Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Charest c. R.

2019 QCCA 1401

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

Nos :

500-10-006481-178, 500-10-006609-182

(700-01-137094-150)

 

DATE :

22 août 2019

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

 

 

BERTRAND CHAREST

APPELANT - accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

INTIMÉE - poursuivante

 

 

ARRÊT

 

 

NOTE

Le juge de première instance a prononcé une ordonnance de non-publication de tout renseignement pouvant identifier les victimes et certains témoins, conformément à l’article 486.4 du Code criminel. Cette ordonnance a été levée en partie par la Cour supérieure les 1er et 5 juin 2018, mais uniquement en ce qui a trait aux noms et prénoms de quatre plaignantes.

[1]           L’appelant se pourvoit contre deux jugements de la Cour du Québec, district de Terrebonne (l’honorable Sylvain Lépine), rendus les 22 juin et 8 décembre 2017, le premier le déclarant coupable de 37 chefs d’accusation de nature sexuelle, actes criminels commis sur 9 plaignantes entre 1992 et 1998, le deuxième lui infligeant des peines totalisant 12 ans d’emprisonnement, total toutefois réduit à 7 ans et 10 mois (94 mois) en raison de la détention provisoire.

[2]           Pour les motifs du juge Doyon, auxquels souscrivent les juges Kasirer et Hogue, LA COUR :

Dans le dossier 500-10-006481-178 (culpabilité) :

[3]           ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler;

[4]           ACCUEILLE l’appel en partie;

[5]           INFIRME en partie le jugement de première instance;

[6]           ACQUITTE l’appelant des chefs 10, 13, 18, 20, 30, 40, 52, 56 et 57;

[7]           DÉCLARE que les tribunaux canadiens n’ont pas compétence territoriale sur le chef 17;

[8]           ANNULE en conséquence la condamnation sur le chef 17;

[9]           ORDONNE l’arrêt des procédures sur les chefs 23 et 27;

[10]        ORDONNE la suspension conditionnelle des procédures sur les chefs 1, 3, 6, 9, 12, 22, 26, 33 et 36;

[11]        REJETTE l’appel en ce qui a trait aux 16 autres chefs d’accusation.

Dans le dossier 500-10-006609-182 (peines) :

[12]        ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler;

[13]        ACCUEILLE l’appel en partie;

[14]        INFIRME en partie le jugement de première instance;

[15]        DÉCLARE que la peine totale devrait être de 10 ans et trois mois d’emprisonnement;

[16]        RÉDUIT cette peine totale de 66 mois pour tenir compte de la détention provisoire;

[17]        À ces fins, IMPOSE les peines suivantes, à compter du 8 décembre 2017, date du jugement de première instance (pour faciliter la compréhension, les peines qui suivent comprennent celles pour lesquelles l’appel sur les peines est rejeté, les initiales étant celles des victimes) :

-       A : chef 39 : emprisonnement de 6 mois; chef 42 : 6 mois, ces peines devant être purgées de manière concurrente entre elles;

 

-       B : chef 2 : emprisonnement de 6 mois; chef 5 : 36 mois; chef 8 : 15 mois, toutes ces peines devant être purgées de manière concurrente entre elles, mais consécutive aux précédentes;

 

-       F : chef 38 : emprisonnement de 15 mois, cette peine devant être purgée de manière consécutive aux précédentes;

 

-       C : chef 11 : emprisonnement de 30 mois; chef 14 : 15 mois; chef 21 : 18 mois, toutes ces peines devant être purgées de manière concurrente à toutes les autres;

 

-       D : chef 24 : emprisonnement de 18 mois; chef 25 : 18 mois; chef 28 : 15 mois; chef 29 : 24 mois, toutes ces peines devant être purgées de manière concurrente à toutes les autres;

 

-       E : chef 35 : emprisonnement de 18 mois, cette peine devant être purgée de manière concurrente à toutes les autres;

 

-       G : chef 43 : emprisonnement de 3 mois, cette peine devant être purgée de manière concurrente à toutes les autres;

 

-       H : chef 49 : emprisonnement de 3 mois, cette peine devant être purgée de manière concurrente à toutes les autres;

 

Pour un total de 57 mois d’emprisonnement, soit 4 ans et 9 mois;

[18]        TOUTES les autres ordonnances demeurent en vigueur.

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 

 

 

 

 

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

 

Me Louis Belleau

Me Antoine Grondin-Couture

LOUIS BELLEAU AVOCAT

Pour l’appelant

 

Me Alexis Marcotte Bélanger

Me Maxime Lacoursière

Me Alexandre Dubois

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

 4 juin 2019



 

 

MOTIFS DU JUGE DOYON

 

 

[19]        L’appelant se plaint d’une multitude d’erreurs qu’aurait commises le juge de première instance qui aurait fait preuve d’indifférence face au droit et à la preuve, au point où il y aurait eu dysfonctionnement du système de justice. Il soutient aussi que les peines, totalisant 12 ans d’emprisonnement, sont nettement déraisonnables.

[20]        De son côté, l’intimée concède que plusieurs déclarations de culpabilité doivent être infirmées et qu’un certain nombre de chefs d’accusation doivent mener à un acquittement ou à une suspension conditionnelle des procédures, contrairement à ce qu’a fait le juge. En revanche, selon elle, les erreurs du juge n’auraient eu aucun impact sur la légalité des peines qui ont été infligées, plus particulièrement en ce qui a trait au total de 12 ans d’emprisonnement.

LA CULPABILITÉ

CONTEXTE

[21]        Initialement accusé de 57 chefs d’accusation de nature sexuelle à l’égard de 12 plaignantes (j’utiliserai des initiales pour les identifier), l’appelant a été acquitté de 18 d’entre eux et le juge a estimé ne pas avoir compétence territoriale sur deux autres. Il a conséquemment été reconnu coupable de 37 chefs d’accusation, dont 16 agressions sexuelles, impliquant 9 plaignantes.

[22]        Toutes les infractions portent sur la période 1991-1998 alors que l’appelant était entraîneur de ski alpin d’équipes d’élite des Laurentides et ensuite de l’équipe canadienne junior. Il était âgé de 26 à 32 ans et les plaignantes avaient entre 12 et 18 ans, toutes des athlètes qu’il a entraînées.

[23]        L’appelant fréquente ces athlètes au quotidien. En plus de les voir lors des nombreux entraînements, il organise des camps d’entraînement à l’étranger qui durent plusieurs semaines. De plus, il les accompagne lors des multiples compétitions auxquelles elles participent. Durant ces voyages, il est l’adulte responsable. En 1995, il met sur pied une académie à Mont-Tremblant où plusieurs athlètes résident comme pensionnaires. Sa sœur gère la pension, mais l’appelant s’y rend quotidiennement puisqu’il vit tout près.

[24]        Les plaignantes et les autres témoins à charge décrivent un entraîneur omniprésent et envahissant : il se prononce sur l’alimentation des athlètes et leur poids, s’immisce dans les relations entre les membres de l’équipe, interroge les athlètes sur leur vie amoureuse et sexuelle, s’interpose entre elles et leurs amoureux, les touche, les masse, commente leur apparence, les conseille sur leurs relations familiales, leur offre du travail rémunéré sur sa propriété et prête de l’argent aux familles qui peinent à supporter les coûts engendrés par le sport d’élite. Plusieurs témoins conviennent que la proximité qu’il crée avec les athlètes surpasse celle qui s’installe généralement dans ce genre de relations.

[25]        Certaines lettres échangées entre l’appelant et des skieuses témoignent de la nature intime des relations qu’il tisse avec elles. Il y déclare notamment son amour pour certaines d’entre elles.

[26]        Une intimité hors du commun se crée et l’appelant s’adonne à l’occasion à des pratiques qualifiées de malsaines par certains, pratiques parfois empreintes d’une forme de harcèlement. Il lui arrive de dénigrer les athlètes pour ensuite les complimenter et, de nouveau, les dénigrer et les humilier devant les membres de leur équipe, mais couvre ensuite certaines de compliments et de promesses amoureuses dans l’intimité. Ces agissements lui permettent d’avoir mainmise sur leur estime personnelle et, quelquefois, les athlètes se font concurrence pour attirer son attention.

[27]        En raison de son statut, l’appelant a un énorme pouvoir sur la vie des athlètes qui forment son équipe et qui veulent toutes faire partie de l’élite. Il suffit qu’il accorde moins d’attention à l’une pour mettre en péril la progression de celle-ci.

[28]        En soi, cette conduite n’est pas blâmable, à tout le moins en ce qui concerne le droit criminel. Il faut toutefois en tenir compte dans un contexte où la situation d’autorité ou de confiance est le fondement de plusieurs accusations.

[29]        C’est dans ce cadre très particulier, et décrit de manière assez uniforme par les témoins à charge, que l’appelant aurait posé les gestes reprochés.

[30]        En 1998, en France, alors que l’équipe se prépare au Championnat du monde, trois athlètes dévoilent avoir des relations sexuelles et intimes avec l’appelant.

[31]        Le directeur de Canada Alpin est mis au fait de la situation et rejoint précipitamment l’équipe. A, C et D l’informent qu’elles ont des relations sexuelles avec l’appelant. Il le congédie et lui demande de quitter le gîte où réside l’équipe.

[32]        B et C voient l’appelant le lendemain alors qu’il se présente sur la piste de ski. Il justifie sa conduite à B en expliquant être amoureux de D et avoir eu des relations purement charnelles avec A et C.

[33]        Peu après, il avoue à un ami avoir eu des relations sexuelles avec plusieurs skieuses, mais tente de se justifier : il a été faible et les a laissé faire.

[34]        Ce dévoilement met un terme à sa carrière d’entraîneur.

[35]        En septembre 2014, l’appelant contacte l’entraîneuse-chef du club de ski du Mont-Blanc, et demande à se joindre à son équipe d’entraîneurs afin d’entraîner son propre fils. Elle accepte. Éventuellement, il se confie et l’informe avoir eu des relations sexuelles avec B, A et D.

[36]        À l’hiver 2015, B voit l’appelant sur les pentes du Mont-Blanc et elle comprend qu’il entraîne des jeunes de 11 ou 12 ans. Elle en est outrée et s’adresse à la fédération en plus de contacter les policiers pour porter plainte pour les agressions sexuelles dont elle dit avoir été victime aux mains de l’appelant. Elle communique aussi avec d’anciennes coéquipières que les policiers rencontrent.

[37]        Le 6 mars 2015, l’appelant donne une déclaration vidéo qui est déposée en preuve. Il admet avoir eu des relations sexuelles avec D et B, mais soutient qu’ils étaient amoureux. Il laisse entendre que d’autres athlètes auraient voulu avoir des relations sexuelles avec lui.

[38]        Les accusations portées ensuite contre l’appelant concernent tant des gestes sporadiques ou isolés que des relations sexuelles répétées.

[39]        Dans de nombreux cas, la poursuite a déposé plusieurs accusations pour le même événement, notamment agression sexuelle (art. 271 ou 272 C.cr.), contacts sexuels (art. 151 C.cr.), attouchements sexuels par une personne en situation d’autorité (paragr. 153(1)a) C.cr.) et incitation à des attouchements sexuels (paragr. 153(1)b) C.cr.) alors que, pour ces deux dernières accusations, l’appelant était en situation d’autorité ou de confiance ou encore alors que la plaignante était à son égard en situation de dépendance.

[40]        Chacune de ces accusations a ses exigences propres, ce qui a d’ailleurs causé une certaine confusion, particulièrement en raison de la manière choisie par la poursuite de mener sa preuve, comme nous le verrons plus loin. De plus, cette accumulation d’accusations doit entraîner, dans plusieurs cas, l’application de la règle prohibant les condamnations multiples. J’y reviendrai.

JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE ET COMMENTAIRES PRÉLIMINAIRES

[41]        Le jugement n’est pas exempt d’erreurs.

[42]        Pour résumer la situation, le juge aborde d’abord neuf thèmes qui lui paraissent plus importants aux fins de l’analyse : techniques d’entraînement « toxiques »; contrôle « total » sur la vie des athlètes; entraîneur « exclusif et indispensable »; séduction « à petits pas »; nature des gestes à caractère sexuel; secret de la relation; séquelles; lettres d’amour et le dévoilement en 1998. On voit que, pour le juge, à bon droit, la nature très particulière des rapports entre l’appelant et les athlètes revêt une grande importance.

[43]        Quant à la preuve d’actes similaires (ou de conduite indigne ou encore d’inconduite) qu’il juge admissible, le juge indique que cette preuve (constituée pour l’essentiel de la preuve des divers chefs d’accusation les uns par rapport aux autres) cherche principalement « à rendre plus crédible le témoignage des plaignantes » et donc « à renforcer la crédibilité des skieuses sur les chefs d’accusation les concernant ». Il y a un certain danger à ne pas préciser davantage comment la crédibilité sera ainsi renforcée et à ne pas en limiter la portée. Comme le précise le juge Binnie dans R. c. Handy, 2002 CSC 56, [2002] 2 R.C.S. 908 :

[116]    Tout ce qui ternit la moralité de l’accusé peut accessoirement accroître la crédibilité du plaignant. Décider que la « question soulevée » porte sur la crédibilité risque, à moins qu’on en limite la portée, de donner lieu à l’admission de rien de plus qu’une preuve de prédisposition générale (« mauvaise personnalité »).

