R. c. Audet |
2017 QCCM 73 |
COUR MUNICIPALE DE LA VILLE DE MONTRÉAL
CANADA
DISTRICT DE MONTRÉAL
No : 113-146-047
DATE : Le 13 avril 2017
LA REINE
c.
DOMINIC AUDET
Défendeur
« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire (…) viennent abondamment! »;
Vers libre, depuis L’Art Poétique - Chant I, [Nicolas Boileau (1636-1711)]
TABLE DES MATIÈRES
(les numéros renvoient aux paragraphes)
2. LES FAITS [2]
4.1.3 l’application à l’espèce [82]
4.1.4 la renonciation [103]
4.1.5 le remède [119]
4.2 le droit à un procès dans un délai raisonnable [154]
2. LES FAITS
[18] Le défendeur ne témoigne pas en défense. Il témoigne cependant dans le cadre d’une requête où il soulève que son droit de consulter l’avocat de son choix a été violé. Il témoigne également dans le cadre d’une requête en arrêt des procédures où il soulève que son droit à un procès dans un délai raisonnable a également été violé.
[19] Le Tribunal reviendra sur le témoignage du défendeur lorsqu’il procèdera à l’analyse de chacune de ces requêtes.
[20] Pour l’instant, le Tribunal préfère aborder la valeur probante de la preuve, sous réserve du sort qui pourra être réservé aux deux requêtes du défendeur. Tel qu’expliqué en salle d’audience aux plaideurs, cela évitera, dans toute la mesure du possible, que le défendeur ait à subir un nouveau procès, sur l’un ou l’autre des chefs d’accusation auxquels il fait face, dans l’éventualité où un appel réussirait, sur l’un ou l’autre de ces chefs.
3. LES QUESTIONS EN LITIGE EU ÉGARD AUX ACCUSATIONS PORTÉES
[21] Sous réserve donc du sort de ces requêtes, la poursuite a-t-elle établi hors de tout doute raisonnable que la capacité de conduire du défendeur était affaiblie par l’effet de l’alcool (1er chef) et que son alcoolémie excédait le maximum permis (2e chef).
3.1. Le chef de capacité affaiblie
[22] Le Tribunal abordera ici successivement (1) la position des parties sur la question, (2) l’état du droit et (3) procèdera à l’analyse de la preuve.
3.1.1. La position des parties
[23] La défense soumet que la preuve ne permet pas de conclure à la culpabilité du défendeur sous ce chef. La poursuite ne partage pas l’avis de la défense. Elle soumet que le défendeur doit être reconnu coupable et plaide accessoirement que même si la preuve de l’alcoolémie du défendeur était exclue pour le deuxième chef d’accusation, elle pourrait encore se prévaloir du résultat de l’analyse sous le premier chef.
[24] De plus, son procureur rappelle habilement les facteurs que le Tribunal a retenus pour rejeter une première requête du défendeur où ce dernier soulevait l’insuffisance des motifs qui ont permis au constable P. R. d’acquérir des motifs raisonnables de croire que le défendeur avait conduit son véhicule alors que sa capacité de le faire était affaiblie par l’effet de l’alcool.
3.1.2. L’état du droit
[25]
C’est à la
poursuite qu’incombe le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable non
seulement que la capacité de conduire du défendeur est affaiblie à un
quelconque degré, mais aussi que cet affaiblissement est causé par la
consommation d’alcool (Stellato
(R. c. Stellato,
[31] Il reste tout de même que, considérer tous les symptômes mis en preuve requiert de la part du juge décideur qu’il soupèse l’ensemble de la preuve, pas uniquement les symptômes qui favorisent la thèse de l’une ou de l’autre partie.
3.1.3. La discussion
[38] D’entrée de jeu, il importe ici de reconnaître que, hors de tout doute raisonnable, en ce matin du 25 octobre 2013, le défendeur n’est pas en état de conduire un véhicule routier, comme il le fait, rue St-Denis. Un conducteur qui, à quelques intersections de distance, s’endort coup sur coup au volant, profondément et longuement à chaque occasion, au point de ne pas s’apercevoir à chacune de ces occasions du changement des feux de circulation, ne dispose assurément pas de la vigilance minimale requise pour être en mesure de conduire un véhicule routier de façon sécuritaire. Le Tribunal a du reste clairement affiché ses couleurs à ce sujet, en salle d’audience, lors des plaidoiries des procureurs.
[39] La seule question qui reste à trancher est donc celle de déterminer si, hors de tout doute raisonnable, l’alcool est en cause, dans l’affaiblissement des facultés du défendeur.
[40] Que révèle la preuve à cet égard?
[41] La consommation d’alcool. Le défendeur a consommé de l’alcool. Au témoin civil qui lui pose explicitement la question à savoir s’il a pris de l’alcool, le défendeur répond « un peu ». Son admission explique pourquoi une odeur d’alcool subsiste à l’intérieur de son véhicule et à l’intérieur des véhicules de police où il séjournera brièvement, de même qu’à l’intérieur de la salle d’alcootest, tel qu’en ont témoigné les policiers P. R. et C. M. Bien que la valeur probante de ce facteur soit évidente, comme le défendeur n’a pas témoigné, et qu’aucun témoin expert n’a été entendu, on ignore ici la quantité d’alcool consommé et, sauf conjectures interdites, on ignore également les effets de l’alcool chez le défendeur. Ce facteur a une importance déterminante quant à la présence d’alcool dans l’organisme du défendeur, mais faible sur le plan symptomatologique.
[42] L’alcoolémie. La poursuite soumet ici que, quelle que soit l’issue de la requête en exclusion soumise par la défense eu égard au non-respect de son droit à l’avocat, elle peut néanmoins produire le certificat de l’analyste en ce qui concerne le premier chef. Avec égard, le Tribunal n’est pas de cet avis. Si la preuve est exclue, comme la poursuite a choisi de procéder avec deux chefs d’accusation dans le même dossier, la preuve doit être exclue eu égard à chacun des chefs. Il en serait autrement si, plutôt que d’exclure le résultat des analyses, la poursuite ne pouvait se prévaloir des présomptions légales en raison du non-respect de l’une ou l’autre des conditions législatives prévues à l’article 258(1)c)ii) C.cr. Mais tel n’est pas le cas.
