[1] Les appelantes se pourvoient contre un jugement rendu le 21 novembre 2013 et rectifié le 16 décembre 2013 par la Cour supérieure, district de Kamouraska (l’honorable Clément Samson), qui déclare abusive et nulle la clause 8.01.2 du régime d’options d’achat d’actions, ordonne à l’appelante Premier Tech ltée d’émettre 207 619 actions de catégorie « B » à l’intimé et de financer l’émission de ces 207 619 actions, soit un montant de 612 857 $, à un taux d’intérêt nul et ordonne à l’appelante Gestion Bernard Bélanger ltée d’acheter ces 207 619 actions pour une somme de 1 926 704 $.
[2] Pour les motifs du juge Émond, auxquels souscrivent les juges Dutil et La Rosa, LA COUR :
[3] REJETTE la requête en rejet partiel du mémoire de l’intimé, avec dépens;
[4] ACCUEILLE, sans frais, la requête pour permission d’amender de l’intimé pour ajouter une conclusion à la requête introductive d’instance et son mémoire afin qu’il soit déclaré que tout solde impayé sur les actions qui auraient dû être achetées en exécution du jugement de première instance porte intérêt à compter du 20 janvier 2014;
[5] DÉCLARE que tout solde impayé sur les actions qui auraient dû être achetées en exécution du jugement de première instance porte intérêt à compter du 20 janvier 2014 au taux moyen des dettes à long terme de l’appelante Premier Tech ltée en date du 21 novembre 2013 plus 1 %;
[6] REJETTE l’appel, avec dépens.
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MOTIFS DU JUGE ÉMOND |
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1 - L’APERÇU
[7] Le litige porte sur l’application d’un régime d’options d’achat d’actions, celui de l’appelante Premier Tech ltée « Premier Tech ». Il soulève plusieurs questions, les principales ayant trait à la nature juridique de ce « Régime », à la licéité de sa clause 8.01.2 ainsi qu’au refus du conseil d’administration de la société d’exercer la discrétion que lui confère cette clause pour passer outre à la règle qu’elle renferme.
[8] Cette clause 8.01.2 du Régime stipule qu’en cas de cessation de ses fonctions auprès de Premier Tech, pour toute raison autre que son décès, sa retraite ou son invalidité, le bénéficiaire d’options d’achat d’actions perd, à compter de la date de cessation de ses fonctions, son droit de les exercer, à moins que le conseil d’administration n’en décide autrement. Elle est ainsi rédigée :
8.01.2 Advenant la cessation des fonctions du Bénéficiaire auprès de la Société pour toute raison autre que son décès, sa retraite ou son invalidité, tout octroi en cours expire à la date de la cessation de ses fonctions, de sorte qu'à compter de cette dernière date, le Bénéficiaire perd tous ses droits dans l'octroi à l'égard des Actions pour lesquelles il n'a pas encore levé son Option, à moins que le conseil d'administration, à sa seule discrétion, n'en décide autrement;
[9] L’intimé Christian Dollo, qui fut congédié de son poste de président de la société Premier Horticulture ltée, l’une des filiales de Premier Tech — il était également actionnaire minoritaire de Premier Tech au moment de son congédiement — veut être autorisé à exercer les 207 619 options qui lui avaient été octroyées avant son congédiement, malgré la règle énoncée à clause 8.01.2 du Régime.
[10] Pour justifier sa demande, il fait valoir deux moyens, en tenant pour acquis que son congédiement a été fait sans cause juste et suffisante.
[11] D’une part, il soutient que le Régime est un contrat d’adhésion au sens de l’article 1379 C.c.Q. Aussi, se fondant sur l’article 1437 C.c.Q. selon lequel la clause abusive d’un contrat d’adhésion est nulle ou l’obligation qui en découle, réductible, il plaide que la clause 8.01.2 du Régime l’empêchant d’exercer ses options en raison d’un congédiement inattendu est abusive, parce qu’excessive et déraisonnable.
[12] D’autre part, il reproche aux administrateurs de Premier Tech de s’être montrés injustes à son égard, en refusant d’exercer la discrétion que leur accorde la clause 8.01.2 du Régime pour lui permettre de lever ses options. Il fait valoir que quelques mois avant son congédiement, les dirigeants de Premier Tech l’ont assuré que ses options lui demeureraient acquises, malgré une éventuelle rupture de son lien d’emploi.
[13] En ce dernier cas, il invoque l’article 241 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions « L.c.s.a. ».
[14] Dans son jugement, le juge fait droit aux demandes de Dollo.
[15] Il estime que le régime d’options d’achat d’actions constitue un véritable contrat d’adhésion au sens de l’article 1379 C.c.Q. et que la clause 8.01.2 du Régime est abusive et donc inopposable à Dollo. Il est également d’avis que Dollo, en sa qualité d’actionnaire de Premier Tech au moment de son congédiement, a été victime d’une injustice en étant privé d’une partie de sa rémunération.
[16] En conséquence, il permet à Dollo d’exercer ses options. Il ordonne à Premier Tech de lui émettre 207 619 actions de catégorie « B » et de financer le prix d’acquisition, comme le prévoit le Régime. De plus, il ordonne à l’appelante Gestion Bernard Bélanger ltée, principale actionnaire de Premier Tech, de racheter ces actions conformément à la convention unanime d’actionnaires de Premier Tech.
[17] En appel, l’appelante Premier Tech fait valoir que le juge a erré en concluant que : (i) le congédiement dont a fait l’objet Dollo constitue « un congédiement sans cause »; (ii) le Régime constitue un contrat d’adhésion; (iii) la clause 8.01.2 est abusive; et (iv) Dollo peut se qualifier à titre de plaignant au sens de l’article 241 L.c.s.a., d’autant que la preuve ne démontre pas qu’il y a eu oppression.
[18] L’appelante Gestion Bernard Bélanger ltée « Gestion Bélanger », actionnaire de contrôle de Premier Tech, appuie sa position.
[19] Pour ma part, j’estime que l’appel doit être rejeté.
[20] Je suis d’avis que Dollo, en sa qualité d’actionnaire et d’ancien actionnaire de Premier Tech, a fait la preuve d’une attente légitime, celle découlant de la promesse que lui ont faite les dirigeants de Premier Tech, soit qu’il allait pouvoir exercer ses options d’achat d’actions malgré la rupture de son lien d’emploi. En refusant de respecter cette promesse, Premier Tech s’est montrée injuste envers Dollo.
[21] Par l’intermédiaire de ses dirigeants, Premier Tech et son actionnaire de contrôle ont invité Dollo à adopter une position qui allait lui être préjudiciable. Or, nul n'est recevable à se prévaloir de sa propre faute au préjudice d'autrui, proposition fondée sur le principe qu’on ne doit pas tirer avantage d'une faute que l'on a commise. Au contraire, il est juste de réparer le tort que l'on fait[1].
[22] Cette violation des attentes légitimes de Dollo constitue un geste oppressif au sens de l’article 241 L.c.s.a.
[23] Selon moi, l’exécution en nature ordonnée par le juge était, dans les circonstances, pleinement justifiée.
2 - LE CONTEXTE
2.1 Les parties
[24] Fondée en 1923, Premier Tech est une société qui œuvre dans les domaines de l’horticulture, l’agriculture, la fabrication d’équipements industriels et les technologies environnementales.
[25] En 1963, Bernard Bélanger en devient le principal actionnaire et dirigeant.
[26] En 1987, Premier Tech se transforme en société publique. Ses actions sont cotées à la bourse de Toronto.
[27] En 2007, elle redevient une société privée.
[28] À la suite de cette « privatisation », Bernard Bélanger demeure son principal actionnaire, par le biais de Gestion Bélanger, en plus d’en être le président.
[29] Dollo est quant à lui un administrateur chevronné. Détenteur d’un Baccalauréat en économie et finances, ainsi que d’une maîtrise en administration des affaires, avec une spécialisation en finances et en marketing, il cumule plusieurs années d’expérience en tant que haut gestionnaire d’entreprise. Il a notamment occupé des postes d’analyste financier, de contrôleur financier, de directeur d’usines et de vice-président finances.
2.2 Les faits
[30] En 1999, Premier Tech embauche Dollo pour occuper le poste de vice-président finances.
[31] En 2001, après deux années passées au sein de l’entreprise, Dollo se voit octroyer 35 000 options d’achat d’actions. Ces options lui confèrent le droit d’acquérir 35 000 actions ordinaires de Premier Tech à un prix de 2 $ l’action, indépendamment de la valeur des actions de la société alors inscrite à la bourse de Toronto. Ces options sont valables jusqu’en avril 2008.
[32] En 2004, il est promu président de la filiale Premier Horticulture.
[33] En avril 2005, il se voit octroyer 50 000 nouvelles options d’achat d’actions, cette fois au prix de 3 $ l’action. Ces options, qui sont valables jusqu’en avril 2010, comportent toutefois une condition. Avant de pouvoir les exercer, il doit d’abord exercer 25 000 des 35 000 options qui lui ont déjà été octroyées en 2001, ce qu’il fait dans les semaines suivantes.
[34] Au début de l’année 2007, Premier Tech entreprend un processus de « privatisation » afin de redevenir une société fermée.
[35] Dans le cadre de cette opération complexe, le régime d’options d’achat d’actions en place est aboli. Mais, de façon concomitante, un nouveau régime d’options d’achat d’actions est constitué par la société issue de la privatisation, laquelle conserve le nom Premier Tech. De fait, il s’agit du Régime au cœur du présent litige. Je reproduis dès à présent les clauses pertinentes à l’analyse :
3. Admissibilité au Régime
3.01 Le Régime s'adresse à certains actionnaires, administrateurs et équipiers à plein temps de la Société et de ses filiales;
3.02 Seul le conseil d'administration a le pouvoir et il appartient à ce dernier, de temps à autre, d'établir les critères d'admissibilité des personnes aptes à participer au Régime, en tenant compte entre autres de la réalisation d'objectifs précis de rendement, de la rémunération payée, de l'esprit d'initiative et des efforts déployés. »
[…]
6. Durée de l'Option et acquisition des droits de levée
6.01 Chaque Option est en vigueur pour la période déterminée par le conseil d'administration;
6.02 Le droit de lever chaque Option s'acquiert selon la période déterminée par le conseil d'administration et celui-ci s'acquerra au prorata de la période déterminée sur une base mensuelle. »
[…]
8. Conditions particulières
8.01.2 Advenant la cessation des fonctions du Bénéficiaire auprès de la Société pour toute raison autre que son décès, sa retraite ou son invalidité, tout octroi en cours expire à la date de la cessation de ses fonctions, de sorte qu'à compter de cette dernière date, le Bénéficiaire perd tous ses droits dans l'octroi à l'égard des Actions pour lesquelles il n'a pas encore levé son Option, à moins que le conseil d'administration, à sa seule discrétion, n'en décide autrement;
[…]
9.01 La Société est autorisée par les présentes à prêter des fonds, en tout temps et de temps à autre, aux Bénéficiaires qui en font la demande dans le but de leur permettre de financer le paiement du prix de levée des Options qui leur ont été octroyées en vertu du Régime. Dans le cas où le conseil d'administration ou le comité des ressources humaines et de gouvernance d'entreprise déciderait de consentir un tel prêt lors de l'octroi de l'Option, celui-ci devra être attesté par une reconnaissance de dette valable signée par le Bénéficiaire et sera consenti aux termes et conditions suivantes :
[…]
b) remboursement :
le prêt est remboursable par versements mensuels, égaux et consécutifs sur une période de dix (10) années, le premier remboursement débutant le 15 du mois suivant le déboursé du prêt par la Société;
[36] Quant aux actions acquises avant la privatisation par l’exercice des options octroyées en vertu de l’ancien régime d’options d’achat d’actions, elles sont échangées pour des actions de catégorie « B » de la nouvelle société privée. Par ailleurs, société privée oblige, les détenteurs d’actions sont désormais régis par une convention unanime d’actionnaires.
[37] Cette convention unanime d’actionnaires règle de façon précise les modalités applicables au transfert des actions détenues par Dollo et les autres dirigeants ou employés cadres. Elle prévoit notamment que s’ils cessent d’être à l’emploi de la société, par exemple à la suite d’un congédiement, Gestion Bélanger pourra, si elle le souhaite, racheter leurs actions :
7. DISPOSITION D’ACTIONS PAR UN ACTIONNAIRE MINORITAIRE
7.1 Disposition d'actions par un Actionnaire Minoritaire. Un Actionnaire Minoritaire ne peut vendre, disposer ou autrement aliéner ses Actions qu'en conformité des dispositions de la Convention.
