Décision

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Immeubles Jacques Dumont c. Leclerc

2023 QCTAL 19352

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Rimouski

 

No dossier :

673163 06 20230106 G

No demande :

3765395

 

 

Date :

27 juin 2023

Devant la juge administrative :

Sophie Lafleur

 

Les Immeubles Jacques Dumont

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Joanie Leclerc

 

Julien Giroux Simard

 

Locataires - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Par une demande introduite le 6 janvier 2023, le locateur demande la résiliation du bail et l’éviction des locataires ainsi que de tous les occupants du logement pour troubles de comportement, en plus du remboursement des frais et de l’exécution provisoire de la décision nonobstant appel.

CONTEXTE

[2]         Les parties sont liées par un bail reconduit jusqu’au 30 juin 2023 et dont le loyer mensuel est de 524 $.

[3]         Lors de la preuve du locateur, ce dernier a déposé en preuve les plaintes de différents locataires à l’encontre des locataires ciblés. Ces derniers visés par la présente demande n’avaient pas demandé copie des pièces, de sorte que le Tribunal leur a offert à plus d’une occasion de prendre une pause afin de prendre le temps de lire l’ensemble des documents. Ils ont finalement accepté et l’audition s’est poursuivie après les avoir lus.

LA PREUVE

[4]         Le locateur témoigne que dans le passé, et jusqu’à tout récemment, il a reçu plusieurs plaintes de différents locataires à l’encontre des locataires en instances mais qu’il a toujours tenté de régler les litiges à l’amiable.


[5]         Cependant, depuis le mois de novembre 2022, il a reçu des plaintes plus officielles, selon lui. En effet, ils les qualifient d’officielles car elles sont logées par écrit et souvent par courrier recommandé. 

[6]         Le locateur dépose en preuve l’ensemble des plaintes qu’il a reçues, à savoir :

      Messages texte de madame Laliberté datés du 8 octobre 2020;

      Mise en demeure par courrier recommandé de madame Laliberté datée du 16 novembre 2022;

      Lettre de madame Labrie datée du 16 novembre 2022;

      Mise en demeure par courrier recommandé de M. Laberge datée du 18 novembre 2022

      Messages texte de madame Laliberté datés du 18 décembre 2022;

      Mise en demeure par courrier recommandé de madame Laliberté datée du 23 mars 2023;

      Lettre de madame Laliberté datée du 25 mars 2023;

      Lettre de monsieur Laberge datée du 25 mars 2023;

      Courriel de madame Labrie daté du 4 mai 2023.

[7]         Le locateur a transmis aux locataires concernés des mises en demeure à la suite des plaintes qu’il a reçues. Ces mises en demeure sont également déposées en preuve, à savoir :

      Mise en demeure datée du 16 novembre 2022, transmise par courrier recommandé;

      Mise en demeure datée du 19 décembre 2022, transmise par courrier régulier;

      Mise en demeure datée du 28 mars 2023, transmise par courrier régulier.

[8]         Les locataires concernés par la demande en résiliation de bail témoignent n’avoir reçu que la mise en demeure transmise par courrier recommandé, soit celle datée du 16 novembre 2022. Ils n’ont pas donné suite à celle-ci.

[9]         Le locateur fait ensuite entendre madame Laliberté. Cette dernière relate les événements entourant l’envoi de sa mise en demeure datée du 16 novembre 2022. Elle témoigne que ses voisins occupant le logement numéro 9 (soit les locataires visés par la demande) se chicanent et elle entend de la vaisselle se casser et la locataire crier de douleur. Elle transmet un message texte au locateur et contacte les services policiers. Elle allègue entendre des bruits aux deux jours, qui lui font croire à de la violence conjugale en provenance du logement concerné. Elle réclame une diminution de loyer de 100 $ par mois pour perte de jouissance de son logement.

[10]     Par la suite, elle témoigne des événements survenus le 18 décembre 2022, alors qu’elle est chez elle en compagnie d’un autre voisin, monsieur Laberge. Elle entend une personne qui semble régurgiter fortement. Elle sait que l’endroit où elle entend ces bruits correspond à un des garde-robes des locataires, ce qui la questionne. Par la suite, monsieur Laberge quitte le logement. La locataire Leclerc nie qu’elle ou son conjoint ait simulé des bruits de vomissements en se plaçant dans leur garde-robe juxtaposée au mur de la locataire Laliberté.