[44]        Le juge ajoute toutefois que, même sans la preuve d’actes similaires, « il en serait venu aux mêmes conclusions », la crédibilité des plaignantes étant, selon lui, établie.

[45]        En ce qui concerne la crédibilité des plaignantes, il vaut de noter que le juge traite de cette question globalement et collectivement. Il en est de même de l’absence de consentement et de la situation d’autorité ou de confiance de l’appelant vis-à-vis les plaignantes. À première vue, cette démarche paraît contradictoire avec le caractère subjectif de l’élément à prouver. Par exemple, je souligne, comme le rappelle l’appelant, que certaines plaignantes disent ne pas avoir consenti alors que d’autres ont consenti, ce consentement apparent ayant toutefois été vicié par la position d’autorité ou de confiance de l’appelant, selon la théorie de la poursuite.

[46]        On voit bien qu’on ne peut considérer que toutes les plaignantes étaient nécessairement dans la même situation et que « l’analyse objective », retenue par le juge, n’est pas adéquate. D’ailleurs, lui-même écrit ensuite qu’il « faut tenir compte de la nature de la relation qui existait entre les plaignantes et l’accusé ». Il faut aussi préciser que, dans son argumentation écrite au procès, l’appelant (qui n’était pas représenté par l’avocat qui agit pour lui en appel) a suggéré au juge de décider de la question en se fondant sur un critère objectif. Cela n’excuse pas l’erreur du juge, mais permet peut-être de comprendre davantage sa démarche.

[47]        Par ailleurs, sur un autre sujet, même si les paragr. 153(1)a) et b) C.cr. en vigueur à l’époque exigeaient que l’adolescent ait moins de 18 ans, le juge examine erronément la situation en indiquant que, sauf « I qui est âgée entre 18 et 19 ans au moment des faits reprochés, toutes les autres plaignantes sont âgées de 12 à 18 ans [plutôt que de 12 à moins de 18 ans] lors des événements ayant conduit aux accusations ». Or, le juge reconnaîtra erronément l’appelant coupable d’infractions d’attouchements sexuels sur certaines plaignantes alors qu’elles étaient âgées de 18 ans au moment des faits, ce qui est contraire à la loi, comme en convient l’intimée.

[48]        De même, en estimant avoir compétence à l’égard d’une agression sexuelle commise en Nouvelle-Zélande (chef 17), le juge interprète erronément l’article 7(4.1) du Code criminel.

ANALYSE

1.-  Contacts sexuels et attouchements sexuels par une personne en situation d’autorité : âge des plaignantes et autres problèmes de preuve

[49]        Voici les dispositions pertinentes du Code criminel en vigueur au moment des infractions :

150.1 (1) [Inadmissibilité du consentement] Lorsqu’une personne est accusée d’une infraction prévue aux articles 151 ou 152, aux paragraphes 153(1), 160(3) ou 173(2), ou d’une infraction prévue aux articles 271, 272, ou 273 à l’égard d’un plaignant âgé de moins de quatorze ans, ne constitue pas un moyen de défense le fait que le plaignant a consenti aux actes à l’origine de l’accusation.

 

150.1 (1) [Consent no defence] Where an accused is charged with an offence under section 151 or 152 or subsection 153(1), 160(3) or 173(2) or is charged with an offence under section 271, 272 or 273 in respect of a complainant under the age of fourteen years, it is not a defence that the complainant consented to the activity that forms the subject-matter of the charge.

151. [Contacts sexuels] Est coupable soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire toute personne qui, à des fins d’ordre sexuel, touche, directement ou indirectement, avec une partie de son corps ou avec un objet, une partie du corps d’un enfant âgé de moins de quatorze ans.

 

151. [Sexual interference] Every person, who, for a sexual purpose, touches, directly or indirectly, with a part of the body of a person under the age of fourteen years is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding ten years or is guilty of an offence punishable on summary conviction.

153 (1) [Personne en situation d’autorité] Est coupable d’un acte criminel et passible soit d’un emprisonnement maximal de cinq ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration sommaire, toute personne qui est en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis un adolescent ou à l’égard de laquelle l’adolescent est en situation de dépendance et qui, selon le cas :

a) à des fins d’ordre sexuel, touche, directement ou indirectement, avec une partie de son corps ou avec un objet, une partie du corps de l’adolescent;

b) à des fins d’ordre sexuel, invite, engage ou incite un adolescent à le toucher, à se toucher ou à toucher un tiers, directement ou indirectement, avec une partie du corps ou avec un objet.

 

 

(2)  [Définition de « adolescent »] Pour l’application du   présent article, « adolescent » s’entend d’une personne âgée de quatorze ans au moins mais de moins de dix-huit ans.

153 (1) [Sexual exploitation] Every person who is in position of trust or authority towards a young person or is a person with whom the young person or is a person with whom the young person is in a relationship of dependency and who

(a) for a sexual purpose, touches, directly or indirectly, with a part of the body or with an object, a part of the body of the young person, or

(b) for a sexual purpose, invites, counsels or incites a young person to touch, directly or indirectly, with a part of the body or with an object, the body of any person, including the body of the person who so invites, counsels or incites and the body of the young person,

is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding five years or is guilty of an offence punishable on summary conviction.

(2)  [Definition of “young person”] In this section, “young person” means a person fourteen years of age or more but under the age of eighteen years.

 

 

[50]        Sous l’article 151 C.cr., le consentement n’est pas une défense, au motif qu’il s’agit d’une enfant de moins de 14 ans (article 150.1 C.cr.). De plus, comme mentionné précédemment, l’un des éléments essentiels de l’infraction d’attouchements sexuels par une personne en situation d’autorité est que la victime ait moins de 18 ans. Pourtant, et contrairement à ce que l’on pouvait s’attendre, pour une raison inexplicable, la poursuite n’a interrogé que peu de plaignantes sur leur date de naissance ou précisément sur leur âge au moment des événements. Il faut donc souvent supputer et vérifier de nombreux éléments de preuve pour tenter de déterminer si la perpétration de certaines infractions a été démontrée. Cette lacune dans la présentation de la preuve a inutilement compliqué la tâche de tous et, au premier chef, celle du juge de première instance qui a commis des erreurs de droit, notamment sur cette question.

[51]        Ainsi, la preuve ne permet pas d’établir que la plaignante était âgée de moins de 18 ans dans le cas des chefs 18, 30 et 52, ce qu’admet l’intimée, alors que le juge a néanmoins prononcé un verdict de culpabilité.

[52]        Pour le chef 18, C témoigne être née en [...]. Or, dit-elle, elle avait 16 ans au printemps 1996, au moment où elle devient membre de l’équipe nationale junior, et elle avait 17 ans à l’hiver 1997. Elle a donc atteint ses 18 ans en [...] 1997 alors que l’infraction reprochée a eu lieu en novembre 1997, de sorte qu’elle avait 18 ans.

[53]        En ce qui concerne le chef 30, là encore, la plaignante E est âgée de 18 ans au moment de l’infraction. En effet, elle avait 38 ans au moment de son témoignage le 8 mars 2017; elle a donc atteint ses 18 ans entre le 9 mars 1996 et le 8 mars 1997 alors que l’événement est survenu en mai 1997, et peut-être même en 1998, malgré le libellé du chef.

[54]        Quant au chef 52, H a eu 15 ans à l’automne 1992 et a donc eu 18 ans à l’automne 1995. Elle situe l’événement à l’été 1995 ou 1996, sans être plus précise. Elle avait donc 17 ou 18 ans, sans qu’il soit possible de conclure hors de tout doute raisonnable qu’elle en avait moins de 18 vu l’imprécision quant à l’année où sont survenus les événements.

[55]        Par ailleurs, le paragraphe 153(1)a) C.cr. exige que l’accusé ait, d’une certaine façon, initié les attouchements alors que, pour le paragraphe 153(1)b), il faut que l’accusé ait invité, engagé ou incité l’adolescent à se porter à des attouchements d’ordre sexuel. Les éléments essentiels des deux infractions sont donc différents.

[56]        Le juge conclut que l’appelant a commis l’infraction du paragraphe 153(1)b) :

[132] Chacune d’entre elles a été incitée par l’accusé à accepter ou participer à des activités sexuelles à travers l’exercice, sans équivoque, d’un abus de confiance et de pouvoir.

[57]        Pourtant, et l’intimée en convient, il n’y a aucune preuve d’incitation ou d’invitation à se porter à des attouchements en ce qui a trait aux chefs 10, 13 et 40. Un simple acquiescement passif de la part de l’accusé ou le défaut de résister ne suffisent pas : R. c. Casavant, 2016 QCCA 1340, paragr. 52.

[58]        En somme, un acquittement s’impose sur les chefs 10, 13, 18, 30, 40 et 52.

[59]        L’appelant plaide qu’il n’y a pas davantage de preuve pour les chefs 23 et 27. L’intimée admet que les motifs du jugement à leur égard sont incomplets et déficients en ce qu’ils ne respectent pas les exigences de R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3, paragr. 25, soit : « informer les parties du fondement du verdict, rendre compte devant le public et permettre un véritable examen en appel ». L’intimée soutient toutefois qu’il existe une preuve suffisante pour ordonner un nouveau procès, plutôt que de prononcer un acquittement. J’y reviendrai plus loin.

[60]        Par ailleurs, l’appelant fait plus qu’invoquer ces erreurs de droit au soutien de son appel. Il estime que, conjuguées à d’autres erreurs que j’aborderai plus loin[1], elles devraient ébranler notre confiance à l’égard de l’ensemble du jugement. Leur importance et leur gravité démontreraient une forme d’indifférence par rapport à la preuve, aux règles de droit et même au rôle du juge présidant un procès.

[61]        Il est vrai que les erreurs dont l’appelant fait état sont importantes, mais elles ne suffisent pas pour remettre en question l’entièreté du jugement. Certes, elles étonnent et peuvent même déconcerter le lecteur. Néanmoins, les motifs énoncés par le juge, considérés à la lumière de la preuve, suffisent, généralement, pour comprendre le raisonnement et, s’il y a lieu, intervenir. De plus, malgré une motivation déficiente, il reste que le résultat peut être juste, de sorte que l’appel peut être rejeté si la cour d’appel est en mesure de remédier aux lacunes du jugement et substituer ses propres motifs à ceux du juge : Raymond c. R., 2007 QCCA 1647.

[62]        En outre, sans justifier d’aucune manière ces erreurs de droit, il reste que la conduite des parties peut les expliquer, du moins en partie. Ainsi, l’absence de questions par la poursuite sur l’âge des plaignantes et le contenu de la longue argumentation écrite déposée par la défense à la fin du procès (qui ne contenait aucun argument sur l’âge des plaignantes, sauf pour un chef) ont pu laisser croire que cette question n’était pas véritablement au cœur du litige. Si cela n’excuse pas l’erreur, il reste que ce doit être pris en compte en soupesant la valeur de l’argument de l’appelant sur l’indifférence du juge face au droit et à la preuve.

2.-  L’agression sexuelle alléguée avoir été perpétrée en Nouvelle-Zélande (chef 17)

[63]        Le chef 17 reprochait la perpétration d’une agression sexuelle (art. 271 C.cr.) sur C en Nouvelle-Zélande. Au procès, la poursuite n’a invoqué que l’application du paragraphe 7(4.1) C.cr., qui confère exceptionnellement compétence territoriale aux tribunaux canadiens à l’égard d’une liste d’infractions, même si elles ont été commises à l’étranger. Cela est évidemment contraire à la règle générale voulant que les tribunaux canadiens n’aient pas cette compétence.

[64]        Or, l’agression sexuelle ne fait pas partie des infractions énumérées dans ce paragraphe, de sorte que le juge ne pouvait juger cette accusation. La condamnation devra donc être annulée.

3.-  L’agression sexuelle alléguée avoir été commise à Nakiska, en Alberta, entre le 1er janvier 1996 et le 4 octobre 1997 (chefs 20 et 21)

[65]        L’appelant a été déclaré coupable de deux chefs d’agression sexuelle pour des événements qui se seraient passés à Nakiska, en Alberta (chefs 20 et 21). La preuve ne révèle toutefois l’existence que d’une agression à cet endroit et cette agression est survenue en novembre 1997. C’est donc le chef 21 qui est ici en cause puisqu’il couvre la période du 4 octobre 1997 au 1er mars 1998. Par voie de conséquence, l’appelant ne pouvait être également reconnu coupable du chef 20, d’autant qu’il porte sur la période du 1er janvier 1996 au 4 octobre 1997.

[66]        Le juge commet donc une erreur de droit et il y a lieu de substituer un jugement d’acquittement en ce qui a trait au chef 20, comme le concède d’ailleurs l’intimée, encore une fois à bon droit.