[…]
9. OPTION D’ACHAT D’ACTIONS (« CALL« ) EN FAVEUR DE GBB EN CAS DE RETRAIT D’UN ACTIONNAIRE MINORITAIRE
9.1 Option d’achat « Call » en faveur de GBB. Chacun de André Noreau, Henri Ouellet, Germain Ouellet, Christian Dollo et Martin Noël, pris individuellement, à titre d’Actionnaire Minoritaire et/ou pour le compte d’une Société Actionnaire Minoritaire qu’il contrôlera alors, le cas échéant, confère par les présentes à GBB, une option d’achat irrévocable portant sur la totalité des Actions qu’il détient ou contrôle ou pourra alors détenir ou contrôler dans la Société, au prix qui sera alors fixé suivant les dispositions prévues aux termes et conditions ci-après énoncées à l’article 11, advenant son retrait des affaires de la Société, tel que plus amplement décrit à l’Article 10 ci-après. De plus, Caroline Montminy confère par les présentes à GBB, une option d’achat irrévocable portant sur la totalité des Actions qu’elle détient ou pourra alors détenir dans la Société, au prix qui sera alors fixé suivant les dispositions prévues aux termes et conditions ci-après énoncés à l’article 11, advenant le retrait de Martin Noël des affaires de la Société, tel que plus amplement décrit à l’Article 10 ci-après.
9.2 Levée du « Call ». Advenant le retrait de André Noreau, Henri Ouellet, Germain Ouellet, Christian Dollo ou Martin Noël, GBB bénéficiera d’un délai de trente (30) jours à compter de la date de ce retrait ou de la prise de connaissance de ce retrait pour lever l’option mentionnée au présent article en regard des Actions alors détenues ou contrôlés par la personne faisant alors l’objet du retrait des affaires, sur la totalité ou une partie seulement des Actions alors détenues ou contrôlées par cette personne dans la Société et pour aviser de cette acceptation le ou les Actionnaires Minoritaires qu’il représente. De plus, advenant le retrait de Martin Noël, GBB bénéficiera d’un délai de trente (30) jours à compter de la date de ce retrait ou de la prise de connaissance de ce retrait pour lever l’option qui lui est conférée par Caroline Montminy et mentionnée au présent article en regard des Actions alors détenues par Caroline Montminy, sur la totalité ou une partie seulement des Actions alors détenues par Caroline Montminy dans la Société et pour l’aviser de cette acceptation.
9.3 Non levée du « Call ». Advenant le cas où GBB ne lèverait pas l’option qui lui est conférée en vertu du présent article 9, l’Actionnaire Minoritaire n’en restera pas moins lié par les autres dispositions de la Convention.
9.4 Pas de préjudice. L’acceptation ou non de l’offre par GBB ne préjudiciera nullement aux recours ouverts à la Société ou à GBB, le cas échéant, contre l’Actionnaire Minoritaire et vice versa.
[…]
10. RETRAIT DES AFFAIRES
10.1 Cas de retrait. Pour les fins des présentes, chacun de André Noreau, Henri Ouellet, Germain Ouellet, Christian Dollo et Martin Noël, pris individuellement, (ci-après la « Personne Physique ») sera présumé s'être retiré des affaires de la Société lorsque l'un des événements ci-après relatés se réalisera :
[…]
Congédiement - Le fait pour la Personne Physique d'être congédiée par la Société;
[…]
12. PAIEMENT DES ACTIONS
12.1 Principe général relatif au paiement. Aux fins de l'achat par GBB des Actions de tout Actionnaire Minoritaire, tel que prévu à la Convention, le paiement des Actions sera effectué par GBB, à son entière discrétion, dans les soixante (60) jours suivant l'évènement ayant entraîné l'application des dispositions de la Convention ou une fois que la Société aura versé aux Actionnaires des dividendes susceptibles de procurer à GBB la somme nécessaire pour effectuer le paiement en question.
12.2 Limite relative à la capacité de la Société de verser des dividendes. Si GBB décide de procéder au paiement du prix d'achat des Actions seulement une fois qu'elle aurait reçu un dividende suffisant pour couvrir le prix d'achat, le paiement des Actions sera conditionnel à la capacité pour la Société de verser des dividendes à ses Actionnaires, aux termes de ses ententes de financement ou de toute loi ou règlement la régissant.
12.3 Aucun empêchement au versement de dividendes. Advenant que GBB décide de procéder au paiement du prix d'achat des Actions seulement une fois qu'elle aurait reçu un dividende suffisant pour couvrir le prix d'achat et qu'il n'y aurait aucun empêchement au versement de dividendes requis pour permettre à GBB d'effectuer le paiement du prix d'achat des Actions, GBB s'engage à compléter la transaction et à procéder au paiement du prix d'achat des Actions à l'intérieur d'une période maximale de soixante (60) jours suivant la date de l'événement ayant entraîné l'application des dispositions;
12.4 Empêchement au versement de dividendes. Advenant que GBB décide de procéder au paiement du prix d'achat des Actions seulement une fois qu'elle aurait reçu un dividende suffisant pour couvrir le prix d'achat et qu'il y ait empêchement au versement de dividendes requis pour permettre à GBB d'effectuer l'achat des Actions, GBB s'engage à compléter la transaction et à procéder au paiement du prix d'achat des Actions à l'intérieur d'une période maximale de trente (30) jours suivant la date à laquelle la Société sera subséquemment en mesure de verser tels dividendes.
[Je souligne]
[38] Donc, à la suite du processus de privatisation, Dollo détient 60 000 options lui permettant d’acquérir 60 000 actions de catégorie « B » de la nouvelle société Premier Tech issue du processus de privatisation, dont 10 000 des 35 000 octroyées en 2001, les 50 000 restantes étant celles octroyées en 2005. L’exercice de ces options est assujetti aux dispositions du Régime, dont la clause 8.01.2.
[39] Il détient également 25 000 actions de catégorie « B », soit celles émises en échange de ses 25 000 actions ordinaires de la société publique, actions qu’il avait acquises en exerçant 25 000 des 35 000 options octroyées en 2001. Par ailleurs, le transfert de ces actions, au même titre que celles qu’il peut être appelé à acquérir en exerçant ces options, est régi par la convention unanime d’actionnaires.
[40] Le 28 février 2007, dans la foulée de cette privatisation, Dollo se voit octroyer 250 000 options supplémentaires. Ces options lui permettent d’acquérir 250 000 actions de catégorie « B » au prix de 3 $ l’action, dont 200 000 ne peuvent être exercées qu’à raison de 2 381 par mois. Ces options sont valables jusqu’en février 2022. Avant de s’en prévaloir, il doit toutefois exercer 25 000 options parmi celles déjà octroyées, ce qu’il fait le même jour.
[41] Au cours de l’année 2009, la relation de confiance qui existe entre Dollo et le principal dirigeant de Premier Tech, Bernard Bélanger, connaît ses premières difficultés. La sous-performance de la société Premier Horticulture explique cette situation. Bélanger reproche à Dollo d’imputer cette sous-performance à des facteurs externes, tels que le taux de change et les climats atmosphérique et économique défavorables.
[42] En 2010, la performance de Premier Horticulture demeure en deçà des attentes, de sorte que le lien de confiance avec Dollo s’amenuise. Suivant la preuve, c’est à cette époque que Dollo prend connaissance de la clause 8.01.2. Devant la perspective de voir son lien d’emploi prendre fin, la portée de cette clause l’inquiète. Il prend donc l’initiative de discuter de la question avec les principaux dirigeants.
[43] Ces discussions et consultations se tiennent au printemps et à l’été 2010, avant ses vacances.
[44] Relativement à cet aspect du litige, le juge retient que les dirigeants de Premier Tech ont rassuré Dollo en lui disant qu’il n’avait pas à s’inquiéter de son avenir au sein de l’entreprise. Quant aux options qui lui avaient déjà été octroyées, il retient que ces mêmes dirigeants lui auraient indiqué qu’elles allaient lui demeurer acquises, même s’il devait être mis fin à son lien d’emploi.
[45] J’y reviendrai.
[46] À la fin du mois d’août 2010, au retour des vacances de Dollo, l’un de ses principaux collaborateurs démissionne. Cette démission constitue un tournant. Elle provoquera le congédiement inopiné de Dollo.
[47] Voici les circonstances de ce congédiement.
[48] Le 27 août 2010, Bélanger convoque Dollo à son bureau. Il l’informe qu’il est congédié et lui remet une lettre faisant état des conditions de sa fin d’emploi, dont une indemnité d’un an de salaire tenant lieu du délai-congé.
[49] Le même jour, Dollo reçoit également une lettre de Gestion Bélanger l’avisant qu’elle procède au rachat de ses actions dans Premier Tech, conformément aux clauses 7, 9 et 12 de la convention unanime d’actionnaires.
[50] Le 7 septembre 2010, Dollo adresse une lettre aux membres du conseil d’administration de Premier Tech. Il leur dénonce que les motifs avancés par Bélanger pour justifier son congédiement ne constituent pas des « motifs sérieux » au sens de la Loi. Il se plaint également du fait que la lettre du 27 août ne traite pas de ses options, malgré ce qu’on lui avait représenté quelques semaines plus tôt :
[…]
Lors de l’entretien que j’ai eu avec monsieur Bernard Bélanger et qui faisait immédiatement suite à la remise de la lettre contenant la proposition de l’indemnité de départ, j’ai fait remarquer à ce dernier que la proposition de Premier Tech Ltée ne traitait aucunement des options que j’avais acquises en vertu du Régime. J’ai spécifiquement rappelé à ce dernier la teneur d’entretiens que j’avais eus au cours des mois précédents avec lui-même, messieurs Martin Noël et Jean Bélanger au cours desquels ils m’avaient assuré qu’il n’était aucunement dans les intentions de l’employeur de mettre fin à mon emploi et encore moins de ne pas me permettre de réclamer les valeurs accumulées. Quoiqu’il en soit, la discussion sur ce point particulier n’a pas abouti car monsieur Bernard Bélanger s’est contenté de me dire que l’offre soumise visait l’aspect « légal » de la question. Il a ajouté que « pour le reste » il faudrait en rediscuter et m’a invité à rencontrer sur le champ monsieur Germain Ouellet qui prendrait la relève dans ce dossier.
[…]
[Je souligne]
[51] Le 4 octobre suivant, Dollo et Premier Tech conviennent d’une entente réglant tous les aspects de sa terminaison d’emploi, à l’exception de ceux relatifs aux options qui n’avaient pas été exercées le jour de son congédiement. En ce cas, Dollo réserve ses droits, réclamations et recours contre Premier Tech pour l’exercice de ses options, en faisant notamment référence aux recours prévus à la L.c.s.a. :
[…]
Les dispositions du présent reçu-quittance et de la lettre d’entente datée du 4 octobre 2010 ont uniquement pour but de régler à l’amiable les modalités de la terminaison de l’emploi du soussigné auprès de Premier Tech et portent uniquement sur cette question. Sans limiter la généralité de ce qui précède, rien dans le présent reçu-quittance ou dans la lettre d’entente datée du 4 octobre 2010 ne doit être interprété, directement ou indirectement, comme une renonciation ou un abandon de la part du soussigné à ses droits, réclamations ou recours contre Premier Tech ou les actionnaires de Premier Tech découlant du statut d’actionnaire du soussigné au sein de Premier Tech, découlant de la signature par le soussigné de la convention unanime entre les actionnaires de Premier Tech Ltée intervenue à Rivière-du-Loup en date du 26 juillet 2007 ou des droits et recours conférés au soussigné, en sa qualité d’actionnaire, par la Loi canadienne sur les sociétés par actions ou toute autre loi. De la même façon, rien dans le présent reçu-quittance ou dans la lettre du 4 octobre 2010 ne doit être interprété, directement ou indirectement, comme une renonciation ou un abandon du soussigné à ses droits, réclamations ou recours contre Premier Tech ou les actionnaires de Premier Tech découlant de ses droits à titre de « bénéficiaire » des dispositions du Régime d’options d’achat d’actions de Premier Tech Ltée adopté le 28 février 2007 y compris, sans limiter la généralité de ce qui précède, tous les droits acquis à titre de « bénéficiaire » dans les divers régimes d’options d’achat d’actions adoptés par Premier Tech antérieurement à celui du 28 février 2007 y compris tous les recours conférés par la Loi canadienne sur les sociétés par actions ou toute autre loi en sa qualité de « bénéficiaire » en vertu des régimes ci-haut mentionnés.
[…]
[Je souligne]
[52] Le 25 octobre 2010, Gestion Bélanger acquiert les 71 100 actions détenues par Dollo.
[53] Puis, le 16 décembre 2010, le conseil d’administration de Premier Tech refuse de permettre à Dollo d’exercer ses options.
[54] Relativement à cette décision, le juge estime que les administrateurs de Premier Tech ont fait fi de leurs devoirs et obligations. Il leur reproche d’avoir favorisé les intérêts de Bélanger et de sa société Gestion Bélanger. D’ailleurs, il relève au passage que ces derniers avaient tout intérêt à ce que Dollo ne puisse pas exercer ses options, puisque c’est Gestion Bélanger qui allait éventuellement devoir les racheter[2].
[55] Je reviendrai également sur cette question.
[56] Le 24 mars 2011, Dollo intente une requête en nullité et en oppression.
[57] Par ce recours, il demande au tribunal de déclarer la clause 8.01.2 abusive, nulle et, de ce fait, inopposable. Il requiert également l’autorisation d’exercer les options qu’il détenait au moment de son congédiement et réclame le rachat immédiat des actions acquises lors de cet exercice, ou, subsidiairement, une condamnation équivalant au bénéfice résultant de cette opération.