[11]     Finalement, madame Laliberté témoigne des événements survenus 23 mars 2023, lesquels sont également détaillés dans sa mise en demeure du même jour. Elle fait également un résumé des événements en lien avec les locataires depuis novembre 2022. Le Tribunal ne reprend pas ici l’ensemble de son témoignage sur les événements de cette journée puisque le témoignage de madame Laliberté correspond au contenu de sa mise en demeure, fort détaillée. Toujours est-il que cette journée, elle vit d’autres événements conflictuels avec les locataires, faisant en sorte qu’elle contacte à nouveau les services policiers. Elle témoigne être exaspérée d’entendre des bruits en provenance du logement numéro 9 et que monsieur Giroux-Simard crie après elle malgré qu’elle lui ait demandé de partir d’en face de son logement. Elle l’entend même donner des coups de poing dans le mur par la suite.


[12]     Madame Laliberté termine son témoignage en relatant des événements survenus en 2020 avec les locataires où un conflit est survenu en lien avec l’ouverture des portes communes. Elle témoigne que lors de ces événements, monsieur Giroux-Simard lui crie après et la pointe du doigt. Il cogne régulièrement dans les murs à ce moment. Le lendemain de ces événements, lorsqu’elle se réveille, elle constate que la porte d’entrée de son logement fut défoncée et que ses chats erraient dans le corridor. Elle est convaincue que ce bris fut provoqué par monsieur Giroux-Simard, bien qu’elle ne puisse avoir de certitude à cet effet. Elle mentionne ne pas se sentir en sécurité dans son propre logement et elle demande au locateur d’agir pour régler la situation.

[13]     Le locateur a ensuite fait entendre un autre locataire, monsieur Laberge. Ce dernier confirme avoir transmis des mises en demeure au locateur après avoir entendu des bruits et des cris en provenance du logement concerné, au mois de novembre 2022. Il demandait alors au locateur de faire le nécessaire pour leur procurer une quiétude des lieux. Concernant les événements survenus en mars 2023, il n’a pas entendu de bruit mais a discuté des événements avec madame Laliberté et a constaté dans quel état de stress celle-ci se trouvait, ce qui explique qu’il a aussi transmis une lettre au locateur afin de dénoncer la situation.

[14]     Finalement, c’est la locataire madame Labrie qui a rendu témoignage. Elle relate des événements survenus en septembre 2020. À cette occasion, alors qu’elle était en convalescence, elle a entendu monsieur Giroux-Simard crier et « bourrasser », tout en étant agressif. Elle l’entend également proférer des menaces et blasphémer contre elle. Alors qu’elle lui ouvre la porte afin de savoir ce qui se passe, il aurait alors mis son pied dans sa porte afin de l’empêcher de la refermer. Elle lui aurait alors mentionné qu’il lui faisait peur et lui a demandé de partir. Ceci s’est produit à plus d’une occasion, faisant en sorte qu’elle a avisé le locateur par message texte. Elle témoigne qu’elle entend souvent des chicanes de couple entre les locataires. Actuellement, la situation serait plus calme car, selon elle, la demande devant le Tribunal en serait la raison.

[15]     Lors de sa preuve, monsieur Giroux-Simard témoigne avoir porté plainte contre madame Laliberté en s’adressant au locateur vu le bruit en provenance de son logement. Le locateur lui aurait demandé de lui transmettre une plainte officielle, ce qu’il n’a jamais fait. Il témoigne ne pas avoir fait de plainte officielle car « ce n’est pas son genre » et qu’il n’a pas de temps à perdre avec cela. 

[16]     Sa conjointe, madame Leclerc, confirme également que le 11 février 2023, elle a transmis un message texte au locateur à la suite des bruits en provenance du logement de madame Laliberté, bruits qu’elle compare à des travaux de rénovation. Le locateur admet d’ailleurs avoir reçu ce message et avoir fait un suivi auprès de la locataire Laliberté. Il témoigne ne pas avoir reçu d’autre plainte de madame Leclerc ou de monsieur Giroux-Simard.  