4.-  L’agression sexuelle causant des lésions corporelles (chef 42)

[67]        Je rappelle que le juge de première instance a cru les plaignantes. Le récit qui suit est donc fondé sur la version des faits de la plaignante A. Je précise que l’appelant n’a pas témoigné.

[68]        A a eu 15 ans en [...] 1992; il faut donc conclure qu’elle est née en 1977. L’appelant devient son entraîneur alors qu’elle a 11 ou 12 ans et il le restera jusqu’à ses 16 ans. Il est l’objet de son admiration. Elle s’en dira amoureuse. Alors qu’elle a 14 ans, elle se rend avec lui en Italie pour participer à une compétition. Avant le départ, il lui dit qu’il l’aime « plus qu’une coureuse ». C’est durant ce voyage qu’il pose les premiers gestes de nature sexuelle : il se rend dans sa chambre et l’embrasse « sur la bouche ».

[69]        Au retour, vers la journée de son quinzième anniversaire, ils ont une première relation sexuelle. Il est son premier partenaire sexuel. Naît alors une relation, « un peu comme un couple » dit-elle « mais en cachette ». Elle explique que l’appelant lui a dit que « si quelqu’un savait, il pourrait aller en prison », ce qui explique qu’elle ait gardé le silence par la suite.

[70]        D’autres relations sexuelles, toujours non protégées, suivront. Elle habitera durant une certaine période chez les parents de l’appelant et des rapports sexuels s’y produiront fréquemment. Puis, à l’âge de 15 ou 16 ans, elle devient enceinte. Un test le confirmera. Elle souffre de nausées et téléphone à l’appelant de son école. Elle ne se souvient pas si elle avait alors passé le test ou si elle l’a fait par la suite. Quoi qu’il en soit, quelques jours après l’appel téléphonique, l’appelant vient la chercher et l’amène à Montréal dans une clinique privée où l’on procédera à une interruption de grossesse. Il lui procure par la suite une prescription de pilules contraceptives. Ils continuent d’avoir des relations sexuelles de façon régulière. Elle se sentait coupable, a souffert d’anorexie et sa carrière s’est mise à péricliter.

[71]        Il lui disait qu’elle était la femme de sa vie, qu’ils se marieraient, qu’ils auraient une maison, une famille, des enfants. Il a 27 ans alors qu’elle est en quatrième secondaire.

[72]        Elle a souffert de cette relation et a réussi à y mettre fin lorsqu’elle est partie aux États-Unis durant quatre mois pour ses études d’anglais.

[73]        Lorsque le scandale éclate en 1998, l’appelant communique avec elle pour s’assurer, selon ce qu’elle comprend, qu’elle garde le secret. C’est à ce moment qu’elle réalise avoir été victime d’abus. Elle aura des pensées suicidaires durant plusieurs années.

[74]        Des lettres introduites en preuve témoignent de l’amour qu’elle lui porte. Est aussi en preuve une lettre du 26 juillet 1993 écrite par la mère de l’appelant à ce dernier le mettant en garde des risques de sa relation avec A. Sa mère lui souligne qu’il est de son devoir de lui parler d’une « situation excessivement délicate » en disant croire que ses rapports avec A « sont plus que des rapports entre coach et athlète ». Elle lui rappelle la gravité de son comportement alors que les parents de la jeune fille, la direction et les autres entraîneurs lui font confiance. « A est une enfant, elle est à une période instable de sa vie (l’adolescence) et tu oses jouer avec ses sentiments », écrit-elle. Puis, clairvoyante, elle ajoute, si ce qu’elle perçoit est exact : « dis-toi qu’une mère pardonne mais que la société est impitoyable et te condamnera ».

[75]        L’intimée soutient que les relations sexuelles avec l’appelant ont entraîné une grossesse non désirée interrompue par un avortement. L’appelant plaide que le juge a erré en droit en prononçant un verdict de culpabilité au motif qu’il aurait omis d’examiner l’existence d’un consentement ou la validité du consentement et la mens rea ou l’intention coupable. En sus, son analyse ferait abstraction du fardeau qui incombait à la poursuite d’établir le lien causal entre l’agression sexuelle alléguée et les lésions corporelles. Il estime que l’existence même de la grossesse n’a pas été démontrée hors de tout doute raisonnable.

[76]        Je suis d’avis que l’appelant fait fausse route.

[77]        Je rappelle que la plaignante vit difficilement cette relation, qu’elle est stressée et anxieuse au point de développer des troubles alimentaires. L’appelant la contraint au secret. Elle tente de mettre fin à la relation, mais l’appelant parvient à vaincre sa volonté en lui disant qu’il s’agit d’une situation tout à fait usuelle. Elle témoigne :

[…] Puis aussi, il me disait que ça arrivait fréquemment que les athlètes et les entraîneurs tombaient en amour.

[78]        Le paragr. 273.1(2)c) C.cr., en vigueur depuis le 15 août 1992, édicte que : « Le consentement du plaignant ne se déduit pas, pour l’application des articles 271, 272 et 273, des cas où l’accusé l’incite à l’activité par abus de confiance ou de pouvoir/No consent is obtained, for the purposes of sections 271, 272 and 273, where the accused induces the complainant to engage in the activity by abusing a position of trust, power or authority ». Cette disposition s’applique donc aux agressions sexuelles.

[79]        Dans R. v. Lutoslawski, 2010 ONCA 207, le juge Doherty écrit :

[12] […] The section addresses the kinds of relationships in which an apparent consent to sexual activity is rendered illusory by the dynamics of the relationship between the accused and the complainant, and by the misuse of the influence vested in the accused by virtue of that relationship. […] An individual who is in a position of trust over another may use the personal feelings and confidence engendered by that relationship to secure an apparent consent to sexual activity.

[80]        L’appelant est plus âgé, plus expérimenté que la plaignante. Comme entraîneur de jeunes athlètes de haut niveau, il est à la fois en situation de confiance et d’autorité. Il tire avantage de cette situation pour convaincre A de poursuivre une relation qui la rend malheureuse et même gravement malade. Le juge pouvait raisonnablement conclure que l’appelant a incité la plaignante à des contacts sexuels en abusant de sa confiance ou de son pouvoir.

[81]        D’ailleurs, la notion d’incitation dont il s’agit n’exige pas une forme de coercition comme celle prévue au paragraphe 265(3)d) C.cr. par exemple[2]. Comme l’écrivent les autrices Julie Desrosiers et Geneviève Beausoleil-Allard dans L'agression sexuelle en droit canadien, 2e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2017, à la p. 93 : « l’incitation suggère un degré d’influence plus subtil. Ainsi, pour vicier le consentement au sens de l’article 273.1(2)c) C.cr., l’accusé doit avoir incité la plaignante à consentir en abusant de sa position de pouvoir ou d’autorité, mais il n’est pas nécessaire qu’il ait utilisé son autorité de manière coercitive ».

[82]        La Cour suprême reprend ce principe dans R. c. Snelgrove, 2019 CSC 16 :

L’alinéa 273.1(2) c) a pour objet [TRADUCTION] « [l]a protection des personnes faibles et vulnérables ainsi que la préservation du droit de consentir librement à une activité sexuelle » (R. c. Hogg (2000), 148 C.C.C. (3d) 86 (C.A. Ont.), par. 17). Inciter quelqu’un à donner son consentement par abus de relations comme celles mentionnées à l’al. 273.1(2) c) n’implique pas le même type de coercition que celle envisagée à l’al. 265(3) d) du Code criminel, qui vise les cas de consentement obtenu lorsque le plaignant se soumet ou ne résiste pas en raison de l’« exercice de l’autorité ». En fait, comme l’a fait remarquer le juge Doherty dans R. c. Lutoslawski, 2010 ONCA 207, 258 C.C.C. (3d) 1 : [TRADUCTION] « Un individu qui est dans une situation où il a la confiance d’une autre personne peut se servir des sentiments personnels et de la confiance engendrés par cette relation pour obtenir un consentement apparent à l’activité sexuelle » (par. 12).

[83]        En l’espèce, la preuve révèle que la plaignante a donné un consentement apparent après que l’appelant l’y eut incité. On parle ici d’un homme ayant un ascendant hors du commun, en raison de son statut et de sa conduite, qui a exploité sciemment la confiance de la plaignante. Suivant le paragraphe 273.1(2)c) C.cr., le consentement de celle-ci n’est pas valide, d’autant que le paragraphe 273.1(3) C.cr. précise que « [l]e paragraphe (2) n’a pas pour effet de limiter les circonstances dans lesquelles le consentement ne peut se déduire/[n]othing in subsection (2) shall be construed as limiting the circumstances in which no consent is obtained ». Les circonstances démontrées par la preuve établissent que le consentement de A était vicié et l’appelant l’a donc agressée sexuellement. Elle faisait partie de celles qui, selon le juge, « ne pouvaient pas consentir ».

[84]        Le lien causal entre les rapports sexuels et la grossesse se déduit de la nature de la relation entre l’appelant et la plaignante, même si le juge de première instance ne s’est pas exprimé spécifiquement à cet égard et même si la poursuite n’a pas posé de questions directes à ce sujet.

[85]        La plaignante est la femme de sa vie, ils feront leur vie ensemble et, dans les circonstances décrites par la plaignante, l’on peut raisonnablement inférer qu’à cette époque, elle n’avait pas d’autre partenaire sexuel.

[86]        De plus, les motifs du jugement permettent de comprendre que le juge était convaincu que la grossesse non désirée était la conséquence d’une agression sexuelle commise par l’appelant, qui a pris en charge l’avortement.

[87]        L’appelant laisse entendre que le juge ne pouvait être convaincu au-delà du doute raisonnable de l’existence de la grossesse puisque la poursuite n’a pas déposé de preuve indépendante et médicale. Or, le juge croit la plaignante, même en l’absence d’une telle preuve. L’appelant soulève donc une question de fait, sans toutefois démontrer que le juge a commis une erreur manifeste et déterminante. Cet argument doit ainsi être rejeté.

[88]        À ce sujet, je rappelle qu’une cour d’appel peut tenir compte du silence de l’accusé lorsqu’elle évalue le caractère raisonnable ou déraisonnable d’une déclaration de culpabilité : R. c. Noble, [1997] 1 R.C.S. 874. Pour reprendre les propos du juge Moldaver dans R. c. George-Nurse, 2019 CSC 12 :

[…] la preuve circonstancielle présentée contre l’appelant le plaçait dans la position de devoir réfuter une cause fort bien étayée. […]

Cela étant, la cour était autorisée en appel à tenir compte du silence de l’appelant lorsqu’elle a examiné sa prétention selon laquelle le verdict était déraisonnable […].

[89]        Ces remarques sont applicables ici, particulièrement en ce qui a trait à l’existence même de la grossesse et de son interruption, de même que du statut de père de l’appelant. La Cour peut donc prendre en considération l’absence de témoignage de l’appelant pour conclure que le verdict n’est pas déraisonnable.

[90]        La preuve soutient aussi la conclusion implicite du juge sur la mens rea, c’est-à-dire l’intention ou la connaissance coupable (en l’espèce, savoir qu’il y a un vice de consentement ou faire preuve d’aveuglement volontaire ou d’insouciance à cet égard). Même sa mère ainsi qu’un autre entraîneur ont mis en garde l’appelant de ne pas abuser de la confiance de la plaignante et de celle de ses parents qui lui avaient confié leur fille. De toute façon, peut-on vraiment penser que l’appelant ne le savait pas?

[91]        Enfin, la question des lésions corporelles n’a pas été contestée par la défense. Les parties ont traité la question sous l’angle de la grossesse (non désirée) et des changements physiologiques qui accompagnent une grossesse. Il n’est donc pas nécessaire de s’interroger sur la nature des lésions ici (psychologiques, changements physiologiques ou interruption de grossesse).

[92]        En somme, malgré les lacunes dans l’analyse du juge, les motifs permettent d’expliquer le fondement du verdict de culpabilité sur le chef 42 et d’en examiner le bien-fondé. Le verdict s’appuie sur la preuve et il y a lieu de le confirmer.

5.-  Les autres infractions

[93]        L’appelant recherche une ordonnance de nouveau procès en ce qui a trait aux accusations d’agression sexuelle. Quant à celles d’attouchements, il veut être acquitté de certaines et demande un nouveau procès pour d’autres.

[94]        Selon lui, le juge aurait erré en droit en analysant les éléments essentiels des infractions, notamment en se fondant sur un critère objectif pour examiner l’absence de consentement. Il aurait aussi escamoté l’analyse de la validité du consentement apparent de certaines plaignantes et ne se serait pas penché sur la question de la mens rea. Il soutient aussi que l’analyse du juge est lacunaire parce qu’il apprécie en bloc la preuve des infractions au lieu de s’attarder aux éléments particuliers à chacune d’elles. Il estime également que les motifs du jugement sont d’une telle opacité qu’il est même impossible de comprendre le fondement de certains acquittements.

