Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Gagnon c. Bell Mobilité inc.

2016 QCCA 1496

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-024747-149, 500-09-024748-147

(500-06-000496-105)

 

DATE :

 20 SEPTEMBRE 2016

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

PAUL VÉZINA, J.C.A.

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.

 

 

500-09-024747-149

 

DENIS GAGNON

APPELANT - demandeur

c.

 

BELL MOBILITÉ INC.

INTIMÉE - défenderesse

 

 

500-09-024748-147

 

BELL MOBILITÉ INC.

APPELANTE - défenderesse

c.

 

DENIS GAGNON

INTIMÉ - demandeur

 

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Les parties se pourvoient contre un jugement rendu le 3 septembre 2014 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Francine Nantel), qui a accueilli en partie l’action collective du représentant et condamné Bell Mobilité à payer aux membres, à titre de dommages-intérêts, la somme de 991 316 $ plus taxes, intérêts et indemnité additionnelle depuis le 5 janvier 2010.

[2]           Pour les motifs de la juge Bélanger, auxquels souscrit le juge Kasirer ainsi que pour les motifs du juge Vézina, la COUR :  

[3]           REJETTE l’appel de Bell Mobilité inc., avec frais de justice.

[4]           Pour les motifs de la juge Bélanger, auxquels souscrit le juge Kasirer, la COUR :

[5]           REJETTE l’appel de M. Denis Gagnon, avec frais de justice.

[6]           Pour d’autres motifs, le juge Vézina aurait accueilli l’appel de M. Denis Gagnon, avec frais de justice, et haussé la condamnation en dommages-intérêts prononcée contre Bell Mobilité inc., de 991 316 $, à dix millions de dollars.

 

 

 

 

PAUL VÉZINA, J.C.A.

 

 

 

 

 

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

 

 

 

 

 

DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.

 

Me David Bourgoin

Me Benoît Gamache

BGA Avocats

Pour Denis Gagnon

 

Me Marie Audren

Me Emmanuelle Rolland

Borden Ladner Gervais

Me Valérie Beaudin

Beaudin & Associés - Bell Canada service juridique

Pour Bell Mobilité inc.

 

Date d’audience :

19 avril 2016



 

 

MOTIFS DU JUGE VÉZINA

 

 

[7]           Bell Mobilité inc. fournit jusqu’en 2010 des services de téléphonie sans fil aux membres du groupe dont monsieur Gagnon est le Représentant. Par la suite, celui-ci intente contre elle une action collective en remboursement des frais de résiliation payés par les membres qui ont mis fin à leur contrat avant terme en exerçant leur droit de le résilier.

[8]           La Juge de première instance accueille en partie l’action et condamne Bell à rembourser 1 M$[1]; elle refuse toutefois d’accorder des dommages-intérêts punitifs.

[9]           Bell en appelle et demande le rejet de l’action collective. Le Représentant en appelle aussi et demande de hausser la condamnation à 12 M$, plus 1 M$ en dommages-intérêts punitifs.

[10]        Les faits pertinents ne sont pas contestés.

[11]        Les membres du groupe ont en commun :

-               d’avoir conclu avec Bell un contrat à durée déterminée;

-               d’avoir alors bénéficié d’un rabais sur le prix d’achat d’un téléphone portable;

-               d’avoir résilié leur contrat avant terme; et

-               d’avoir payé en conséquence les sommes stipulées à la clause des « Frais de résiliation ».

[12]        Un membre pouvait obtenir de Bell les mêmes services de téléphonie, au même tarif, par un contrat à durée indéterminée, mais seuls les contrats à durée déterminée donnaient droit à un rabais variant selon la durée du contrat, choisie par le membre, de 12, 24 ou 36 mois.

[13]        Le « coût relié au rabais » était de 236 $ pour Bell. Il inclut le rabais proprement dit plus d’autres frais liés à la conclusion du contrat. Il s’agit bien sûr d’une moyenne, car comme le souligne avec raison la Juge :

[54]      Les données avec lesquelles les deux experts ont composé sont approximatives et basées sur des moyennes sans quoi l'exercice devenait impossible.

[14]        Bell a perçu des membres du groupe des Frais de résiliation à hauteur de 21,3 M$.

[15]        Voici la clause des Frais de résiliation du Contrat de service Mobilité de Bell :

Frais de résiliation : Frais que nous vous facturerons si vous mettez fin à votre service avant l’expiration de votre abonnement de 12, de 24 ou de 36 mois. Ces frais de résiliation équivalent au montant le plus élevé de : (i) 100 $ ou (ii) 20 $ par mois pour chaque mois restant prévu au contrat, jusqu’à concurrence de 400 $.

[…]

[,,,] Si vous avez choisi un abonnement de durée prédéterminée, vous convenez que les frais de résiliation indiqués ci-dessus constituent une estimation préalable raisonnable des dommages[[2]] subis par Bell Mobilité dans l’éventualité où vous ne terminez pas votre abonnement. […]

Plus loin, le contrat renvoie aux Modalités de service sans fil de Bell où on retrouve la même stipulation, à laquelle s’ajoute une précision :

Les FRA [Frais de résiliation]… constituent une estimation préalable réelle des dommages que Bell subira en raison de la résiliation anticipée [sic] des services, et non une pénalité.

[16]        Le débat porte principalement A) sur la prétention de Bell que la clause des Frais de résiliation est non abusive et doit donc être appliquée, et B) sur la prétention du Représentant que le préjudice de Bell diminue de mois en mois, ce dont la Juge n’a pas tenu compte.

Le jugement

[17]        La Juge précise les faits relatifs aux contrats de service et aux rabais, tels qu’expliqués par le Directeur des finances de Bell :

-       les deux options du client, un contrat à durée indéterminée ou déterminée :

[19]      La première option : une entente […] de mois en mois pouvant être résiliée en tout temps sans [Frais de résiliation]. Ce choix ne procure aucun rabais sur l'appareil utilisé puisque le client le paiera au prix courant ou encore fournira lui-même l'appareil qu'il entend utiliser.

[20]      La deuxième option : une entente […] par laquelle le client s'engage envers Bell pour une période variant de 12, 24 ou 36 mois. En contrepartie, l’abonné bénéficie d'un rabais sur l'appareil sans fil mais il est sujet à payer des [Frais de résiliation] en cas de résiliation anticipée du contrat.

-       l’avantage pour Bell, des revenus stables et prévisibles :

[21]      Cette dernière option est sans conteste la plus avantageuse pour Bell puisqu'elle offre l'avantage d'une plus grande stabilité et prévisibilité de revenus. Or, afin d'intéresser la clientèle à choisir cette option, un rabais sur l'achat de l'appareil sans fil est offert. Dans certains cas, comme celui de monsieur Gagnon [le Représentant], le rabais correspond au prix total de l'appareil.

-       le lien entre le rabais et la durée du contrat :

[22]      Monsieur [le Directeur] reconnaît que le rabais accordé sur l'appareil est fonction de la durée du contrat. Plus la période contractuelle est longue, plus le rabais est important. Par contre, il précise que les forfaits mensuels offerts aux clients, avec ou sans contrat, demeurent les mêmes. Ce faisant, le rabais accordé sur l'appareil n'est pas récupéré par un forfait mensuel plus élevé.

-       le rabais, une dépense de marketing :

[24]      Selon monsieur [le Directeur], le contrat, tel que conçu par le département de « marketing » de Bell, est avantageux pour les deux parties contractantes. Bell s'assure de revenus prévisibles à court et à moyen terme et le client reçoit en contrepartie, un rabais intéressant sur un appareil sans fil lequel devient sa propriété dès la signature du contrat.

[18]        Puis, la Juge discute du droit de résiliation du client et des sommes qu’il aura à payer par suite de l’exercice de ce droit.

[19]        Elle cite d’abord les dispositions pertinentes du Code civil :

Art. 2125. Le client peut, unilatérale­ment, résilier le contrat, quoique la réalisation de l’ouvrage ou la prestation du service ait déjà été entreprise.

[…]

Art. 2129. Le client est tenu, lors de la résiliation du contrat, de payer à l’entrepreneur ou au prestataire de services, en proportion du prix convenu, les frais et dépenses actuelles, la valeur des travaux exécutés avant la fin du contrat ou avant la notification de la résiliation, ainsi que, le cas échéant, la valeur des biens fournis, lorsque ceux-ci peuvent lui être remis et qu’il peut les utiliser.

L’entrepreneur ou le prestataire de services est tenu, pour sa part, de restituer les avances qu’il a reçues en excédent de ce qu’il a gagné.

Dans l’un et l’autre cas, chacune des parties est aussi tenue de tout autre préjudice que l’autre partie a pu subir.

Art. 2125. The client may unilaterally resiliate the contract even though the work or provision of service is already in progress.

[…]

Art. 2129. Upon resiliation of the contract, the client is bound to pay to the contractor or the provider of services, in proportion to the agreed price, the actual costs and expenses, the value of the work performed before the end of the contract or before the notice of resiliation and, as the case may be, the value of the property supplied, where it can be put into his hands and used by him.

For his part, the contractor or the provider of services is bound to repay any advances he has received in excess of what he has earned.

In either case, each party is liable for any other injury that the other party may have suffered.

[20]        Rappelant que le droit de résiliation n’est pas d’ordre public, elle conclut que les membres du groupe n’y renoncent pas en acceptant la clause des Frais de résiliation, qu’ils exercent validement ce droit en mettant fin au contrat avant terme et qu’ils s’obligent alors selon ce qui est prévu à l’article 2129. Elle écrit :

[29]      Le client peut même y renoncer [au droit de résiliation], mais il doit le faire de manière claire et non équivoque. La renonciation pourra même être tacite si les clauses du contrat sont claires et incompatibles avec l'application stricte des articles 2125 ou 2129 C.c.Q.

[…]

[34]      À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut qu’il n'y a aucune manifestation d'une quelconque renonciation au droit de résiliation unilatéral prévu à l’article 2125 C.c.Q. Or, les membres sont tenus de payer à Bell les éléments prévus à l’article 2129 C.c.Q.