[43] La distinction est tout de même ici de faible importance d’une part, parce que la preuve révèle que le défendeur a consommé de l’alcool, et d’autre part, parce que le résultat des analyses ne prouve pas, en soi, l’affaiblissement de la capacité de conduire. En l’absence d’une preuve apportée par un expert - ou de l’aveu généralement improbable d’un défendeur - le Tribunal ne peut, sans commettre une erreur de droit, prendre connaissance d’office d’un lien entre ces deux éléments. Le Tribunal s’inspire ici de l’affaire Laprise (R. c. Laprise, 113 C.C.C. (3d) 87, 26 M.V.R. (3d) 240 (CAQ)).
[44] Le Tribunal se permettra ici de citer de courts extraits de la décision majoritaire de la Cour suprême dans l’affaire Boucher mentionnée plus haut.
[45] La juge Deschamps y écrit :
« 33 (…) En effet, l’absence de preuve des symptômes habituels de facultés affaiblies comme la démarche chancelante et la bouche pâteuse ne fournit pas d’information sur le taux réel d’alcoolémie. Des niveaux extrêmes d’alcoolémie sont habituellement accompagnés de tels symptômes, mais, à l’opposé, des niveaux infimes sont généralement compatibles avec l’absence de symptômes. L’absence de symptômes ne constitue donc pas, en soi, un fait significatif si le tribunal ne connaît pas le niveau de la tolérance de l’accusé à l’alcool.
34 Sur cet aspect, l’expert entendu dans la présente affaire n’éclaire pas la Cour sur la tolérance de M. Boucher à l’alcool. Il s’appuie sur des moyennes statistiques. Par définition, s’il s’agit de moyennes, c’est que toutes les personnes qui consomment de l’alcool ne réagissent pas de la même façon. Le degré de tolérance à l’alcool ne relève pas de la connaissance d’office, particulièrement lorsqu’il ne s’agit pas de niveaux extrêmes. La divergence de vues de deux juges de la Cour d’appel sur ce point est assurément indicative du besoin de recourir aux modes habituels de preuve pour cet élément (…). »
[46] Si, pour reprendre les propos de la juge Deschamps, « la preuve des symptômes habituels de facultés affaiblies comme la démarche chancelante et la bouche pâteuse ne fournit pas d’information sur le taux réel d’alcoolémie », la réciproque de ce raisonnement doit également être vraie. Ce qui est vrai d’un côté du prétoire ne peut pas devenir faux de l’autre. Donc, le taux réel d’alcoolémie, sauf à des niveaux extrêmes, ne peut servir à constituer une preuve de facultés affaiblies.
[47] La somnolence. Le défendeur est somnolent au point où il n’est pas en état de conduire un véhicule routier. Cette caractéristique perdure d’ailleurs tout au long de l’intervention policière, et ce, jusqu’à la salle d’alcootest. Ce facteur a une valeur probante significative, voire déterminante quant à la capacité de conduire, bien qu’évidemment insuffisante à elle seule pour faire le lien requis, de cause à effet, avec l’alcool.
[48] La compréhension langagière. Bien que l’agent P. R. ait dû demander à deux reprises au défendeur de lui remettre les clés du véhicule et à quatre reprises de se détacher et de sortir du véhicule - des facteurs que le Tribunal a considéré dans l’acquisition par l’agent des motifs raisonnables de croire à la commission d’une infraction criminelle - une fois le défendeur réveillé, aucune autre manifestation analogue ne se reproduit tout au long de l’intervention policière. Rien n’indique que le défendeur n’ait par la suite pas bien compris les consignes qu’on lui donnait. Sa bonne compréhension subséquente de même que sa coopération permettent au Tribunal d’inférer que le problème initial résultait vraisemblablement de l’état de sommeil profond dont il venait alors d’être extirpé. Ce facteur favorise la défense.
[49] L’expression verbale. Alors que, dans les affaires semblables, les policiers notent fréquemment que le détenu a la bouche pâteuse, que son élocution est défaillante, qu’il est difficile de comprendre les mots qu’il prononce, qu’il a de la difficulté à articuler, aucune semblable constatation n’est présente ici. L’absence de ce symptôme favorise aussi le défendeur.
[50] La vision. De même, alors que dans les causes de cette nature, il est fréquent, pour ne pas dire constant que les yeux du prévenu sont rouges et que son regard est vitreux, ici, dans notre cas, les policiers n’ont pas noté de tels symptômes. Plus tard, au centre opérationnel, lorsque le défendeur dit vouloir communiquer avec son avocate, rien n’indique non plus qu’il ait eu une quelconque difficulté à retracer ce contact dans son téléphone cellulaire. Rien n’indique non plus que le défendeur ait eu une quelconque difficulté à identifier et remettre aux policiers les documents usuels tels son permis de conduire. L’absence de ce symptôme, si habituellement fréquent, favorise également la défense.
[51] L’équilibre. On se souvient que, au départ, lorsque l’agent P. R. demande au défendeur de se diriger vers le trottoir situé du côté sud de la rue Saint-Denis, le policier remarque que lorsqu’il marche, le défendeur s’exécute lentement, et que sa tête penche sur la gauche. Que se passe-t-il par la suite? Rien de particulier. Rien d’autre dans les observations faites par les agents P. R. et C. M. ne permet au Tribunal de croire que le défendeur éprouve quelque problème d’équilibre que ce soit. Ce symptôme, également fréquent et souvent déterminant dans les causes de cette nature, est ici absent. La disparition rapide de ce que P. R. a initialement perçu et le retour à la normale sur le plan de l’équilibre et de la démarche subséquente du défendeur favorisent également la défense.
[52] Du reste, au centre opérationnel, bien que la somnolence et l’odeur d’alcool subsistent, aucun autre des symptômes habituellement associés aux affaires de capacité affaiblie par l’alcool ne se manifeste.