[95]        J’ai déjà souligné qu’il est erroné de se fonder sur un critère objectif pour traiter du consentement. Après tout, comme l’existence du consentement s’évalue en fonction du plaignant : R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330, c’est son état subjectif qui prime, de sorte que chaque cas diffère et doit être évalué en tenant compte de la situation particulière de chaque plaignant. Il faut aussi nécessairement examiner la situation de l’accusé pour déterminer s’il avait la mens rea requise.

[96]        Il en est de même de l’analyse en bloc ou globale des diverses infractions. Une analyse globale ne suffit pas. Chaque chef d’accusation a ses propres exigences et il faut donc analyser la preuve pertinente à chacun.

[97]        En ce qui concerne l’argument voulant que les motifs du jugement soient déficients, opaques ou insuffisants pour soutenir les déclarations de culpabilité, il me semble utile de reproduire les propos du juge Binnie dans R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869, maintes fois réitérés par la Cour suprême :

[52]   Lorsque le fondement factuel de la décision est intelligible pour fins d’examen de sa justesse par la cour d’appel, l’appelant ne pourra que rarement, sinon jamais, soulever l’argument de « l’intelligibilité pour les parties » comme moyen distinct d’annulation. Sur le plan de la responsabilité judiciaire, il suffira généralement que la cour d’appel, ayant décidé que l’ensemble du dossier (y compris les motifs dont on allègue l’insuffisance) lui permet de comprendre le fondement factuel et juridique de la décision de première instance, explique alors à l’accusé ce qu’elle a compris dans ses propres motifs.

[…]

[55]   Selon mon interprétation de la jurisprudence, l’état actuel du droit en ce qui concerne l’obligation du juge de première instance de donner des motifs, dans le contexte de l’intervention d’une cour d’appel en matière criminelle, peut se résumer par les propositions suivantes, qui se veulent utiles sans être exhaustives :

[…]

8.    Le juge de première instance s’acquitte de son obligation lorsque ses motifs sont suffisants pour atteindre l’objectif visé par cette obligation, c’est-à-dire lorsque, compte tenu des circonstances de l’espèce, sa décision est raisonnablement intelligible pour les parties et fournit matière à un examen valable en appel de la justesse de la décision de première instance.

9.    Les juges sont certes censés connaître le droit qu’ils appliquent tous les jours et trancher les questions de fait avec compétence, mais cette présomption a une portée limitée. Même les juges très savants peuvent commettre des erreurs dans une affaire en particulier, et c’est la justesse de la décision rendue dans une affaire en particulier que les parties peuvent faire examiner par un tribunal d’appel.

10.  Lorsque la décision du juge de première instance ne suffit pas à expliquer le résultat aux parties, et que la cour d’appel s’estime en mesure de l’expliquer, l’explication que cette dernière donne dans ses propres motifs est suffisante. Un nouveau procès n’est alors pas nécessaire. L’erreur de droit décelée, le cas échéant, est corrigée au sens du sous-al. 686(1)b)(iii).

[98]        En l’espèce, on comprend pourquoi le juge déclare l’appelant coupable : il croit les plaignantes qui décrivent des agressions et des contacts sexuels alors que l’appelant était dans une position d’autorité et de confiance, position dont il a abusé, en toute connaissance de cause, pour avoir des contacts ou des rapports sexuels avec elles, parfois en les incitant à ce faire, toujours dans un contexte où le consentement, lorsqu’il y en avait un, était vicié.

[99]        Quant au consentement, le juge aurait été mieux avisé de se livrer à une analyse en deux étapes, comme le rappelle la Cour suprême dans R. c. Hutchinson, 2014 CSC 19, [2014] 1 R.C.S. 34 :

[4]     Le Code criminel établit une analyse en deux étapes pour décider s’il y a eu consentement à une activité sexuelle. La première étape consiste à déterminer si la preuve démontre l’absence d’« accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle » aux termes du par. 273.1(1). Si le plaignant a consenti, ou encore si son comportement fait naître un doute raisonnable quant à l’absence de consentement, il faut passer à la seconde étape et se demander s’il existe des circonstances ayant pu vicier le consentement apparent. Le paragraphe 265(3) énumère une série de situations dans lesquelles le droit considère qu’il y a eu absence de consentement, et ce, malgré la participation ou le consentement apparent du plaignant : Ewanchuk, par. 36. Le paragraphe 273.1(2) dresse une autre liste de situations où il y a absence de consentement. Par exemple, il ne saurait y avoir eu consentement dans les cas où celui-ci a été obtenu par la contrainte (al. 265(3)a) et b)), la fraude (al. 265(3)c)) ou encore un abus de confiance ou de pouvoir (al. 265(3)d) et 273.1(2)c)).

[100]     On peut aussi déplorer que le juge n’ait pas tiré de conclusions explicites et particularisées pour chacun des chefs d’accusation en ce qui a trait au lien d’autorité ou l’abus de confiance et, le cas échéant, la connexité entre le consentement apparent et l’exploitation de la situation d’autorité ou de confiance.

[101]     Cependant, à mon avis, ces lacunes ne mènent pas à une ordonnance de nouveau procès ni à un acquittement. Le juge tient compte des éléments essentiels des infractions et tire des conclusions utiles, même lorsqu’il analyse la preuve en bloc, de sorte qu’il est possible de déterminer si les déclarations de culpabilité sont justifiées :

-       Les plaignantes sont crédibles et leur témoignage est fiable; le juge les croit;

-       L’appelant était en situation d’autorité et de confiance vis-à-vis chacune des plaignantes;

-       Il plaçait les athlètes dans une situation qui ne leur permettait pas de se soustraire à ses agissements;

-       Elles étaient sous l’emprise de l’appelant qui avait sur elles un fort ascendant;

-       Il recherchait sa propre gratification;

-       Les plaignantes ne consentaient pas ou leur consentement n’était pas valide.

[102]     Ces conclusions permettent de comprendre les raisons des déclarations de culpabilité. Il convient maintenant de déterminer si elles sont soutenues par la preuve dans chaque cas.

B : chefs 1, 2, 3, 5, 6 et 8

[103]     B rencontre l’appelant en 1993 alors qu’elle a 12 ans, à l’occasion d’activités physiques diverses. Il devient son entraîneur lorsqu’elle en a 15. Il contrôle sa vie personnelle; met fin à sa relation avec son ami de cœur; la complimente à l’occasion, mais la rabaisse parfois. Lorsqu’elle a 15 ans, en France, il l’amène dans sa chambre. Il l’embrasse; elle est surprise, mal à l’aise, ne sait pas quoi faire. Elle aura sa première relation sexuelle à vie ce jour-là. Elle aurait aimé avoir le courage de le repousser, mais elle en a été incapable : « C’était mon entraîneur », explique-t-elle, et « j’avais de grandes aspirations ». Comme cet événement est survenu en France, il n’est pas l’objet d’une accusation. Il est toutefois essentiel à la compréhension des rapports qui s’établiront ensuite entre l’appelant et B.

[104]     Ils auront plusieurs relations sexuelles. Elle n’en peut plus, elle est en colère contre l’appelant et tente de le fuir à plusieurs reprises. Elle se sent sale et coupable, mais « je pense que si ça a pas lieu, ben, il va arrêter de me coacher ». En effet, lorsqu’elle réussit à résister, il l’ignore et elle doit se battre « pour avoir son attention ».

[105]     Elle gardera le silence jusqu’en 2015.

[106]     Les chefs 1 (contacts sexuels) et 2 (agression sexuelle) se rapportent à des gestes commis lorsque B avait 12 ans. On parle d’attouchements aux fesses et aux organes génitaux, par-dessus les vêtements, pendant des entraînements regroupant des jeunes de différents groupes d’âge. Vu l’article 150.1 C.cr., qui prévoit que le consentement n’est pas une défense lorsque le plaignant a moins de 14 ans, il est inutile de s’attarder à l’absence ou à la validité du consentement pour expliquer le verdict que la preuve soutient amplement.

[107]     Les chefs 3 (attouchements) et 5 (agression sexuelle) portent sur une relation sexuelle survenue au domicile de l’appelant à Mont-Tremblant au cours de l’été 1997, alors que B a 16 ans. La preuve décrite plus haut établit la situation d’autorité et de confiance de l’appelant. Elle établit aussi qu’il incite B à des relations sexuelles en abusant de cette confiance et ce, pour obtenir de telles relations sexuelles. Elle démontre le lien causal entre cet abus et le consentement apparent. Le fait que l’appelant marchande l’attention de B lors des entraînements contre des relations sexuelles permettait certes au juge de conclure que l’appelant était conscient de l’existence du vice de consentement.

[108]     Les chefs 6 (attouchements) et 8 (agression sexuelle) visent un événement survenu à Toronto, quand B avait 16 ans. Ils ont raté une correspondance en avion et doivent passer la nuit à Toronto. L’appelant loue une seule chambre à un seul lit. Elle a ses premières menstruations, s’en inquiète, téléphone à sa mère qui lui donne quelques conseils, puis elle va au lit et se couche « en petite boule ». L’appelant vient à ses côtés, se colle sur elle « en cuillère » et appuie son pénis en érection sur ses fesses. Elle prend un oreiller et une couverture pour aller dormir dans le bain. Elle témoigne : « Ça avait aucun bon sens : mes règles, là il se collait ».

[109]     La preuve démontre l’absence de consentement et, à tout le moins, l’insouciance de l’appelant quant à l’absence de consentement, alors qu’il insiste malgré les réticences de B.

[110]     En somme, les déclarations de culpabilité sur les chefs 1, 2, 3, 5, 6 et 8 sont fondées sur la preuve et ne sont aucunement déraisonnables.

C : chefs 9, 11, 12, 14 et 21

[111]     On peut déduire de la preuve que C est née en [...] 1980. Au printemps 1996, elle est sélectionnée pour faire partie de l’équipe entraînée par l’appelant. Elle participera à des camps d’entraînement à l’étranger qui peuvent durer un ou deux mois. Elle explique que l’entraîneur devient alors un membre de la famille qui la loge et la nourrit. Originaire de Québec, elle sera en pension à l’académie dirigée par l’appelant à compter de septembre 1996.

[112]     Au début, il la rabaisse constamment, au point où elle perd toute confiance en elle. Elle se sent « une moins de rien ». Puis, ce sont des compliments. Il s’intéresse à sa vie personnelle, à ses amis de cœur. Il lui donne un premier baiser sur la bouche en janvier 1997. Dès lors la relation évolue et devient plus intime, jusqu’aux caresses et aux relations sexuelles. Elle précise : « ça devenait tellement répétitif » « ça m’apparaissait pas normal mais en même temps… » « c’était quasiment intégré dans sa façon d’entraîner ». Avec le temps, elle a l’impression de former un couple avec l’appelant.

[113]     Les chefs 9 (attouchements) et 11 (agression sexuelle) visent des attouchements et au moins une relation sexuelle chez l’appelant à Mont-Tremblant. Cette conduite s’inscrit dans une continuité alors que J explique vivre une relation presque conjugale avec l’appelant. Au procès, celui-ci plaidait que C avait librement consenti, qu’elle n’était pas vulnérable ni soumise à son autorité. Or, la preuve est à l’effet contraire.

[114]     Elle explique qu’à l’âge de 16 ans, l’appelant, entraîneur, « c’était la personne en position d’autorité », « sur un piédestal », « qui gérait de tout à Z [sic] là notre carrière, nous nourrir, loger, mon école puis même tout mon aspect sexuel ». Elle ajoute qu’elle était habitée d’un sentiment de honte et de culpabilité en raison de cette relation, ce qui l’a rendue malade, anorexique, boulimique. Elle précise : « En fait c'est comme si... que j'étais déconnectée puis c'est comme si ce n'était pas moi là qui étais là en train de le faire là, tellement que... tellement que tu sais dans le fond comme je vous dis je trouvais ça honteux puis je me sentais coupable, donc ce n'était pas... c'était très machinal là ».

[115]     De plus, au début, l’appelant l’incite à des contacts sexuels en présentant cela comme un jeu : « Bien oui, au début là c’était amené comme un jeu là… … Tu n'es pas game de ci, tu n'es pas game de ça, envoye donc..., ça fait que tu sais c'était surtout... tu sais il avait amené́ ça sous forme de jeu là ».

[116]     Dans ces circonstances, le juge pouvait raisonnablement être d’avis que l’appelant était en situation de confiance et d’autorité, dont il a abusé, que C était vulnérable et que son consentement était vicié. D’ailleurs, dans une lettre à D après le dévoilement de 1998, l’appelant écrit lui-même qu’il savait que sa conduite était douteuse : « […] je le sais tellement parce qu’avec C & [X] c’était pas bien mais je ne voulais pas les perdre, je ne voulais pas perdre leur amour, j’étais en détresse ».

[117]     Bref, les déclarations de culpabilité sont conformes au droit.