[21]        Cela dit, elle ne traite plus de la clause des Frais de résiliation et s’en tient à l’article 2129 pour déterminer les sommes dues à Bell par les membres à la suite de la résiliation de leur contrat. Elle écrit :

[37]      Le client qui exerce son droit de résiliation unilatérale est tenu de payer les frais et dépenses encourus par le prestataire de services et tenu « de tout autre préjudice que l'autre partie a pu subir ».

[22]        Elle exclut du « préjudice que [Bell] a pu subir » les profits anticipés pour la période postérieure à la résiliation. Elle écrit :

[38]      Monsieur [le Directeur] a déclaré à plusieurs reprises à l’audience que le préjudice subi par Bell, lorsque le client résilie le contrat avant le terme, est la perte de revenus anticipés jusqu'à la fin du terme.

[39]      La jurisprudence est claire, le terme « préjudice » ne comprend pas les pertes de profit anticipé par le cocontractant[[3]] Le mot « préjudice » doit être interprété restrictivement, l'article 2129 C.c.Q. étant une disposition dérogatoire au droit commun.

[40]      […] le gain futur, dont l’entreprise est privée, est exclu de l'indemnisation.

[41]      De plus, la notion de « préjudice » contenue à l'alinéa 3 de l'article 2129 C.c.Q. doit être limitée à ce qui découle directement de la résiliation.

[23]        Pour conclure :

[40]      En l'espèce, le rabais octroyé sur l'appareil sans fil constitue le préjudice réel subi par Bell […]

[24]        Puis, elle passe à « la quantification de ce préjudice réel ».

[25]        Avec raison, elle limite le remboursement à ceux qui ont déboursé :

[60]      …Le groupe est défini en fonction « des personnes s'étant vues facturer des [Frais de résiliation] » et non « des personnes ayant payé des [Frais de résiliation], […]

[61]      Le Tribunal ne peut ordonner à Bell de rembourser aux membres des [Frais de résiliation] qu'ils n'ont pas payés même s'ils leur ont été facturés.

[26]        Pour donner suite à cette décision de la Juge et éviter toute confusion, la définition du groupe sera modifiée en remplaçant « Toutes les personnes… s’étant vu facturer… des frais de résiliation… » par « Toutes les personnes… qui ont payé des frais de résiliation… ».

[27]        Elle constate que la réclamation de Bell excède de 13 $ la valeur de son préjudice :

[53]      Selon monsieur [l’expert de Bell], la réclamation moyenne des [Frais de résiliation] est de 249 $ alors que le coût relié au rabais de Bell varie entre 226 $ et 246 $ (chiffres arrondis) soit une moyenne de 236 $. C'est donc dire que les membres qui ont payé des frais d'annulation auraient, en moyenne, déboursé 13 $ de plus que ce que l'article 2129 C.c.Q. permet à Bell de réclamer.

[28]        Elle détermine par un calcul le nombre de membres qui ont payé des Frais de résiliation, soit 76 225.

[29]        Et en conséquence, elle condamne Bell à rembourser 76 225 fois 13 $, soit un peu moins de 1 M$ :

[62]      Seuls les membres qui ont payé des [Frais de résiliation] ont droit à un remboursement de l'excédant du préjudice réel subi par Bell, totalisant la somme de 991 316 $.

[30]        En ce faisant, la Juge applique le « principe indemnitaire », que Cornu définit ainsi[4] :

Maxime du Droit de la responsabilité et des assurances, règle d’ordre public selon laquelle la valeur attribuée à titre d’indemnité doit réparer tout le dommage mais le seul dommage - fonction exacte de l’indemnisation - sans appauvrir ni enrichir la victime. Ex., en matière d’assurances de dommages, l’assurance ne peut jamais procurer un bénéfice à l’assuré, le montant du préjudice subi par ce dernier constituant la limite extrême de l’indemnité due par l’assureur en cas de sinistre.

[31]        Un principe reconnu par Bell qui réitère dans la clause des Frais de résiliation que ceux-ci « constituent une estimation préalable raisonnable » et « une estimation préalable réelle » du préjudice subi par Bell « et non une pénalité ».

[32]        Il importe de noter ici que la conclusion de la Juge implique que la valeur du préjudice de Bell correspond au coût relié au rabais dans tous les cas, peu importe que la résiliation survienne au début du contrat, plus tard ou à sa toute fin. Elle justifie cette constance du préjudice comme suit :

[57]      …monsieur [l’expert du Représentant] amortit le coût du rabais accordé par le nombre moyen de mois restant au contrat alors que la preuve testimoniale, non contredite, est à l'effet que le forfait mensuel ne reflète aucun amortissement sur le rabais.

[33]        Cette conclusion est erronée selon le Représentant, pour qui il est évident que le préjudice de Bell décroît avec le temps - ce qui n’est pas dénué de sens, me semble-t-il. C’est l’objet du point B.

[34]        Par ailleurs, la Juge écarte sans en discuter longuement :

-       que les Frais de résiliation constituent une clause pénale :

[33]      Il n'y a pas ici lieu de qualifier la clause [de Frais de résiliation] de « pénale »  puisque la définition contenue au paragraphe 1 des Modalités de service sans fil de Bell indique que les [Frais de résiliation] constituent une estimation des dommages et non une pénalité. Par conséquent, le Tribunal ne peut conclure que « le client a exprimé une volonté de ne pas se prévaloir de son droit à la résiliation unilatérale sous peine de payer une indemnité »

1417.[[5]]            … Le fait que la clause pénale indique le paiement d'un montant de pénalité en cas de résiliation unilatérale du contrat par le client ne constitue pas un indice suffisant et déterminant pour conclure à une renonciation expresse et sans équivoque puisque dans bien des cas, le droit prévu à l'article 2125 C.c.Q. est inconnu par le client.

-       que cette clause est abusive :

[63]      Compte tenu de la conclusion du Tribunal sur les articles 2125 et 2129 C.c.Q., il n'est pas nécessaire de développer longuement les arguments concernant les articles 1437 C.c.Q. et 8 LPC.

[64]      Le Tribunal estime que Bell n'a pas enfreint ces dispositions puisque les membres n'ont pas subi de désavantage excessif et déraisonnable qui exige la bonne foi ni le caractère excessif, abusif et exorbitant de l'obligation du consommateur.

-       que les modifications législatives postérieures à la période de réclamation soient pertinentes :

[65]      Quant à l'argument du demandeur reposant sur l'adoption des nouvelles dispositions de la Loi sur la protection du consommateur, le Tribunal ne saurait le retenir en ce que le législateur a certes voulu encadrer davantage des pratiques répandues par les fournisseurs de services de télécommunication pour tendre à une meilleure justice contractuelle mais elles n'ont aucune incidence sur le sort du présent recours.

[35]        Enfin, elle ordonne un recouvrement collectif, ce qui n’est pas remis en question.

A-        La clause des Frais de résiliation est-elle abusive?

[36]        Bell soutient avoir droit à la totalité des sommes perçues en application de la clause des Frais de résiliation au motif que les membres ont renoncé au régime de résiliation des contrats établi par les articles 2125 et 2129 C.c.Q. Elle ajoute un motif subsidiaire : si les membres ont conservé le droit de résiliation de l’article 2125, ils ont tout au moins renoncé à ce que l’indemnité pour le préjudice subi par Bell soit déterminée selon l’article 2129 en acceptant d’y substituer celle des Frais de résiliation.

[37]        Ce double motif est fondé sur la prémisse que les dispositions des articles 2125 et 2129 C.c.Q. ne sont pas d’ordre public et que les parties peuvent y déroger, ce que la Juge a reconnu, avec raison.

a)         La renonciation aux articles 2125 et 2129 C.c.Q.

[38]        Selon Bell, les membres ont renoncé au droit de résiliation de l’article 2125 par leur premier choix d’un contrat à durée déterminée plutôt qu’indéterminée et par celui  subséquent de la durée de leur contrat parmi celles offertes par Bell, de 12, 24 ou 36 mois. Cette renonciation résulterait du fait que les membres sont informés des frais à payer en cas de résiliation. Un fait établi selon Bell, qui cite la Juge à cet effet : « le contrat le stipule en toutes lettres ».

[39]        La citation complète est plus éclairante :

[32]      À l'évidence, les membres qui ont signé le contrat savaient qu'en cas de résiliation unilatérale, ils seraient appelés à payer des [Frais de résiliation], le contrat le stipule en toutes lettres. Toutefois, la clause ne réfère aucunement à une renonciation au droit à la résiliation unilatérale du contrat.

[40]        Le Représentant réplique que la preuve révèle l’absence de renonciation comme le constate la Juge :

[34]      …le Tribunal conclut qu’il n'y a aucune manifestation d'une quelconque renonciation au droit de résiliation unilatérale prévu à l’article 2125 C.c.Q. […]

[41]        Certes, les membres savaient à quoi s’en tenir, mais cela n’implique nullement une renonciation au droit de résiliation, au contraire.

[42]        Il suffit de lire la clause pour constater que Bell y reconnaît expressément, et plutôt deux fois qu’une, le droit du client de résilier le contrat, c’est-à-dire d’y mettre fin avant terme :

Frais de résiliation : Frais que nous vous facturerons si vous mettez fin à votre service avant l’expiration de votre abonnement de 12, de 24 ou de 36 mois. […]

[…]

…les frais de résiliation indiqués ci-dessus constituent… dans l’éventualité où vous ne terminez pas votre abonnement. […]

[43]        Ce moyen de Bell est mal fondé. La conclusion de la Juge doit être confirmée.

[44]        La citation complète nous amène au moyen subsidiaire de Bell :

[34]      …le Tribunal conclut qu’il n'y a aucune manifestation d'une quelconque renonciation au droit de résiliation unilatérale prévu à l’article 2125 C.c.Q. [Donc], les membres sont tenus de payer à Bell les éléments prévus à l’article 2129 C.c.Q.

[45]        Selon les dispositions de l’article 2129, le prestataire de services a trois chefs de réclamation qui ont une pertinence ici : 1) la valeur des services fournis; 2) la valeur « des biens fournis »; 3) le « préjudice que le prestataire a pu subir ».