[17]     Monsieur Giroux-Simard indique avoir porté plainte auprès des services policiers contre madame Laliberté. Sa conjointe a également témoigné avoir contacté les policiers à trois occasions lors de cette journée du 23 mars 2023. Aucune preuve de ces plaintes n’a été administrée.

[18]     Madame Leclerc nie également tant les faits rapportés dans la mise en demeure de madame Laliberté que ceux dont elle a témoigné. D’ailleurs, elle nie que son conjoint crie après elle la nuit ou qu’elle serait victime de violence conjugale.

[19]     Finalement, monsieur Giroux-Simard indique avoir transmis un message texte au locateur afin de tenter de discuter avec lui et lui indiquant que si ce dernier voulait l’évincer, de l’aviser afin qu’il quitte. Ces propos sont contredits par sa conjointe, madame Leclerc, qui témoigne que jamais son conjoint n’a écrit ce message.

[20]     La locataire Leclerc a également témoigné sur les événements survenus en 2020 indiquant que les problèmes allégués venaient du fait de la locataire Laliberté et non de leur part. 

[21]     Elle nie également la description des faits que la locataire Labrie a décrits lors de son témoignage. Elle précise avoir été très polie lors de ces événements et s’être même excusée.

[22]     Elle déplore que suite à la demande présentée devant le Tribunal, le locateur n’a pas donné suite à sa demande afin de discuter des faits avec elle. Le locateur répondra qu’il n’a en effet pas répondu car il ne voyait pas de solution possible, n’étant pas personnellement impliqué dans les conflits entre les locataires.


[23]     Madame Leclerc témoigne également n’avoir reçu que la première mise en demeure du locateur, soit celle par courrier recommandé. Elle indique que sa boîte de courrier resterait ouverte de temps en temps. Outre les deux mises en demeure qu’elle indique ne pas avoir reçues, il serait arrivé à une autre occasion qu’elle ne reçoive pas une carte de souhait provenant de sa mère.

[24]     Elle ajoute que suivant l’envoi de la mise en demeure datée de novembre 2022, elle et son conjoint ont tout fait pour être les plus silencieux possible, allant régulièrement dans leur chambre. Elle nie avoir émis des cris de douleur tels que décrit par les autres locataires et ignore à quoi ils font référence. Elle témoigne qu’il peut arriver à l’occasion qu’elle se chicane avec son conjoint et que le ton monte, mais sans plus.

[25]     Elle conteste toute responsabilité de sa part ou de celle de son conjoint en lien avec la porte défoncée du logement de la locataire Laliberté, en 2020.

[26]     Finalement, en ce qui concerne les événements allégués survenus le 15 décembre 2022, elle nie la description des faits. Elle effet, elle mentionne très bien se souvenir de cette journée. Elle était présente et revenait de l’épicerie avec son conjoint. Il n’était donc pas seul. Elle est donc certaine qu’elle était présente, ce qui fait qu’elle conteste la véracité des faits dont a témoigné la locataire Laliberté. Elle se souvient certainement de cette date car, dit-elle, elle et son conjoint ont fait une rencontre marquante ce jour-là. Elle se souvient également précisément de l’heure à laquelle ils revenaient de leurs commissions ce jour-là.

[27]     En résumé, la locataire Leclerc nie pratiquement tous les faits allégués dans les témoignages des trois autres locataires. Elle se dit dépassée ceux-ci.

QUESTION EN LITIGE

               Le locateur a-t-il fait la preuve d’un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail des locataires ?

ANALYSE

[28]     D’entrée de jeu, le Tribunal rappelle que celui qui veut faire valoir un droit, doit prouver les faits au soutien de ses prétentions, et ce, de façon prépondérante. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. La force probante du témoignage est laissée à l’appréciation du Tribunal[1].

[29]     Les dispositions pertinentes en lien avec les obligations et recours du locateur sont notamment énumérées aux articles suivants :

« 1859. Le locateur n'est pas tenu de réparer le préjudice qui résulte du trouble de fait qu'un tiers apporte à la jouissance du bien; il peut l'être lorsque le tiers est aussi locataire de ce bien ou est une personne à laquelle le locataire permet l'usage ou l'accès à celui-ci.