[118]     Les chefs 12 (attouchements) et 14 (agression sexuelle) sont portés en rapport avec des gestes de masturbation mutuelle posés après que l’appelant eut invité C dans sa chambre d’hôtel à Sainte-Anne-de-Beaupré, alors que le chef 21 (agression sexuelle) fait état d’une relation sexuelle à Nakiska, en Alberta, après une invitation de l’appelant à l’accompagner dans une chambre d’hôtel.

[119]     Pour les raisons décrites précédemment, je suis d’avis que ces déclarations de culpabilité sont tout aussi raisonnables. Je note, pour le chef 21, que même si C pouvait avoir 18 ans, cela ne change rien : même si l’âge constitue un fait pertinent, le paragraphe 273.1(2)c) C.cr. ne fait pas la distinction. Autrement dit, l’abus de confiance et de pouvoir peut très bien vicier le consentement apparent d’un plaignant majeur.

D : chefs 22, 24, 25, 26, 28 et 29

[120]     D raconte elle aussi avoir eu une relation quasi conjugale avec l’appelant.

[121]     Elle rencontre l’appelant lors de la saison 1996-1997, alors qu’elle joint l’équipe nationale junior. Elle a 17 ans. Lors d’un camp d’entraînement en Europe, un conflit éclate entre elle et l’appelant. Elle est tellement affectée par cet événement qu’elle reste au lit le lendemain. Il va la voir et ils ont une longue discussion. Ce moment marque un tournant dans leur relation et l’appelant lui accordera maintenant plus d’attention. Ils auront plusieurs relations sexuelles au cours des mois suivants. Dans sa déclaration vidéo, l’appelant dit avoir été amoureux d’elle. Plusieurs lettres d’amour écrites par lui sont d’ailleurs déposées en preuve. D explique qu’au moment où elle a des relations sexuelles avec l’appelant, elle se croit amoureuse, mais comprend aujourd’hui que ce n’était pas de l’amour.

[122]     Les lettres écrites par l’appelant laissent voir qu’il déploie de nombreux efforts pour la convaincre qu’ils ont une relation amoureuse. Dans sa plaidoirie au procès, il soutient que D a consenti aux relations sexuelles et que son consentement était valide puisque la relation d’autorité s’était muée en relation amoureuse. La preuve permet pourtant d’asseoir la conclusion que l’appelant l’a plutôt incitée aux relations sexuelles par abus de confiance.

[123]     Elle explique comment l’appelant a initié les premières relations sexuelles lors d’un voyage en Colombie-Britannique en tablant sur leur proximité et sur la relation de confiance :

Et c'était une longue route, là, on conduisait la nuit, on était dans l'auto puis on avait comme une conversation qu'on, de plus en plus on avait depuis souvent, des conversations, t'sais, plus intenses, personnelles, de la vie, du ski, d'un peu de tout. Puis je ne sais pas comment on s'est rendu là, mais peut-être qu'on parlait, on parlait de chum ou je ne sais pas. Mais je me rappelle, il me dit, t'sais, il me disait: «T'es pas "game", t'es pas "game". T'es pas "game" de m'embrasser, t'es pas "game" de m'embrasser.» Ça fait que c'était comme, on... T'sais, il me taquinait, on riait, «t'es pas "game"», il me taquinait. Ça fait que finalement, je me suis penchée, on s'est penchés puis on s'est embrassés. La première fois là.

[124]     Voilà une stratégie que l’appelant a déjà utilisée.

[125]     Il invite plus tard D à le rejoindre au sauna du motel. Ils reprennent les caresses qui deviennent de plus en plus intimes.

[126]     Comme pour les autres, il contrôle tout et s’immisce dans sa vie privée, allant jusqu’à lui demander si son ami de cœur l’a déjà fait jouir.

[127]     Il lui dira à plusieurs reprises qu’elle est la femme de sa vie, qu’il veut passer sa vie avec elle, qu’ils auront des enfants.

[128]     Le témoignage de la plaignante laisse clairement entendre qu’elle consent aux rapports sexuels en raison de l’insistance de l’appelant et du lien de confiance :

Q. Comment vous vous sentiez face à votre coach? Comment vous vous expliquez ce que vous viviez? Est-ce que vous êtes en mesure de l'expliquer?

R. À ce moment-là̀, t'sais, peut... Oui, je suis en, j'étais, j'aimais... j'aimais qu'est-ce qu'il me disait, j'aimais être en sa présence, j'aimais l'attention qu'il me donnait. J'aimais qu'il me faisait sentir spéciale. J'étais spéciale pour lui. 

[129]     Le contre-interrogatoire confirme que son consentement apparent ne s’explique pas que par le lien amoureux, comme le prétendait la défense dans sa plaidoirie. D indique qu’elle se croyait vivre une relation de couple, mais ajoute :

Oui, mais avec... Oui, je pensais à ce moment-là̀. Mais avec du recul, quand j'y pense, avec mon copain d'avant, c'était, on ne se cachait pas, on allait au cinéma. C'est moi qui l'embrassais, c'est lui qui m'embrassait, c'était réciproque. Ça ne fonctionnait pas nécessairement de cette façon avec, avec Bertrand.

[130]     La relation décrite est exempte de réciprocité. La nature de la relation avec l’appelant permet raisonnablement de conclure comme l’a fait le juge, qu’il incitait sciemment D à des contacts sexuels par abus de confiance et que n’eût été cela, elle n’aurait pas consenti à des relations sexuelles avec l’appelant. Suivant l’article 273.1(2)c) C.cr., le consentement de D n’est pas valide ou, à tout le moins, il n’est pas déraisonnable de conclure de la sorte.

[131]     Les chefs 22 (attouchements) et 24 (agression sexuelle) se rapportent à une relation sexuelle à Mont-Tremblant. Après une compétition, les athlètes et l’appelant célèbrent dans un bar. L’appelant suggère à D de l’attendre à sa voiture et il l’amène ensuite chez lui où ils ont leur première relation sexuelle. Elle était vierge et ce fut douloureux. Elle décrit ainsi son état d’esprit : « […] Je savais que qu’est-ce que je faisais ce n’était pas correct, sauf que t’sais, je le faisais. J’étais confuse ».

[132]     Pour le chef 25 (agression sexuelle), il s’agit d’une autre relation sexuelle chez l’appelant.

[133]     En ce qui a trait aux chefs 26 (attouchements) et 28 (agression sexuelle), on parle des attouchements décrits plus haut et survenus en Colombie-Britannique, d’abord dans l’automobile, puis au motel.

[134]     Le chef 29 (agression sexuelle) porte sur un événement à Banff où D étudie dans une académie de ski. L’appelant la contacte alors qu’il y est en visite. Au milieu de la nuit, elle quitte l’école où elle réside pour le rejoindre. Ils ont une relation sexuelle.

[135]     Ils auront des relations sexuelles à divers endroits sur la planète.

[136]     En l’espèce, on peut raisonnablement conclure que les rapports entre D et l’appelant, qui ont débuté quand elle avait 17 ans, dans les circonstances que l’on connaît, ont mené à une activité sexuelle incitée par abus de confiance ou de pouvoir. De plus, la preuve permettait également de conclure raisonnablement que D avait moins de 18 ans au moment des attouchements.

[137]     Je reconnais que, vu son libellé, il est possible que le chef 25, qui reproche une agression sexuelle, porte sur un événement qui s’est produit après que D eut atteint 18 ans. Toutefois, comme pour C, cela ne change rien en raison du paragraphe 273.1(2)c) C.cr.

[138]     En somme, je suis d’avis que le juge ne commet pas d’erreur et ne rend pas une décision déraisonnable en déclarant l’appelant coupable de tous ces chefs d’accusation.

E : chefs 33 et 35

[139]     E rencontre l’appelant en 1994. Elle a 15 ans. Il sera son entraîneur au cours des saisons 1994-95 et 1995-96. Elle décrit la façon de faire de l’appelant pour établir des liens intimes :

On voulait aller vite... en tout cas, je vais parler pour moi. Je voulais être bonne en ski, je voulais aller vite. Ça fait qu’il savait que s’il voulait m’avoir de son côté́ puis que je sois pas fâchée contre lui ou que je revienne, il fallait qu’il aille sur ce côté-là. Ça fait qu’il me donnait plus d’attention soit tant au niveau du coaching. C’est arrivé́ à quelques reprises où je suis allée souper chez lui, j’ai même dormi chez lui. Ça fait que c’était comme un rapprochement. Il y a rien eu de sexuel, mais c’était à ce niveau-là̀ ce rapprochement-là̀ où un petit lien encore une fois privilégié́ était là. Puis c’est de cette façon-là qu’il charmait puis qu’il venait me chercher.

[140]     On a compris l’importance pour les plaignantes d’avoir l’attention de l’appelant à qui elles vouent une grande admiration. E ne fait pas exception. Voici d’ailleurs comment elle décrit sa réaction lorsque, durant la saison 1995-96, en transit entre Gatineau et Mont-Tremblant dans une camionnette (chef 33, attouchements, et chef 35, agression sexuelle), il glisse sa main dans ses pantalons pour la masturber :

C’était mon idole. J’aurais tout fait pour Bertrand. J’avais… je voulais aller vite, je voulais être bonne, je voulais être la meilleure, je voulais avoir son attention pour avoir le petit extra au coaching.

[…]

Comment je me sens? Comme si c’était mon tour, comme si finalement, c’était moi qui allais avoir un peu plus d’attention ou peut-être la possibilité́ d’avoir le petit extra pour aller plus vite parce que j’associais ça à ça aussi, plus d’attention, plus de coaching, plus d’amélioration, plus on va vite. C’est comme ça je me sentais.

[141]     Dans un tel contexte, il est raisonnable de conclure qu’il y a un lien causal entre l’exploitation de la relation de confiance par l’appelant et le consentement apparent aux attouchements. De plus, considérant la systématisation des comportements de manipulation décrite par la plaignante, la preuve soutient la conclusion que l’appelant sait qu’il abuse de la confiance de E lorsqu’il la touche. Le juge était donc fondé à conclure que, suivant 273.1(2)c) C.cr., le consentement de E n’était pas valide et qu’elle avait moins de 18 ans quant au chef 33.


 

F : chefs 36 et 38

[142]     F a 13 ans quand l’appelant devient son entraîneur lors de la saison 1991-92, et il le demeurera jusqu’en 1996.

[143]     Elle est son souffre-douleur et il la ridiculise fréquemment sur son apparence. Toutefois, dans l’intimité, il dit l’aimer beaucoup. Il a la capacité de la faire pleurer à volonté. Il devient de plus en plus entreprenant et, à une certaine époque, elle le repousse presque tous les jours. Il s’adonnera à de nombreux contacts sexuels, parfois même en public : attouchements aux seins, attouchements divers à l’occasion de massages, baisers. F témoigne n’avoir jamais consenti. Elle lui dit régulièrement d’arrêter, même « assez fortement » parfois.

[144]     De cette preuve retenue par le juge, celui-ci pouvait inférer la connaissance ou, à tout le moins, l’insouciance de l’appelant quant à l’absence de consentement, alors que F avait 16 ou 17 ans.

A : chef 39

[145]     J’ai déjà expliqué pourquoi la preuve permettait raisonnablement de conclure à la culpabilité de l’appelant sur le chef 42 impliquant A (agression sexuelle causant des lésions corporelles). Le chef 39 (attouchements) réfère à divers événements incluant relations sexuelles, caresses sexuelles, etc., alors qu’elle avait moins de 18 ans. Les explications sur le chef 42 sont transposables au chef 39.

G : chef 43

[146]     G rencontre l’appelant en 1990, elle a alors 14 ans. Elle devient membre de l’équipe pour la saison 1991-92, alors qu’elle a 15-16 ans.

[147]     Elle était follement amoureuse de l’appelant et recherchait son attention : « je faisais un peu n’importe quoi que je pouvais faire pour avoir son attention ».

[148]     Comme les autres, elle décrit l’intérêt de l’appelant pour sa vie personnelle :

[…] il était très personnel avec nous, alors il posait beaucoup de questions sur ma vie personnelle, j’avais un chum qui s’appelait […] il voulait savoir tous les détails sur ma relation avec […], qu’est-ce qu'on faisait ensemble, si on s’est embrassés, des genres de choses comme ça. Alors, il était très personnel, il passait beaucoup de temps avec nous, puis il savait toute notre vie personnelle.

[149]     Durant la saison de ski 1991-92, il lui déclare son amour d’abord verbalement, puis dans des lettres. Pour elle, c’est devenu une relation amoureuse :

[…] il voulait passer sa vie avec moi, que je lui donnais des battements vite dans son cœur, qu'il pensait à moi quand on n’était pas ensemble. Alors, c'était le genre de... la relation a changé où c'était plus entraîneur, c'est plus entraîneur et... et skieur, mais vraiment plus comme une relation amoureuse.

[150]     Puis, un soir, alors qu’elle vivait chez les B., il vient souper et lui déclare, en partant, qu’il l’aime passionnément, avant de l’embrasser sur la bouche. De tels contacts se sont reproduits par la suite en Europe.

[151]     Une fois de plus, le juge pouvait raisonnablement conclure que G avait moins de 18 ans et que l’appelant a posé ces gestes alors qu’il était en situation de confiance.