[46]        Le premier chef ne pose pas problème, les factures mensuelles de Bell ont été entièrement payées. Quant à la valeur « des biens fournis », elle fait l’objet d’un moyen du Représentant, discuté plus loin. Enfin, sur le troisième point, Bell soumet que la valeur du « préjudice subi » pouvait être déterminée à l’avance par une clause du contrat.

[47]        Sur ce point, Bell apporte au débat une nuance importante, soit que l’absence de renonciation au droit à la résiliation de l’article 2125 n’implique pas nécessairement que l’indemnité soit fixée selon l’article 2129; en signant le contrat, les membres ont accepté l’indemnité prédéterminée. Bell développe ce moyen dans son mémoire :

Avec égards, la juge de première instance commet une erreur de droit en subordonnant l’application de la clause de [Frais de résiliation] à la renonciation au droit de résiliation unilatérale prévu à l’article 2125 C.c.Q.

En effet, même si l’on devait accepter la conclusion de la juge de première instance quant à l’absence de renonciation prévue à l’article 2125 C.c.Q…, il demeure, au risque de se répéter, que l’article 2129 C.c.Q. est également de droit supplétif. Par conséquent, rien n’empêche les parties de convenir à l’avance du montant de l’indemnité qui sera due en cas de résiliation unilatérale, ou de prévoir des modalités différentes de celles prévues par la loi.

[48]        Bell cite les professeurs Didier Lluelles et Benoît Moore[6] :

Dans la mesure où le droit de révoquer concerne un contrat pour lequel la faculté de résilier est supplétive de volonté, rien n’empêche les contractants de prévoir une indemnité de rupture : […] À plus forte raison, dans les cas où la loi soumet la résiliation au versement d’une indemnité, sans la chiffrer, nul obstacle ne s’oppose à ce que les parties déterminent à l’avance le montant de l’indemnité. […] Ce peut-être le cas du contrat …de service…

[49]        Bell renvoie à diverses décisions qui ont tranché :

…qu’une clause contractuelle prévoyant l’indemnité qui sera due en cas de résiliation unilatérale a pour effet d’écarter les limites établies par l’article 2129 C.c.Q., et ce, malgré l’absence de renonciation au droit de résiliation prévu à l’article 2125 C.c.Q.*

_______

*     Construction Jag inc. c. 9055-2274 Québec inc., REJB 2002-32199 aux paragr. 50 à 52, 61 (C.S.); Superior Energy Management c. Para-Net buanderie et nettoyage à sec inc., 2012 QCCS 7122, aux paragr. 16 à 20; Service de linge Mirabel inc. c. Orientech inc., REJB 2002-35576 aux paragr. 21 à 26 (C.Q.); Unifirst Canada ltée c. Salaison Alpha ltée, EYB 2010-171998 aux paragr. 19 à 24; Services Matrec inc. c. 9051-8929 Québec inc., EYB 2005-100208 au paragr. 31 (C.Q.).

[50]        Le Représentant ne répond pas à ce moyen.

[51]        Je partage l’avis de Bell sur ce point.

[52]        L’article 2125 établit le droit de résiliation en faveur du client et l’article 2129, les sommes à payer par suite de l’exercice de ce droit, dont une indemnité pour « tout autre préjudice que l’autre partie a pu subir ».

[53]        Bien sûr, si le client renonce au droit de résiliation, il ne saurait être question des suites de l’exercice de ce droit disparu. Par contre, si le client conserve ce droit, rien ne fait obstacle à ce qu’il convienne à l’avance de l’indemnité à payer éventuellement au prestataire de services.

[54]        En bref, si les parties écartent 2125, elles écartent aussi 2129, mais le corollaire n’est pas vrai, si elles n’écartent pas 2125, elles peuvent tout de même écarter 2129, en tout ou en partie.

[55]        À mon avis, c’est le cas ici et la Juge qui conclut à l’absence de renonciation au droit de résiliation de l’article 2125 C.c.Q. ne pouvait extrapoler et déduire de ce constat que « les membres sont tenus de payer à Bell les éléments prévus à l’article 2129 C.c.Q. ». Elle devait plutôt constater que la clause des « Frais de résiliation » modifiait l’une des composantes de l’article 2129 en y substituant une indemnité prédéterminée pour le préjudice subi par Bell.

[56]        Encore faut-il que cette clause inscrite dans un contrat d’adhésion soit valablement stipulée, ce qui n’est pas le cas si elle est abusive.

b)         Les Frais de résiliation, une clause abusive?

[57]        Voici la disposition pertinente du Code civil :

Art. 1437. La clause abusive d’un contrat de consommation ou d’adhésion est nulle ou l’obligation qui en découle, réductible.

Est abusive toute clause qui désavantage le consommateur ou l’adhérent d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre de ce qu’exige la bonne foi; est abusive, notamment, la clause si éloignée des obligations essentielles qui découlent des règles gouvernant habituellement le contrat qu’elle dénature celui-ci.

Art. 1437. An abusive clause in a consumer contract or contract of adhesion is null, or the obligation arising from it may be reduced.

An abusive clause is a clause which is excessively and unreasonably detrimental to the consumer or the adhering party and is therefore not in good faith; in particular, a clause which so departs from the fundamental obligations arising from the rules normally governing the contract that it changes the nature of the contract is an abusive clause.

[58]        Bell écrit dans son mémoire :

Ainsi, bien que le contrat de Bell Mobilité soit un contrat d’adhésion, le client qui y adhère a plusieurs choix, dont l’option d’un contrat à durée indéterminée résiliable en tout temps. De toute évidence, le client sait qu’en optant plutôt pour un contrat de 12, 24 ou 36 mois il perd du même coup sa faculté de résilier le contrat à son gré - sans cette renonciation, l’idée même de choisir entre des durées différentes perd tout son sens.

Dans de telles circonstances, la résiliation avant terme constitue donc un manquement à un engagement contractuel. En conséquence, la clause de [Frais de résiliation], qui prévoit la sanction pour ce manquement, est une clause pénale au sens de l’article 1622 C.c.Q.

[59]        On y lit en tout début la reconnaissance par Bell que son contrat en est un d’adhésion.

[60]        Quant à la suite du premier paragraphe, s’il est vrai que le client peut choisir la durée de son engagement parmi les trois offertes par Bell, force est de constater que, son choix fait, le contrat à signer comporte les mêmes Frais de résiliation, stipulés par Bell dans les mêmes termes, sans discussion possible.

[61]        C’est un contrat d’adhésion et donc, cette clause, si elle est abusive, est réductible, selon l’article 1437 C.c.Q..

[62]        Au second alinéa, Bell qualifie sa clause de « pénale ». Si tel est le cas, cela change-t-il quelque chose?

[63]        Voici la disposition du Code civil :

Art. 1622. La clause pénale est celle par laquelle les parties évaluent par anticipation les dommages-intérêts en stipulant que le débiteur se soumettra à une peine au cas où il n’exécuterait pas son obligation.

[…]

Art. 1622. A penal clause is one by which the parties assess the damages in advance, stipulating that the debtor will suffer a penalty if he fails to perform his obligation.

[…]

[64]        On a déjà vu que la Juge rejette cette qualification :

[33]      Il n'y a pas ici lieu de qualifier la clause de « pénale »  puisque la définition contenue au paragraphe 1 des Modalités de service sans fil de Bell indique que les [Frais de résiliation] constituent une estimation des dommages et non une pénalité. […]

[65]        Bell commente cette affirmation de la Juge dans son mémoire :

-       elle y voit une erreur :

À cet égard, la juge de première instance erre lorsqu’elle refuse de qualifier la clause de [Frais de résiliation] de « clause pénale » tout simplement parce que la clause indique que les [Frais de résiliation] constituent une « estimation préalable réelle des dommages […] et non une pénalité ». En effet, l’article 1622 C.c.Q. définit la clause pénale comme étant « celle par laquelle les parties évaluent par anticipation les dommages-intérêts… ».

-     elle cite les auteurs :

En ce sens, comme l’expliquent Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, « le montant établi en vertu de la clause pénale représente des dommages-intérêts conventionnels qui se substituent simplement aux dommages-intérêts judiciaires » : Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2013 au no 791.

-     sa clause pénale est « compensatoire » :

La mention indiquée à la clause de [Frais de résiliation] ne fait que préciser que les [Frais de résiliation] ont une fonction purement compensatoire et ne comportent pas de volet comminatoire (c’est-à-dire un volet purement punitif). (Sur la distinction entre la clause pénale compensatoire et la clause pénale comminatoire voir Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2013 au n153.)

[66]        En somme, selon les auteurs cités, il existe des clauses pénales sans pénalité[7] :

En France, la jurisprudence et la doctrine distinguent les peines compensatoires des peines comminatoires. Essentiellement, les premières ne servent qu’à compenser le préjudice subi selon un montant convenu à l’avance; la pénalité équivaut alors au montant approximatif des dommages-intérêts qu’obtiendrait la victime à titre de compensation en l’absence d’une telle clause. Ce type de clause constitue une évaluation conventionnelle, faite d’avance, du préjudice résultant d’une éventuelle violation du contrat. Les peines comminatoires, par contre, visent non seulement à compenser ce préjudice, mais aussi à punir le cocontractant récalcitrant; alors, la pénalité excède largement le montant des dommages-intérêts que recevrait la victime en l’absence de la clause pénale.

[67]        Ces « peines compensatoires » me semblent bien correspondre à la définition de l’article 1622 C.c.Q., mais je laisse à d’autres que le sujet intéresse le soin de l’approfondir.

[68]        Pour ma part, je note que selon l’article 1623 C.c.Q., « le montant de la peine stipulée peut être réduit… si la clause est abusive ». Ce qui nous ramène à l’examen de la clause des Frais de résiliation.

[69]        Telle que rédigée par Bell, la clause reconnaît l’existence d’un droit de résiliation du contrat par le client, mais elle détermine l’indemnité comme s’il y avait une faute du client par défaut d’exécuter ses obligations, entraînant la résolution du contrat. Ici « droit » vs « faute » sont contradictoires et « résiliation » vs « résolution » sont antinomiques et leurs effets inconciliables.