[53] En bref. Il faut bien sûr se mettre en garde de verser dans les mythes, dans les préjugés, dans les conjectures. Mais tant de facteurs autres que l’alcool peuvent causer la somnolence qu’il serait ici présomptueux, selon le Tribunal, vu l’absence des autres symptômes habituels, d’attribuer hors de tout doute raisonnable à l’alcool le fait que la capacité de conduire du défendeur soit affaiblie. Qu’il suffise ici de mentionner l’insomnie, la maladie, dont la narcolepsie, la médication et le décalage horaire consécutif à un long voyage.
[54] L’alcool ne peut bien sûr pas être écarté péremptoirement de cette courte liste, non exhaustive. Mais cela ne suffit pas, non plus, pour se convaincre hors de tout doute raisonnable que la somnolence qui rend le défendeur inapte à conduire un véhicule de façon sécuritaire résulte de la consommation d’alcool. Une simple possibilité, ou même une probabilité, aussi forte puisse-t-elle être, est insuffisante en droit.
[55] C’est pourquoi, sur le premier chef d’accusation, le défendeur aura droit au bénéfice du doute.
3.2. Le chef d’alcoolémie illégale
[56] La défense a déjà informé le Tribunal que, hormis les objections, moyens et arguments déjà soulevés lors de l’audition des témoins, ou préalablement, dans le cadre des deux requêtes mentionnées précédemment, requêtes dont le sort restera à déterminer ultérieurement, elle n’entendait pas soumettre d’autres moyens à l’encontre des chefs d’accusation auxquels le défendeur fait face. Tel que mentionné plus haut, dans le but d’éviter le plus possible aux parties la tenue d’un nouveau procès, le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu de se prononcer également sur la valeur probante de la preuve dont le Tribunal a autorisé la production, sous réserve du sort des autres moyens de défense présentés.
[57]
À cet
égard, sous réserve bien sûr du droit d’appel du défendeur des décisions intérimaires
du Tribunal qui a rejeté ses moyens préliminaires sur la suffisance des motifs de
procéder à son arrestation et sur la question du dès que matériellement possible,
la preuve soumise permet à la poursuite de bénéficier des présomptions
législatives d’exactitude et d’identité prévues à l’article
[58] Sous réserve donc du sort qui sera réservé à l’une ou l’autre de ses requêtes, le défendeur devra donc être déclaré coupable du deuxième chef d’accusation.
4.1. Le droit à l’avocat
[77]
Lorsque l’on
constate une atteinte à un droit constitutionnel, l’application du remède prévu
à l’article
[78]
Le but du remède
que procure cet article n’est pas d’offrir une réparation à l’égard d’une
conduite inacceptable des policiers ni de sanctionner une telle conduite.
Le remède vise à empêcher que l’utilisation d’une preuve obtenue à la
suite d’une violation d’un droit constitutionnel ne déconsidère
l’administration de la justice. Le remède vise donc à préserver la fragile
confiance que le citoyen de notre pays accorde à son système de justice (R.
c. Buhay,
[79]
La personne
détenue qui désire se prévaloir de son droit de consulter un avocat doit
cependant être diligente dans l’exercice de son droit (R. c. Prosper,
[80]
Par ailleurs, le
droit à l’assistance d’un avocat a préséance sur la possibilité pour la
poursuite de se prévaloir éventuellement, dans le cadre d’un procès, des
présomptions légales prévues à l’article
[81]
Ce qui constitue
une diligence raisonnable est une question de faits. Ce ne sera normalement
qu’après l’écoulement d’un délai raisonnable que les policiers pourront exiger
que le détenu communique avec quelqu’un d’autre que l’avocat initialement choisi
(R. c. Ross,
4.1.3 L’application à l’espèce
· Détermination de faits
[82] De très subtiles nuances différencient le témoignage du défendeur de celui de l’agente C. M., principalement sur le nom de famille de l’avocate que le défendeur désire initialement consulter. Alors que la policière témoigne à l’effet que ce dernier n’était pas en mesure de fournir ce patronyme, le défendeur dit plutôt avoir informé la policière qu’il voulait parler avec son avocate, Me Maude Bouchard (par. 20 de sa requête).
[83] Il est cependant exact que le patronyme de celle-ci ne figure pas dans sa liste de contacts personnels, telle qu’elle apparaît dans son téléphone cellulaire. Le témoignage du défendeur corrobore à cet égard celui de la policière.
[84] Comment trancher cette question?
[85] Il faut ici se souvenir que la policière n’a pas noté l’heure où elle tente de joindre la prénommée Maude. Selon la policière cependant, la procédure d’écrou qui prend habituellement une dizaine de minutes et qui a débuté ici par l’accès du véhicule de patrouille dans le garage du centre opérationnel se serait déroulée à compter de 7 h 34. Compte tenu du nombre d’articles en possession du défendeur, il est probable, toujours selon le témoignage de la policière, que cette procédure ait été plus longue. Cette procédure se serait donc complétée après 7 h 44. C’est après celle-ci que le défendeur informe C. M. du fait qu’il a une avocate qui travaille pour lui, et que c’est avec celle-ci qu’il désire s’entretenir.
[86] Le temps pour lui de récupérer son téléphone, de retracer le nom de son avocate dans la liste de ses contacts personnels, de remettre l’appareil à l’agente C. M., de laisser celle-ci appeler le numéro, de laisser la sonnerie faire son œuvre, puis d’écouter le message invitant le correspondant à laisser ses coordonnées, toutes ces considérations laissent bien peu de temps à C. M. pour chercher à en savoir davantage, surtout lorsqu’on considère que c’est elle qui place l’appel et que, dès 7 h 47, le défendeur s’entretiendra avec l’avocate choisie par la policière.