H : chef 49

[152]     H témoigne qu’elle avait 15 ans en 1992. Elle rencontre l’appelant en 1987 et il devient son entraîneur en 1990 pour une saison puisqu’elle déménage ensuite aux États-Unis. En voyage, il est « leur parent » « c’était la personne responsable ». Il est au centre de son univers. Il pose de nombreuses questions sur sa vie sexuelle :

[…] il s’intéressait à nos vies sexuelles, il voulait savoir des détails de nos vies sexuelles, si on avait des copains, quelles sortes de choses on faisait avec, c'étaient des choses qu'il s’intéressait.

[…]

Il voulait savoir... c'était un grand sujet d’intérêt de savoir si j'étais... si j’avais complété un acte sexuel, si j'étais encore vierge.

[…]

[…] il voulait savoir la grandeur de... de mon soutien-gorge.

[153]     Il contrôle sa vie : « […] il avait le contrôle sur... sur tous les aspects de notre vie ». Elle est totalement dépendante de lui.

[154]     Avec le temps, les manifestations de joie et d’encouragement deviennent plus intimes :

[…] c'étaient des câlins trop longs, trop proches, des fois avec... suivis par un bec au coin de la bouche. […] le touchage de fesses, les tapes sur les fesses, des fois c'était... tu sais, ça avait l’air innocent comme encouragement avant une course et d’autres fois, c'était dans le contexte d’inconfort quand on avait une mauvaise course ou de... ou de félicitations pour avoir eu une bonne course. […] Il y a même une (1) fois que... qu'il m’a mordu une fesse au point d’avoir un bleu […].

[155]     Elle a alors 15 ans et le juge pouvait raisonnablement inférer qu’il s’agissait d’attouchements de nature sexuelle de la part d’une personne en situation de confiance, comme l’exigeait le chef 49.

N : chefs 56 et 57

[156]     Les chefs 56 (attouchements) et 57 (agression sexuelle) soulèvent certaines difficultés.

[157]     N est la sœur de F. Elle est née en 1976. L’appelant n’est que brièvement son entraîneur direct quand elle a 14 ans, mais, par la suite, il devient celui de sa sœur. Elle le fréquente ensuite pendant plusieurs années et ils seront très proches. L’appelant devient un ami, un confident.

[158]     On voit bien que la situation de confiance qui pourrait invalider le consentement de la plaignante n’est pas la même que dans les autres cas. Le juge ne donne toutefois aucune explication à cet égard.

[159]     Au niveau des gestes posés par l’appelant, le juge retient ceci : « Alors qu’elle est âgée de 15 ans […] un baiser donné sur la bouche et la morsure aux fesses à Mont-Tremblant entre 1991 et 1992 […] ».

[160]     Elle a 15 ans, dit-elle, quand une coutume étonnante a lieu : le Tremblant tattoo, pratique qui semble être à l’origine des morsures retenues par le juge. L’appelant n’est donc plus son entraîneur à ce moment, un élément important à prendre en compte relativement à la notion d’abus de confiance ou de pouvoir. Elle explique ainsi le sens et les circonstances de cette curieuse pratique :

[…] on se mordait les fesses, donc on se mettait un baume à lèvres, là, sur les fesses, puis là on s’appuyait sur nos bâtons de ski puis là quelqu’un venait derrière toi te faire une morsure vraiment sur la fesse, qui faisait très mal d’ailleurs et qui laissait donc l’empreinte du baume à lèvres sur les fesses, donc on disait que c’était comme le tatouage de l’équipe de ski.

[…]

[…] j’ai fait ça à ma sœur, comme un autre collègue pouvait me le faire aussi, là, c’était assez répandu.

[161]     Le juge n’explique pas en quoi ce geste, quelque stupide qu’il soit, pouvait, dans le contexte, constituer un attouchement « à des fins d’ordre sexuel », comme l’exige pourtant le paragraphe 153(1)a) C.cr., ou l’article 271 C.cr. (agression sexuelle), d’autant que cette pratique n’était pas l’apanage de l’appelant et qu’on ne sait même pas s’il a participé lui-même à cette pratique, directement ou indirectement, à l’endroit de N.

[162]     À mon avis, le juge aurait été mieux avisé d’analyser la nature sexuelle des gestes en question, malgré l’endroit sur le corps où ils se sont produits. L’aspect sexuel d’une agression sexuelle, qui se détermine en fonction d’une atteinte à l'intégrité sexuelle du plaignant et la partie du corps touchée, si elle est importante, n’est pas le seul facteur à prendre en compte : R. c. V. (K.B.), [1993] 2 R.C.S. 857. Cette règle s’applique aux attouchements sexuels : R. v. Morrisey, 2011 ABCA 150. Il faut donc tenir compte de tout le contexte : R. c. M.B., 2014 QCCA 1643.

[163]     Cette erreur du juge ne change toutefois rien à la situation puisque, de toute façon, la preuve ne démontre pas la participation criminelle de l’appelant à ces attouchements (que ce soit à titre d’auteur réel ou de complice), de sorte qu’un acquittement s’imposait. En effet, si, selon N, « on se mordait les fesses » [Je souligne] et « tout le monde le faisait, incluant les entraîneurs », cela est trop vague pour pouvoir constituer une preuve hors de tout doute raisonnable de l’implication de l’appelant dans la perpétration d’une infraction criminelle.

[164]     De plus, si N dit, en interrogatoire, avoir 15 ou 16 ans, puis 16, 17 ou même 18 ans quand l’appelant l’embrasse (plus précisément, selon son témoignage, quand il lui donne « un bec » sur la bouche, « un baiser rapide », ce qui est le fondement du chef 57) puis, en contre-interrogatoire, en avoir 15 ou 16, le juge ne parle pas de cette contradiction, qui n’est pourtant pas anodine. En effet, si elle avait 15 ans, l’incident est survenu en 1991-92. Si elle avait plutôt 17 ans, on se situe en 1993-94. Je rappelle que l’article 273.1 C.cr. n’est entré en vigueur qu’en août 1992. Si l’événement fondant l’agression sexuelle s’est produit quand elle avait 15 ans, c’est donc le paragraphe 265(3)d) C.cr. qui s’applique; or, cette disposition est plus favorable à la défense que le paragraphe 273.1(2)c) C.cr. Le juge ne s’est pas positionné à ce sujet.

[165]     Il va de soi que, sur le chef 57, nous ne saurons jamais lequel de ces deux paragraphes s’applique, mais, de toute façon, que ce soit l’une ou l’autre des dispositions, la poursuite ne s’est pas déchargée de son fardeau : il n’y a eu ni exercice d’autorité (paragr. 265(3)d) C.cr.) ni même incitation par abus de confiance ou de pouvoir (paragr. 273.1(2)c) C.cr.), s’il y a eu consentement apparent.

[166]     De plus, même en l’absence de consentement, la preuve ne peut mener à une décision de culpabilité. L’agression sexuelle requiert une intention criminelle, la mens rea, quoiqu’elle puisse être tout simplement générale. En effet, encore faut-il que la preuve établisse, hors de tout doute raisonnable, que le geste était volontaire, qu’il y a eu application intentionnelle de la force : paragraphe 265(1)a) C.cr. Voyons ce que dit N à propos de cet événement survenu dans le sous-sol de ses parents :

R. Je me rappelle pas de la raison précise pour laquelle il était chez moi, mais je me rappelle que nous étions dans le sous-sol chez mes parents, en bas des escaliers et qu’il m’avait donné un bec, il m’a donné un bec vraiment sur la bouche, un baiser rapide, mais qui était sur la bouche et qui était différent de ceux qu’il donnait habituellement qui eux, étaient vraiment sur les coins de bouche, on se faisait la bise mais c’était un peu indécent comme bise, là, c’étaient des becs sur les joues mais qui étaient vraiment très, très, très proches de la bouche, donc la seule fois où j’ai vraiment souvenir qu’il m’ait embrassée sur les lèvres, c’était là et j’avais été vraiment… j’étais sous le choc, là, j’étais très étonnée parce que mes parents étaient en haut, et je me rappelle d’avoir pensé « Mon dieu, il a vraiment pas peur », t’sais, c’est… Je trouvais ça risqué.

Q. Vous parlez que habituellement, il vous donnait des baisers sur les joues, mais très près des lèvres?

R. Oui.

[167]     Autrement dit, on s’embrasse régulièrement, très près des lèvres, mais cette fois-ci, ce fut un baiser, non pas « très très proche de la bouche », comme les fois précédentes, mais sur la bouche, quoique rapide. Je ne vois pas comment on pourrait exclure le doute raisonnable sur l’aspect volontaire du geste. Je n’affirme pas que le geste n’était pas volontaire. Je dis que, vu les circonstances, notamment les habitudes de N et de l’appelant, il y a certainement place au doute.

[168]     Il y aura donc lieu d’accueillir l’appel sur ces deux chefs et d’ordonner l’inscription d’un jugement d’acquittement.

6.-  Le cas particulier des chefs 23 et 27

[169]     L’appelant demande d’être acquitté des chefs 23 et 27 (incitation à des attouchements sexuels à l’endroit de D) au motif d’absence de preuve. L’intimée concède que le juge a erré en droit en donnant des motifs insuffisants, mais est d’avis que la Cour devrait ordonner un nouveau procès, parce que la preuve pourrait supporter une décision de culpabilité.

[170]     Je partage leur avis : les motifs sont nettement insuffisants. En revanche, j’estime que la solution consiste plutôt en un arrêt des procédures.

[171]     Il faut rappeler que le chef 23 fait double emploi avec le chef 24 (agression sexuelle), étant donné que ce sont les mêmes faits qui supportent les deux chefs. La situation est la même pour le chef 27 qui fait double emploi avec le chef 28 (agression sexuelle). Comme je propose de rejeter l’appel sur les chefs 24 et 28, l’appelant ne pourrait pas, de toute façon, être condamné aussi sur les chefs 23 et 27.

[172]     Bien que, comme l’intimée, je sois d’avis que la preuve pourrait peut-être soutenir une décision de culpabilité, il faudrait qu’un juge de procès analyse la preuve et qualifie les gestes de « gestes incitatifs ». Le résultat ne pourrait vraisemblablement être que théorique, puisqu’une peine ne pourrait probablement pas être imposée sur les chefs 23 et 27 en raison de la culpabilité aux chefs 24 et 28 et de la règle prohibant les condamnations multiples (je ne me prononce pas sur cette question, n’ayant pas le bénéfice de l’analyse du juge sur ce sujet). Je reviendrai plus loin sur cette règle qui prohibe les condamnations multiples.

[173]     De plus, la détention déjà purgée milite en faveur d’un arrêt des procédures.

[174]     Enfin, l’économie du système judiciaire me semble elle aussi favoriser un arrêt des procédures pour ne pas forcer la plaignante à témoigner de nouveau et ne pas encombrer indument le système judiciaire d’une affaire devenue vraisemblablement théorique.

7.-  La preuve de faits similaires

[175]     Le juge a appliqué les principes et critères établis dans les arrêts R. c. Handy, 2002 CSC 56, [2002] 2 R.C.S. 908 et R. c. Shearing, 2002 CSC 58, [2002] 3 R.C.S. 33 pour décider de l’admissibilité de la preuve de faits similaires. Ce sont les témoignages de diverses plaignantes, pertinents à l’égard des chefs qui les concernent directement, qui serviront d’actes similaires les uns par rapport aux autres. Il y a également leurs témoignages sur les événements qui se sont produits à l’extérieur du pays.

[176]     D’abord, il détermine la question soulevée par le litige que la preuve de faits similaires permet de trancher. Il écrit :

[74] Au présent dossier c’est la crédibilité des plaignantes qui est la question principale en litige.

[75] Les faits similaires dont la poursuite veut introduire en preuve visent essentiellement à rendre plus crédible le témoignage des plaignantes.

[177]     Ensuite, il se prononce sur la similitude des faits que l’intimée veut mettre en preuve avec les infractions. Enfin, il pondère la valeur probante et le risque de préjudice et conclut que l’intimée a satisfait son fardeau d’établir que la valeur probante dépasse le préjudice.

[178]     Je conviens avec l’appelant que la question générale de la crédibilité et, de surcroît, celle des plaignantes n’est pas suffisamment circonscrite et qu’une question trop largement formulée peut accroître le risque de raisonnement par propension. Comme le disait le juge Binnie dans Handy, toute preuve qui rehausse la crédibilité des plaignants n’est pas nécessairement admissible. En effet, une telle preuve peut avoir l’effet pervers de causer un préjudice grave au système de justice, par exemple, rendre un jugement fondé sur la seule propension ou sur la moralité de l’accusé ou encore brouiller inutilement et dangereusement les questions en litige. Il fallait donc préciser et circonscrire davantage l’objectif poursuivi par la preuve et aller au-delà de la seule affirmation que la preuve de faits similaires rendra plus crédible le témoignage des plaignantes.