[70]        On a déjà discuté de la reconnaissance par Bell du droit de résiliation des clients et de l’absence de renonciation à ce droit de leur part.

[71]        Par ailleurs, Bell inclut dans les Frais de résiliation des profits anticipés pour la période depuis la résiliation jusqu’au terme du contrat. La Juge le note :

[38] Monsieur [le Directeur des finances de Bell] a déclaré à plusieurs reprises à l’audience que le préjudice subi par Bell, lorsque le client résilie le contrat avant le terme, est la perte de revenus anticipés jusqu'à la fin du terme

[72]        Bell le réitère dans sa défense (je souligne) :

Ces coûts d’acquisition ou de conservation des clients comprennent les [rabais] consentis sur les appareils ou les services, les commissions payées par Bell Mobilité à ses représentants lors de la vente des appareils et les frais de marketing encourus pour la vente des appareils aux clients;

Les investissements de Bell Mobilité dans les infrastructures, les frais d’administration et la perte de profits doivent aussi être comptabilisés pour évaluer les dommages subis par celle-ci en raison de la résiliation… de contrats à durée déterminée.

[73]        La règle est connue : « Toute personne a le devoir d’honorer les engagements qu’elle a contractés » (C.c.Q., art. 1458, 1er alinéa). Si elle manque à ses engagements, son créancier peut obtenir la résolution du contrat (C.c.Q., art. 1590, 2e alinéa) et être indemnisé de sa perte, incluant le profit compris dans le prix du contrat, C.c.Q., art. 1611 :

Art. 1611. Les dommages-intérêts dus au créancier compensent la perte qu’il subit et le gain dont il est privé.

[…]

Art. 1611. The damages due to the creditor compensate for the amount of the loss he has sustained and the profit of which he has been deprived.

[…]

[74]        Par dérogation à cette règle générale, le droit de résilier un contrat à exécution successive permet au client de se libérer de ses engagements à venir. S’il doit, pour s’en prévaloir, payer une indemnité équivalant à celle exigible pour défaut de remplir ses obligations, il n’en est pas libéré et son droit de résiliation est illusoire.

[75]        Le membre qui résilie son contrat remplit entièrement ses obligations. Il paye le forfait mensuel jusqu’au jour de la résiliation et, par la suite, l’obligation de ce faire cesse. On ne saurait lui reprocher l’inexécution d’une obligation éteinte.

[76]        Si on simplifie, le prix du service fourni par Bell comprend son coût et son profit. Suivant son contrat, le client a l’obligation de payer ce prix, mais la résiliation le libère de cette obligation, il n’a plus à le payer, ni en totalité ni pour la partie qui correspond au profit.

[77]        Certes, la résiliation du contrat fait perdre un client à Bell et le prive du profit anticipé pour le reste du contrat. Mais cette perte résulte de l’exercice d’un droit et non de l’inexécution d’une obligation. Le client « a honoré ses engagements » (C.c.Q., art. 1458) tant qu’il y était tenu, il n’y a pas de « défaut » de remplir ses obligations, il n’y a pas de faute qui puisse fonder une réclamation en dommages-intérêts contre lui (C.c.Q., art. 1607).

[78]        Aussi, est-ce avec raison que la Juge exclut de l’indemnité le profit anticipé par Bell en se fondant entre autres sur l’arrêt Pelouse Agrostis Turf[8].

[79]        En voici quelques extraits, sous la plume du juge Forget (les soulignements sont de lui) :

-       la même question à trancher concernant le « préjudice » de l’article 2129 :

[5]        Le client qui se prévaut de l'article 2125 C.c.Q. pour résilier un contrat d'entreprise ou de service sans invoquer un motif valable est tenu, aux termes de l'article 2129 C.c.Q., «de tout autre préjudice que l'autre partie a pu subir».  Ce préjudice inclut-il la perte de gains futurs, notamment le profit escompté sur le contrat résilié?

-     les mêmes prétentions des parties :

[17]      Selon l'avocate d'Agrostis, l'interprétation restrictive du mot «préjudice» à l'article 2129 C.c.Q. a pour effet de rendre inutile la signature d'un contrat par le prestataire de service: à quoi bon signer un contrat pour une durée déterminée si le client peut y mettre fin en tout temps en payant uniquement pour la partie déjà exécutée?

[18]      Selon l'avocat de Balmoral, l'interprétation libérale du mot «préjudice» à l'article 2129 C.c.Q. vide de sens l'article 2125 C.c.Q.:  le client qui exerce le droit conféré par cet article serait placé dans la même situation que celui qui commet une faute contractuelle en résiliant le contrat pour un motif non fondé.

-     le « contexte historique » qui distingue le client qui résilie du débiteur fautif :

[27]      Me Gaudet[[9]], à juste titre, en tire la même conclusion dans son exposé:

[…]  On est en droit de penser que cette absence est, dans le contexte de l'historique de la question, significative et que, s'il avait vraiment voulu opérer un changement dans l'interprétation du droit, le législateur l'aurait dit d'une façon plus nette.  En fait, l'abandon à cet égard des textes exprès que proposaient l'Office de Révision et l'Avant-projet de loi incitent plutôt à penser que le législateur a choisi finalement de ne pas aller dans cette direction, et donc de ne pas traiter le client qui résilie «comme tout débiteur qui n'accomplit pas son obligation».  Cela est d'autant plus plausible que traiter le bénéficiaire d'un droit comme celui qui n'en a pas est, somme toute, assez paradoxal.

-       « l’interprétation littérale » qui vise un préjudice « déjà » subi :

[29]      Le premier paragraphe de l'article 2129 C.c.Q. limite la réclamation à la période écoulée avant la fin du contrat ou avant la notification de la résiliation.  Au troisième paragraphe, il semble que le législateur a voulu préciser qu'en sus de la valeur des services déjà rendus ou des travaux déjà exécutés l'entrepreneur ou le prestataire de services pourront réclamer pour le préjudice déjà subi.  On doit d'ailleurs noter qu'on emploie ici le verbe au temps passé.

[31]      De plus, si on donne au mot «préjudice» le sens le plus étendu, il faudrait conclure que le premier paragraphe de l'article 2129 C.c.Q. est inutile.

-       « l’interprétation téléologique » qui favorise le client :

[33]      Au départ, la lecture comparée des articles 2125 et 2126 démontre que le législateur a voulu favoriser le client par rapport à l'entrepreneur et au prestataire de services. Une telle approche ne surprend guère dans une ère où l'on se préoccupe davantage du consommateur, généralement (ce n'est pas toujours le cas) en situation moins avantageuse que son cocontractant. De plus, cette dérogation importante aux principes de l'effet obligatoire des contrats (art. 1434 C.c.Q.) se justifie pour ce type de contrat, particulièrement en matière de prestation de services, qui revêt souvent un caractère personnalisé et rend ainsi plus difficile la poursuite des relations entre les parties lorsque le lien de confiance n'est plus présent.

[34]      Si le client doit payer pour la perte d'un profit éventuel, il est difficile de voir quel avantage lui est conféré par l'article 2125 C.c.Q.

[…]     

[36]      Il ne faut pas perdre de vue que le client, dans le cas d'une résiliation unilatérale, exerce un droit strict que lui confère l'article 2125. Il est inconcevable de penser qu'il doit être placé dans la même situation que celui qui commet une faute contractuelle en invoquant un motif non fondé.

[37]      Les commentateurs* nous rappellent qu'il faut distinguer l'indemnité de rupture, résultant de l'exercice d'un droit, de l'indemnité de responsabilité, découlant de l'inexécution d'une obligation.

_____

*         Auteurs précités, (GAUDET, «Réflexions sur le droit de l'entrepreneur au gain manqué en cas de résiliation unilatérale du contrat d'entreprise ou de service» dans Conférence MEREDITH Lectures 1998-1999, La pertinence renouvelée du droit des obligations:  Back to Basics = The continued relevance of the law of obligations:  retour aux sources, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., 1999, p. 102.; Jean PINEAU, Serge GAUDET et Danielle BURMAN, Théorie des obligations, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2001, par. 280, pp. 507-508; Daniel JUTRAS, "La résiliation unilatérale ou les joies de l'exégèse", (2002) 81 Revue du Barreau canadien 153.).

-     et la conclusion, sans équivoque :

[39]      Je suis donc d'opinion que l'appelante n'avait pas droit de réclamer des dommages équivalents à sa perte de profit. […]

[80]        Bell pouvait savoir que « le préjudice subi » n’inclut pas les profits anticipés, l’arrêt Pelouse Agrostis[10] date de 2003.

[81]        En incluant dans sa clause des Frais de résiliation des profits postrésiliation, Bell dénature ce contrat de service à exécution successive, par nature résiliable, en transformant ce privilège du client de mettre fin à ses obligations en « une obligation de les exécuter par équivalence » (C.c.Q., art. 1607 et suivants).

[82]        Non seulement Bell déroge à la loi mais elle contrecarre la volonté du législateur. Alors que celui-ci « a voulu favoriser le client par rapport au prestataire de services »[11], l’effet de la clause favorise Bell qui, par suite de la résiliation, ne fournit plus les services mais empoche des profits. Ce revirement de situation au détriment du client est abusif.

[83]        Bref, le client doit payer une indemnité à Bell puisque la résiliation lui fait subir un préjudice mais ce préjudice ne résulte pas du fait de l’extinction des obligations du client par l’exercice de son droit de résiliation du contrat et l’indemnité afférente ne peut inclure des profits à venir.

[84]        De fait, le préjudice subi par Bell résulte du rabais accordé au départ, comme l’écrit la Juge :

[40]      En l'espèce, le rabais octroyé sur l'appareil sans fil constitue le préjudice réel subi par Bell puisque le gain futur, dont l’entreprise est privée, est exclu de l'indemnisation.

[85]        En conclusion sur ce point A, la clause des Frais de résiliation est abusive et « l’obligation qui en résulte est réductible » (C.c.Q., art. 1437).

[86]        C’est donc à bon droit que la Juge a ordonné le remboursement d’une partie des Frais de résiliation perçus par Bell en fonction de cette clause.

