent les limites de la tolérance, le tribunal doit [...] comparer les inconvénients invoqués aux inconvénients se situant à la limite de la tolérance que les voisins se doivent, à son avis, en semblables circonstances. La fixation de cette limite est laissée entièrement au jugement du tribunal. En l’absence de meilleur guide, il nous semble que le tribunal doit fixer la limite de la tolérance obligatoire en fonction d’une conduite jugée « raisonnable » de la part de la personne qui subit l’inconvénient, compte tenu des circonstances pertinentes.

Le critère de raisonnabilité sert donc de trame de fond à la détermination du seuil de normalité. Il permet également d’introduire une dose d’objectivité dans un exercice dans lequel le juge du fond possède un large pouvoir discrétionnaire.

Il explique qu’il faut tenir compte de deux facteurs soit la récurrence et la gravité. »

[8]         Une première audience a eu lieu le 3 août 2022 où le Tribunal a émis une ordonnance le 11 août 2022 à laquelle la locataire devait se soumettre. Cette ordonnance se lit comme suit :

« [10] ORDONNE à la locataire de cesser immédiatement toute consommation de cannabis dans son logement et sur le terrain de la locatrice;

[11] ORDONNE à la locataire de retirer toute chose suspendue et/ou accrochée à l’immeuble autour de sa terrasse;

[12] ORDONNE à la locataire de retirer les tapis ou autres revêtements de sol audelà de sa terrasse;

[13] ORDONNE à la locataire de retirer de la cour arrière tous les biens qui lui appartiennent et qui sont déposés ailleurs que sur sa terrasse;

[14] ORDONNE à la locataire de retirer toute installation qu’elle a fixée à l’immeuble adjacent à sa terrasse;

[15] ORDONNE à la locataire de ne pas installer d’équipements de type abri tempo autour de sa terrasse ni ailleurs; »

[9]         La directrice générale du locateur a témoigné que l'immeuble concerné possède 12 logements de type familial avec enfants.

[10]     La locataire y habite depuis septembre 2011. À l'époque, il y avait des règlements concernant l'immeuble et ceux-ci ont été modifiés en janvier 2018. La locataire a accepté lesdits changements au règlement.

[11]     Elle explique que la locataire n'a pas suivi l'ordonnance puisqu'il y a encore des choses qui sont suspendues sur la terrasse, le tapis installé hors terrasse n'a pas été enlevé et l'abri de type « tempo » qui avait été enlevé a été remis lors de la saison hivernale suivante. Des photos ont été déposées pour prouver ces allégations.


[12]     Elle a reçu des plaintes des autres locataires que la locataire crie après les enfants et fume du cannabis. La locataire est agressive avec les membres du personnel ainsi qu'avec les autres locataires.

[13]     Des locataires habitant le même immeuble sont venus témoigner pour corroborer les dires de la directrice générale allégeant que la locataire faisait beaucoup de bruits, criait et elle ne respectait pas les règlements de l'immeuble.

[14]     Les policiers ont dû se rendre à l'immeuble à quelques occasions pour que la locataire cesse le bruit excessif qui provenait de son logement.

[15]     L'un des jeunes enfants d'une locataire est rentré chez lui en pleurant, mentionnant que la locataire criait après lui. D'autres jeunes enfants ne veulent plus jouer dehors lorsque la locataire s'y trouve.

[16]     La locataire aurait été vue fumant du cannabis devant les enfants.

[17]     Dans son témoignage, la locataire confirme avoir déjà consommé du cannabis sur sa terrasse, mais spécifie qu'il n'y avait aucun enfant aux alentours.

[18]     Elle veut absolument demeurer dans son logement où elle se sent bien et qu'elle vit avec son fils trisomique (21 ans). Selon elle, un changement de logement pourrait être catastrophique pour son fils puisqu’il possède maintenant tous ses repères dans ce logement.

[19]     Elle avoue également avoir déjà eu des comportements irresponsables, impolis, et d'avoir été impatiente.

[20]     Elle précise qu'elle a appris qu'elle avait un comportement non adéquat et depuis janvier 2023 elle est suivie en psychologie.