[179]     Or, ici, la preuve de faits similaires était utile pour trancher plusieurs questions précises soulevées par le litige : l’existence d’une relation d’autorité ou de confiance entre l’appelant et les plaignantes, l’intention criminelle et la connaissance, par l’appelant, de l’impact de la relation de confiance et d’autorité, la nature sexuelle des attouchements, la façon d’établir le lien de confiance, la méthode employée par l’appelant pour créer un climat d’intimité propice aux rapports sexuels. La preuve de faits similaires était donc recevable, même si le juge n’a pas précisé avec suffisamment d’acuité les raisons qui mènent à cette conclusion.

[180]     Par ailleurs, le juge a pris soin de se mettre en garde contre l’utilisation illégitime de cette preuve, comme la démonstration de la seule propension à commettre des crimes. De même, comme je l’ai mentionné plus haut, le juge a précisé que, même sans la preuve de faits similaires, il croyait les plaignantes. Il n’y a pas de raison de douter de cette affirmation.

[181]     En outre, en dépit de la règle d’admissibilité de faits similaires, le juge pouvait admettre la preuve de conduite indigne parce qu’elle était nécessaire pour comprendre la trame factuelle dans laquelle les gestes reprochés avaient été posés : Duguay c. R., 2009 QCCA 1130, paragr. 206, autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême refusée.

[182]     L’erreur du juge est donc sans incidence.

8.-  La règle prohibant les condamnations multiples : R. c. Kienapple, [1975] 1 R.C.S. 729

[183]     L’appelant fait valoir, à bon droit, que les chefs d’agression sexuelle concernent des gestes pour lesquels l’appelant a aussi été déclaré coupable d’attouchements sexuels. Il indique que le juge devait ordonner une suspension conditionnelle des procédures sur les chefs d’attouchements. À ce propos, il faut souligner qu’à l’époque où l’appelant a commis les gestes constitutifs des infractions, l’infraction d’attouchements sexuels par une personne en autorité était punissable d’une peine maximale moins élevée que celle d’agression sexuelle, d’où la nécessité de suspendre les procédures sur les chefs d’attouchements, objectivement moins graves, plutôt que sur les chefs d’agression sexuelle.

[184]     La règle a un objectif bien précis : ne pas condamner deux fois (ou même plus) un accusé pour la même affaire, autrement dit, pour les mêmes faits. Il serait injuste d’accumuler les accusations dans le but d’obtenir une peine totale plus sévère alors que, fondamentalement, le crime ne devient pas plus grave parce que la même conduite peut être qualifiée de criminelle sous plusieurs accusations.

[185]     Cette règle ne prohibe pas les accusations multiples (comme ici) ni même les déclarations de culpabilité multiples (comme ici également). Elle prohibe uniquement les condamnations multiples. Par conséquent, si un accusé est déclaré coupable de plusieurs infractions se rapportant aux mêmes faits et ayant un lien juridique suffisant (il n’est pas nécessaire en l’espèce de préciser davantage, le cas étant manifeste), le tribunal doit suspendre conditionnellement les procédures sur le chef le moins grave et ne pas imposer de peine (conditionnellement, parce qu’un appel pourrait entraîner des verdicts différents).

[186]     J’ajoute que si la preuve mène à un acquittement sur l’un des chefs multiples, le juge doit se prononcer et acquitter l’accusé, qui y a droit, de sorte que le juge n’aura pas à suspendre conditionnellement les procédures.

[187]     Comme l’intimée, je suis d’avis que le juge a erré en omettant d’appliquer la règle sur les chefs suivant : 1, 3, 6, 9, 12, 22, 26, 33 et 36, fondés sur les mêmes faits que les agressions sexuelles des chefs 2, 5, 8,11, 14, 24, 28, 35 et 38.

[188]     Enfin, l’intimée plaide que le chef 39 est plus large que le chef 42, en ce que celui-ci ne vise que la relation sexuelle ayant entraîné la grossesse (le chef fait état de lésions corporelles), alors que le chef 39 porte sur l’ensemble des attouchements et autres relations sexuelles n’ayant pas entraîné de lésions corporelles. Ainsi, selon elle, il ne devrait pas y avoir suspension conditionnelle des procédures sur le chef 39 parce qu’il ne s’agit pas de la même affaire. Je partage son avis.

CONCLUSION

[189]     Pour tous ces motifs, je propose d’accueillir l’appel en partie et d’infirmer le jugement de première instance en partie, d’acquitter l’appelant des chefs 10, 13, 18, 20, 30, 40, 52, 56 et 57, de déclarer que les tribunaux canadiens n’ont pas compétence territoriale sur le chef 17 et d’annuler la condamnation en conséquence, d’ordonner un arrêt des procédures sur les chefs 23 et 27, d’ordonner la suspension conditionnelle des procédures sur les chefs 1, 3, 6, 9, 12, 22, 26, 33 et 36 et de rejeter l’appel pour le reste.

LES PEINES

JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE

[190]     Voici comment le juge de première instance en arrive à des peines totalisant un emprisonnement de 12 ans.

[191]     Il identifie d’abord les peines appropriées pour les chefs d’attouchements. Lorsqu’il n’y a qu’un chef d’accusation pour une plaignante, il estime qu’un emprisonnement de 8 mois est adéquat. C’est le cas des chefs 36 (F), 43 (G) et 56 (N). Lorsqu’il y a plusieurs chefs d’attouchements pour une même plaignante, il est d’avis que des peines de 18 mois sur chaque chef seraient acceptables, à être toutefois purgées de manière concurrente entre elles, mais de manière consécutive pour chaque plaignante. Ce sont les chefs 1, 3 et 6 (B); 9, 10, 12, 13 et 18 (C); 22, 23 et 26 (D); 30 et 33 (E); 39 et 40 (A) ainsi que 49 et 52 (H). Le total est donc de 114 mois, en incluant les chefs 36, 43 et 56.

[192]     En ce qui a trait au chef 42 (agression sexuelle causant des lésions corporelles), il établit la peine appropriée à 72 mois.

[193]     Pour les autres agressions sexuelles, il conclut que des emprisonnements de 54 mois seraient des peines justes, étant entendu qu’ils seraient concurrents entre eux pour les plaignantes qui en ont subi plusieurs (chefs 2, 5 et 8 pour B; 11, 14, 17, 20 et 21 pour C); 24, 25, 28 et 29 pour D), mais consécutifs pour chacune des plaignantes (auxquels s’ajoutent donc les chefs 35 pour E, 38 pour F et 57 pour N), pour un total de 324 mois. On peut s’interroger sur la logique sous-jacente à la détermination de peines totales identiques pour toutes les agressions sexuelles, quelles que soient les circonstances et quel que soit le nombre commis à l’égard d’une plaignante. Cette incongruité est toutefois, à ce stade, sans conséquence, vu ce qui suit.

[194]     Les peines étant consécutives pour les trois types ou catégories d’infraction, le total est de 42 ans et demi. Sans surprise, le juge considère que cette peine totale serait déraisonnable. Comme le préconise la Cour, il la réduit en conséquence.

[195]     Pour y arriver, il imposera des peines concurrentes de 18 mois d’emprisonnement pour chaque chef d’attouchements[3], des peines de 54 mois pour chaque agression sexuelle, concurrentes entre elles mais consécutives aux peines de 18 mois, et une peine de 72 mois pour l’agression sexuelle causant des lésions corporelles, consécutive à toutes les autres.

[196]     Ainsi, la peine totale sera de 12 ans (144 mois), peine qu’il réduira à 7 ans et 10 mois après avoir accordé un crédit de 50 mois, soit un jour et demi pour chaque jour passé en détention provisoire avant le prononcé des peines.

[197]     On sait toutefois que l’appelant sera maintenant acquitté des chefs 10, 13, 18, 20, 30, 40, 52, 56 et 57, que la condamnation sur le chef 17 sera annulée et qu’il y aura un arrêt des procédures sur les chefs 23 et 27. Par ailleurs, vu la règle prohibant les condamnations multiples, il devra y avoir une suspension conditionnelle des procédures pour les chefs 1, 3, 6, 9, 12, 22, 26, 33 et 36, c’est-à-dire qu’une peine ne sera pas infligée pour ces chefs.

[198]     Si la suspension conditionnelle des procédures a peu d’impact sur la culpabilité morale de l’appelant (après tout, l’infraction a tout de même été commise et elle n’est pas sanctionnée uniquement pour éviter que l’accusé soit condamné deux fois pour la même inconduite), il en va autrement des acquittements et de l’annulation de la condamnation pour le chef 17. Tout cet exercice réduira sensiblement le nombre de déclarations de culpabilité.

[199]     Dans ce contexte, je ne peux accepter la proposition de l’intimée selon laquelle, malgré les erreurs du juge, la peine totale de 12 ans demeure acceptable. Cet argument ne peut tenir : en imposant une peine de 12 ans, le juge a retenu la suggestion de la poursuite après avoir déclaré l’appelant coupable de 37 chefs d’accusation. Celle-ci peut difficilement prétendre que cette peine demeure appropriée, malgré les nombreux acquittements qui s’imposent maintenant.

[200]     L’appelant plaide que le juge n’a pas apporté les nuances nécessaires en imposant une peine en fonction du type d’infraction plutôt qu’en fonction des circonstances propres à chacune des infractions. Il a raison.

[201]     En réalité, le juge détermine la peine sur la base de la nature de l’infraction, alors que cela doit être fait sur la base des circonstances de la perpétration de l’infraction et de la situation de l’accusé. Par exemple, comme le souligne l’appelant, comment justifier une peine identique de 54 mois d’emprisonnement pour les agressions sexuelles des chefs 2 (attouchements par-dessus les vêtements), 5 (relations sexuelles complètes) et 8 (l’appelant appuie son pénis en érection sur la plaignante alors qu’ils sont au lit)? De telles incohérences peuvent être identifiées pour d’autres chefs.

ARGUMENTS DES PARTIES

[202]     Consciente des faiblesses du jugement, l’intimée estime qu’une peine de 10 mois suffirait pour le chef 2, alors qu’elle devrait être de 36 mois pour le chef 5 et de 15 mois pour le chef 8, toutes ces peines devant être purgées concurremment. De même, elle concède que la peine pour certaines agressions sexuelles devrait être modifiée de la façon qui suit : réduite à 30 mois pour le chef 11, à 18 mois pour les chefs 24 et 25, à 15 mois pour le chef 28, à 24 mois pour le chef 29, à 18 mois pour le chef 35 et à 15 mois pour le chef 38. Elle estime aussi que pour les attouchements du chef 49, la peine devrait passer à 3 mois. Pour être juste, je dois cependant répéter que, par le jeu des peines concurrentes et consécutives, l’intimée est d’avis qu’une peine totale de 12 ans demeure la peine appropriée.

[203]     On voit que le travail d’identification de la peine juste et adéquate pour ce genre de dossier n’est pas aisé. Cet exercice relève avant tout du juge de première instance, qui ne peut imposer des peines en se limitant simplement à la nature de l’infraction. Son rôle exige plus. Le juge se doit de procéder à un exercice d’individualisation des peines et ce, en toute justice, tant pour les plaignants que pour les accusés.

[204]     De son côté, l’appelant suggère des réductions plus substantielles que celles convenues par l’intimée et demande même à la Cour de tenir compte de sa récente mise en liberté. Selon lui, comme il a été détenu du 10 mars 2015 (jour de son arrestation) au 25 mars 2019 (jour où un juge de la Cour l’a mis en liberté en attendant le résultat de l’appel), cette longue période devrait inciter la Cour à faire en sorte qu’il ne soit pas réincarcéré.

[205]     Outre l’argument selon lequel le juge a erré en n’évaluant pas chaque cas à son mérite et en imposant une peine totale nettement déraisonnable, notamment par l’application erronée des concepts de peines concurrentes et consécutives (il propose un total de 4 à 6 ans, modulé de manière à ne pas ordonner sa réincarcération), l’appelant invoque trois autres erreurs que le juge aurait commises soit : ne pas tenir compte du passage du temps, reprocher l’absence de remords et le déni de responsabilité, ne pas accorder un crédit suffisant pour la détention provisoire.

ANALYSE

[206]     L’intimée admet que le juge aurait dû accorder un crédit de deux jours pour chaque jour de détention provisoire avant le jugement sur les peines, soit 66 mois au lieu de 50 (un jour et demi). Elle a raison.

[207]     Selon Denis c. R., 2018 QCCA 1033, on ne peut priver l’accusé de la possibilité d’obtenir un crédit supérieur à un jour ou un jour et demi pour des infractions survenues avant l’entrée en vigueur du paragraphe 719(3) C.cr.

[208]     En l’espèce, tout militait en faveur de l’application de la pratique de l’époque d’accorder le double de la période de détention. L’absence d’antécédents judiciaires, la forte probabilité d’une libération conditionnelle avant les deux tiers de la peine et la conduite de l’appelant en détention sont des circonstances dont il faut reconnaître l’importance, malgré la gravité de la conduite. Le juge de première instance a d’ailleurs convenu qu’il méritait plus qu’un jour.