[87]        Aussi, suis-je d’avis de rejeter l’appel de Bell, avec frais.

[88]        Ce qui nous amène à l’appel du Représentant selon qui le remboursement de 1 M$ est insuffisant et doit être porté à 12 M$, du fait que le préjudice de Bell diminue de mois en mois, ce dont la Juge n’a pas tenu compte.

B-        Le préjudice de Bell diminue de mois en mois

a)         Le préjudice est fonction du temps

[89]        Revoyons les faits pour bien comprendre la nature et l’étendue du préjudice de Bell lorsqu’un client résilie son contrat.

[90]        Au départ, les membres du groupe bénéficient d’un rabais sur le prix d’un téléphone portable. Selon la preuve, le « coût relié au rabais » est en moyenne de 236 $ par membre. Où Bell trouve-t-elle son profit en contrepartie?

[91]        Pour Bell, ce coût constitue une dépense de marketing dont l’objectif est d’attirer de nouveaux clients et de les fidéliser, c’est-à-dire de les attacher à ses services durant une période déterminée. Elle écrit dans sa défense :

Ces coûts d’acquisition ou de conservation des clients comprennent les [rabais] consentis sur les appareils ou les services, les commissions payées par Bell Mobilité à ses représentants lors de la vente des appareils et les frais de marketing encourus pour la vente des appareils aux clients;

[92]        On comprend aisément que, concurrence oblige, Bell engage diverses dépenses pour gagner de nouveaux clients, la publicité en est une et les rabais, une autre. De fait, Bell désigne le rabais comme un « investissement » pour acquérir le client (Investment to Acquire Customer).

[93]        Elle explique dans son mémoire que l’objectif de cet investissement est de lui assurer des revenus :

Les contrats à durée déterminée représentent une plus grande stabilité et prévisibilité de revenus pour Bell Mobilité. Pour cette raison, Bell Mobilité offre comme incitatif au contrat à durée déterminée l’octroi d’un rabais sur l’achat d’un nouvel appareil sans fil. Ce rabais est plus ou moins important selon la période d’engagement acceptée par le client. […]

[94]        Acquérir de nouveaux clients est simple, car l’octroi des rabais incitatifs et la signature des contrats sont simultanés.

[95]        Les fidéliser est plus difficile. Certes, le contrat de service attache le client pour 12, 24 ou 36 mois, mais sa résiliation au gré du client, possible en tout temps, rend cette durée incertaine. Si elle survient, Bell perd le bénéfice de son investissement.

[96]        C’est la perte de cet investissement qui constitue le préjudice de Bell. La Juge écrit : « le rabais octroyé sur l’appareil sans fil constitue le préjudice réel subi par Bell ». En ce sens, je suis d’accord.

[97]        L’investissement est proportionnel à la durée du contrat : de 60 $ pour un contrat de 12 mois, il passe à 100 $ pour celui de 24 mois et à 150 $ pour celui de 36 mois.

[98]        Il est certain que Bell entend récupérer cet investissement à même les profits générés par la fourniture de ses services durant la durée du contrat.

[99]        Si le client ne résilie pas le contrat, Bell atteint son objectif, elle récupère la totalité de son investissement et ne subit aucun préjudice. Si la résiliation survient au dernier mois, l’objectif est pratiquement atteint et le préjudice minime. Et à l’inverse si elle survient dans les premiers mois, l’absence de récupération est quasi totale.

[100]     Aussi, l’affirmation de la Juge que le « rabais constitue le préjudice » doit être nuancée. C’est plutôt l’absence de récupération de l’investissement - le coût relié au rabais - qui constitue le préjudice de Bell.

[101]     Quitte à me répéter, le préjudice de Bell est inversement proportionnel à la fidélité du client; s’il demeure « fidèle » jusqu’à la fin, tout va bien; s’il le demeure plus ou moins longtemps, ça va moins bien; mais si, « infidèle », il quitte au début, ça va mal pour Bell.

[102]     Notons encore que la clause des Frais de résiliation stipule elle-même une réduction de ces frais de 400 $ à 100 $ selon le nombre de mois écoulés au moment de la résiliation. C’est une reconnaissance de la diminution du préjudice avec le temps.

[103]     Pourtant la Juge ne l’entend pas ainsi. Après avoir établi que « le coût relié au rabais de Bell » est de 236 $, elle décide que Bell est en droit de percevoir la totalité de cette somme, peu importe le moment où survient la résiliation du contrat en cours, au motif que :

[57]      …[l’expert du Représentant] amortit le coût du rabais accordé par le nombre moyen de mois restant au contrat alors que la preuve testimoniale, non contredite, est à l'effet que le forfait mensuel ne reflète aucun amortissement sur le rabais.

[104]     Avec égards, je ne partage pas cet avis. Peu importe comment Bell comptabilise son investissement, dans ses frais généraux, dans un poste distinct d’Investment to Acquire Customer ou autrement, elle le récupère à même les forfaits mensuels payés par ses clients. Si « le forfait mensuel ne reflète aucun amortissement », il n’en demeure pas moins que le préjudice causé à Bell par la résiliation du contrat est fonction du moment où celle-ci survient. Le traitement comptable de cette dépense d’investissement ne change pas cette réalité.

[105]     En conséquence de la diminution du préjudice de Bell avec le temps, l’indemnité afférente devait être réduite en proportion. Et Bell doit rembourser plus que le million de dollars déterminé par le jugement sans tenir compte de cette diminution du préjudice.

[106]     Aussi, suis-je d’avis d’accueillir l’appel du Représentant avec frais.

b)         À quel rythme le préjudice diminue-t-il?

[107]     Selon le Représentant, le préjudice de Bell diminue selon un rythme proportionnel égal de mois en mois et l’indemnité doit donc être réduite au même rythme, de 2,8 % par mois pour un contrat de 36 mois.

[108]     Suivant le contrat, les Frais de résiliation diminuent à un rythme différent en trois étapes : ils ne diminuent pas durant les 15 premiers mois, puis ils diminuent en proportion égale de 5 % pas mois durant les 15 mois suivants et enfin ils ne diminuent pas durant les six derniers mois.

[109]     Selon l’un ou l’autre de ces rythmes de réduction, les Frais de résiliation, de 236 $ au départ, diffèrent sensiblement de mois en mois. Par exemple, si la résiliation survient au 15e mois, selon le rythme par étapes du contrat, les frais sont encore de 236 $ alors que, selon le rythme proportionnel, ils sont réduits à 137 $. Au 30e mois, ils sont moindres mais encore de 120 $ vs 40 $.

[110]     Rien dans la preuve n’explique que le préjudice de Bell diminuerait par étapes correspondant au rythme de réduction des Frais de résiliation. Bell ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve sur ce point.

[111]     Au contraire, on constate que le forfait mensuel payé par le client assure à Bell dès le premier mois un profit qui lui permet de récupérer une partie du coût relié au rabais, et ainsi de suite, de mois en mois.

[112]     Le rabais à l’achat du téléphone est de 60 $ si le contrat est de 12 mois, de 100 $, s’il est de 24 mois et de 150 $, s’il est de 36 mois. Force est de constater qu’à l’expiration d’un contrat de 12 mois, Bell a récupéré son investissement et ne subit aucun préjudice. On peut en déduire, sans grand risque de se tromper, que dans le cas d’un contrat de 36 mois, Bell, au bout de 12 mois, a récupéré l’équivalent de 60 $ / 150 $, soit 40 % et donc que son préjudice est réduit d’autant.

[113]     Démontrer l’évidence est toujours difficile. Ici, il me paraît évident qu’à chaque mois écoulé, où le client paie le forfait convenu, l’objectif de l’investissement de Bell lui rapporte en partie le bénéfice escompté et réduit le dommage qu’aurait causé la résiliation le mois précédent.

[114]     À mon avis, le préjudice de Bell diminue de mois en mois, en proportion égale et c’est sur ce fondement que doit être calculé le trop-perçu.

C-        Le calcul du trop-perçu

a)         Un premier moyen du Représentant

[115]     Le Représentant avance un premier moyen pour réduire de 23,62 $ le coût relié au rabais de 236 $. Selon lui, ce montant constitue un « profit » qui ne saurait être inclus dans l’indemnité payable en vertu de 2129 C.c.Q. Il écrit dans son mémoire :

Comme il est clair pour la juge de première instance qu’aucune perte de profit ne peut être octroyée à l’intimée, cette somme de 23,62 $ doit être soustraite du montant de 236 $ et ajoutée à [la somme à rembourser] de 13 $ par membre, pour un total de 36,62 $ et un recouvrement collectif de 2 792 458,10 $ plus taxes.

[116]     Bell réplique dans son mémoire (soulignement dans le texte) :

…ce moyen d’appel résulte d’une mauvaise compréhension de l’article 2129 C.c.Q. et de l’interprétation jurisprudentielle qui dicte que la notion de « préjudice subi » ne permet pas au prestataire de services d’être compensé pour les gains futurs sur la durée restante au contrat de service dont il aura été privé en raison de [sa] résiliation…

[117]     Bell a doublement raison. Sur le principe que les profits postrésiliation anticipés ne peuvent être réclamés et sur le fait que le profit sur la vente du portable est antérieur à la résiliation et n’est pas visé par ce principe.

b)         Son second moyen

[118]     Au soutien de son second moyen, le Représentant souligne une disposition de l’article 2129 :

Art. 2129. Le client est tenu, lors de la résiliation du contrat, de payer … au prestataire de services,… la valeur des biens fournis, lorsque ceux-ci peuvent lui être remis et qu’il peut les utiliser.

[…]

Art. 2129. Upon resiliation of the contract, the client is bound to pay …the provider of services,… the value of the property supplied, where it can be put into his hands and used by him.

[…]

[119]     Et il ajoute que les portables sont obsolètes après 18 mois. Donc, Bell ne peut réclamer le rabais sur le prix de ces appareils.

[120]     Le « bien fourni », au sens de l’article 2129, correspond à l’obligation du prestataire de services de fournir les biens nécessaires à l’exécution du contrat :

Art. 2103. …le prestataire de services fournit les biens nécessaires à l'exécution du contrat, à moins que les parties n'aient stipulé qu'il ne fournirait que son travail.