[58] Le procès se tient devant le juge du 19 au 26 juin et les 10 et 11 septembre 2013.
2.3 Le jugement
[59] Le 21 novembre 2013, le juge rend jugement.
[60] Il fait droit à la demande de Dollo. Il lui permet d’exercer ses options, malgré la clause 8.01.2 du Régime qu’il déclare abusive et nulle. Il ordonne à Premier Tech d’émettre 207 619 actions de catégorie « B » et de financer le prix d’achat conformément au Régime. Il ordonne également à Gestion Bélanger de procéder au rachat de ces actions dans les 15 jours du jugement.
[61] Il estime que le Régime constitue un contrat d’adhésion au sens de l’article 1379 C.c.Q. et que la clause 8.01.2 du Régime est abusive. Il est également d’avis qu’en sa qualité d’actionnaire de Premier Tech au moment du congédiement, Dollo pouvait se prévaloir de la L.c.s.a. Sur le fond, il conclut que l’effet combiné de la clause 8.01.2 et du congédiement constitue un abus au sens de l’article 241 L.c.s.a.
[62] Toutefois, pour une raison inexpliquée, le juge ne tient pas compte de la principale prétention de Dollo en regard de l’article 241 L.c.s.a.
[63] Je rappelle sa position.
[64] Il soutenait que n’eût été l’assurance donnée par les dirigeants, celle voulant que les options déjà octroyées lui demeureraient acquises même si son lien d’emploi devait prendre fin, il se serait empressé d’exercer ses options. Il reprochait donc au conseil d’administration de ne pas avoir corrigé l’injustice découlant de ces déclarations trompeuses, malgré la discrétion qu’il pouvait exercer à cet égard.
[65] Cet aspect du litige me semble fondamental. Il s’agissait du principal argument de Dollo. D’ailleurs, il réitère sa position en appel.
[66] J’aborderai donc cette question.
3 - LES MOYENS D’APPEL
[67] Tel que mentionné, les appelantes Premier Tech et Gestion Bélanger font valoir quatre moyens. Elles sont d’avis que :
1. Dollo a fait l’objet d’un congédiement pour cause, de sorte qu’il n’avait droit à aucune indemnité tenant lieu de délai-congé, y incluant le bénéfice d’exercer ses options, vu la clarté de la clause 8.01.2 du Régime. Toutefois, elles précisent que même en considérant qu’il s’agissait d’un congédiement sans cause juste et suffisante, la clause 8.01.2 du Régime fait malgré tout échec à son recours, d’autant qu’il a reçu une indemnité tenant lieu de délai-congé pour laquelle il s’est déclaré satisfait;
2. Le Régime ne constitue pas un contrat au sens de l’article 1378 C.c.Q. et ne peut donc pas être qualifié de contrat d’adhésion au sens de l’article 1379 C.c.Q. En conséquence, la clause 8.01.2 ne pouvait être qualifiée d’abusive. Selon elles, le Régime constitue plutôt un règlement administratif autorisant la société à octroyer des options à certains dirigeants, employés ou actionnaires en vue d’acquérir des actions, ces options tenant lieu d’une promesse de contracter au sens de l’article 1396 C.c.Q.;
3. Dollo ne peut se qualifier à titre de plaignant au sens de l’article 241 L.c.s.a. Sur le fond, elles plaident que l’effet conjugué de la clause 8.01.2 et du congédiement n’est pas source d’abus, comme l’a décidé le juge. Elles ajoutent qu’en refusant d’exercer la discrétion que leur confère la clause 8.01.2 pour permettre à Dollo d’exercer ses options, le conseil d’administration de Premier Tech n’a commis aucun abus ou oppression au sens de l’article 241 L.c.s.a.;
4. Les ordonnances prononcées forçant l’exécution en nature, c’est-à-dire l’émission des 207 619 actions de catégorie « B » correspondant aux 207 619 options octroyées à Dollo, le financement du prix d’achat de ces actions (612 857 $) par Premier Tech et enfin, le rachat de ces actions par Gestion Bélanger, ne pouvaient être ordonnées. Du fait que le juge a considéré que les options octroyées constituaient « un droit de créance associé à son contrat d’emploi », elles plaident que Dollo devait réclamer des dommages-intérêts.
4 - LES QUESTIONS EN LITIGE
[68] À l’audience, les appelantes identifient les questions en litige[3]. Je me propose de reprendre ces questions, mais en modifiant leur formulation ainsi que l’ordre dans lequel je vais les aborder :
1. Dollo a-t-il fait l’objet d’un congédiement avec cause au sens de l’article 2094 C.c.Q.?
2. Le Régime constitue-t-il un contrat d’adhésion au sens de l’article 1379 C.c.Q.?
3. S’il s’agit d’un contrat, la clause 8.01.2 est-elle abusive? Le juge pouvait-il interpréter cette clause en ayant recours aux témoignages d’experts?
4. Dollo était-il un « plaignant » au sens de l’article 241 L.c.s.a.? En d’autres termes, pouvait-il intenter un recours en oppression?
5. Dans l’affirmative, a-t-il été victime d’abus et d’iniquité au sens de cette disposition?
6. Le juge pouvait-il ordonner une exécution en nature? Dans la négative, la Cour peut-elle substituer une conclusion en dommages?
5 - ANALYSE
Question 1: Le congédiement
[69] Dans son jugement, le juge écarte l’argument de Premier Tech selon lequel Dollo aurait fait l'objet d'un « congédiement administratif non disciplinaire » fondé sur la performance insatisfaisante de Premier Horticulture. Il considère qu’en l’espèce, la non-atteinte des objectifs financiers et la perte de confiance en découlant ne pouvaient justifier le congédiement de Dollo.
[70] Il fonde sa conclusion sur une analyse minutieuse de la preuve, de même que sur les principes dégagés par la Cour dans l’arrêt Costco Wholesale Canada c. Laplante[4]. Le juge écrit :
[278] Lors du congédiement, aucun motif n’est évoqué par écrit. Au contraire, avant même que Monsieur Dollo ne la demande, une indemnité équivalente à un an de salaire est immédiatement offerte. Tout au plus, Monsieur Bernard Bélanger évoque-t-il, lors de cette courte rencontre, son manque de leadership et la non-atteinte de ses objectifs financiers.
[279] Non seulement lui verse-t-on l'indemnité maximale qu'a l'habitude de verser l'entreprise, suivant les dires de Madame Line Lamarre, mais en plus, Monsieur Germain Ouellet lui confirme que Premier Tech renonce aux obligations de non-concurrence qu'il avait souscrites afin de lui permettre de se trouver un emploi plus facilement. Monsieur Ouellet reconnaît de plus que la terminaison de l'emploi est « imputable » à Premier Tech.
[280] Monsieur Dollo ne connaît les motifs de congédiement qu'une fois les procédures de Premier Tech déposées.
[281] Lors du procès, Premier Tech insiste, chiffres à l’appui, que les budgets ne sont pas atteints. Les dirigeants et administrateurs entendus soutiennent que les résultats financiers ne sont pas au rendez-vous. Ils ajoutent que Monsieur Dollo fait porter à la valeur du dollar canadien, au prix du pétrole, aux conditions économiques défavorables et à la température l'odieux des résultats non atteints.
[282] Dans les faits, l'une des informations utilisées par Monsieur Dollo est le document des prévisions du département américain de l'Agriculture de juin 2010 relatif à l'année 2009. Dans ce rapport, on peut constater que le marché des plantes de jardins régresse quelque peu en un an. Cela soutient ses affirmations que la croissance est difficile.
[283] De plus, en 2012, pour expliquer les résultats enregistrés deux ans après le départ de Monsieur Dollo, il est intéressant de lire les commentaires de Monsieur Jean Bélanger à titre de président et chef des opérations de Premier Tech contenus dans le Rapport annuel de l'entreprise :
« Ce qui me vient spontanément à l'esprit, c'est le contexte économique très instable de la majorité des pays dans lesquels nous faisons des affaires et le niveau intense de compétition avec lequel nous avons dû composer. Même si l'année n'a pas été facile, l'équipe Premier Tech, elle, est demeurée concentrée sur les objectifs à atteindre à court, à moyen et à long terme.
Mais ce contexte n'est pas nouveau. En effet, depuis maintenant près de dix ans, soit depuis le printemps 2003, la majorité des entreprises canadiennes affrontent une «tempête parfaite»!
La force du dollar canadien, l'augmentation du prix des matières premières, la montée en flèche du prix du pétrole et de ses produits dérivés… Ajoutez à cela la récession de l'automne 2008 et la crise financière qui perdure depuis, et vous avez un environnement des plus difficiles pour les affaires; celui-ci exige de Premier Tech un niveau d'intensité et d'exécution sans précédent depuis la diversification de ses activités, amorcée il y a maintenant près de 30 ans, dans le secteur de l'horticulture, sa spécialisation d'origine.
(…)
Cette diversification ne peut toutefois pas protéger l'entreprise (…) des (…) bouleversements des dernières années…
À cet égard, Premier Tech a été confrontée à un obstacle particulier qui a eu des conséquences majeures sur sa performance de la dernière année: la température. En effet, le printemps et l'été 2011 ont été marqués par le mauvais temps, ce qui a fait en sorte que les consommateurs nord-américains ont moins jardiné. »
[284] Le Tribunal remarque que le chef des opérations, administrateur et actionnaire majoritaire (à travers GBB) justifie les mauvais résultats par la crise financière, le dollar canadien, le prix du pétrole et la température. Alors, ces motifs semblent justifiés. Mais quand, en 2010, juste auparavant, Monsieur Dollo en fait autant pour expliquer la stagnation du chiffre d'affaires, cela devient un motif de congédiement.
[285] Si les résultats sont mauvais de manière répétitive, comment expliquer qu'en 2010, l'entreprise verse un boni de 53 750 $ à Monsieur Dollo pour les résultats obtenus au cours de l'année financière se terminant en février 2009. Or, en même temps et pour l'année 2009, Premier Tech lui reproche également de ne pas avoir atteint ses objectifs.
[286] Premier Tech met en preuve qu'une fois Monsieur Dollo congédié, la filiale n'obtient pas de meilleurs résultats de vente au cours des deux années qui ont suivi.
[287] Le Tribunal estime que, tout au plus, Premier Tech pourrait ne peut se fonder sur ce motif pour tirer sur le messager. reprocher à Monsieur Dollo d'avoir surestimé les ambitions de ventes de la filiale et d'avoir engagé des capitaux en conséquence. Cependant, compte tenu de la preuve du contexte économique difficile, Premier Tech ne peut se fonder sur ce motif pour tirer sur le messager.
[288] Peut-être Monsieur Dollo a-t-il de grands appétits pour la filiale dont il est responsable, mais la prépondérance de la preuve révèle que les dirigeants et le conseil d'administration l'ont toujours appuyé pendant ces années. Ce motif de congédiement ne convainc pas.
[289] Lors de l'audience, malgré ce qui est dit et répété dans la défense amendée de Premier Tech («non-atteinte des objectifs financiers»), Monsieur Jean Bélanger prétend devant le Tribunal que 70 % des motifs du congédiement sont en lien avec le comportement de Monsieur Dollo et 30 % avec les insuccès financiers de la filiale dont il est responsable. Voyons ce motif qui prend maintenant le devant de la scène.
[290] Ce changement de comportement aurait eu lieu au cours des deux années précédant son congédiement.
[291] Il semble exact que Monsieur Dollo a pu avoir de vives réactions envers certains employés à une occasion ou l'autre en présence de collègues. Peut-être n'était-ce pas approprié?
[292] Certes, il a été averti de ne plus recommencer le 7 juillet 2010 par la vice-présidente au développement organisationnel. Aucune preuve ne permet de croire qu'il recommence. Bien plus, embarrassé par une question du Tribunal, ce témoin admet qu'elle n'a pas le mandat de prévenir Monsieur Dollo que, si ce comportement se reproduit, il pourrait être congédié.
[293] Ce motif de comportement survient trop tard dans le processus pour être crédible. Il se produit à trois reprises et, averti de ne pas recommencer, Monsieur Dollo ne recommence pas. Le Tribunal n’est pas davantage convaincu de ce motif.
[Références omises - Transcription intégrale]
[71] En appel, Premier Tech soutient que le juge a eu tort de conclure à un congédiement sans cause.
[72] Elle plaide qu’il aurait commis une erreur de droit en examinant le congédiement de Dollo sous l’angle des critères de l’arrêt Costco[5], lesquels sont applicables à un cadre intermédiaire. Elle ajoute que le juge aurait dû s’inspirer des critères énoncés dans l’arrêt Sirois c. O’Neill[6] qui, selon elle, énoncerait le principe voulant que le congédiement d’un haut dirigeant en raison d’une perte de confiance s’avère justifié.
[73] À mon avis, elle a tort.
[74] Je suis en désaccord avec son interprétation de l’arrêt Sirois c. O’Neill. Dans cette dernière affaire, la Cour n’a pas énoncé que le congédiement d’un haut dirigeant en raison d’une perte de confiance s’avère, dans tous les cas et pour cette seule raison, justifié.
