Décision

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Transport Kahkashan inc. c. Intact Compagnie d'assurance

2023 QCCA 1436

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-09-030017-222

(500-17-107112-198)

 

DATE :

10 novembre 2023

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.

PATRICK BUCHHOLZ, J.C.A. (AD HOC)

 

 

TRANSPORT KAHKASHAN INC.

APPELANTE– demanderesse

c.

 

INTACT COMPAGNIE D’ASSURANCE

INTIMÉE – défenderesse

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 9 mars 2022 par l’honorable Chantal Corriveau de la Cour supérieure, district de Montréal, lequel rejette sa réclamation en dommages-intérêts[1].

[2]                L’appel soulève deux questions principales, à savoir, i) si la juge de première instance a eu raison de conclure que les règles de la responsabilité extracontractuelle s’appliquaient entre l’assurée de l’intimée et l’appelante, de sorte que cette dernière ne pouvait donc pas bénéficier des présomptions du Code civil du Québec (C.c.Q.) applicables en matière de contrats de dépôt ou de service[2] et ii) si la juge a erré en concluant que l’assurée de l’intimée n’avait commis aucune faute envers l’appelante.

[3]                Le litige qui mène au présent appel naît d’une confusion entre les personnes morales impliquées et contractantes, confusion que note, avec raison, la juge. Essentiellement, l’appelante prétend qu’elle a contracté avec la cliente de l’intimée, Remorque Syr Plus (« SYR ») pour la réparation de sa remorque. La juge a plutôt conclu que l’appelante était étrangère au contrat et que celui-ci engage plutôt SYR envers  Service de réparation RB (« Garage RB »). Les deux corporations sont dirigées par le même directeur général, M. Sami Ullah, d’où la confusion.

[4]                L’absence de lien contractuel a amené la juge à se pencher sur une faute extracontractuelle de SYR pour déterminer si l’intimée devait indemniser l’appelante. Elle conclut par la négative.

[5]                Pour les raisons qui suivent, la Cour est d’avis que la juge n’a pas erré quant à ces questions et qu’il y a lieu de rejeter l’appel.

FAITS

[6]                La trame factuelle est particulièrement importante dans ce litige. Les faits sont bien relatés par la juge, aux paragraphes 16 à 42 du jugement entrepris. Il convient de rappeler ici seulement ceux qui permettent de circonscrire les questions qui demeurent en litige en appel.

[7]                L’appelante est une entreprise œuvrant dans le domaine du transport de marchandises et possède, à cette fin, plusieurs tracteurs et remorques. Elle effectue elle-même le transport ou loue à d’autres entreprises ses remorques. Garage RB est une entreprise qui œuvre dans le domaine de la réparation d’équipements et machineries lourdes.

[8]                L’une des remorques de l’appelante est accidentée le 5 juillet 2016, lors d’un transport de Montréal vers New York. La remorque accidentée revient à Montréal où elle est entreposée dans la cour de Garage RB pour évaluer les réparations qui s’imposent.

[9]                Garage RB n’est pas en mesure de faire les réparations nécessaires à la remorque. M. Ullah demande alors à un employé de Garage RB, M. Yvan Thiffeault, d’obtenir une soumission pour faire effectuer la réparation. Ce dernier contacte donc M. Steeve Fréchette de Remorque Syr Plus (« SYR »), l’assurée de l’intimée, pour obtenir ladite soumission.

[10]           Le 13 juillet 2016, M. Fréchette se déplace à Laval au site de Garage RB pour examiner la remorque endommagée.

[11]           Le 18 juillet 2016, deux soumissions sont adressées à Garage RB, l’une proposant la réparation avec des pièces neuves et l’autre prévoyant l’utilisation de pièces usagées. M. Ullah avise M. Thiffeault qu’il choisit l’option avec des pièces neuves et ce dernier avise SYR que la soumission avec l’option prévoyant l’utilisation de pièces neuves est acceptée. Les pièces sont alors commandées par SYR.