[…]

Art. 2103. …the provider of services supplies the property necessary for the performance of the contract, unless the parties have stipulated that only his work is required.

[…]

[121]     À l’évidence, le premier critère pour que le client soit « tenu de payer… le bien fourni » est que ce bien appartienne au prestataire de services au moment de la résiliation, et alors le client ne sera tenu que si ce dernier le lui remet.

[122]     Ici, le portable appartient au client dès le moment de la signature du contrat de services avec Bell. Il ne saurait donc être question pour Bell de le lui remette au jour de la résiliation. Le portable ne constitue pas un « bien fourni ».

c)         Divers calculs

[123]     Ces moyens écartés, on doit retenir la somme de 236 $, le coût relié au rabais, pour le calcul du remboursement du trop-perçu des frais de résiliation.

[124]     Si on compare les Frais de résiliation et leur rythme de réduction par étapes, tels qu’ils ont été exigés et perçus par Bell et ceux qui pouvaient l’être légalement, d’un maximum de 236 $ avec un rythme de réduction proportionnel égal, le résultat est que les premiers sont de 52 % plus élevés que les seconds, pour un trop-perçu de 11,1 M$.

[125]     Si on retient les calculs de l’expert du Représentant, qui tient compte des sommes perçues chaque année, du nombre moyen de mois écoulés avant la résiliation et de d’autres moyennes, le trop-perçu est de 12 M$.

[126]     Si on reprend la formule de calcul de la Juge, en tenant toutefois compte du préjudice réduit de mois en mois, on soustrait de « la réclamation moyenne des Frais de résiliation [qui] est de 249 $ », non pas la totalité du coût relié au rabais, de 236 $, mais la moyenne de ce coût réduit de mois en mois, soit 118 $, pour un excédent de 131 $ et non de 13 $, lequel multiplié par le nombre de membres, 76 255, résulte en un trop-perçu de 10 M$.

[127]     La juste méthode pour calculer le trop-perçu n’est pas évidente. La comparaison selon les rythmes de réduction est peut-être un peu simple quoiqu’elle fournisse un ordre de grandeur. Les calculs de l’expert du Représentant sont sophistiqués et il n’a pas été contre-interrogé, mais la Juge retient contre lui que ses calculs sont fondés sur des moyennes « tant pour les services prépayés que les postpayés alors que monsieur [l’expert de Bell] ajuste le montant du rabais moyen en le divisant par le pourcentage d'abonnés ayant reçu un rabais sur leur appareil (postpayés), et ce, conformément à la preuve soumise ». Ce reproche semble fondé.

[128]     Par ailleurs, certains chiffres retenus dans le jugement sont difficiles à concilier. Ainsi : 

-     si on divise le total facturé de 81,3 M$ par le nombre de membres, 293 289, on obtient une facturation moyenne de 277 $ et non de 249 $, ce qui donne un excédent de 41 $ et non de 13 $;

-     si on divise le total perçu de 21,3 M$ par la moyenne facturée de 249 $, on obtient un nombre de membres de 85 500 plutôt que de 76 255.

[129]     Le Représentant a la charge de prouver sa réclamation. Faute d’une preuve convaincante d’un montant plus élevé, c’est le montant moindre qui sera retenu.

[130]     Considérant l’ensemble de la preuve, le montant de 10 M$, établi à partir des chiffres retenus par la Juge, avec la correction requise, correspond à une juste estimation du trop-perçu.

[131]     Ainsi, suis-je d’avis de substituer dans le dispositif du jugement, au paragraphe [76], la somme de « dix millions de dollars (10 000 000 $) » à celle de « 991 316 $ ».

D-        Les dommages-intérêts punitifs

[132]     La Juge refuse de condamner Bell à des dommages-intérêts punitifs. Je partage son avis.

[133]     Le Code civil édicte :

1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

[…]

1621. Where the awarding of punitive damages is provided for by law, the amount of such damages may not exceed what is sufficient to fulfil their preventive purpose.

[…]

[134]     Les modifications à la Loi sur la protection du consommateur, de 2010[12], qui encadrent maintenant les frais de résiliation, ont éliminé l’abus des trop-perçus dans ces cas. La « fonction préventive » de l’attribution de dommages-intérêts punitifs perd de sa pertinence.

*     *     *

[135]     En définitive, je suis d’avis de rejeter l’appel de Bell, avec frais, d’accueillir en partie l’appel du Représentant pour modifier la définition du groupe :

Toutes les personnes physiques et morales comptant moins de cinquante (50) employés, domiciliées ou ayant été domiciliées au Québec, qui ont payé à l'intimée depuis le 1er janvier 2007 des frais de résiliation de contrat.

Et de modifier la conclusion du paragraphe [76] en substituant « dix millions de dollars (10 000 000 $) » à « 991 316 $ ».

[136]     Et je confirmerais le reste du dispositif.

 

 

 

PAUL VÉZINA, J.C.A.


 

 

MOTIFS DE LA JUGE BÉLANGER

 

 

[137]     Pour des motifs quelque peu différents, je suis d’accord avec la décision du juge Vézina quant au rejet de l’appel de Bell. Par contre, je suis d’avis de rejeter l’appel du représentant, Denis Gagnon, et de ne pas intervenir quant au montant du remboursement à être accordé aux membres du groupe.

***

[138]     Cette action collective concerne l’application des articles 2125 et 2129 C.c.Q. en matière de contrat à exécution successive de service, comme ces dispositions s’appliquaient en matière de téléphonie sans fil, avant le 30 juin 2010.

[139]     À cette date, la Loi sur la protection du consommateur[13] a été révisée et les amendements relatifs aux contrats à exécution successive et aux cartes prépayées sont entrés en vigueur. Il est maintenant permis à un consommateur de résilier ce type de contrat à condition de transmettre un avis au commerçant. La loi interdit maintenant toute stipulation excluant l’application des articles 2125 et 2129 C.c.Q. aux contrats d’entreprise et de service[14]. Le législateur prévoit aussi que lorsqu’un bénéfice économique a été consenti par le commerçant lors de la signature du contrat à durée déterminée, l’indemnité de résiliation qui peut être exigée ne peut excéder le montant des bénéfices économiques déterminés par règlement; de même, le montant de cette indemnité décroît selon les modalités également prévues au règlement[15].

[140]     Les amendements législatifs ne concernent donc pas l’action collective en cause.

[141]     Deux questions se posent en l’espèce : 1) Y a-t-il eu renonciation au droit à la résiliation unilatérale du contrat, droit prévu à l’article 2125 C.c.Q.? et 2) Y a-t-il eu renonciation à l’application de l’article 2129 C.c.Q. par la clause déterminant à l’avance l’indemnité de résiliation?

***

[142]     En l’espèce, les clients de Bell n’ont pas renoncé à leur droit de résilier le contrat, droit que leur confère l’article 2125 C.c.Q.

[143]     En effet, le contrat ne révèle pas de renonciation expresse, claire et non équivoque au droit du client de résilier le contrat de service. Le fait que le contrat prévoie quelle sera l’indemnité à être versée à Bell en cas de résiliation ne constitue pas un indice suffisant et déterminant pour conclure à une renonciation expresse et sans équivoque. En cela, l’opinion du professeur Vincent Karim doit être retenue :

1738. […] le fait que la clause pénale indique le paiement d’un montant de pénalité en cas de résiliation unilatérale du contrat par le client ne constitue pas un indice suffisant et déterminant pour conclure à une renonciation expresse et sans équivoque puisque dans bien des cas, le droit à la résiliation prévu à cet article est inconnu par le client. […] La doctrine et la jurisprudence enseignent que la renonciation à un droit ne peut être présumée et exige une intention exprimée sans équivoque de la part de son détenteur. A fortiori, une clause pénale ambiguë et imposée par l’entrepreneur ou le prestataire de services, surtout dans le cadre d’un contrat d’adhésion, pourra difficilement mener la Cour à l’interpréter comme une renonciation au droit à la résiliation unilatérale.[16]

[144]     L’article 2129 C.c.Q. détermine l’indemnisation que peut recevoir le prestataire de services si le client résilie unilatéralement son contrat. Le principe retenu par le législateur prévoit qu’en cas de résiliation le client est tenu de payer au prestataire, en proportion du prix convenu, les frais et dépenses actuels et la valeur des travaux exécutés, la valeur des biens fournis qui ne peuvent être remis et tout autre préjudice que celui-ci a pu subir.

[145]     Les parties, par la clause des FRA, ont prévu à l’avance l’indemnité à être payée à Bell en cas de résiliation. Pour rappel, voici la clause en question :

Frais de résiliation anticipée (FRA) : Frais que vous devez nous payer si nous mettons fin, ou si vous mettez fin, aux services et/ou au présent Engagement avant qu'une période d'engagement de service soit terminée, ou si vous n'activez pas l'appareil dans les 45 jours suivants sa date d'achat. Les FRA correspondent au plus élevé des montants suivants : (1) 100 $ ou (ii) 20 $ par mois restant à la période d'engagement de service lors de la résiliation, jusqu'à concurrence de 400 $. D'autres frais de résiliation anticipée peuvent s'appliquer à des offres ou promotions spéciales, selon l'information qui vous est fournie avant que vous adhériez à l'offre ou à la promotion ou au moment de votre adhésion. Les FRA et ces autres frais de résiliation anticipée constituent une estimation préalable réelle des dommages que Bell subira en raison de la résiliation anticipée des services, et non une pénalité.        

[Reproduction textuelle]

[146]     La juge a décidé que cette clause ne constitue ni une clause pénale ni une renonciation claire à l’application de l’article 2129 C.c.Q. Par contre, elle écarte l’application de la clause tout en affirmant ne pas avoir à la déclarer abusive.

[147]     Cette clause constitue une mise en application du troisième alinéa de l’article 2129 en ce que les parties ont voulu prévoir, à l’avance, quel serait le préjudice subi par Bell en cas de résiliation du contrat par le client. En soi, les parties n’ont donc pas écarté l’application de l’article 2129 C.c.Q. mais elles ont plutôt quantifié à l’avance le préjudice que subira Bell, en cas de résiliation unilatérale.