[87] Considérant tous ces facteurs, et bien que le témoignage du défendeur ne réfute pas expressément l’affirmation de la policière qui dit avoir demandé au défendeur de lui préciser le nom de famille de son avocate, le Tribunal préfère ici le témoignage du défendeur sur la question. Bien qu’il ne soit pas impossible que le défendeur ne connaisse pas le patronyme de son avocate, cela reste tout de même fort improbable. Il ne s’agit pas ici, comme cela se produit fréquemment en salle d’audience, d’un défendeur qui ne connaît son avocat que par son prénom. Il s’agit d’une avocate qui, depuis 3 ou 4 ans, travaille à temps plein pour l’entreprise du défendeur, une avocate dont le nom figure évidemment sur la liste de paie de l’entreprise. En outre, le peu de temps écoulé entre la fin de la procédure d’écrou - et le Tribunal doit ici naviguer à l’estime vu le témoignage imprécis de C. M. sur le sujet - et la communication avec Me Gaiptman ne laisse tout simplement pas suffisamment de temps pour prêter foi au témoignage de C. M. sur la question, pas plus que sur les démarches qu’elle dit avoir entreprises pour trouver un autre numéro de téléphone où joindre l’avocate choisie par le défendeur. Mais cela n’a pas nécessairement l’importance qu’on pourrait croire à prime abord.
[88] En effet, comme le nom du contact du défendeur figure dans ses contacts personnels, ce qui est du reste bien compréhensible, à la suite du témoignage du défendeur, qu’aucun patronyme n’est associé au nom de Maude et que, pour reprendre le témoignage de C. M., il lui semble s’agir d’un numéro de téléphone personnel, celle-ci doute manifestement de l’information que vient de lui transmettre le défendeur à l’effet que cette personne est une avocate.
[89] Et le message neutre qu’elle entend ensuite ne la rassure pas davantage. Ce message n’indique d’aucune façon qu’on vient de joindre le bureau d’une avocate.
[90] Cela n’est guère étonnant, selon le Tribunal, quand on sait que cette personne travaille de façon exclusive pour l’entreprise du défendeur. Cette personne ne reçoit donc pas d’appel de clients autres que ceux œuvrant dans l’entreprise, sa seule cliente professionnelle. Le numéro de téléphone que compose C. M. correspond probablement soit au numéro personnel de son domicile soit encore, alternative moins probable que la première, au numéro de téléphone de son poste de travail.
[91] Ainsi, que le Tribunal retienne la version plus probable du défendeur ou celui de l’agente de la paix reste sans importance déterminante, dans la mesure où la policière ne croit pas que cette personne soit une avocate. Manifestement, c’est du reste ce qu’elle veut contrôler en plaçant elle-même l’appel. Elle relate dans son témoignage que, parfois, des détenus donnent une fausse information sur la personne à qui ils désirent parler.
· Le choix de l’avocat ou l’avocate de son choix
[92] Pourquoi ne pas avoir tout de même laissé un message, comme l’invitait le répondeur ou la boîte vocale qui en tenait lieu? Pour le Tribunal, la réponse est simple, c’est que la policière n’a pas cru le défendeur lorsque ce dernier lui a dit que cette personne qui travaillait pour lui était son avocate.
[93] Vu l’heure matinale, il était tout à fait plausible que la personne appelée soit temporairement incapable de prendre l’appel, occupée à des exercices ou à un jogging matinal, à faire ses ablutions ou à quelque autre activité l’empêchant momentanément de prendre l’appel.
[94] On ne peut exclure non plus que l’appel ait été logé par C. M. depuis un combiné exclusivement réservé à faire des appels et que, partant, le numéro ou l’identité de l’appelant s’affiche, sur le combiné de l’appelé comme étant confidentiel. Et combien de personnes utilisent maintenant leur afficheur ou leur répondeur pour filtrer les appels importuns? La policière ne pouvait non plus ignorer cette nouvelle réalité. Et comme c’est elle qui avait décidé d’agir en quelque sorte comme intermédiaire du défendeur, elle se devait d’être à cet égard proactive, en vue, non pas de garantir, mais du moins de faciliter l’exercice du choix initial du défendeur.
[95] Dans son témoignage, C. M. dit ne pas avoir laissé de message parce que rien n’indiquait que la personne appelée était une avocate. Elle ajoute ne pas avoir voulu faire du tort à la réputation du défendeur avec de l’information délicate et compromettante. S’il est compréhensible qu’elle ait décidé de ne pas dire à un répondeur anonyme « Nous venons d’arrêter M. Untel pour conduite avec la capacité affaiblie par l’alcool, il désire vous parler en tant qu’avocate. Veuillez nous rappeler immédiatement au numéro de téléphone 123-456-7890. », elle pouvait au moins improviser, être proactive et laisser un message neutre qui aurait pu ressembler à « Je suis l’agente C. M. du SPVM. Nous venons d’arrêter un individu qui nous dit que vous êtes une avocate qui travaillez pour lui ou pour sa compagnie. Il désire vous parler. Veuillez me rappeler immédiatement au numéro de téléphone 123-456-7890. ». Par la suite, C. M. aurait pu informer le défendeur de la situation et attendre au moins quelques minutes pour un retour d’appel. Il n’y avait aucune urgence pour agir de façon précipitée, ni pour immédiatement informer le défendeur qu’il y avait une impasse, ni pour lui proposer tout de suite de parler à un avocat de garde ou de l’aide juridique.
[96] Or, non seulement ne laisse-t-elle pas de message demandant d’être rappelée, elle n’informe pas non plus adéquatement le défendeur de ce qui se passe avant de lui proposer de parler à l’avocat de garde. Elle se contente plutôt de dire brièvement au défendeur « qu’on est dans une impasse, que son avocate ne peut être jointe ».
[97] Il convient ici de reconnaître qu’il est très rare qu’un individu ait un avocat à temps plein à son service, ce qui au départ a pu rendre suspecte l’affirmation du défendeur. Dans ce cas, il appartenait à C. M. de poursuivre la communication avec le défendeur pour s’assurer de l’exactitude de l’information reçue.