[12]           À la mi-septembre 2016, une fois les pièces arrivées, un chauffeur de l’appelante conduit la remorque à être réparée chez SYR. Une fois sur les lieux, un employé de SYR sort du bâtiment et indique au chauffeur de la stationner sur le terrain adjacent où se trouvent une dizaine de remorques.

[13]           Le 5 octobre 2016, SYR est prête à réparer la remorque de l’appelante. M. Fréchette constate alors que celle-ci est absente du stationnement. Il contacte M. Thiffeault chez Garage RB pour vérifier si quelqu’un l’aurait déplacée. Obtenant une réponse négative, M. Fréchette contacte la Sûreté du Québec pour signaler le vol. Un rapport d’événement est rédigé et contient la déclaration signée de Fréchette.

[14]           Le 27 octobre 2016, SYR transmet, par le biais de son courtier, un avis de sinistre à son assureur Intact, l’intimée.

[15]           Des documents de règlement de réclamation sont éventuellement préparés par l’intimée en faveur de l’appelante. Un chèque de 65 000 $ est même émis le 9 mars 2017. Or, la même journée, l’intimée avise l’appelante que le règlement n’aura finalement pas lieu.

[16]           Le 27 juillet 2017, une réponse formelle de la part de l’intimée est transmise à l’appelante, l’informant de son refus de l’indemniser pour le vol de la remorque.

JUGEMENT ENTREPRIS

[17]           La juge de première instance conclut tout d’abord que l’appelante a établi que la remorque dont la valeur est réclamée est bien celle qui a été volée.

[18]           Elle examine par la suite la nature du lien juridique entre l’appelante et SYR[3]. Elle est d’avis qu’il n’y a ni contrat de service ni contrat de dépôt entre ces deux entreprises[4]. Par conséquent, selon elle, la relation entre les parties est régie par les règles de la responsabilité extracontractuelle et l’appelante ne peut bénéficier des présomptions prévues au C.c.Q. pour les contrats de dépôt ou de service[5].

[19]           La juge conclut par ailleurs qu’il y a absence de faute de la part de SYR, et ce, même s’il est démontré qu’il y a absence de mécanisme de surveillance ou de sécurité sur le site d’entreposage des remorques en attente de réparation[6].

[20]           Néanmoins, la juge se prononce sur les dommages-intérêts qu’elle aurait accordés si elle avait conclu à une faute de la part de SYR. À cet égard, elle aurait condamné l’intimée à verser un montant de 65 000 $ correspondant à la valeur de la remorque volée[7]. Elle rejette tous les autres chefs de dommages-intérêts réclamés, y compris celui visant à obtenir une indemnisation pour les troubles et inconvénients causés notamment par le refus injustifié de l’intimée de donner suite à sa réclamation, son comportement abusif et sa mauvaise foi.  L’appel porte essentiellement sur le refus d’indemnisation pour la valeur de la remorque, résultante de la relation contractuelle ou extracontractuelle, et celui concernant le comportement de l’intimée.

MOYENS D’APPEL

[21]           Les moyens d’appel soulevés par l’appelante nécessitent de se pencher sur les questions suivantes:

-           La juge de première instance a-t-elle commis une erreur manifeste et déterminante en concluant que seul le régime de la responsabilité civile extracontractuelle s’appliquait entre l’appelante et l’assurée de l’intimée?

-           La juge de première instance a-t-elle commis une erreur manifeste et déterminante en affirmant que l’assurée de l’intimée n’avait commis aucune faute à l’égard de l’appelante?

-           La juge de première instance a-t-elle commis une erreur manifeste et déterminante en refusant d’accorder des dommages-intérêts pour manquement de célérité d’indemnisation par l’intimée?

ANALYSE

1.                   La juge de première instance a-t-elle commis une erreur manifeste et déterminante en concluant que seul le régime de la responsabilité civile extracontractuelle s’appliquait entre l’appelante et l’assurée de l’intimée?

[22]           L’appelante soutient que la soumission pour la réparation de la remorque présentée par SYR constituait une offre de contracter à son endroit. Son acceptation scellait l’entente, dont les parties contractantes seraient elle-même et SYR. Selon elle, ce contrat ainsi formé en serait un de service (réparation du garagiste) avec dépôt accessoire à titre onéreux. La juge, en concluant à l’absence de contrat entre l’appelante et SYR, a erré en se limitant uniquement au libellé de la soumission acceptée, laquelle est adressée par SYR à Garage RB, écartant ainsi toute la preuve documentaire et testimoniale.