[148]     Se pose donc la question de l’application obligatoire ou non de l’article 2129 C.c.Q. lorsqu’un client exerce son droit de résilier un contrat de service en vertu de l’article 2125.

[149]     Deux thèses s’opposent sur la question.

[150]     Les professeurs Lluelles et Moore, de même que certains jugements, affirment que rien n’empêche les cocontractants de prévoir une indemnité de rupture même lorsque l’une des parties a le droit de révoquer l’entente[17].

[151]     L’autre thèse est supportée par le professeur Karim pour qui l’application de l’article 2129 est une conséquence directe de l’application de l’article 2125. Ainsi, une renonciation à l’application de l’article 2129 ne pourrait survenir que si le client a d’abord renoncé à son droit de résilier unilatéralement le contrat, droit prévu à 2125. Une évaluation anticipée des dommages ne devrait être prise en compte que dans ces cas[18]. C’est la voie que la juge de première instance a choisie.

[152]     Le juge Vézina a plutôt choisi la thèse contraire en décidant que même si le client n’a pas renoncé à exercer son droit à la résiliation unilatérale (article 2125), il peut tout de même prévoir une indemnité de rupture différente de celle prévue à l’article 2129. Il suggère en conséquence d’examiner si la clause de dommages anticipés est abusive au sens de l’article 1437 C.c.Q.

[153]     Je suis d’accord avec la position exprimée par le juge Vézina. Le droit de résilier sans cause un contrat n’emporte pas nécessairement l’application de l’article 2129. Le droit de déterminer les dommages par anticipation demeure.

[154]     Ce qui me fait pencher en faveur de cette interprétation est le fait que les articles 2125 et 2129 s’appliquent à une multitude de contrats qui peuvent régir des situations juridiques fort différentes les unes des autres. Par exemple, ces dispositions régissent à la fois les contrats d’entreprise tels les contrats de construction conclus de gré à gré entre deux contractants, impliquant souvent des sommes élevées, et des contrats d’adhésion à exécution successive où les sommes sont peu élevées mais impliquent, comme ici, des milliers de personnes. Dans ces circonstances, les motifs qui sous-tendent l’exercice du droit à la résiliation unilatérale peuvent être multiples et le préjudice découlant de cette résiliation subi par le prestataire de services peut être très variable d’un contrat à l’autre.

[155]     Dans ce contexte, l’approche voulant que le client qui a la faculté de résilier sans faute puisse quand même renoncer à l’article 2129 et accepter une évaluation anticipée du préjudice m’apparaît, non seulement celle retenue par le législateur, mais aussi la plus appropriée pour les contrats conclus de gré à gré. Par contre, je reconnais que dans un contrat d’adhésion à exécution successive, la thèse du professeur Vincent Karim est fort séduisante. La difficulté apparaît évidente dans ce dossier où la juge, sans écarter la clause des FRA, a appliqué l’article 2129 C.c.Q. L’intervention du législateur en 2010 a toutefois réglé la question.

[156]     Par ailleurs, je suis d’accord avec la juge de première instance lorsqu’elle affirme que la clause des FRA n’est pas une clause pénale car elle ne vise pas à sanctionner une faute contractuelle au sens de l’article 1622 C.c.Q[19]. Tel que la clause est rédigée « constitue une estimation préalable et réelle des dommages que Bell subira en raison de la résiliation anticipée des services, et non une pénalité ». Qualifier cette clause de « pénale » serait d’ailleurs inconciliable avec la détermination que le client a conservé son droit de résilier unilatéralement le contrat. Car, comme l’affirme le professeur Karim : « […] la partie désignée comme bénéficiaire de la clause pénale ne peut réclamer le montant établi par les parties à titre de dommages-intérêts liquidés qu’une fois que la partie débitrice soit constituée en demeure de procéder à l’exécution en nature de son obligation et que son défaut persiste malgré la demeure »[20].

[157]     Étant en présence d’un contrat d’adhésion, la question devient donc celle de déterminer si la clause est abusive et réductible, au sens de 1437 C.c.Q. :

Art. 1437. La clause abusive d’un contrat de consommation ou d’adhésion est nulle ou l’obligation qui en découle, réductible.

 

Est abusive toute clause qui désavantage le consommateur ou l’adhérent d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre de ce qu’exige la bonne foi; est abusive, notamment, la clause si éloignée des obligations essentielles qui découlent des règles gouvernant habituellement le contrat qu’elle dénature celui-ci.

Art. 1437. An abusive clause in a consumer contract or contract of adhesion is null, or the obligation arising from it may be reduced.

 

An abusive clause is a clause which is excessively and unreasonably detrimental to the consumer or the adhering party and is therefore not in good faith; in particular, a clause which so departs from the fundamental obligations arising from the rules normally governing the contract that it changes the nature of the contract is an abusive clause.

[158]     Pour décider du caractère abusif d’une clause dérogatoire au régime législatif, il est important de voir à quoi le client renonce lorsqu’il s’engage à indemniser le prestataire de services de façon différente de celle prévue par le législateur. La validité de la clause doit être appréciée en tenant compte des objectifs mis en place par le législateur par l’adoption des articles 2125 et 2129 C.c.Q. Une comparaison entre le contrat et le régime de droit commun s’impose donc.

[159]     Comme le rappelait le juge Morissette dans l’affaire Corporation d’Urgences- santé[21], les articles 2125 et 2129 C.c.Q. instaurent un régime de résiliation unilatérale qui permet au client de mettre fin, en tout temps et sans cause, à un contrat de service. Le droit de résilier unilatéralement et sans cause est soumis à l’obligation générale d’agir selon les exigences de la bonne foi.

[160]     Sous le Code civil du Bas-Canada, ce droit de résiliation unilatérale était restreint au contrat à forfait conclu pour la construction d’un ouvrage. Le Code civil du Québec a élargi ce droit à tous les contrats d’entreprise ou de service, qu’ils soient à durée fixe ou indéterminée. Ces dispositions dérogent donc au principe de la force obligatoire des contrats et constituent un régime de protection[22], voire un régime de la nature d’ordre public de protection[23].

[161]     C’est d’ailleurs ce qui a été retenu dans l’affaire Pelouse Agrostis Turf inc. c. Club de golf de Balmoral à laquelle réfère mon collègue Vézina. La Cour a opté pour une interprétation restrictive du préjudice au sens de l’article 2129, étant d’avis que le client qui exerce le droit strict de résilier unilatéralement un contrat de service ne doit pas être placé dans la même situation que celui qui commet une faute contractuelle en invoquant un motif non fondé. C’est donc à une indemnité de rupture qu’aura droit le prestataire par opposition à une indemnité de compensation.

[162]     En effet, il serait illogique de permettre au client de résilier unilatéralement et sans cause un contrat, tout en lui imposant de défrayer des sommes qui excèdent le réel préjudice subi par le prestataire.

[163]     Par opposition, la clause des FRA détermine un préjudice qui excède le réel préjudice subi par Bell du fait de la résiliation, du moins est-ce la conclusion de la juge, à hauteur de 13 $ par client.

[164]     Quoique la juge de première instance n’ait pas utilisé la voie de l’article 1437 C.c.Q., elle s’est bien dirigée en évaluant le préjudice réel subi par Bell et a déterminé, avec raison, que le rabais octroyé par Bell au client constitue son préjudice réel.

[165]     Cela étant dit, doit-on accepter le principe qu’une clause des FRA qui détermine un préjudice supérieur à celui de l’article 2129 dans un contrat de consommation ou d’adhésion est nécessairement abusive? Je ne le crois pas, du moins, pas dans tous les cas de figure. Chacun des cas doit être examiné.

[166]     L’appréciation du caractère abusif de la clause doit se faire en tenant compte de l’équilibre économique entre les parties et du caractère disproportionné, ou non, de la clause[24]. Le nombre de personnes touchées par la clause de résiliation anticipée est un facteur qu’il faut considérer dans l’analyse de l’équilibre économique entre les parties. Dans notre affaire, Bell a facturé des FRA à hauteur de 81 millions de dollars desquels elle a perçu 21 millions qui ont été versés par 76 255 membres du groupe. C’est donc dire que la facturation des FRA a touché près de 300 000 personnes entre 2007 et 2013.

[167]     Dans le cadre de cette affaire, il m’apparaît raisonnable d’affirmer que toute obligation financière prévue aux FRA, qui excède le rabais octroyé par Bell, serait trop éloignée des « obligations essentielles qui découlent des règles gouvernant habituellement le contrat ». Rappelons, en effet, que le client bénéficie du même forfait et qu’il paie le même montant mensuel, pour le service de téléphonie, qu’il ait bénéficié ou non d’un rabais sur l’achat de son téléphone portable.

[168]     La clause est donc abusive et réductible au sens de l’article 1437 C.c.Q. car Bell profite, pour ne pas dire abuse, en quelque sorte, d’une position dominante[25] et qu’elle s’écarte des pratiques contractuelles généralement acceptées[26].

[169]     Il s’agit de déterminer dans quelle mesure, ce qui nous amène à l’appel du représentant Gagnon.

Le rabais octroyé sur les téléphones portables doit-il être amorti?

[170]     L’appelant soutient que le préjudice de Bell diminue de mois en mois et que le coût relié au rabais qui est en moyenne de 236 $ par client doit être déprécié de mois en mois, argument auquel souscrit notre collègue Vézina.

[171]     Avec égards, je diffère d’opinion avec le juge Vézina sur cette question. Voici pourquoi.

[172]     La norme d’intervention en appel quant aux conclusions de fait d’un juge de première instance est bien connue : seule la présence d’une erreur manifeste et dominante peut justifier son intervention. Cette déférence quant à l’appréciation des témoignages vaut tant à l’égard des témoins ordinaires que des témoins experts[27].

[173]     La juge identifie deux raisons d’écarter les calculs du représentant, soutenus par l’expert Plante :

[55]      L'écart entre les tableaux des experts s'explique en deux points : […]

[56]      Le premier écart : le calcul du rabais moyen de monsieur Plante est calculé sur la moyenne des coûts pour tous les clients de Bell, tant pour les services prépayés que les postpayés alors que monsieur Dippon ajuste le montant du rabais moyen en le divisant par le pourcentage d'abonnés ayant reçu un rabais sur leur appareil (postpayés), et ce, conformément à la preuve soumise.