[75] La Cour a plutôt considéré que le juge de première instance avait commis une erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation de la preuve, en ne retenant pas que le chef de direction congédié n’avait pas satisfait aux lourdes responsabilités qu’il s’était vu confier. Cet arrêt tend plutôt à démontrer qu’à l’égard d’un haut dirigeant, le motif sérieux du congédiement demeure une question de fait[7] :
Le fardeau de prouver que le congédiement a été fait pour un motif sérieux repose sur l'employeur. Il s'agit là d'une lourde tâche, surtout si les motifs de licenciement sont subjectifs.
En l'espèce, je suis d'avis que les appelants ont réussi à rencontrer leur fardeau de preuve et que le juge de première instance a commis une erreur en ne l'ayant pas reconnu, bien qu'il ait écrit:
Mr. Sirois' dismissal of Martin O'Neill was certainly not without some foundation. Several members of the team were critical of Mr. O'Neill's management style and deportment. They were frustrated and demoralized. Their "malaise" was monitored by André Tremblay from late January 1995 to the time of his dismissal. By mid-April 1995, two members of the team had resigned. The EDS representatives then added insult to injury by their vigorous attack on Microcell's business plan, licence application and it's (sic) president, all in the presence of the team. This aggressive action - Pierre Sarault opined that the EDS representative "a démoli le plan" - may well have destroyed whatever credibility Martin O'Neill still enjoyed from amongst the disaffected members of the team.
Le juge a commis une double erreur: d'une part, il n'a pas tenu compte des obligations rigoureuses inhérentes à la tâche confiée à l'intimé, qui en était essentiellement une de direction, de management et d'organisation; d'autre part, il a conclu à collusion pour congédier l'intimé, alors que la preuve ne soutenait pas une telle conspiration.
L'intimé s'était vu confier de lourdes responsabilités; il ne les a pas remplies, principalement celle de mettre sur pied une équipe unie.
[Je souligne]
[76] Cette lecture de l’arrêt O’Neill semble également partagée par les auteurs Audet, Bonhomme et Gascon[8]:
4.2.23 L’employé qui est engagé dans le but de remplir un poste de cadre, et d’exercer effectivement certaines responsabilités au sein d’une entreprise, garantit implicitement qu’il possède les qualités et les talents appropriés pour accomplir les tâches qui lui sont assignées, faute de quoi il pourra être congédié pour cause.
4.2.24 D’ailleurs, dans l’arrêt rendu par la Cour d’appel Sirois c. O’Neill, C.A. Mtl, D.T.E. 99T-598, la Cour a renversé le jugement de première instance ayant accueilli l’action du demandeur congédié pour incompétence. La Cour d’appel a jugé que le tribunal de première instance avait commis une erreur en concluant ainsi, n’ayant pas tenu compte des obligations rigoureuses inhérentes à la fonction de président-directeur général pour laquelle il avait été engagé, soit essentiellement une tâche de direction, de management et d’organisation. […]
[Je souligne - Référence omise]
[77] La notion de « motif sérieux » qui se trouve à l’article 2094 C.c.Q. s’applique à tous les salariés, quel que soit leur rang hiérarchique. Le motif sérieux ou la cause juste et suffisante pouvant justifier un congédiement sans délai-congé est un manquement grave et répété du salarié d’assumer ses obligations, lequel est déterminé en tenant compte des circonstances propres à chaque cas.
[78] La perte de confiance ne peut constituer, à elle seule, sans la preuve d’un manquement grave et répété, une « cause juste et suffisante » justifiant un congédiement sans indemnité, au sens de l’article 2094 C.c.Q.
[79] Je conviens que la rupture du lien de confiance envers un haut dirigeant peut être l'occasion de son congédiement. Cela n’a rien de surprenant, d’autant qu’en droit québécois, la résiliation unilatérale d’un contrat de travail à durée indéterminée est admise, même s’il n’existe aucun motif justifiant pareil congédiement[9]. Toutefois, en un tel cas, l’employeur demeure tenu de verser une indemnité tenant lieu du délai-congé[10].
[80] En l’espèce, je le répète, le juge a pris grand soin d’évaluer l’ensemble des circonstances ayant mené au congédiement de Dollo. De cette preuve, il retient que Premier Tech n’a aucunement établi qu’il s’agissait d’un congédiement pour cause. Au contraire, il estime que les moyens visant à établir la cause juste et suffisante de ce congédiement ont été soulevés a posteriori, de façon opportuniste.
[81] Vu le défaut de Premier Tech d’identifier une erreur déterminante commise par le juge dans son analyse de la preuve et les conclusions qu’il en tire, j’estime qu’il n’y a pas lieu d’intervenir sur cette question.
[82] Cela dit, je m’empresse d’ajouter que la qualification du congédiement, à savoir s’il s’agit d’un congédiement avec ou sans motif sérieux au sens des articles 2091 et 2094 C.c.Q., est sans pertinence sur le sort de l’appel.
[83] Comme je l’explique ci-après, en assurant à Dollo que ses options n’étaient pas à risque dans l’éventualité où il serait congédié, et ce, quelques mois avant son congédiement, en empruntant l’expression « ce qui est gagné est gagné », les dirigeants de Premier Tech, agissant alors à la demande de son actionnaire de contrôle, l’ont induit en erreur.
[84] Pour cette raison, j’estime Premier Tech n’est pas recevable à lui opposer la clause 8.01.2.
[85] J’y reviendrai en répondant à la question 5 relativement au bien-fondé du recours en oppression.
Question 2 : La nature juridique du Régime
[86] Faisant écho à l’un des arguments plaidés par Dollo, le juge estime que le Régime constitue un véritable contrat d’adhésion au sens de l’article 1379 C.c.Q. puisqu’à aucun moment, Dollo n’a eu l’opportunité d’en négocier les termes. Il considère que ce Régime, dont le principal objectif vise à « promouvoir une mesure incitative de rémunération à long terme », est un outil de rétention des employés clés.
[87] Qu’en est-il?
[88] Règle générale, un régime d’options d’achat d’actions ne constitue pas, en lui - même, un contrat, du moins tant que les options ne sont pas octroyées aux personnes désignées à titre de bénéficiaires.
[89] Par contre, une fois les options octroyées, la société prend un engagement : celui d’émettre les actions auxquelles donnent droit les options dès lors que le bénéficiaire manifeste son intention de les prendre en considération. Bien qu’unilatéral, cet engagement ou promesse n’en constitue pas moins un contrat[11], le bénéficiaire pouvant forcer la société à conclure le contrat envisagé en levant ses options.
[90] J’appuie mon raisonnement sur les articles 1380 C.c.Q. alinéa 2 et 1396 alinéa 1 C.c.Q. :
[91] Si la promesse unilatérale constitue l’engagement d’une seule partie, au moment où le bénéficiaire exerce l’option à lui consentie, un contrat synallagmatique intervient alors. À compter de la levée de l’option, le promettant et le bénéficiaire sont désormais tenus de respecter leurs engagements respectifs selon ce que prévoit le Régime. À ce sujet, les auteurs Baudouin, Jobin et Vézina écrivent[12] :
190 - Promesse unilatérale - Dans la promesse unilatérale, aussi appelée « option », l'engagement de conclure le contrat est pris par une seule des deux parties. L'acceptation des termes de cette promesse par l'autre réunit alors les volontés contractuelles et parfait l'engagement. Bien qu'elle ne transfère pas la propriété du bien, la promesse lie son auteur, et le refus de l'honorer donne au bénéficiaire l'ensemble des recours en responsabilité civile contractuelle prévu à l'article 1590 du Code civil. En matière de vente immobilière, l'acceptation de la promesse unilatérale de vente (appelée aussi levée de l'option) permet à l'acheteur de se pourvoir en passation de titre.
L'article 1396, alinéa 1, reconnaissant la difficulté de distinguer la promesse unilatérale de l'offre à personne déterminée, pose la règle que cette dernière constitue bel et bien une promesse de contracter, à condition cependant que son destinataire manifeste clairement son intention de prendre l'offre en considération et de donner sa réponse soit dans le délai fixé par l'offrant, soit dans un délai raisonnable.
[Je souligne - Références omises]
[92] Dans l’affaire Guénette c. Nurun[13], le juge Pierre Tessier de la Cour supérieure s’est penché sur la question. Il a retenu que le régime d’options d’achat d’actions au cœur du litige dont il était saisi participait à la fois de la promesse unilatérale de contracter (art.1388 à 1397 C.c.Q.), de l’obligation conditionnelle (art. 1497 à 1507 C.c.Q.) et de l’obligation à terme suspensif (art. 1508 à 1517 C.c.Q.) :
[64] […] Ce droit d’options d’achat d’actions, de nature hybride, participe à la fois de la promesse unilatérale de contracter (art. 1388 à 1397 C.c.Q.), de l’obligation conditionnelle (art. 1497 à 1507 C.c.Q.) et de l’obligation à terme suspensif (art. 1508 à 1517 C.c.Q.).
[65] Le droit d’options découle d’une promesse unilatérale irrévocable de contracter de la part d’Intellia, consentie le 6 janvier 1999, qui s’engage préalablement et irrévocablement à lui émettre des actions s’il désire en devenir un souscripteur. Cette dernière fixe le prix de souscription de l’action, sans toutefois en garantir la valeur aux livres ou la juste valeur marchande qui peut fluctuer. Intellia s’engage à lui émettre des actions provenant de son capital social s’il choisit d’exercer ce droit par la levée de l’option, moyennant la réalisation d’une condition en 1999, soit la mise en place d’un régime d’options d’achat d’actions, ou à défaut, à l’expiration d’un terme suspensif, à compter du 1 janvier 2000. La levée de l’option dépend d’une condition simplement potestative, dont l’accomplissement découle de la seule volonté de Guénette et d’un élément extérieur, soit la valeur de l’action eu égard au prix de souscription.
[66] Le second alinéa de l’article 1396 C.c.Q. énonce : « La promesse, à elle seule, n’équivaut pas au contrat envisagé; cependant, lorsque le bénéficiaire de la promesse l’accepte ou lève l’option à lui consentie, il s’oblige alors, de même que le promettant, à conclure le contrat, à moins qu’il ne décide de le conclure immédiatement ». Par la levée de l’option, le bénéficiaire accepte l’offre. Intellia n’est pas obligée d’abréger le terme suspensif pour permettre l’exécution en nature de l’obligation avant échéance; le bénéficiaire de l’option n’est pas obligé de la lever ou non. Guénette jouit d’un droit contractuel conditionnel à acquérir si bon lui semble à l’expiration du terme convenu un intérêt dans le capital social d’Intellia. L’option ne lui confère pas le statut d’actionnaire, soit celui d’un détenteur inscrit d’une action ordinaire lui conférant un droit de vote, accompagnée d’un certificat. Le bénéficiaire de l’option est dans une position semblable à celle de toute personne qui, intéressée au marché boursier, pourrait décider d’acquérir ou de ne pas acquérir des actions d’une société commerciale suivant leur juste valeur marchande - à la différence, que leur prix d’acquisition est ici fixé d’avance en fonction d’un nombre défini d’actions, le tout formant une considération préétablie à être payée en cas de souscription. Le profit liquide et quantifiable ne surviendra qu’au moment de leur vente à un tiers.
[93] Cette approche semble également avoir été retenue par la professeure Raymonde Vatinet de l’Université de Paris Descartes. Dans plusieurs articles portant sur les régimes d’options d’achat d’actions[14], elle affirme que ces régimes constituent généralement une promesse irrévocable de contracter, assortie de termes et de conditions.
[94] Cela dit, il me paraît imprudent, voire même périlleux de conclure à une règle générale. Un examen de la jurisprudence portant sur ces questions démontre que parfois un régime d’options d’achat d’actions peut constituer un véritable contrat, lorsque, par exemple, le contrat d’emploi y fait expressément référence ou, encore, prévoit la possibilité d’octroi d’options[15].
[95] Tout est affaire de circonstances.
[96] En l’espèce, le juge a considéré que le Régime, du fait qu’il accordait une forme de rémunération à Dollo, constituait un prolongement de son contrat de travail.
[97] À quelques nuances près, je partage sa conclusion.
[98] À mon avis, le Régime n’est pas en soi partie intégrante du contrat de travail de Dollo, mais il en est devenu un accessoire ou « un prolongement », à tout le moins implicitement, au moment où des options lui ont été octroyées. S’agissant d’une forme de rémunération à long terme, les options du Régime faisaient dès lors partie de ses conditions de travail et donc de son contrat de travail.
[99] Ainsi la question visant à déterminer si le Régime, une fois les options octroyées, constitue en soi un contrat d’adhésion, doit être analysée dans le contexte global du contrat de travail.
[100] Je rappelle les principes applicables.