[98]
Quant au
défendeur, il explique et exprime bien dans son témoignage comment il s’est
senti dans un état de dépendance et de fragilité vis-à-vis des agents de la
paix, en particulier devant le comptoir d’écrou où on lui a fait comprendre
qu’il devait coopérer à défaut de quoi on l’accuserait d’entrave; c’est le
terme qu’il utilise eu égard aux conséquences d’un refus dont on l’a assurément
informé à ce moment. La nécessaire relation de confiance qui s’établit alors
commande implicitement que le choix de l’avocat consulté appartienne non pas
aux policiers, mais à la personne qui désire s’en prévaloir (R. c. Ross,
[99]
Cela est d’autant
plus vrai qu’il semble que, au Québec, du moins, le protocole qui prévaut
relativement à l’exercice du droit à l’avocat semble se distinguer de façon
importante de ce qui se passe dans les autres provinces. La lecture des
décisions qui portent sur le sujet indique que, ailleurs au Canada, on donne à
la personne détenue un appareil téléphonique et une liste d’avocats, comme dans
Prosper et dans l’affaire Willier (Willier c. La Reine,
[100]
Ici au Québec, le
protocole, s’il s’agit bien d’un protocole, est différent. Ce sont les
policiers qui agissent comme téléphonistes, comme dans l’affaire Thérien (R.
c. Thérien,
[101] S’il n’y a rien d’inapproprié avec cette démarche plus restrictive ici au Québec qu’ailleurs, au Canada, cette façon de faire place néanmoins sur les épaules des agents de la paix qui agissent de la sorte une obligation d’information eu égard au résultat de l’appel placé au nom de, et en lieu et place de la personne détenue.
[102] Cela nous amène à analyser la question de la validité de la renonciation par le défendeur de parler à l’avocat de son choix.
4.1.4 La renonciation
[103] Bien sûr, lorsque la personne détenue répond par l’affirmative à l’offre faite de parler à un autre avocat que celui initialement choisi, que la personne détenue parle effectivement à cet avocat que lui proposent les policiers et qu’elle ne manifeste d’aucune façon son insatisfaction à la suite de cet appel, les policiers sont alors fondés de croire, du moins à première vue, que le détenu a pu effectivement exercer son droit à l’avocat.
[104]
C’est de la sorte
qu’il faut interpréter l’obligation de « diligence raisonnable » dont
traite la Cour supérieure dans cette décision que cite la poursuite (R.
c. Thérien,
[105] Cependant, lorsque le Tribunal doit évaluer la validité préalable de la renonciation de la personne détenue de parler à l’avocat de son choix, d’autres critères entrent en jeu, dont ceux rattachés à la validité de semblable renonciation.
[106]
Dans les cas de
renonciation, la norme est stricte (R. c. Bartle,
[107] Il est vrai que, dans l’affaire à l’étude, la renonciation est explicite. En effet, le défendeur répond « OK » à l’offre faite par C. M. de parler à quelqu’un d’autre qu’à son avocate.
[108] Toutefois, pour que cette renonciation soit valide, il demeure que celle-ci doit résulter d’un choix libre et éclairé. Cette renonciation peut-elle être considérée comme résultant d’un choix libre et éclairé du défendeur de parler à quelqu’un d’autre qu’à l’avocate en qui il a confiance? Pour ce faire, le défendeur devait être avisé précisément de ce qui, selon les dires de C. M. constituait une impasse. Pour le Tribunal, C. M. se devait de dire expressément au défendeur que le message qu’elle venait d’écouter n’indiquait en rien que le numéro joint était le numéro de téléphone d’une avocate, surtout, qu’elle n’avait pas laissé de message, ce qui rendait absolument impossible tout retour d’appel et qu’elle doutait en outre de la qualité d’avocate de la personne à qui le défendeur désirait parler.
[109] Le défendeur aurait pu alors soit confirmer à C. M. que Maude était bel et bien une avocate, lui demander de la rappeler et de lui laisser un message, ou encore trouver un autre numéro de téléphone pour la joindre, au travail par exemple, lui laisser là aussi, le cas échéant, un message, puis attendre un retour d’appel, comme dans tant de décisions qui en traitent.
[110] Alors, mais alors seulement, à la suite de l’écoulement d’une période de temps raisonnable, le défendeur aurait pu être contraint d’exercer un second choix, ou de parler à l’avocat de garde. Il aurait au moins pu alors bénéficier de l’information précise qu’il n’a jamais obtenue et de quelques minutes supplémentaires de réflexion pour exercer un choix éclairé, ou encore réfléchir à une alternative autre que celle proposée par C. M. Le fait de simplement lui dire qu’il y a impasse et que Maude ne peut être jointe, sans plus, tout en lui offrant immédiatement de parler avec l’avocat de garde ne lui a manifestement pas donné le temps de prendre une décision libre et éclairée à ce sujet, surtout dans le contexte de l’information déjà transmise au défendeur quant aux conséquences d’un refus.
[111] En fait, ce n’est pas le défendeur qui était dans une impasse, c’est la policière qui, soucieuse de contrôler l’appel et incrédule du fait que le défendeur lui ait affirmé que cette personne travaillait pour lui, se trouvait dans une impasse. En ne jugeant pas opportun d’informer le défendeur de façon précise de ses doutes à cet égard et de la problématique à laquelle elle faisait face, le Tribunal est d’avis que, dans les circonstances de la présente affaire, la policière a manqué à son devoir d’information.
[112] De plus, trop peu de temps s’est écoulé entre la fin de la procédure d’écrou, malheureusement non précisée par le témoignage de C. M. et la communication avec Me Gaiptman. Le Tribunal conclut qu’il y a eu précipitation dans la façon de faire de la part de C. M. Le devoir d’information dont traite le juge Lamer dans Prosper (aux pages 274 et 275) doit être modulé en fonction des circonstances de chaque espèce.