[23]           Finalement, pour la première fois en appel, l’appelante plaide que la juge aurait dû conclure, compte tenu de la preuve au dossier, que Garage RB agissait comme son mandataire à l’égard du contrat avec SYR.

[24]           Selon l’intimée, c’est à bon droit que la juge a déterminé que le lien contractuel avec SYR s’était établi avec Garage RB, et non pas avec l’appelante.

[25]           L’intimée a raison. L’appréciation de la preuve visant à établir l’existence d’un contrat ou sa qualification soulève une question mixte de fait et de droit et l’appelante ne démontre aucune erreur révisable qui justifie l’intervention de la Cour[8].

[26]           Contrairement à ce qu’affirme l’appelante, la juge d’instance n’a pas omis de considérer l’ensemble de la preuve. Selon l’appelante, cette preuve démontre clairement le droit de propriété de l’appelante sur la remorque[9]; certes, mais cela n’établit pas le régime de la responsabilité civile applicable.

[27]           Sur ce point, la juge note que la soumission est adressée et transmise uniquement à Garage RB et que les communications de SYR se font uniquement avec M. Thiffeault de Garage RB.

[28]           En appel, et comme mentionné, alors qu’elle n’a pas plaidé cet argument en première instance, l’appelante soutient que Garage RB aurait été son mandataire pour la lier contractuellement avec SYR.

[29]           Cette question découle de la position prise par l’intimée à la fin du procès en annonçant à la juge que l’appelante avait échoué à prouver le lien contractuel nécessaire avec sa cliente SYR. L’appelante n’a pas réagi sauf plaider, le lendemain, que la preuve permettait de conclure qu’elle était la véritable contractante, notamment le contenu de la déclaration faite par M. Fréchette à la Sûreté du Québec à la suite du vol, ainsi que le droit de propriété de la remorque de l’appelante. Elle plaidait également l’absence de preuve que Service RB aurait contracté avec SYR dans le passé, ce qui aurait alors autorisé l’argument de l’intimée.

[30]           L’intimée rétorque que ces faits sont tout aussi compatibles avec l’absence d’un tel mandat. Elle ajoute que l’existence d’un tel mandat n’a non seulement pas été établie devant la juge de première instance, mais qu’il n’en a même jamais été question.

[31]           Partant, la Cour est d’avis que cette question n’a pas à être abordée. En effet, l’appelante a soutenu lors de l’audience en appel, comme elle l’avait d’ailleurs fait au procès, que certains faits du dossier sont compatibles avec la formation d’un contrat entre elle et l’assurée de l’intimée.

[32]           Il faut à notre avis distinguer la connaissance par SYR du droit de propriété de l’appelante sur la remorque, de sa connaissance de l’identité de la personne avec qui elle contracte. SYR peut très bien savoir que la remorque appartient à l’appelante sans pour autant avoir l’intention de contracter avec cette dernière. Il s’agit d’une distinction fondamentale dans le dossier.

[33]           L’argument de l’appelante repose uniquement sur une interprétation factuelle. Même si les faits pouvaient admettre deux conclusions, l’appelante ne démontre aucune erreur et n’exprime qu’un désaccord avec celle retenue par la juge. Ainsi, devant les faits établis, la juge pouvait conclure que la preuve prépondérante ne démontrait pas que Garage RB contractait avec SYR au nom de l’appelante, mais qu’elle l’avait plutôt fait en son propre nom. Cela répond du même souffle à l’absence de mandat.

[34]           Partant, la juge de première instance pouvait conclure à l’absence d’« un fondement [suffisant] pour soutenir l’existence d’un contrat de dépôt d’un bien découlant d’un contrat de service entre [l’appelante] et [SYR] »[10], et ce, surtout alors que la soumission pour les travaux de réparation de la remorque transmise par SYR à Garage RB fait preuve de son contenu en vertu de l’article 2831 C.c.Q., notamment à l’égard de l’identité des co-contractants.