Toutefois, si la jouissance du bien en est diminuée, le locataire conserve ses autres recours contre le locateur. »

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »

[30]     Quant aux obligations du locataire en lien avec la jouissance des lieux, l’article 1860 du Code civil du Québec prévoit :

« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.

Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.

Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »


[31]     L’article 1860 du Code civil du Québec prévoit donc que le locataire a l’obligation de ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires. Ce même article prévoit que le locateur a un recours en résiliation de bail advenant que le locataire ne respecte pas cette obligation.

[32]     Quant à l’article 1863 du Code civil du Québec, celui-ci prévoit les recours des parties en cas d’inexécution d’une obligation. Parmi ces recours, la demande en résiliation du bail est possible si l’inexécution cause au locateur ou aux autres occupants un préjudice sérieux.

[33]     La preuve du locateur quant aux multiples démarches effectuées par les autres locataires par l’envoi de mises en demeure, lettres et messages texte démontrent l’ampleur de la problématique en lien avec les comportements des locataires concernés dans le présent dossier et l’impact que leurs comportements a sur la jouissance paisible des lieux par les autres locataires.

[34]     Une des locataires demande même au locateur une diminution de loyer puisqu’elle n’a pas la jouissance paisible des lieux.

[35]     Le locateur a même transmis, à trois occasions, des mises en demeure aux locataires concernés. Le Tribunal ne croit pas madame Leclerc et monsieur Giroux-Simard lorsqu’ils témoignent n’avoir reçu que la première mise en demeure, soit celle par courrier recommandé.

[36]     Le Tribunal n’a aucune raison de mettre en doute le témoignage du locateur ni celui des trois locataires qu’il a fait entendre dans sa preuve. Leurs témoignages sont concordants et ils ne se contredisent pas. Le locateur a tenté de régler les différends entre les locataires lorsque ceux-ci ont débuté. Mais à la suite de l’amplification de ces problématiques et de l’impact clair sur d’autres locataires, il a demandé des plaintes officielles et écrites, ce que les autres locataires ont accepté de faire. D’ailleurs, plusieurs des mises en demeure transmises au locateur l’ont été par courrier recommandé, aux frais des autres locataires.

[37]     Le témoignage de madame Leclerc, lorsqu’elle relate les événements survenus le 14 décembre 2022 auxquels elle indique se souvenir exactement ce qu’elle faisait ce jour-là (elle revenait de son épicerie), à l’heure indiquée, n’est pas crédible.

[38]     Les locataires concernés témoignent que les trois autres locataires ne disent pas la vérité car leur propre témoignage est à l’effet contraire. Le Tribunal ne peut croire la version de madame Leclerc ni celle de monsieur Giroux-Simard. Les autres locataires n’ont aucune raison de ne pas relater les faits tels qu’ils se sont produits et le Tribunal les croit. Leur témoignage respectif et la preuve documentaire sont au même effet.

[39]     Le Tribunal ne peut adhérer aux versions des témoignages des locataires Leclerc et Giroux-Simard.

[40]     La preuve prépondérante révèle clairement que les locataires contreviennent à leurs obligations en vertu de l’article 1860 du Code civil du Québec.

[41]     Le locateur a donc rencontré son fardeau de preuve quant au préjudice sérieux subi par les trois locataires qui ont témoigné lors de l’audience.

[42]     La demande de résiliation est donc justifiée dans les circonstances, le préjudice sérieux subi par trois autres locataires étant prouvé de manière prépondérante.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[43]     ACCUEILLE la demande du locateur;

[44]     RÉSILIE le bail et ORDONNE l’expulsion des locataires et de tous les occupants du logement;


[45]     CONDAMNE les locataires à payer au locateur les frais judiciaires prévus par règlement, soit 103,50 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Sophie Lafleur

 

Présence(s) :

le mandataire du locateur

les locataires

Date de l’audience : 

12 juin 2023

 

 

 


 


[1]  Articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec.

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