[57]      Le deuxième écart : monsieur Plante amortit le coût du rabais accordé par le nombre moyen de mois restant au contrat alors que la preuve testimoniale, non contredite, est à l'effet que le forfait mensuel ne reflète aucun amortissement sur le rabais.

[58]      Partant, le Tribunal favorise l'expertise de monsieur Dippon puisque les balises sur lesquelles monsieur Plante a basé la quantification de  la réclamation sont erronées.

[59]      Ce faisant, le Tribunal retiendra l'analyse du « Handset discount test » de monsieur Dippon […]

[174]     L’argument du représentant revêt donc un caractère hautement factuel.

[175]     Non seulement c’est à bon droit que la juge évalue la valeur probante des expertises au dossier en fonction de « la véracité des prémisses factuelles qui sous-tendent l'opinion de l'expert »[28], mais les constats auxquels elle arrive sont fondés sur la preuve. C'est en raison des balises erronées employées par l’expert Plante que la juge rejette certaines de ses conclusions. Le représentant n'a démontré aucune erreur manifeste et déterminante entachant cette détermination factuelle.

[176]     Le fait d’affirmer qu’il faut traiter les rabais octroyés sur les téléphones portables comme des dépenses de marketing me semble donc contraire à la preuve.

[177]     La preuve est claire : le rabais accordé aux clients au moment de la conclusion du contrat n’est pas récupéré par Bell à même les frais mensuels qui sont les mêmes pour tous les clients. Ainsi, il est inexact de prétendre que le rabais est remboursé par les clients au fil de leurs paiements mensuels.

[178]     La juge résume cette preuve et en décide comme suit :

[22]        Monsieur Vella reconnaît que le rabais accordé sur l'appareil est fonction de la durée du contrat. Plus la période contractuelle est longue, plus le rabais est important. Par contre, il précise que les forfaits mensuels offerts aux clients, avec ou sans contrat, demeurent les mêmes. Ce faisant, le rabais accordé sur l'appareil n'est pas récupéré par un forfait mensuel plus élevé.

[…]

[57]        Le deuxième écart : monsieur Plante amortit le coût du rabais accordé par le nombre moyen de mois restant au contrat alors que la preuve testimoniale, non contredite, est à l'effet que le forfait mensuel ne reflète aucun amortissement sur le rabais.                                                                            

[Je souligne]

[179]     Le témoignage de l’expert Dippon[29], tout comme son rapport, confirme que le forfait mensuel ne reflète aucun amortissement.

[180]     La juge ne commet aucune erreur lorsqu’elle retient cette preuve. Cette détermination est à l’abri d’une intervention de notre part tout comme l’est le fait qu’elle retienne le témoignage de l’expert Dippon, de préférence à celui de l’expert Plante, car elle s’en explique clairement.

[181]     D’ailleurs, Bell a bien expliqué pourquoi le montant prévu à la clause des FRA décroît avec le temps. La clause visait à compenser, entre autres choses, la perte de gain futur. Ce n’est certes pas parce que le rabais octroyé est compensé par les clients au fil de leurs paiements mensuels qui est le même pour tous. Voici le témoignage de Mark Vella sur le sujet :

A :      The discount on the phone is what we give up front for a commitment for the person to stay for the contract term.

          Me DAVID BOURGOIN :

Q :     But the marketing and the commission on a subscriber who doesn’t have a subsidy on his handset will be the same, so he will not have Early Termination Fees for the other two (2) factors in your COA and COM?

A :      So, I go back to the way I look at or we look at Early Termination Fees is based on the revenue to the remainder of the contract.[30]

[182]     L’expert Dippon confirme cette preuve en affirmant que c’est non seulement une question de traitement comptable de la dépense, mais que dans les faits le rabais n’est pas récupéré de mois en mois :

57.   Third, although Bill 60 calculates the maximum ETF by depreciating the handset discount, the Bill does not mandate or even suggest that mobile carriers depreciate this cost. In fact, the RCGT “Étude d’impact” recognizes that handset discounts are not being depreciated. Depreciating handset discounts is also inconsistent with the actual accounting treatment of those costs. Bell Mobility, for instance, treats the handset discount as a current expense and the cost is recorded when it occurs.

58.   Irrespective of the accounting treatment of these costs, the handset discount is not recovered on a monthly or any other basis as implied by Plaintiff’s model. A handset discount is an upfront cost and ther ir no specific recovery mechanism. Revenues received by Bell Mobility, such as the MRCs or the ARPUs, are independent of these discounts and thus contain no element of recovery. Rather, Bell Mobility aims to recover all of its costs with all the revenues it receives from providing its services. Consequently the concept of a partial recovery in the event a subscriber terminates early does not apply.[31]

[183]     L’étude d’impact[32], à laquelle réfère l’expert Dippon, a été réalisée en 2009 par une équipe dirigée par l’expert du représentant, Nicolas Plante, à la suite d’un mandat obtenu de l’Office de la protection du consommateur de mesurer les impacts financiers pour les entreprises et les consommateurs des modifications proposées dans le cadre de la révision de la loi.

[184]     Le mandat de l’expert Plante dans le cadre du litige a été limité à valider les calculs proposés par l’avocat du représentant. D’ailleurs, il a été déclaré « expert en calcul ». Son témoignage nous apprend que c’est le procureur du représentant qui a déterminé les paramètres du recours collectif, « c’est-à-dire que seule la valeur non amortie du rabais consenti sur l’appareil peut être réclamée à titre de frais de résiliation »[33]. Comme l’expert Plante l’affirme : « Je me suis pas prononcé sur cette prémisse-là, c’était la prémisse dans laquelle le tableau a été fait »[34].

[185]     La juge ne s’est donc pas trompée en affirmant qu’une partie des FRA perçus excède le préjudice subi à hauteur de 13 $. Le coût moyen des rabais déboursés à la signature du contrat est de 236 $ par membre alors que les frais perçus sont, en moyenne, de 249 $.

***

[186]     Je souscris aux motifs de mon collègue Vézina en ce qui concerne les autres moyens du représentant.

[187]     Je propose donc de rejeter les deux appels, avec frais de justice.

 

 

 

DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.

 



[1]     Les chiffres sont arrondis pour alléger l’exposé.

[2]     Pour éviter la confusion créée par le terme « les dommages » employé, comme ici, parfois pour désigner le dommage, parfois les dommages-intérêts, le Code civil traite, d’une part, du « préjudice » (art. 1457) et, d’autre part, des « dommages-intérêts » (art. 1607) ou d’ « indemnité », deux termes qui ont un sens voisin (art. 1619).

[3]     Pelouse Agrostis Turf inc. c. Club de golf Balmoral [2003] R.J.Q. 3043 (C.A.), ci-après [Pelouse Agrostis].

[4]     Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 10e éd., Paris, Universitaires de France, 2014, p. 535.

[5]     Ici, elle paraphrase l’auteur Vincent KARIM, (Contrats d'entreprise (ouvrages mobiliers et immobiliers : construction et rénovation), contrat de prestation de services et l'hypothèque légale, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2011) dont elle a cité les paragraphes 1404 à 1419 au paragraphe [31] de son jugement.

[6]     Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2012 au no 2117.

[7]     Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2013 au n153.

[8]     Pelouse Agrostis, supra note 3.

[9]     Me Serge GAUDET, « Réflexions sur le droit de l'entrepreneur au gain manqué en cas de résiliation unilatérale du contrat d'entreprise ou de service » dans Conférence MEREDITH Lectures 1998-1999, La pertinence renouvelée du droit des obligations:  Back to Basics = The continued relevance of the law of obligations:  retour aux sources, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., 1999, p. 102.

[10]    Pelouse Agrostis, supra, note 3.

[11]    Pelouse Agrostis, supra note 3, motifs du juge Forget, paragr. 33.

[12]    RLRQ, chapitre P-40.1.

[13]     RLRQ, c. P-40.1.

[14]     Ibid., art. 11.4.

[15]     Ibid., art. 214.7.

[16]     Vincent Karim, Contrats d'entreprise (ouvrages mobiliers et immobiliers : construction et rénovation), Contrat de prestation de services et l'hypothèque légale, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, paragr. 1738.

[17]     Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 2e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2012, p. 1056, note de bas de page nº 20; Construction Jag Inc. c. 9055-2274 Québec Inc., 2002 CanLII 32482.

[18]     V. Karim, supra, note 1, paragr. 1862 et ss.

 

[19]     V. Karim, supra, note 1, paragr. 1870 et 1871.

[20]     V. Karim, supra, note 1, paragr. 1870.

[21]     Corporation d'Urgences-santé de la région de Montréal métropolitain c. Novacentre Technologie ltée, 2014 QCCA 1594, paragr. 56.

[22]    V. Karim, supra, note 1, paragr. 1661 et ss.

[23]    Ibid., paragr. 1869.

[24]    Beaulne c.Valeurs mobilières Desjardins inc., 2013 QCCA 1082.

[25]    D. Lluelles et B. Moore, supra, note 2, paragr. 1854-1855.

[26]    Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, paragr. 144 et 147.

[27]    Société Paul-Gury, s.e.n.c. c. Agence du revenu du Québec, 2015 QCCA 398, paragr. 4-5; voir aussi Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351-358, 1992 CanLII 119 (CSC).

[28]    Dicaire c. Chambly (Ville de), 2008 QCCA 54, paragr. 38.

[29]    Témoignage de C. Dippon du 2 avril 2014 (ACA, p. 817-819 et 947).

[30]    Témoignage de M. Vella du 1er avril 2014 (ACA, p. 404).

[31]    Rapport d’expert de C. Dippon du 24 mars 2014 (ACA, p. 333).

[32]    Déposée devant la Cour supérieure comme pièce P-13.

[33]    Témoignage de N. Plante du 1er avril 2014 (ACA, p. 482) et P-11A (ACA, p. 147).

[34]    Ibid., p. 482.

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