[209]     En somme, même si nous devions rejeter tous les autres arguments de l’appelant, il faudrait à tout le moins réduire la peine totale véritablement imposée et la faire passer de 94 mois à 78 mois à compter du 8 décembre 2017.

[210]     En ce qui a trait aux peines spécifiques, je ne suis pas convaincu que celle de 72 mois pour l’agression sexuelle ayant mené à une grossesse non désirée, puis à une interruption de grossesse organisée par l’appelant, est manifestement non indiquée. Les circonstances de cette infraction, particulièrement graves, justifient une telle peine et la suggestion de l’appelant de l’abaisser à 60 mois ne peut être retenue.

[211]     En revanche, celle de 54 mois pour le chef 2 est beaucoup trop sévère et je suis d’avis qu’elle doit être réduite. Je la diminuerais toutefois à 6 mois plutôt qu’à 10, comme le suggère l’intimée. L’incident n’a duré que quelques secondes et était le moins intrusif parmi les agressions sexuelles. La peine de 8 mois pour le chef 43 (un baiser sur la bouche) me paraît elle aussi excessive; je la ramènerais à 3 mois. Pour les autres peines qui doivent être écourtées, je partage l’avis de l’intimée dont j’ai fait état précédemment.

[212]     En ce qui concerne le passage du temps, s’il est vrai que l’écoulement du temps permet parfois de « constater que l’appelant ne présente absolument plus le même profil que lors des infractions » : R. c. Ittoshat (1999), 32 C.R. (5th) 371 (QC CA); Guénette c. R., 2008 QCCA 616, il reste qu’il n’atténue en rien la gravité de l’infraction. Or, en l’espèce, on ne note aucun changement radical chez l’appelant depuis les infractions. Au contraire, selon la preuve déposée lors des observations sur la peine, il continue à banaliser sa conduite, à dénigrer les plaignantes et veut même faire porter à certaines la responsabilité de ses actes. Sa personnalité narcissique est toujours bien présente.

[213]     Bref, la preuve ne révèle pas une réhabilitation suffisante pour que l’écoulement du temps puisse laisser croire à l’existence de facteurs atténuants.

[214]     Pour ce qui est de l’absence de remords et du déni de responsabilité, je note que le juge ne reproche pas directement l’absence de remords. D’ailleurs, il n’est plus à démontrer que l’absence de remords ne peut être considérée comme un facteur aggravant, surtout lorsque l’accusé porte sa cause en appel. Le juge retient plutôt, au chapitre des facteurs aggravants :

a)        la nature et les circonstances de la commission des crimes, plus particulièrement l'exploitation d’adolescentes qu’il avait sous sa responsabilité;

b)        le lien entre l'accusé et les victimes, l’abus de confiance;

c)        l'âge des adolescentes, la plus jeune a 12 ans;

d)        les séquelles chez les victimes;

e)        la répétition des gestes et la planification;

f)         le déni quant à la responsabilité de ces gestes et de leur gravité;

g)        la présence de désordre comportemental, reconnaissance non présente et thérapie non nécessaire;

h)        l’absence de protection lors des rapports sexuels.

[215]     Il n’est pas question d’absence de remords, mais bien de déni de responsabilité. Or, il faut rappeler que l’appelant admet bon nombre de rapports sexuels. Dans ce contexte, on ne peut prétendre qu’il est erroné de considérer comme un facteur aggravant le déni de responsabilité. On ne parle pas ici d’une personne qui nie sa culpabilité, ce qui ne peut être un facteur aggravant, mais tout simplement d’un constat selon lequel l’appelant, qui admet son inconduite sexuelle, continue néanmoins à prétendre qu’il ne peut en être tenu responsable. Ainsi, selon l’un des experts entendus, l’appelant évoque les « pièges » tendus par les plaignantes et déplore « être tombé dans le panneau ». Dans ce contexte, tenir compte du déni de responsabilité ne peut constituer une erreur.

[216]     En outre, je retiens l’approche des deux parties qui estiment que les peines devraient être concurrentes entre elles lorsqu’il s’agit de la même plaignante, mais consécutives à l’égard de chaque plaignante, tout en précisant que, selon moi, il serait injuste de laisser la peine totale à 12 ans alors que c’était la peine recherchée par l’intimée en première instance pour un nombre beaucoup plus élevé de chefs d’accusation.

[217]     Finalement, j’estime qu’il n’y a pas lieu de modifier les peines pour faire en sorte que l’appelant ne soit pas réincarcéré. On pourrait prétendre, avec raison, qu’il bénéficierait ainsi de façon indue de la mise en liberté qui lui a été octroyée par un juge de la Cour.

[218]     Il reste maintenant à déterminer, concrètement, les peines applicables.

[219]     Pour ce faire, il vaut mieux utiliser la méthode d’analyse préconisée notamment dans R. c. Desjardins, 2015 QCCA 1774 :

[33]       Dans le but d’éviter cette distorsion et ces effets non voulus, la peine juste et appropriée pour chaque chef d’accusation devrait être déterminée selon les objectifs et principes applicables à la détermination des peines et le caractère concurrent ou consécutif de chacune de ces peines par rapport aux autres peines infligées devrait être prononcé, le tout sans égard à la peine totale qui peut en résulter.

[34]       Ce n’est qu’une fois que ce travail est effectué que le principe de la totalité des peines devrait être considéré. Si, en application de ce principe, le tribunal estime que la peine totale devrait être réduite, il est alors préférable, dans la mesure du possible, de rendre les peines en cause concurrentes afin d’atteindre ce but. Si la méthode des peines concurrentes ne peut donner une peine totale juste et appropriée, le tribunal peut alors réduire une ou plusieurs des peines sur certains chefs afin d’atteindre la peine totale appropriée.

                                                                                                              [Renvoi omis]

[220]     Je note que, dans R. c. Guerrero Silva, 2015 QCCA 1334, la Cour respecte ces principes quoique la démarche est plus souple et se colle davantage à la pratique, notamment en envisageant la possibilité de déterminer d’abord le résultat final. Il reste toutefois que la première étape est similaire :

[55]        Malgré cette souplesse apparente et relative, l’approche à privilégier en présence d’infractions multiples, surtout lorsque les parties ne s’entendent pas et que les accusations émanent d’événements distincts, est de fixer les peines pour chacune des infractions, de décider si elles doivent être concurrentes ou consécutives et enfin, dans ce dernier cas, de déterminer si le tout enfreint les règles de la totalité (art. 718.2cC.cr.) et de la proportionnalité (art. 718.1 C.cr.). Des ajustements sont alors possibles pour obtenir la peine appropriée dans un cas donné. Certes, le juge peut d’abord déterminer la peine globale pour ensuite la répartir entre les différentes infractions. À la limite, l’exercice est le même, bien que la première approche, en s’attardant à chaque infraction individuellement, semble permettre une meilleure corrélation entre, d’une part, la peine et, d’autre part, le crime et le criminel. 

[221]     À la première étape de l’analyse, qui consiste donc à identifier les peines appropriées sans tenir compte de leur effet cumulatif, voici comment je vois les choses.

[222]     Pour B, chef 2 : 6 mois d’emprisonnement; chef 5 : 36 mois; chef 8 : 15 mois. Pour C, chef 11 : 30 mois; chef 14 : 15 mois; chef 21 : 18 mois. Pour D, chef 24 : 18 mois; chef 25 : 18 mois; chef 28 : 15 mois; chef 29 : 24 mois. Pour E, chef 35 : 18 mois. Pour F, chef 38 : 15 mois. Pour A, chef 39 : 18 mois; chef 42 : 72 mois. Pour G, chef 43 : 3 mois. Pour H, chef 49 : 3 mois.

[223]     En considérant que les peines reliées à une même plaignante devraient ici être purgées de manière concurrente en raison des circonstances, puisqu’il s’agit essentiellement de la même aventure criminelle[4], mais de façon consécutive en ce qui a trait à chaque plaignante, ces peines totaliseraient 201 mois. J’estime que cette peine totale serait nettement déraisonnable et, pour les raisons exprimées précédemment, je suis d’avis qu’il y a lieu de la diminuer en deçà de la peine totale de 144 mois imposée par le juge de première instance, pour tenir compte tant des acquittements que de la culpabilité morale de l’appelant. En effet, si cette culpabilité morale est de niveau aussi élevé en appel qu’en première instance, malgré les acquittements en appel, il reste que, si elle est fort pertinente pour la détermination de la peine, ce n’est pas la culpabilité morale qui doit être sanctionnée, mais bien la perpétration d’infractions. Or, le nombre de déclarations de culpabilité étant moindre qu’en première instance, il faut ici en tenir compte et abaisser la peine totale en conséquence.

[224]      Pour y parvenir, conformément à la deuxième étape décrite dans R. c. Desjardins ainsi que pour respecter l’esprit de R. c. Guerrero Silva, il y a lieu de procéder à des ajustements et modifier le caractère consécutif et concurrent de diverses peines pour mener à une peine totale de 123 mois, un résultat qui me paraît approprié dans les circonstances.

[225]     Enfin, pour tenir compte de la détention provisoire (crédit de 66 mois au lieu de 50), je rappelle que la peine totale doit être réduite à 57 mois. Pour ce faire, il faut déduire 66 mois de la peine de 72 mois du chef 42 (comme l’a fait le juge de première instance), qui passe ainsi à 6 mois. Il en sera de même de la peine du chef 39, qui devra elle aussi passer à 6 mois, sinon l’appelant ne bénéficierait pas totalement du crédit qui lui est alloué.

CONCLUSION

[226]     En somme, la peine totale imposée par la Cour devrait être de 10 ans et 3 mois d’emprisonnement, mais elle devra être réduite pour tenir compte de la détention provisoire. À cette fin, je propose d’accueillir la requête pour permission d’appeler, d’accueillir l’appel en partie, d’infirmer en partie le jugement de première instance et d’imposer les peines qui suivent (pour plus de clarté, je reprendrai l’ensemble des chefs qui demeurent, même ceux pour lesquels la peine imposée en première instance n’est pas modifiée) :

-       A : chef 39 : 6 mois; chef 42 : 6 mois, ces peines devant être purgées de manière concurrente entre elles.

-       B : chef 2 : emprisonnement de 6 mois; chef 5 : 36 mois; chef 8 : 15 mois, toutes ces peines devant être purgées de manière concurrente entre elles, mais consécutive aux précédentes.

-       F : chef 38 : 15 mois, cette peine devant être purgée de manière consécutive aux précédentes.

-       C : chef 11 : 30 mois; chef 14 : 15 mois; chef 21 : 18 mois, toutes ces peines devant être purgées de manière concurrente à toutes les autres.

-       D : chef 24 : 18 mois; chef 25 : 18 mois; chef 28 : 15 mois; chef 29 : 24 mois, toutes ces peines devant être purgées de manière concurrente à toutes les autres.

-       E : chef 35 : 18 mois, cette peine devant être purgée de manière concurrente à toutes les autres.

-       G : chef 43 : 3 mois, cette peine devant être purgée de manière concurrente à toutes les autres.

-       H : chef 49 : 3 mois, cette peine devant être purgée de manière concurrente à toutes les autres.

[227]     En résumé, la peine totale doit être de 10 ans et 3 mois d’emprisonnement, au lieu des 12 ans retenus en première instance, mais l’appelant devra purger une peine totale de 57 mois à compter du 8 décembre 2017 (date du jugement de première instance), puisqu’il faut retrancher 66 mois de la peine totale pour tenir compte de la détention provisoire.

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 



[1]     Notamment, le chef 20, pour lequel il n’existe aucune preuve de perpétration de l’infraction, le chef 17, à l’égard duquel un tribunal canadien n’avait manifestement pas compétence, et l’utilisation d’une norme objective pour la question du consentement.

[2]     Ce paragraphe prévoit, pour tous les types d’agressions, que le consentement n’est pas valide s’il résulte, par exemple, de l’exercice de l’autorité. Il est toutefois plus exigeant que le paragr. 273.1(2) à cet égard, puisqu’il exige une forme de coercition plus élevée que l’incitation du paragr. 273.1(2), et certains auteurs sont même d’avis que sa pertinence est maintenant douteuse pour cette raison : voir notamment Manning, Mewett & Sankoff, Criminal Law, 5e éd., Markham, LexisNexis Canada, 2015, p. 1079, évidemment pour les agressions commises après son entrée en vigueur : R. v. Geddes, 2015 ONCA 292.

[3]     On peut se surprendre que le juge inflige une peine de 18 mois pour les chefs 36, 43 et 56, alors que, à la première étape, il avait estimé que 8 mois suffiraient.

[4]     Je souligne que c’est d’ailleurs la méthode choisie par le juge de première instance et je note, au demeurant, que la poursuite aurait pu se limiter à un chef d’accusation par plaignante pour l’ensemble de la période qui la concerne. Cela étant, l’arrêt Guerrero Silva est un bon exemple de peines consécutives pour un même plaignant. Je crois néanmoins approprié, en l’espèce, de suivre la démarche proposée par les deux parties.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.