[35]           Par conséquent, la Cour est d’avis que la juge de première instance n’a pas commis d’erreur manifeste et déterminante en concluant à l’absence de lien contractuel entre l’appelante et l’assurée de l’intimée.

2.     La juge de première instance a-t-elle commis une erreur manifeste et déterminante en affirmant que l’assurée de l’intimée n’avait commis aucune faute à l’égard de l’appelante?

[36]           Vu l’absence d’un lien contractuel entre SYR et l’appelante, cette dernière devait démontrer la faute de SYR afin de faire valoir son droit d’action contre son assureur, l’intimée.

[37]           La Cour est d’avis que l’appelante a tort d’affirmer que la juge de première instance a erré de manière manifeste et déterminante en concluant à l’absence de faute de la part de SYR. Elle a considéré la preuve dans son ensemble, notamment l’absence de mécanisme de surveillance ou de sécurité sur le site d’entreposage des remorques en attente de réparation[11] et le long délai encouru avant de découvrir le vol[12].

[38]           Elle a souligné que la remorque volée nécessitait des réparations (tout comme les autres remorques entreposées), que le déplacement d’une telle remorque ne pouvait se faire que par un camion de taille imposante et qu’un tel déplacement n’était pas à la portée de tous[13]. Après avoir remarqué que le lieu réservé aux remorques entreposées n’est pas isolé[14], elle a ajouté qu’il n’y a jamais eu un tel vol en dix-huit ans d’activités, et ce, alors que des dizaines de remorques y ont été stationnées à ciel ouvert durant toutes ces années[15].

[39]           La juge de première instance a pondéré l’ensemble des éléments pertinents sur la question, ce qui lui a permis de conclure, à bon droit, qu’à la lumière de la preuve au dossier, « un vol n’était pas un évènement auquel un réparateur de si grosses remorques endommagées, nécessitant un déplacement par un véhicule lourd auquel une remorque de plus de 50 pieds de long devait être attachée pour effectuer le déplacement, devait savoir et prévoir »[16].

[40]           Cette conclusion découle de la preuve établie et est exempte d’erreur manifeste et déterminante. Ce moyen d’appel doit donc également être rejeté.

3.     La juge de première instance a-t-elle commis une erreur manifeste et déterminante en refusant d’accorder des dommages-intérêts pour manquement de célérité d’indemnisation par l’intimée?

[41]           L’appelante réclamait un montant de 10 000 $ à titre de dommages-intérêts compensatoires pour le retard à être indemnisée par l’intimée. Compte tenu des conclusions précédentes auxquelles la Cour arrive relativement aux moyens d’appel relatifs à la responsabilité civile, il n’y a pas lieu de traiter de ce moyen d’appel.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[42]           rejette l’appel, avec les frais de justice.

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

 

 

 

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.

 

 

 

 

 

PATRICK BUCHHOLZ, J.C.A. (AD HOC)

 

Me Guy R. Sirois

Pour l’appelante

 

Me Jean-François Pichette

Me Isabelle Martin-Sarrazin

WEIDENBACH, LEDUC, PICHETTE

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

26 septembre 2023

 


[1]  Transport Kahkashan inc. c. Intact compagnie dassurance, 2022 QCCS 794 [jugement entrepris].

[2]  Id., paragr. 61.

[3]  Id., paragr. 53.

[4]  Id., paragr. 59-60.

[5]  Id., paragr. 61.

[6]  Id., paragr. 76.

[7]  Id., paragr. 77-79.

[8]  Modern Concept d’entretien inc. c. Comité paritaire de l’entretien d’édifices publics de la région de Québec, 2019 CSC 28, paragr. 68.

[9]  Jugement entrepris, paragr. 54.

[10]  Jugement entrepris, paragr. 59.

[11]  Id., paragr. 65-66.

[12]  Id., paragr. 67.

[13]  Id., paragr. 72.

[14]  Id., paragr. 74.

[15]  Id., paragr. 73.

[16]  Id., paragr. 75.

AVIS :
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