[101] Voici comment les auteurs Baudouin, Jobin et Vézina distinguent le contrat d’adhésion du contrat de gré à gré[16] :
62 - Importance de la classification - Le contrat de gré à gré, également nommé contrat de libre discussion, est celui pour la conclusion duquel les parties négocient d'égal à égal. Il est le fruit de concessions mutuelles. Dans le contrat d'adhésion au contraire, l'une des parties perd la faculté de libre négociation des conditions de son engagement, en se voyant imposer d'avance les éléments essentiels du contrat et en ne gardant que le choix, parfois purement théorique, de contracter ou de ne pas contracter. […]
[102] Ils rappellent qu’en adoptant l’article 1379 C.c.Q, le législateur a clairement défini le contrat d’adhésion[17] :
63 - Notion - Le concept de contrat d'adhésion n'est plus laissé à la discrétion de la jurisprudence et de la doctrine, comme c'était le cas à l'époque du Code civil du Bas Canada. Lors de la réforme du Code civil, le législateur s'est appliqué à le définir. Dans cette définition, il ne s'est pas attaché au rapport inégal des forces entre les parties; […]
Le législateur a retenu deux éléments : il y a contrat d'adhésion quand les stipulations essentielles du contrat ne pouvaient être librement discutées, et qu'elles ont été imposées par une partie, rédigées par elle, pour son compte ou suivant ses instructions. Tout contrat dont on ne démontre pas qu'il correspond à cette définition est un contrat de gré à gré, lequel a le statut de contrat de droit commun. […]
[…]
Le second élément du contrat d'adhésion tient dans le fait que les stipulations essentielles « ont été imposées par l'une des parties ou rédigées par elle, pour son compte ou suivant ses instructions » (art. 1379 C.c.Q.). Il s'agit là d'un élément qui s'ajoute au précédent : il ne saurait donc le remplacer. À elle seule l'origine des termes de la convention ne suffit pas à créer un contrat d'adhésion.
[Références omises]
[103] En l’espèce, je reconnais qu’une fois les options octroyées, le Régime possède tous les attributs d’un contrat d’adhésion au sens de l’article 1379 C.c.Q. Bien que le bénéficiaire ait le choix de lever ou non les options, il demeure que les modalités applicables lors de l’octroi et de l’exercice des options lui sont imposées. À cet égard, les auteurs Baudoin, Jobin et Vézina écrivent[18] :
De même, si une partie peut choisir entre diverses options, sans que le contenu de celles-ci soit négociable, d’après nous, il n’y aura pas, pour autant, contrat de gré à gré.
[104] Toutefois, dans le contexte où le Régime constitue, à l’égard de Dollo, un prolongement de son contrat de travail, il faut considérer la question de l’adhésion plus globalement, en tenant compte de toutes les autres stipulations du contrat de travail. Si les options consenties à Dollo constituent un avantage important, il ne s’agit pas du seul avantage que lui procure son contrat de travail.
[105] Or, bien que je doute que le contrat de travail de Dollo puisse être qualifié d’un contrat d’adhésion, rien ne me permet de me prononcer.
[106] Quoi qu’il en soit, cet aspect du contentieux ne me paraît pas déterminant puisque, en définitive, j’estime que la clause 8.01.2 n’est pas abusive.
Question 3 : Le caractère abusif de la clause 8.01.2
[107] D’entrée de jeu, j’estime utile de faire une remarque en lien avec la preuve sur laquelle le juge s’est fondé pour conclure que la clause 8.01.2 s’avère abusive au sens de l’article 1437 C.c.Q. À mon avis, le juge aurait dû se garder d’avoir recours à la preuve d’expert pour déterminer si cette clause était ou non abusive. Règle générale, une telle caractérisation est du ressort exclusif du tribunal.
[108] Je reconnais que la preuve par expert est, de façon générale, une question de fait laissée à l’appréciation du juge de première instance[19].
[109] Toutefois, un juge ne devrait pas, sauf circonstances exceptionnelles, avoir recours à une telle preuve lorsqu’il est appelé à interpréter un acte juridique ou un contrat[20], à moins bien entendu que cette interprétation emporte des questions scientifiques ou techniques revêtant une certaine complexité, comme l’explique l’auteur Jean-Claude Royer[21] :
466 - Utilité de l'expertise - La première condition préalable à la recevabilité d'une expertise est que celle-ci soit de nature à aider le tribunal à comprendre les faits et à apprécier la preuve. Il faut donc que le litige porte sur des questions scientifiques ou techniques d'une certaine complexité. Lorsque les faits sont simples et que le juge est aussi capable que l'expert de les comprendre et de déduire les conclusions qui en découlent, l'expertise n'est pas admissible. […] Une opinion n’est cependant ni nécessaire, ni pertinente pour décider de la question de droit que le tribunal doit trancher […]
475 - Question de droit - Crédibilité d’un témoin - L’opinion du témoin doit cependant rester dans les limites de son expertise et ne pas empiéter sur ce qui est du ressort exclusif du juge. Aussi, les tribunaux sont très réticents à recevoir une opinion légale d’un expert ou son avis sur la crédibilité d’un témoin. […].
[Références omises]
[110] J’ajoute que l’exercice auquel s’est prêté l’expert de Dollo, soit celui de comparer différents régimes d’options d’achat d’actions pour démontrer le caractère inhabituel de la clause 8.01.2, me paraît aléatoire et non pertinent. Une clause généralement utilisée dans un contrat d’adhésion n’est pas, pour ce seul motif, licite. De la même façon, une clause inhabituelle n’est pas, de ce seul fait, illicite et abusive.
[111] Sur le fond, j’estime que la clause 8.01.2 n’a rien d’abusif, d’autant qu’elle accorde au conseil d’administration de Premier Tech le pouvoir de passer outre à la règle qu’elle renferme. L’abus, s’il en est, ne résulte pas ici de l’application de la clause en tant que telle, mais plutôt du refus du conseil d’administration de corriger les iniquités pouvant en résulter, question que j’aborde ci-après.
[112] J’ajoute que cette clause du Régime n’a, à cet égard, rien de singulier comme le laisse entendre le juge.
[113] À titre illustratif, dans l’un de ses nombreux articles portant sur les régimes d’options d’achat d’actions, la professeure Vatinet affirme qu’en droit français, les clauses prévoyant la caducité des options octroyées à un salarié en cas de rupture du contrat de travail ont été reconnues valides et opposables au salarié. Elle fonde sa conclusion sur quelques précédents de la Cour de cassation[22] :
On sait qu’une option de souscription ou d’achat d’actions consentie à un salarié est normalement irrévocable, sauf à ce que le règlement du plan d’options l’ait assortie de conditions résolutoires. On sait aussi que la condition de présence dans l’entreprise au jour de la levée de l’option est fréquemment prévue, dont la validité de principe a été admise (Cass. soc., 20 oct. 2004 : RJS 2005, n° 66) sous réserve que le règlement soit bien opposable au salarié auquel il doit avoir été communiqué (Cass. soc., 15 janv. 2002, Go sport : Juris-Data n° 2002-012524; Dr. soc. 2002, p. 690, note R. Vatinet). Il reste à préciser selon quelles modalités cette communication doit avoir lieu.
[114] Certes, si la position retenue par les tribunaux français ne saurait être appliquée mutadis mutandis en droit québécois, elle démontre tout de même qu’une telle clause n’est pas aussi exceptionnelle que l’a laissé entendre l’expert de Dollo en première instance. Et je réitère qu’ici, l’abus ne découle pas de la clause en elle-même, mais du refus du conseil de passer outre la règle qu’elle renferme.
Question 4 : Le statut de plaignant au sens de l’article 241 L.c.s.a.
[115] Dans son jugement, le juge conclut que Dollo, en tant que personne à qui l’on a promis des actions, possède les qualités de plaignant au sens des articles 238 et 241 L.c.s.a. Il fonde sa conclusion sur un arrêt de la Cour, Garage Technology Ventures Canada, s.e.c. (Capital St-Laurent, s.e.c.) c. Léger[23], une affaire qui, selon lui, présente des similitudes avec le présent dossier :
[306] Eu égard à la notion d’intérêt du plaignant pour instituer pareille procédure, en vertu de l’article 238 de la LCSA, un tribunal peut reconnaître le statut de plaignant à une personne à qui on a promis une part du capital-actions.
[307] Lors de la décision du conseil d’administration, Monsieur Dollo n’est plus un actionnaire.
[308] À ce sujet, Monsieur le juge Richard Wagner, alors à la Cour d’appel, écrit en regard de faits qui peuvent s’apparenter à la présente affaire :
« [48] Les appelants font valoir que Léger n’a pas exercé son option d’achat du tiers du capital-actions et ne peut donc se qualifier de plaignant au sens de l’article 238 de la Loi. Ils rappellent que l'entente obligeait Léger à exercer son option d'achat avant le 18 décembre 2007. Bons princes, ils ajoutent qu'une prolongation a été accordée jusqu'au 20 décembre 2007. En raison de sa procrastination, elle ne peut plus prétendre exercer les droits d'un actionnaire.
[49] Sur ce point, la juge constate, dans les faits, que Léger n’est pas une détentrice inscrite de valeurs mobilières de la société, mais considère qu’elle est néanmoins la véritable propriétaire du tiers du capital-actions au sens de la loi. J'estime qu'elle a raison de conclure ainsi. »
[309] Les auteurs Violette Leblanc et Benoît Lapointe font une révision de la jurisprudence sur le statut de plaignant et concluent ainsi :
« En définitive, cette analyse a permis de déterminer que les tribunaux font une large place aux attentes contractuelles des parties lorsqu’ils se prononcent sur la question du statut de plaignant. Ils accorderont également ce statut lorsque le demandeur a rempli toutes ses obligations, lorsqu’il a été empêché de le faire par la société ou lorsque son cocontractant lui a laissé entendre que l’exécution de ses obligations pouvait être remise à une date ultérieure. »
[Je souligne]
[116] En appel, Premier Tech et Gestion Bélanger contestent cette conclusion, et ce, bien qu’elles n’aient pas opposé ce moyen en première instance, pas plus d’ailleurs que dans leur inscription en appel. Elles sont d’avis que cette conclusion est mal fondée en droit, le détenteur d’options d’achat d’actions ne pouvant se qualifier à titre de plaignant :
[108] C’est donc pour permettre à l’intimé de recouvrer une partie de sa rémunération que le juge de première instance lui a donné accès au recours en oppression tout en annulant au passage une disposition du Régime P-3 et en modifiant certaines clauses de la Convention entre Actionnaires P-2.
[109] Il est pourtant clair que non seulement le simple détenteur d’options ne se qualifie pas comme plaignant aux termes de la LCSA, mais aussi que le recours à l’article 241 de la LCSA n’est pas accessible aux personnes que ne cherchent qu’à percevoir une créance qu’ils associent à leur rémunération.
[117] Je conviens avec les appelantes que le simple détenteur d’options ne peut, à ce seul titre, se prévaloir de l’article 241 L.c.s.a. Une tendance largement majoritaire, tant en doctrine qu’en jurisprudence, ne lui reconnaît pas un tel intérêt, à moins bien sûr qu’il ne soit lui-même un détenteur inscrit ou véritable propriétaire de valeurs mobilières, ancien ou actuel, ou un administrateur ou dirigeant, ancien ou actuel.
[118] De fait, la jurisprudence et les auteurs se réfèrent tous à la définition de plaignant qui se trouve à l’article 238 L.c.s.a., laquelle n’inclut pas le détenteur d’options d’achat d’actions :
238. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.
« plaignant »
a) Le détenteur inscrit ou le véritable propriétaire, ancien ou actuel, de valeurs mobilières d’une société ou de personnes morales du même groupe;
b) tout administrateur ou dirigeant, ancien ou actuel, d’une société ou de personnes morales du même groupe;
c) le directeur;
d) toute autre personne qui, d’après un tribunal, a qualité pour présenter les demandes visées à la présente partie.
[Je souligne]
[119] C’est d’ailleurs ma lecture de l’arrêt Garage Technology Ventures Canada, s.e.c. (Capital St-Laurent, s.e.c.) c. Léger sur lequel le juge fonde sa conclusion. Dans cet arrêt, le juge Wagner reconnaît l’intérêt du plaignant non pas en raison de son statut de bénéficiaire d’options, comme le juge semble l’avoir perçu, mais bien en raison de son titre de véritable propriétaire du tiers du capital-actions.
[120] Quoi qu’il en soit et bien que je ne partage pas les motifs du juge sur cette question, je suis néanmoins d’avis que sa conclusion selon laquelle Dollo possède la qualité de plaignant s’avère bien fondée.
[121] Ici, l’intérêt de Dollo ne découle pas de son seul titre de détenteur d’options d’achat d’actions, comme le suggèrent Premier Tech et Gestion Bélanger. Elle résulte plutôt de son statut d’actionnaire de Premier Tech et de président de Premier Horticulture qui, au moment de son congédiement, a requis le respect de la parole donnée, soit qu’il pourrait exercer les options octroyées malgré la rupture de son lien d’emploi.