[21]     À ce jour, elle aurait eu neuf rencontres de groupe et cinq rencontres individuelles avec un psychologue afin de régler la gestion de ses émotions, de ses pensées et de sa détresse.

[22]     Le Tribunal comprend la détresse qu'elle peut ressentir avec la crainte de devoir déménager et que cela pouvait être négatif pour le développement de son fils.

[23]     Par contre, la locataire doit comprendre que si elle est droit de vivre et de profiter pleinement de son logement, il en est de même également pour les autres locataires de l'immeuble qu'elle habite.

[24]     La locataire n'ayant pas respecté l'ordonnance émise il y a plus d'un an, est est-ce que le Tribunal peut la croire que cette fois-ci elle suivra celles qui pourraient lui être soumises?

[25]     Le comportement inadéquat de la locataire cause un grave préjudice au locateur ainsi qu’aux autres locataires. Il en ressort un alourdissement de la tâche du personnel du locateur.

[26]     Le Tribunal reproduit quelques extraits de clauses du règlement auxquelles la locataire ainsi que tous les autres locataires de l'immeuble sont soumises :

« 1.5 un locataire ne peut modifier le balcon ou installer quelque chose »

« 3.1 le comportement d'un locataire ne peut troubler la jouissance des autres locataires »

« 3.3 aucun bruit excessif n'est permis »

« 3.6 il est interdit de fumer du cannabis à l'intérieur et à l'extérieur »

« 3.11 il était interdit d'endommager la pelouse »

[27]     La situation particulière de la locataire qui vit avec son fils trisomique fait pencher le Tribunal pour lui octroyer une dernière chance d'habiter son logement, mais elle devra respecter un ensemble de conditions et d'ordonnances et à défaut, le locateur pourra se présenter de nouveau devant le Tribunal et demander la résiliation du bail pour non-respect des ordonnances et si la preuve en est faite, ça sera malheureusement la fin de la relation entre les parties.

[28]     Le fait également que la locataire semble s’être prise en main en se faisant suivre par un psychologue pour l’aider avec ses problèmes personnels lui permet d’avoir la faveur du Tribunal,

[29]     Mais elle devra prendre très au sérieux cette dernière chance.


[30]     Le Tribunal émettra les mêmes conclusions que celles émises le 11 août 2022 en plus de celles mentionnées dans le règlement de l'immeuble, plus précisément aux articles mentionnés précédemment.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[31]     ORDONNE à la locataire de cesser immédiatement toute consommation de cannabis dans son logement et sur le terrain du locateur;

[32]     ORDONNE à la locataire de retirer toute chose suspendue et/ou accrochée à l’immeuble autour de sa terrasse;

[33]     ORDONNE à la locataire de retirer les tapis ou autres revêtements de sol audelà de sa terrasse;

[34]     ORDONNE à la locataire de retirer de la cour arrière tous les biens qui lui appartiennent et qui sont déposés ailleurs que sur sa terrasse;

[35]     ORDONNE à la locataire de retirer toute installation qu’elle a fixée à l’immeuble adjacent à sa terrasse;

[36]     ORDONNE à la locataire de ne pas installer d’équipements de type abri tempo autour de sa terrasse ni ailleurs;

[37]     ORDONNE à la locataire de retirer tous les panneaux entourant sa terrasse ou fixés à l'immeuble;

[38]     ORDONNE à la locataire de respecter les règlements de l'immeuble tels que modifiés en janvier 2018, notamment les articles 1.5, 3.1, 3.3, 3.6 et 3.11;

[39]     Toutes ces ordonnances personnelles sont en vigueur à compter de la date du jugement et pour les ordonnances d’exécution, elles doivent être exécutées dans les cinq jours de la décision;

[40]     CONDAMNE la locataire au paiement des frais de justice de 79 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Marc C. Forest

 

Présence(s) :

Me Valérie Cuierrier-Besner, avocate du locateur

Date de l’audience : 

3 août 2022

Présence(s) :

Me Valérie Cuierrier-Besner, avocate du locateur

la locataire

Me Yanick Péloquin, avocat de la locataire

Date de l’audience : 

15 août 2023

 

 

 


 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.