[113] À la décharge de la policière, il sied d’ajouter qu’il est peu commun qu’une personne ait un avocat à temps plein à son service. Toutefois, comme le défendeur était calme, coopératif, qu’il ne posait aucun problème et qu’il n’y avait aucune urgence d’agir, pourquoi ne pas avoir discuté avec ce dernier des doutes que la policière entretenait eu égard à la qualification professionnelle de l’avocate avec laquelle le défendeur désirait s’entretenir? Et tenter d’obtenir plus d’information de la part de celui-ci à ce sujet?
[114] Comme c’est à la poursuite qu’il appartient de prouver la renonciation au droit à l’avocat (R. c. Maloney, (1996) 34 C.R.R. (2d) 162 (C.A. N.-É.), il ne saurait en être différemment, selon le Tribunal, lorsqu’il s’agit de renoncer au choix de cet avocat. Et tout doute, toute équivoque, toute ambiguïté quant à savoir ce qu’un accusé aurait fait si son droit n’avait pas été violé doit jouer en faveur de celui-ci (R. c. Brunczlik, (2000) O.J. No 116; (2000) C.R.D. 36.50.40-04 (CAO)). Dans cette dernière affaire, la Cour d’appel ontarienne a jugé irrecevable une déclaration faite par l’accusé avant qu’il n’ait pu s’entretenir avec un avocat, et ce, même s’il semblait clair que l’accusé avait l’intention de raconter son histoire à la police.
[115] Dans la présente affaire, comment soutenir que le défendeur a renoncé à parler avec l’avocate de son choix et que cette renonciation est valide si elle résulte, cette renonciation, d’une information déficiente, voire absente (Bartle), à plus forte raison lorsqu’on sait que l’acceptation de parler à l’avocat d’office ne constitue pas une renonciation au droit de parler à son avocat (R. c. Donovan, (2001) 83 C.R.R. (2d) 172 (C.S. Ont.))?
[116]
S’il est vrai que
la personne arrêtée ne jouit pas d’un droit absolu à l’avocat de son choix et
qu’elle doit agir promptement pour en consulter un autre au besoin, comme le
rappelait le regretté Michel Proulx dans Dozois (R. c. Dozois,
[117]
Ainsi, dans cette
affaire Émond que cite la poursuite (Emond c. La Reine
[118] En conclusion, le Tribunal, sur cette question, est d’avis pour ces motifs que le défendeur n’a pas valablement renoncé à son droit de parler avec l’avocate de son choix. En conséquence, son droit constitutionnel a été violé.
4.1.5 Le remède
[87] La détermination de savoir si une preuve obtenue
en violation des droits fondamentaux est susceptible de déconsidérer
l’administration de la justice est éminemment contextuelle et doit être évaluée
« eu égard aux circonstances », comme le précise le paragraphe
[88] Chaque cas est donc un cas d’espèce.
[90] Bien qu’elle soit relativement peu envahissante, la prise d’échantillons d’haleine de conducteurs sur les voies publiques constitue « l’utilisation du corps d’une personne, sans son consentement, en vue d’obtenir des renseignements à son sujet », ce qui constitue une atteinte non négligeable des attentes raisonnables de vie privée.
4.2. Le droit à un procès dans un délai raisonnable
« (…) Nous savons que, dans la plupart des demandes fondées sur l’al. 11b), on a rarement à gratter longtemps pour voir apparaître la question des ressources. » (Jordan, par. [117])
4.2.1. L’analyse du délai
« [38] Bref, le cadre d’analyse applicable aux demandes fondées sur l’al. 11b) est trop imprévisible, trop difficile à saisir et trop complexe sur le plan théorique. Il est devenu lui-même un fardeau pour des tribunaux de première instance déjà surchargés.
[39] Ces problèmes sur le plan théorique ont concouru à l’existence de problèmes pratiques.
[40] Comme nous l’avons vu, une culture de complaisance vis-à-vis les délais a fait son apparition au sein du système de justice criminelle. »
« [37]
Enfin, le cadre d’analyse établi dans Morin est indûment complexe. On peut
considérer, à juste titre, que le calcul pointilleux qu’il exige empoisonne la
vie de tous les juges de première instance. Même si dans R. c. Godin,
« [91] Le fait de déterminer si le temps qu’a pris une affaire à être jugée a excédé de manière manifeste ce qui était raisonnablement nécessaire n’est pas une question de calculs précis. Le juge de première instance ne devrait pas disséquer chaque jour ou chaque mois pour déterminer si chaque étape était raisonnablement nécessaire — comme le veut la pratique courante depuis l’arrêt Morin. Il devrait plutôt prendre du recul par rapport aux menus détails et examiner l’affaire dans son ensemble. Cela dit, cette détermination est une question de fait qui relève entièrement de l’expertise du juge de première instance. »
« [32] Cependant, pour décider de la présente affaire, le Tribunal ne croit pas opportun de narrer chacune des dates au long ni de procéder à l'analyse chirurgicale du nombre de jours en indiquant ce qui s’est produit à chacune des vacations devant le Tribunal et entre chacune de ces périodes. Le Tribunal entend procéder à l’évaluation globale des délais. »
« [59] Les parties ont qualifié les délais selon l’ancienne grille de l’arrêt Morin. Le Tribunal estime fastidieux cet exercice alors même que la majorité dans Jordan s’est distancée de cette grille d’analyse. »
« [64] Autre exemple, la défense cause directement le délai si le tribunal et le ministère public sont prêts à procéder, mais pas elle. Le retard découlant de ce manque de disponibilité sera imputé à la défense. Toutefois, les périodes durant lesquelles le tribunal et le ministère public ne sont pas disponibles ne constituent pas un délai imputable à la défense même si l’avocat de la défense n’est pas disponible lui non plus. »