[122] Le fait que Dollo a vu ses actions rachetées avant qu’il n’intente son recours n’y change rien. À titre d’ancien actionnaire, il possédait un intérêt suffisant. Le recours en oppression peut en effet être fondé sur des actes ou des faits survenus avant qu’il ne soit intenté, si l’iniquité ou l’injustice résultant de ces actes ou faits passés subsiste toujours, comme dans la présente affaire. À ce sujet, Paul Martel écrit[24] :
Le recours sous 241 est destiné à remédier à une situation abusive ou injuste. Il faut donc qu’une telle situation existe réellement au moment où le recours est intenté, car autrement le tribunal n’a aucune base pour agir.
Rien n’empêche cependant que le recours soit basé sur des actes ou des faits passés, pourvu qu’au moment de l’intenter, il subsiste une oppression ou une injustice.
La version anglaise de l’article 241 confirme d’ailleurs ceci, car aux paragraphes 2(b) et (c) elle utilise les termes «are or have been carried on» et «are or have been exercised», nuance perdue avec la traduction, au paragraphe (b).
[Référence omise - Je souligne]
[123] Ici, l’injustice découlant du refus de Premier Tech de permettre à Dollo d’exercer ses options subsistait toujours au moment où, à titre d’ancien actionnaire de la société, il a intenté son recours.
[124] Incidemment, je ne puis souscrire à l’idée voulant que l’oppresseur, par un rachat forcé d’actions, fasse perdre à la personne qui se dit victime d’oppression son statut de plaignant, et ce, pour mettre son recours en échec.
[125] Par ailleurs, s’il est vrai que le recours en oppression n’est pas destiné à régler les litiges privés, par exemple celui d’un employé congédié, il est à mon avis incontestable que l’employé par ailleurs actionnaire ou dirigeant peut s’en prévaloir, si son congédiement revêt un caractère oppressif visant à le forcer à vendre ses actions ou à le priver de ses options[25]. À cet égard, Me Martel écrit :
[…] Le congédiement illégal d’un employé ne constitue pas, à lui seul, une base valable pour les recours. Mais si l’employé est aussi actionnaire, administrateur et dirigeant et que son congédiement s’inscrit dans un plan général de conduite visant à l’exclure de tout rôle actif dans la société, ou à le forcer à vendre ses actions, ou à le priver de ses options de souscription, le recours peut être accueilli. De même, dans les sociétés privées de type familial, il peut arriver que la relation entre l’emploi et l’investissement soit assez étroite pour justifier des «attentes raisonnables» dépassant celles d’un simple employé.
[Références omises - Je souligne]
[126] En l’espèce, vu l’oppression alléguée, et considérant l’ensemble des faits retenus par le juge — au moment de son congédiement, Dollo est toujours actionnaire, il demande dès lors d’exercer ses options, il réitère cette demande à plusieurs reprises, et réserve ses recours, dont celui prévu à l’article 241 L.c.s.a., mais Premier Tech attend plus de trois mois avant de se prononcer en procédant, dans l’intervalle, au rachat de ses actions — j’estime que Dollo possède le statut de plaignant.
Question 5 : L’oppression
[127] Tel que je l’ai précédemment mentionné, en se prononçant sur la question de l’oppression, le juge n’a pas traité du principal argument de Dollo, celui voulant qu’il ait été trompé.
[128] Pourtant, cet argument me semble déterminant.
[129] Aussi, avant d’entreprendre mon analyse, il me paraît essentiel de recadrer le débat.
[130] À cette fin, j’estime nécessaire de revoir la position défendue par Dollo en première instance, les motifs du juge sur cette question ainsi que les moyens invoqués par les parties en appel.
[131] Je procéderai par la suite à l’analyse de la question portant sur l’oppression, en faisant d’abord un rappel des principes applicables, puis en examinant la décision du juge, à la lumière de ces principes.
5.1 La position de Dollo en première instance
[132] Devant le juge, Dollo a fait valoir qu’au printemps 2010, des dirigeants de Premier Tech l’avaient rassuré en lui disant qu’il conserverait ses options même si son lien d’emploi devait prendre fin. N’eût été l’assurance donnée, a-t-il soutenu, il se serait empressé d’exercer ses options[26]. D’où l’injustice découlant de la décision de Premier Tech de lui opposer, au moment de son congédiement, la clause 8.01.2 du Régime.
[133] Il a donc reproché au conseil d’administration de Premier Tech d’avoir injustement refusé d’exercer la discrétion que lui confère l’article 8.01.2 du Régime pour corriger cette iniquité. Pour appuyer sa position, il a rappelé que les membres du conseil d’administration connaissaient la problématique, eux qui avaient reçu, à peine une semaine après son congédiement, sa lettre dénonçant l’injustice dont il se disait victime.
5.2 Les motifs du juge
[134] Dans son jugement, le juge prend soin de décrire la position de Dollo :
[65] Il soutient de plus que, fort des assurances qui lui sont données dans les mois précédant son renvoi, il ne se montre pas empressé d’exercer ses options. Au contraire, s'il avait perçu des signes d'impatience, il se serait empressé d’exercer ses options.
[66] Il ajoute que le conseil d'administration, à l'automne 2010, n'exerce pas adéquatement la discrétion dont il dispose en vertu de la clause 8.01.2 du Régime; il ne tient pas comptes de ses attentes légitimes. Comme on le sait, celle-ci prévoit « à moins que le conseil d'administration, à sa seule discrétion, n'en décide autrement ».
[67] Il précise que Premier Tech abuse civilement de ses droits et agit de manière oppressive au sens de la LCSA.
[135] Puis, après avoir procédé à l’analyse de la preuve, il retient que deux dirigeants ont effectivement représenté à Dollo qu’il n’avait pas à craindre pour les options octroyées :
[17] C'est à cette même époque que Monsieur Dollo prend connaissance d'une clause contenue dans le Régime qui lui ferait perdre tous ses droits d'acquérir des actions et d'en retirer le profit s'il est congédié.
[18] Inquiet de l'existence de cette clause, en 2010, Monsieur Dollo rencontre à tour de rôle les dirigeants et un cadre de Premier Tech qui, suivant ses dires, le rassurent par rapport à cette possibilité de perdre ses options acquises en cas de cessation d’emploi.
[…]
[205] Contrairement à certains arrêts jurisprudentiels cités par les parties, en l'espèce, les options sont acquises parce que le travail est réalisé. Et comme Monsieur Bernard Bélanger déclare à Monsieur Dollo dans les mois précédents son congédiement : «ce qui est gagné est gagné».
[Je souligne - Transcription intégrale]
[136] Il note également qu’au moment de son congédiement, Dollo a fait preuve de cohérence en réitérant sa position :
[270] Le 27 août 2010, Monsieur Bernard Bélanger convoque Monsieur Dollo à une rencontre. Il l'avise de la terminaison de son emploi soulevant un problème de leadership et de non-respect des budgets de son unité d’affaires. Il lui remet une lettre signée par lui l'informant de la rupture du lien d'emploi. Cette lettre ne fait référence à aucun motif de renvoi. Elle lui offre une prime de départ de 220 000 $ et d'autres avantages d'usage dans les circonstances.
[271] Abasourdi, Monsieur Dollo soutient avoir alors évoqué la question des options d'achat d'actions. Ceci démontre ses préoccupations, car il se rappelle ses préoccupations qu'il avait déjà exprimées au printemps 2010 aux dirigeants et à Monsieur Noël, face à la clause 8.01.2. De fait, la lettre qu'il dit avoir eu le temps de parcourir ne fait aucunement référence aux options d'achat d'actions.
[272] Interrogé hors Cour le 1er décembre 2011, Monsieur Bélanger nie qu'il en fut question :
« Q. Okay. Est-ce que je dois comprendre, de ce que vous venez de nous dire il y a quelques instants, qu'il n'y a eu aucune discussion sur les options, rien?
R. Y'a eu aucune discussion sur les options. On a rien discuté à ce moment-là, j'lui ai dit : «Pour les Détails, tu - y connaissait mes habitudes - pour les détails, pour la finalisation de tout ça, tu vois M. Ouellet, comme d'habitude et tu vas avoir à négocier.»
Q. Je veux juste être sûr que j'ai bien compris, M. Bélanger. Lors de la rencontre du vingt-sept (27) août deux mille dix (2010) ni vous, ni M. Dollo n'avez abordé, de près ou de loin la question des options de M. Dollo?
R. On n'a pas abordé ça. La lettre, elle lui a été remise en même temps que la lettre de, de renvoi, pis c'est les documents étaient là. Y les a regardés, et comme j'vous dis, ça duré entre cinq (5) et dix (10) minutes, selon ma mémoire. »
[273] Toutefois, aux questions du Tribunal, la version n'est plus tout à fait la même :
« Q. Mais il a donc été question des options à ce moment-là?
R. Absolument pas, parce que j'ai dit : «Moi, là, je veux même pas écouter.» Il dit...
Q. Mais lui vous en a-t-il parlé en disant...
R. Lui...
Q. ... est-ce que (inaudible) des options dans le portrait?
R ... lui il m'a dit - il dit : «Dans votre lettre là, vous me parlez, vous me parlez pas des options de mes actions.» Alors, j'ai dit : «Tes actions, tes actions tu vas aller les - tu vas régler ça avec M. Ouellet, c'est pas moi qui va régler ça» - parce qu'il y avait ses actions aussi à régler - j'ai dit : «c'est lui qui règle ça l'histoire de ton départ, ton automobile, ton - un an de salaire, ton automobile qui n'est pas un détail qui est un Cadillac, là, puis ton computer tout ça, je m'occupe pas de ça ces détails-là, va voir M. Ouellet qui va s'occuper de tout te donner l'information nécessaire», puis il connaissait la façon d'agir depuis des années. »
[274] Le Tribunal préfère la version de Monsieur Dollo qui est davantage conforme à ce que Monsieur Bernard Bélanger a déclaré en cours d'audience.
[Références omises - Je souligne]
[137] Il constate enfin qu’une semaine après son congédiement, dans la lettre qu’il adresse aux membres du conseil d’administration, Dollo maintient sa position :
[320] Le 7 septembre 2010, Monsieur Dollo réagit à son congédiement en indiquant les conditions de départ qu'il estime raisonnables, excluant toutefois qu'une quittance règle également ses prétentions quant aux options d'achat d'actions. Ce même jour, Monsieur Dollo transmet une lettre aux membres du conseil d'administration de Premier Tech leur demandant de reconnaître son droit d'exercer ses options d'achat d'actions.
[…]
[326] Le 4 octobre 2010, Monsieur Dollo s'entend avec Premier Tech sur les modalités de son indemnité de départ. Il souscrit à un document de quittance qui lui réserve ses recours en matière d'options d'achat d'actions.
[138] Je rappelle ce qu’écrivait Dollo dans cette lettre du 7 septembre 2010 :
Lors de l’entretien que j’ai eu avec monsieur Bernard Bélanger et qui faisait immédiatement suite à la remise de la lettre contenant la proposition de l’indemnité de départ, j’ai fait remarquer à ce dernier que la proposition de Premier Tech Ltée ne traitait aucunement des options que j’avais acquises en vertu du Régime. J’ai spécifiquement rappelé à ce dernier la teneur d’entretiens que j’avais eus au cours des mois précédents avec lui-même, messieurs Martin Noël et Jean Bélanger au cours desquels ils m’avaient assuré qu’il n’était aucunement dans les intentions de l’employeur de mettre fin à mon emploi et encore moins de ne pas me permettre de réclamer les valeurs accumulées.
[…]
[139] Par ailleurs, le juge retient qu’un autre cadre de l’entreprise a pu exercer ses options, malgré la rupture de son lien d’emploi :
[339] La prépondérance de la preuve révèle qu'un autre cadre de l'entreprise a subi sensiblement le même sort que Monsieur Dollo, mais son traitement est différent. Le 29 avril 2002, Premier Tech annonce le départ de Monsieur Michel E. Guay. Par communiqué, elle lui souhaite «le meilleur des succès dans ses projets futurs». Or, il appert du rapport financier annuel de l'entreprise que Monsieur Guay, malgré son départ et après celui-ci, exerce ses options, malgré ce qu'a prétendu le témoin Samson.
[Références omises]
[140] En bref, à la lumière de la preuve, le juge reconnaît les faits invoqués par Dollo au soutien de son recours en oppression.
[141] Toutefois, il le fait sans égard à ses prétentions, que j’ai précédemment décrites aux paragraphes [109] et [110] de mes motifs.
[142] Selon lui, Dollo a été victime d’abus en raison de son congédiement inopiné et de l’application de la clause 8.01.2 du Régime :
[341] L’actionnaire-cadre a des attentes légitimes de bénéficier d’une rémunération à long terme. L’article 2.01 du Régime le présente comme un outil de rémunération à long terme :
« Le Régime est institué à l’intention de certains actionnaires, administrateurs et équipiers à plein temps de la Société et de ses filiales et a pour objectifs de susciter et d’encourager la participation financière de ces personnes et, pour les administrateurs et équipiers à plein temps de la Société et de ses filiales, de promouvoir une mesure incitative de rémunération à long terme en regard de la création pour ces personnes qui sont en position de prendre des décisions, des actions et d’émettre des conseils qui influencent de façon significative les résultats et le succès de la Société… »
[342] Monsieur Dollo a aussi des attentes en regard du respect de ses droits d’employé de l’entreprise.
[343] Il a indéniablement le droit d’être congédié dans le respect des étapes jurisprudentiellement reconnues, notamment que le congédiement soit justifié et qu’il soit prévenu que, si la situation ne s’améliore pas, il sera peut-être congédié.
[344] Dans ce contexte, compte tenu de la clause 8.01.2, il est fort probable qu'il aurait exercé son droit de lever ses options acquises. Ce non-respect de la LCSA cause à Monsieur Dollo une plus large injustice dans le contexte précis de l’existence de la clause 8.01.2.
[345] Le Tribunal est d'opinion que le précédent auquel Monsieur Dollo réfère, ajoute aux attentes qu’il a de voir le conseil d’administration lui permettre de lever ses options quand bien même il n’est plus, à ce moment, à l’emploi de Premier Tech.
[…]
[347] Le Tribunal est d'avis que l’imprévisibilité de son congédiement, dans un contexte où il n’est pas prévenu de cette possibilité s’il n’amende pas son comportement et n'améliore pas les résultats de son unité d’affaires, ajoute au fait qu’il ne peut se prémunir contre l’application brutale de cette clause.
[Référence omise - Je souligne]
5.3 Les moyens invoqués en appel
[143] En appel, Premier Tech plaide que l’effet combiné de la clause 8.01.2 et du congédiement de Dollo ne peut être, en soi, source d’oppression. Quant au refus du conseil d’administration de permettre à Dollo de lever ses options, malgré son congédiement, elle le considère juste et approprié. Elle fait valoir que cette décision du conseil a été prise à la suite d’une analyse rigoureuse.
[144] Elle ajoute que le litige opposant les parties en est un de nature purement privée, Dollo cherchant à percevoir une créance équivalente à du salaire. Elle fonde ce moyen sur la conclusion du juge selon laquelle les options d’achat d’actions constituaient une mesure incitative de rémunération à long terme, conclusion sans lien avec les prétentions de l’appelant en première instance, du moins sur la question de l’oppression.
[145] Incidemment, pour contrer la position défendue par Dollo, elle remet en question les conclusions de fait du juge relativement aux promesses qui lui auraient été faites avant son congédiement. Selon Premier Tech, le juge aurait erré dans son appréciation de la preuve. Toutefois, elle n’identifie pas les erreurs manifestes et déterminantes qu’il aurait commises.
[146] Elle invite plutôt la Cour à revoir la preuve pour l’apprécier de nouveau.
[147] De son côté, Dollo défend la conclusion du juge, mais il le fait en s’appuyant sur la position qu’il a fait valoir en première instance.
[148] Il maintient que n’eût été les propos des dirigeants selon lesquels les options octroyées allaient lui demeurer acquises, même si son lien d’emploi devait prendre fin, il se serait empressé d’exercer ses options. Ainsi, il reproche au conseil d’administration de ne pas avoir corrigé l’injustice découlant de ces déclarations trompeuses, malgré la discrétion qu’il pouvait exercer à cet égard[27] :
[99] Le premier juge a conclu que le recours en oppression était fondé. Il ne considère pas utile de se prononcer a) sur les allégations d’abus de droit et b) pas plus que sur les allégations ayant trait aux comportements qui auraient pu rassurer Monsieur Dollo avant son congédiement (j.p.i. par. 358, M.A., vol. 2, p. 97). L’intimé soumet respectueusement que la preuve démontre clairement que les appelantes et leurs représentants ont agi de façon abusive et que l’intimé a reçu des représentations à l’effet que son emploi n’était pas en péril. Le juge le reconnaît implicitement lorsqu’il affirme que l’intimé n’a pas eu d’avertissement et qu’il aurait pris des mesures pour sécuriser ses options si tel avait été le cas (j.p.i. par. 299, M.A., vol. 2, p. 86). L’intimé soumet respectueusement que la preuve aurait pu tout aussi bien justifier le scénario d’une condamnation en dommages.
[…]
[108] Bernard Bélanger a soutenu en mars 2010 que ce qui était « gagné était gagné », (Témoignage de l’intimé de septembre 2011, M.I., vol. 2, pp. 1090, 1164, 1178, 1189, 1191, 1217 et juin 2013, M.I., vol. 2, pp. 1607-1611) mais a invité l’intimé à consulter Martin Noël. Martin Noël a confirmé les appréhensions de l’intimé, mais lui a dit de ne pas s’inquiéter car jamais les Bélanger ne feraient cela (Témoignage de l’intimé de septembre 2011, M.I., vol. 2, pp. 1179, 1184, 1189 et juin 2013, M.I., vol. 2, p. 1608). Lors de sa rencontre avec Jean Bélanger en avril 2010, l’intimé lui fait part de son questionnement et Jean Bélanger prend alors l’engagement de regarder le Régime et de considérer la possibilité de la modifier. (Témoignage de l’intimé de septembre 2011, M.I., vol. 2, pp. 1194, 1198, 1208, 1219 et juin 2013, M.I., vol. 2, p. 1627). Ceci est confirmé par la pièce P-9 (M.I., vol. 2, p. 327) qui contient la mention « interprétation du programme d’options ». En juillet 2010, l’intimé rencontre Jean Bélanger qui n’a toujours pas complété son évaluation de rendement de l’année précédente et ce dernier lui mentionne on te connaît avec tes défauts et tes qualités et on préfère travailler avec des gens qu’on connaît. (Témoignage de l’intimé de septembre 2011, M.I., vol. 2, pp. 1200, 1220 et juin 2013, M.I., vol. 2, pp. 1635-1636 et p. 1711). L’intimé a fait confiance à ses supérieurs et cette confiance a été trahie.
[…]
[111] Même si le juge n’a pas tranché formellement la question, la preuve démontre que les discussions de l’intimé (dont le témoignage a été jugé plus que crédible) avec Bernard Bélanger, Jean Bélanger et Martin Noël ont créé des attentes plus que légitimes chez l’intimé à l’effet qu’il n’avait pas à s’inquiéter de la possibilité d’un renvoi prochain. Autrement, il incombait à l’employeur, vu les sommes en cause et le préjudice qui pourrait en découler pour l’intimé, de mettre en garde ce dernier s’il estimait que son poste était à risque. Un employeur n’a pas à jouer aux devinettes avec son employé.
5.4 Les principes applicables
[149] Le recours pour oppression prévu à l’article 241 L.c.s.a. accorde des pouvoirs étendus au tribunal. Inspiré des principes d’équité, ce recours est largement utilisé en droit civil québécois. La jurisprudence a d’ailleurs étendu sa portée. Il ne vise plus seulement la fraude, la mauvaise foi ou l’illégalité, mais également les injustices découlant des cas d’abus de droit et de violation des attentes légitimes des actionnaires.
[150] Voici comment l’auteur Paul Martel décrit la portée de ce recours[28] :
Le recours de l’article 241, recours d’équité, est ouvert non seulement dans les cas d’abus des droits du plaignant, ce qui implique des éléments de dureté et de manque de probité et traduit l’expression anglaise «oppression», mais aussi, et c’est là que la loi fédérale a innové par rapport au droit anglais, dans les cas où, même en l’absence d’illégalité ou de fraude, il est porté atteinte à ces droits ou qu’il n’en est pas tenu compte. La Loi utilise l’expression «se montre injuste» (en anglais «unfairly») pour décrire ces deux autres catégories de circonstances. Les mots «unfairly disregard» ont été interprétés comme signifiant «to unjustly and without cause (…) pay no attention to, ignore or treat as of no importance the interests of security holders (…)».
[Références omises]
[151] Le recours pour oppression s’attarde donc aux effets injustes que supporte le plaignant, et ce, même lorsque le comportement reproché respecte les règles de droit strict[29]. En ce sens, la théorie des « attentes légitimes ou raisonnables » commande l’examen des intérêts des personnes protégées, comme le précisent les auteurs Raymonde Crête et Stéphane Rousseau[30] :
1577. En reconnaissant ces attentes, dont le contenu est fort variable, les tribunaux peuvent ainsi déroger aux règles de droit lorsque l’application de celles-ci s’avère inéquitable à l’égard de ces personnes, notamment en écartant la règle de la majorité. Ils peuvent également exercer une fonction supplétive en comblant les carences des ententes expresses intervenues entre les parties. Grâce à cette mesure de redressement, les personnes placées dans une position faible ou vulnérable, tels les actionnaires minoritaires qui normalement doivent se plier aux vœux de la majorité, bénéficient ainsi d’un mécanisme de contrôle judiciaire lorsque les actes contestés, bien que conforme aux règles prescrites, portent injustement atteinte à leurs intérêts.
[152] Ils résument en ces termes le test en deux étapes élaboré par la Cour suprême dans l’arrêt BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976[31] :
1583. Selon la méthode adoptée par la Cour suprême dans l’arrêt BCE, le tribunal saisi d’une demande en cas d’abus est appelé à répondre à deux questions. Premièrement, il doit se demander si la preuve fait ressortir l’existence d’une attente raisonnable invoquée par le demandeur, et deuxièmement, si la preuve permet de conclure que la violation de cette attente raisonnable constitue un abus de pouvoir ou un acte injustement préjudiciable.
[Je souligne]
[153] Dans cet arrêt, la Cour suprême identifie différents facteurs permettant d’apprécier les attentes raisonnables, parmi lesquels figurent les pratiques commerciales courantes, la nature de la société, les rapports existant entre les parties, les pratiques antérieures, les mesures préventives qui auraient pu être prises, les déclarations et conventions ainsi que la conciliation équitable des intérêts opposés de parties intéressées[32].
[154] La Cour suprême précise que le concept d’attentes raisonnables est objectif et contextuel. Ainsi, il importe de déterminer si les attentes sont raisonnables compte tenu des faits propres à l’espèce, des rapports en cause et de l’ensemble du contexte[33].
[155] La Cour suprême rappelle que « l’obligation des administrateurs d’agir au mieux des intérêts de la société inclut le devoir de traiter de façon juste et équitable les actionnaires minoritaires touchés par les actes de la société »[34]. Bien que prise dans l’intérêt de la société, une décision peut frustrer leurs attentes légitimes et avoir sur eux un effet inéquitable, les intérêts de la société étant parfois divergents[35].
5.5 Analyse de la question
[156] J’entends d’abord trancher les moyens soulevés par Premier Tech relativement aux erreurs qu’aurait commises le juge dans l’appréciation de la preuve, en regard de l’assurance donnée par les hauts dirigeants de Premier Tech, à savoir Bernard Bélanger, Jean Bélanger et Martin Noël, pour rassurer Dollo quant à l’exercice des options déjà octroyées, même si son contrat d’emploi devait prendre fin.
[157] La norme d’intervention en pareille situation est bien connue[36]. Une cour d’appel n’intervient sur des questions touchant l’appréciation de la preuve que si le juge a commis des erreurs manifestes et déterminantes, c’est-à-dire des erreurs qui, au regard du jugement et de la preuve, sautent aux yeux et peuvent avoir un impact déterminant sur la décision.
[158] Ces erreurs doivent être précisées ou « montrées du doigt » par la partie qui se pourvoit, ce qui signifie forcément autre chose qu’inviter la Cour à revoir l’ensemble de la preuve. Dans l’arrêt P.L. c. Benchetrit, le juge Morissette résume fort bien ces principes. Il me paraît utile de reproduire un court passage de l’opinion de mon collègue sur la signification du terme manifeste[37] :
« Montrer du doigt » signifie autre chose qu’inviter la Cour à porter un regard panoramique sur l’ensemble de la preuve : il s’agit de diriger son attention vers un point déterminé où un élément de preuve univoque fait tout simplement obstacle à la conclusion de fait attaquée. Si cette conclusion de fait, dont on a ainsi démontré qu’elle était manifestement fausse, compromet suffisamment le dispositif du jugement, l’erreur sera qualifiée de déterminante et justifiera la réformation du jugement.
[Je souligne]
[159] En l’espèce, Premier Tech, de même que Gestion Bélanger, invitent la Cour à revoir l’ensemble des témoignages, en particulier ceux de B. Bélanger, J. Bélanger et Noël, pour conclure qu’ils n’ont pas rassuré Dollo, tant à l’égard de son lien d’emploi qu’en regard de ses options. En d’autres termes, elles demandent une nouvelle appréciation de la preuve sans pour autant « montrer du doigt » les erreurs manifestes du juge.
[160] Or, il n’appartient pas à la Cour de réévaluer les témoignages, d’apprécier la crédibilité des témoins et de tirer ses propres inférences de la preuve. De toute façon, l’examen des passages auxquels me réfère Premier Tech ne révèle aucune erreur pouvant justifier une telle intervention. Au contraire, j’estime que les conclusions et inférences du juge trouvent appui dans la preuve.
[161] Je passe maintenant au fond de la question, en portant d’abord mon attention sur les motifs avancés par le juge pour conclure que la violation des attentes raisonnables de Dollo constitue un acte injuste et préjudiciable.