« [99] (…) Cela dit, dans les causes où le décalage entre le délai écoulé et le délai raisonnable est ténu, toute mesure qu’aurait prise la défense durant ce temps l’aidera à démontrer que le délai excède de manière manifeste ce qui était raisonnablement nécessaire. Dans ce cas de figure, le juge du procès doit tout de même tenir compte de l’action ou de l’inaction de l’accusé qui peut être incompatible avec le désir que le procès soit tenu en temps opportun. »
4.2.2. Un délai déraisonnable présumé
« 60 L’application du cadre d’analyse établi en l’espèce, tout comme celle du cadre établi dans Morin, commence par le calcul du délai total entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès. Une fois ce délai établi, il faut en soustraire le délai imputable à la défense. En effet, cette dernière ne doit pas être autorisée à profiter de sa propre conduite à l’origine du délai. Pour reprendre les propos du juge Sopinka dans Morin, « [l]’alinéa 11b) a pour but d’accélérer les procès et de réduire les préjudices et non pas d’éviter qu’une personne subisse son procès sur le fond » (p. 802). »
4.2.3. L’application de la mesure transitoire exceptionnelle
« [56] Une remarque supplémentaire quant à ce plafond : il ne s’agit pas d’un objectif ambitieux. C’est plutôt le point à partir duquel le délai est présumé déraisonnable. Le public peut donc s’attendre à ce que la plupart des affaires puissent être réglées avant que le plafond ne soit atteint, et qu’elles le soient. Voilà pourquoi, comme nous l’expliquerons, il incombe désormais au ministère public de justifier les délais qui dépassent le plafond. C’est aussi pour cette raison que l’inculpé pourra, dans les cas manifestes, démontrer qu’il y a eu atteinte à son droit d’être jugé dans un délai raisonnable, et ce, même avant l’atteinte du plafond. »
« [57] (…) Il s’agit de longs délais pour que justice soit rendue. Cependant, ces plafonds reflètent les réalités auxquelles nous devons faire face; nous aurons peut-être un jour à revoir ces chiffres et les considérations qui les sous-tendent. »
« [85] (…) Cela dit, le juge du procès ne doit pas profiter de l’occasion, avec l’avantage du recul, pour remettre en question chacune des décisions de la défense. Cette dernière est tenue d’agir raisonnablement, non pas à la perfection. »
[218] Dans ces circonstances, considérant que, bien que l’affaire n’ait pas débuté, que le défendeur et son procureur étaient tous les deux présents à la cour et prêts à procéder dès l’appel du rôle, à 9 h 30, il serait injuste de faire supporter au défendeur le délai consécutif. Il s’agit d’un autre délai systémique, accessoirement attribuable au retard, encore une fois d’un des témoins de la poursuite, mais surtout à la priorité que le Tribunal a dû accorder à une autre affaire pour des raisons humanitaires.
[219] Le Tribunal a d’ailleurs été à même d’expliquer la situation particulière aux procureurs lors des représentations finales, le 3 mars dernier.
[220] Quoi qu’il en soit, le 10 novembre 2015, le dossier du défendeur a été fixé devant le Tribunal, sur un rôle spécial fermé, pour la journée du 27 mai 2016, seize mois déjà après la date initiale, en janvier 2015 où tout le monde était prêt à procéder.
[221] Le 27 mai 2016. Le 27 mai 2016 débute l’audition des témoins de la poursuite. Celle-ci débute avec près d’une heure de retard. Un des témoins de la poursuite, on ignore lequel des deux, est absent à 9 h 30. Comme le procureur désire rencontrer préalablement ses deux témoins, ce qui semble-t-il ne pouvait se faire plus tôt, l’audience en sera retardée d’autant. Le témoin retardataire ne se présentera que plus tard.
[222] Après le rejet d’une requête de la défense soulevant la question du dès que matériellement possible, les procureurs plaident ensuite en après-midi sur la question de la suffisance des motifs qu’avait le policier P. R. de procéder à l’arrestation du défendeur et de lui ordonner de fournir un échantillon de son haleine. Le Tribunal n’est pas prêt à prendre position sur-le-champ sur cette deuxième requête; il désire consulter les autorités soumises par les procureurs, ce pour quoi la décision est reportée, en fonction du temps requis pour délibérer sur la question et des assignations du Tribunal.
[223] Le dossier est alors reporté pour décision au 15 septembre 2016. La requête du défendeur est alors rejetée et son arrestation est jugée conforme à la loi. Comme son procès doit alors se poursuivre, et que la défense n’est pas disponible à la première date disponible, le 15 novembre 2016, la prochaine date disponible est réservée. Le procès se poursuivra donc le 3 mars 2017.
[224] Avec le recul du temps, il est aisé de dire qu’il aurait été préférable, en mai 2016, que le Tribunal réserve immédiatement une prochaine date; mais, de toute évidence, cela est de peu de conséquence puisque celle-ci, d’expérience, ne se serait vraisemblablement située que quelque part en novembre 2016. Or, rendu en septembre 2016, le fait que la procureure du défendeur n’était pas elle-même disponible à la date proposée en novembre 2016 fait disparaître ici tout délai supplémentaire qui aurait pu en résulter. Le délai subséquent à la date proposée de novembre 2016 où l’avocate du défendeur n’était pas disponible « couvre » l’impair, si impair il y a eu. Le délai additionnel écoulé entre novembre 2016, jusqu’à la date du 3 mars 2017 est désormais, depuis Jordan, imputable au défendeur.