[162] Soit dit avec égards pour le juge, je ne partage pas sa conclusion voulant que l’effet combiné de la clause 8.01.2 et du congédiement de Dollo puisse, à lui seul, constituer une source d’oppression. Comme je l’ai déjà expliqué, la clause 8.01.2 n’est pas en soi abusive, notamment en ce qu’elle accorde au conseil d’administration de Premier Tech le pouvoir de passer outre à la règle qu’elle renferme.
[163] Ce n’est pas la clause qui crée l’oppression, mais plutôt le refus du conseil d’administration, lorsqu’il est en présence d’une injustice découlant de son application, de passer outre à la règle qu’elle renferme. En pareilles circonstances, il appartient au conseil d’administration de corriger la situation. S’il ne le fait pas et que son omission porte atteinte aux attentes légitimes, la responsabilité de la société peut être retenue.
[164] Ce qui m’amène au principal argument de Dollo.
[165] Des conclusions de fait du juge, je retiens que Dollo a été rassuré par les dirigeants à l’égard de ses options. Il crut, à tort, qu’il pourrait les exercer malgré une éventuelle rupture de son lien d’emploi. Je retiens également son affirmation non contredite selon laquelle il aurait exercé ses options dès le printemps 2010, n’eût été ces assurances.
[166] À mon avis, cette preuve tranche la question de l’oppression.
[167] Premièrement, elle démontre l’existence des attentes légitimes de Dollo qui, en raison des promesses qui lui ont été faites, était en droit de s’attendre, en toute légitimité, qu’il allait pouvoir exercer ses options malgré la rupture de son lien d’emploi.
[168] Deuxièmement, relativement à l’effet préjudiciable du non-respect de cette attente, il coule de source. Dollo a renoncé à exercer ses options plus tôt, sur la foi de ces assurances, avec les conséquences qui en découlent.
[169] Quant à l’oppression, elle découle du refus du conseil d’administration de Premier Tech de passer outre à la règle pour corriger l’injustice, malgré le pouvoir que lui conférait l’article 8.01.2.
[170] Vu la violation des attentes légitimes de Dollo, le conseil d’administration avait le devoir d’intervenir.
[171] De fait, en refusant de corriger cette injustice, les membres du conseil d’administration ont fait le jeu de Bernard Bélanger, le président de Premier Tech, et de sa société Gestion Bélanger, qui avaient tout intérêt à ce que Dollo n’exerce pas ses options. Pourquoi? Pour la simple et bonne raison qu’au final, c’est Gestion Bélanger qui devait procéder au rachat des actions de Dollo à un prix de 1 926 704 $!
[172] À cet égard, l’analyse du juge sur le processus ayant amené le conseil d’administration à refuser de permettre à Dollo d’exercer ses options me paraît révélatrice et déterminante.
[173] En définitive, j’estime qu’en représentant à Dollo que ses options n’étaient pas à risque dans l’éventualité où il serait congédié, et ce, quelques mois avant son congédiement effectif, en empruntant l’expression « ce qui est gagné est gagné », les dirigeants de Premier Tech l’ont induit en erreur. Pour cette raison, Premier Tech n’était pas recevable à lui opposer la clause 8.01.2. du Régime.
[174] Je terminerai mon analyse en paraphrasant les propos du juge Mignault dans l’arrêt Grace and Company c. Perras[38], lesquels siéent bien à la présente affaire, malgré qu’il s’agisse ici d’un recours en oppression.
[175] Nul n'est recevable à se prévaloir de sa propre faute au préjudice d'autrui, proposition fondée sur le principe qu’on ne doit pas tirer avantage d'une faute que l'on a commise. Au contraire, il est juste de réparer le tort que l'on fait. Si, par ses propos, une personne en amène une autre à modifier sa position à son préjudice, sa responsabilité peut être retenue.
Question 6 : L’exécution : en nature ou par équivalent
[176] Premier Tech et Gestion Bélanger reprochent à Dollo d’avoir exigé une exécution en nature plutôt que des dommages-intérêts, son recours étant de la nature d’un droit de créance associé à un contrat d’emploi.
[177] Vu ma conclusion précédente, j’estime que ce moyen est sans mérite.
[178] J’ajoute qu’aux termes de l’article 241 L.c.s.a., le tribunal dispose d’un large éventail de remèdes, lesquels ne sont par ailleurs pas limitatifs. Il peut notamment enjoindre à la société concernée ou aux personnes morales du même groupe d’émettre des actions[39], de les racheter[40] ainsi que de rembourser aux détenteurs d’actions les fonds versés pour leur acquisition[41]. À cet égard, Me Martel écrit[42] :
31-309 Lorsqu’un tribunal considère qu’un plaignant a établi l’existence de motifs d’intervention en vertu du paragraphe (2) de l’article 241, il dispose d’une batterie impressionnante, pour ne pas dire ahurissante, de pouvoirs.
31-310 Ces pouvoirs sont énumérés au paragraphe (3), mais leur liste n’est pas exhaustive, car elle est précédée du mot «notamment».
31-311 Le principe est très souple: le tribunal peut rendre toutes les ordonnances, provisoires ou définitives, qu’il estime pertinentes. Il a littéralement carte blanche pour rétablir l’équité dans la société. Son rôle, qui a été avec justesse qualifié de «inquisitorial and salvationist», consiste «à décider non seulement s’il y a eu injustice autorisant son intervention mais également l’à propos de l’intervention demandée».
[179] À mon avis, l’exécution en nature était, en l’espèce, de mise.
[180] Par ailleurs, Premier Tech et Gestion Bélanger s’opposent à l’amendement tardif que propose Dollo, soit d’ajouter une conclusion afin d’obtenir les intérêts prévus à l’article 12.5 de la convention unanime d’actionnaires :
12.5 Intérêt payable par GBB. Tout solde impayé sur les Actions après un délai de soixante (60) jours suivant la date de l’événement ayant entraîné l’application des dispositions, portera intérêt au taux moyen des dettes à long terme de la Société en date de l’événement ayant entraîné l’application des dispositions plus un pourcent (1%). Il est de plus entendu que toute Action non payée qui aura été acquise par GBB sera donnée en gage à l’Actionnaire Minoritaire vendeur qui détiendra alors le Certificat d’Actions en question jusqu’à paiement complet du solde qui lui est alors dû par GBB.
[181] L’amendement proposé n’est pas inutile ni contraire aux intérêts de la justice et il n’en résulte pas une demande entièrement nouvelle sans rapport avec la demande originaire. Au contraire, cet amendement ne vise qu’à appliquer les termes exprès de la convention d’actionnaires, l’entente liant les parties. Dans ce contexte, j’estime devoir faire droit à l’amendement.
[182] En conséquence, la somme de 1 313 847 $ payable à Dollo à la suite du rachat de ses actions par Premier Tech ltée devrait porter intérêt au taux moyen des dettes à long terme de cette société au 21 novembre 2013 plus 1 %, et ce, à compter du 20 janvier 2014.
[183] Reste enfin à décider du sort de la requête en rejet partiel du mémoire de l’intimé.
[184] Dans cette requête, les appelantes soutiennent que Dollo a introduit une nouvelle demande en appel, une conclusion subsidiaire en dommages-intérêts de 1 932 000 $ et les intérêts portant sur cette somme depuis l’assignation.
[185] Considérant mes conclusions précédentes, il n’y a pas lieu de faire droit à cette requête.
[186] En effet, j’écarte la conclusion subsidiaire recherchée.
7 - Conclusion
[187] Je suis d’avis que Dollo, en sa qualité d’actionnaire et d’ancien actionnaire de Premier Tech, a fait la preuve d’une attente légitime à l’égard des options d’achat d’actions qui lui ont été octroyées, en s’étant fait dire que nonobstant la clause 8.01.2 du Régime, il allait pouvoir les exercer malgré la rupture de son lien d’emploi. En refusant d’honorer les engagements de ses représentants, Premier Tech s’est montrée injuste envers Dollo.
[188] Cette violation de l’attente légitime de Dollo constitue un geste oppressif au sens de l’article 241 L.c.s.a.
[189] Voilà pourquoi je propose de rejeter l’appel des appelantes Premier Tech ltée et Gestion Bernard Bélanger ltée.
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JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, J.C.A. |
[1] Grace and Company v. Perras, [1921] S.C.R. 166, 62 SCR 166.
[2] Dollo c. Premier Tech ltée, J.E. 2014-130 (C.S.), 2013 QCCS 6100, [Jugement dont appel], paragr. 338.
[3] Ces questions sont décrites dans la lettre que les avocats de Gestion Bélanger ont adressée à la présidente de la formation, en date du 7 avril 2015.
[4] Costco Wholesale Canada Ltd. c. Laplante, [2005] R.J.Q. 2249 (C.A.), 2005 QCCA 788.
[5] Ibid.
[6] Sirois c. O’Neill, J.E. 99-1343 (C.A.).
[7] Ibid.
[8] Georges Audet, Robert Bonhomme et Clément Gascon, Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, 3e éd., vol. 1, édition sur feuilles mobiles, Cowansville, Éditions Yvon Blais, janvier 2015, no 4.2.23 et 4.2.24, p. 4-23 et 4-24.
[9] Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins inc., [2014] 2 R.C.S. 514, 2014 CSC 51.
[10] Ibid.
[11] Article 1380 C.c.Q.
[12] Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 7e éd., par Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, n° 190, p. 305.
[13] [2002] R.J.Q. 1035 (C.S.), paragr. 64-66.
[14] Raymonde Vatinet, « Conditions d’application du règlement des stock-options », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires, no 31, 3 août 2006, 2200; Raymonde Vatinet, « La nature juridique des stock-options précisée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation », La Semaine Juridique Social, no 25, 13 décembre 2005, 1417; Raymonde Vatinet, « Le clair-obscur des stock options à la française », Rev. Sociétés, (1) janv.-mars 1997, 31.
[15] IBM Canada ltée c. D.C., J.E. 2014-1301 (C.A.), 2014 QCCA 1320.
[16] J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, supra, note 12, no 62, p. 94.
[17] Ibid., no 63, p. 96-101.
[18] Ibid., no 63, p. 100.
[19] Jean-Claude Royer, La preuve civile, 4e éd., par Jean-Claude Royer et Sophie Lavallée, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, no 982, p. 872. Les auteurs réfèrent aux arrêts suivants : Moisan c. Simard, B.E. 2008BE-450 (C.A.), 2008 QCCA 505; Sainte-Anne-de-Beaupré (Ville de) c. Hamel, J.E. 2007-660 (C.A.), 2007 QCCA 371; Wightman et al. c. Widdrington (Succession de), J.E. 2007-754 (C.A.), 2007 QCCA 440; 2630-3602 Québec inc. c. Thrifty Canada inc., J.E. 2003-853 (C.A.); Plamondon c. R., [1991] R.J.Q. 2447, 2453 (C.A.); Morris c. R., [1983] 2 R.C.S. 190, 193.
[20] Services Sani-Marchand inc. c. Montréal-Nord (Ville), 1992 CanLII 3842 (QCCA).
[21] J.-C. Royer, supra, note 19, no 466 et 475, p. 326 et 337.
[22] Raymonde Vatinet, « Conditions d’application du règlement des stock options », La semaine juridique Entreprise et Affaires, no 31, 3 août 2006, 2200.
[23] Garage Technology Ventures Canada, s.e.c. (Capital St-Laurent, s.e.c.) c. Léger, [2012] R.J.Q. 2030 (C.A.), 2012 QCCA 1901.
[24] Paul Martel, La société par actions au Québec, vol. 1 : Les aspects juridiques, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, Martel ltée, 2014, paragr. 31-372 à 31-374, p. 31-148 et 31-149.
[25] Ibid., paragr. 31-268, p. 31-97 à 31-98.1.
[26] Jugement dont appel, paragr. 65-67.
[27] Mémoire de l’intimé, paragr. 99, 108 et 111.
[28] P. Martel, supra, note 24 , paragr. 31-191, p. 31-64 et 31-64.1.
[29] Raymonde Crête et Stéphane Rousseau, Droit des sociétés par actions, 3e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2011, no 1576, p. 708.
[30] Ibid., no 1577, p. 709.
[31] Ibid., no 1583, p. 711.
[32] BCE inc. c. Détenteurs de débentures de 1976, [2008] 3 R.C.S. 560, 2008 CSC 69, paragr. 72 et s.
[33] Ibid., paragr. 62.
[34] Ibid., paragr. 82.
[35] Ibid., paragr. 64.
[36] H.L. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 401, 2005 CSC 25; Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33; Prud’homme c. Prud’homme, [2002] 4 R.C.S. 663, 2002 CSC 85; Côté c. Côté, J.E. 2014-412 (C.A.), 2014 QCCA 388.
[37] P.L. c. Benchetrit, [2010] R.J.Q. 1853 (C.A.), 2010 QCCA 1505.
[38] Grace and Company v. Perras, supra, note 1.
[39] Article 241, paragr. (3) d) L.c.s.a.
[40] Article 241, paragr. (3) f) L.c.s.a.
[41] Article 241, paragr. (3) g) L.c.s.a.
[42] P. Martel, supra, note 24, paragr. 31-309 à 31-311, p. 31-115 et 31-117.
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