« (…) Nous savons que, dans la plupart des demandes fondées sur l’al. 11b), on a rarement à gratter longtemps pour voir apparaître la question des ressources. »
(Jordan, par. [117])
« [132]
Le juge du procès a commis une erreur en concluant que, en l’espèce, le délai
était raisonnable suivant le cadre établi dans Morin. Citant l’arrêt de la Cour d’appel R. c. Ghavami,
« [110] Le traitement du préjudice est le domaine de la jurisprudence relative à l’al. 11b) qui a créé le plus de dissension depuis deux décennies. Traiter le préjudice comme un élément contribuant à l’établissement du plafond, plutôt que comme un facteur d’analyse, reflète également mieux, comme nous l’avons dit, le fait que les délais prolongés causent un préjudice non seulement aux accusés, mais également aux victimes, aux témoins et au système de justice dans son ensemble. »
« [200] Le rôle que joue le préjudice dans l’analyse du délai déraisonnable est devenu inutilement compliqué. La jurisprudence a établi une distinction entre le préjudice présumé et le préjudice réellement subi par l’accusé et, dans certains cas, il semble qu’il soit devenu presque impossible d’obtenir gain de cause lorsqu’on présente une demande fondée sur un délai déraisonnable si l’on ne peut faire la preuve d’un type ou l’autre de préjudice. »
« [15](…) L'exercice judiciaire en est un, somme toute, d'appréciation du caractère raisonnable de la situation en tenant compte, notamment, du préjudice pour l'accusé, de la situation particulière qui peut prévaloir temporairement dans une région, de la complexité du dossier et du temps de procès requis. Plus le préjudice est grand, plus la période acceptable de délai institutionnel sera courte. » (soulignement ajouté)
« [98] (…) Nous nous fions au bon sens des juges de première instance pour juger du caractère raisonnable du délai dans les circonstances de chaque cas. »
« [33] In R v Vassell,
[34] Taking a step back in this case, one could generously accord 10 months of inherent delay to communicate the evidence and 4 to 6 months of institutional delay to conclude the trial pre-Jordan. This total was surpassed by almost a year in the present case.
[35] For these reasons, this Court holds that the exceptional transitional exception does not apply in this case. »
« [29] Finally, the trial judge’s conclusions with respect to the unreasonable nature of the delay merits deference: a court of appeal should not intervene unless the conclusion is itself unreasonable or rests upon a palpable and overriding error with respect to factual underpinnings of this determination.
[30] In light of the clearly exaggerated delays in this case, the exception invoked above is of no assistance to the Crown.
[31] With respect to the second category of “transitional exceptional circumstances” mentioned above, I note that this case is not sufficiently complex to justify its application. »
Gilles R. Pelletier, j.c.m
Me Juliette Gauthier-Soucy
pour la poursuite
Me Anne-Marie Langlais
Dates d’audition : les 10 novembre 2015, 27 mai et 15 septembre 2016 et le 3 mars 2017
Code criminel, LRC 1985, c. C-46, art. 253 a), 253 b) et 258(1)c)ii)
Code de la sécurité routière, RLRQ c. C-24.2, art. 202.2
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, R.-U., c. 11 (Charte canadienne des droits et libertés), art. 2, 7, 8, 9, 10,10b), 11, 11b), 24(1) et 24(2)
Loi sur la lutte contre les crimes violents, 2008 LC c. 6, art. 24 (Projet de Loi C-2)
JURISPRUDENCE CITÉE
Anderson c. La Reine,
Emond c. La Reine
Grant c. La Reine,
Mills c. La Reine,
Montréal (Ville de)
c. Beauregard,
Moreno-Baches and The Queen, 2005 CanLII 43296 (CSO)
Palma c. La Reine,
R c. Andrews, [1996] 20 M.V.R. (3d) 140
R. c.
Askov,
R. c. Aubé, (1993), 85 C.C.C. (3d) 158 2 M.V.R. (3d) 127 (CAQ)
R. c. Barbeau,
R. c. Bartle,
R. c. Brunczlik, (2000) O.J. No 116; (2000) C.R.D. 36.50.40-04 (CAO)
R. c. Buhay,
R. c. Boucher,
R. c. Camiran
R. c. Cobham,
R. c. Conway,
R. c. Donovan, (2001) 83 C.R.R. (2d) 172 (CSO)
R. c. Dozois,
R. c. Harrison,
R. c. Huard,
R. c. Jordan,
R. c. Kutynec, [1992] 12 C.R. (4th) 152, 70 C.C.C. (3d) 289 (CAO)
R. c. Laprise, 113 C.C.C. (3d) 87, 26 M.V.R. (3d) 240 (CAQ)
R. c. Leblanc,
R. c. Maloney, (1996) 34 C.R.R. (2d) 162 (C.A. N.-É.)
R. c. Moreno-Baches,
R. c. Morin,
R. c. Prosper,
R. c. Rioux,
R. c. Ross,
R. c. Shepherd
R. c. Sheppard,
R. c. Smith,
R. c. Stellato,
R. c. Stillman,
R. c. Suberu,
R. c. Taylor,
R. c. Thérien,
R. c. Tran,
R. c. Tremblay,
R. c. Tremblay,
R. c. Vassell,
R. c. Williamson,
Rahey c. La Reine,
Stevens c. La Reine,
The Queen v. Khoury,
Willier c. La Reine,
AUTORITÉS DU DÉFENDEUR (en plus de celles retenues et citées par le Tribunal)
Sur le droit à l’avocat :
R. c. Beattie, 2009 ONCJ 456
R. c. Berger,
R. c.
Boudreau-Fontaine,
R. c.
Collins,
R. c. Dubois, 54 C.C.C. (3d) 166
R. c. Eccles, 2008 ONCJ 541
R.
c. Elshaw,
R. c. Gauvreau, 22014 QCCQ 1253
R. c. Kumarasamy, [2002] O.J. No 303
R. c.
Longtin,
R. c. McCorriston, 2009 MBQB 7
R. c.
O’Donnell,
R. c. Pagé,
R. c. Formales, 2011 BCCP 257
R. c. Richfield, 2003 CanLII 52164 (ONCA)
Sur le délai :
Charlebois c. La Reine,
R. c. Beausoleil,
R. c. Godin,
AUTORITÉS DE LA POURSUITE (en plus de celles retenues et citées par le Tribunal)
Sur le droit à l’avocat :
Sinclair
c. La Reine,
McCrimmon
c. La Reine,
Sur le délai :
Allen
c. La Reine,
Béliveau
et al. C. La Reine,
Corriveau
c. La Reine,
Gaudreault
c. La Reine,
Lagacé c. La Reine, 2005 CanLII 11907 (QCCS)
R. c.
Giguère,
R. c. Kalanj,
R.
c. Lagacé,
R.
c. MacDougall,
R.
c. Momy,
R. c. Pham, CMM # 113-069-173 (QCCM)
R. c.
Tremblay,
Roy et
Marcotte c. La Reine,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.