Décision

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Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2960

2023 QCTAT 1004

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division des services essentiels)

 

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

1311908-71-2303

Dossier accréditation :

AM-1001-2217

 

 

Montréal,

le 4 mars 2023

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Marie-Claude Grignon

______________________________________________________________________

 

 

 

Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel

 

Partie demanderesse

 

 

 

c.

 

 

 

Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2960

Partie défenderesse

 

 

 

______________________________________________________________________

 

ORDONNANCE S

______________________________________________________________________

L’APERÇU

[1]                Le 2 mars 2023, l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel (l’employeur ou l’Institut) dépose une demande de redressement en vertu des articles 111.16 et suivants du Code du travail[1] (le Code).

[2]                Il allègue que des intervenants spécialisés en pacification et en sécurité (les ISPS) se livrent à des moyens de pression illégaux en refusant d’accompagner des patients de son établissement jusqu’au Palais de justice de Montréal et d’effectuer leur prestation normale de travail, au motif qu’ils ne devraient pas se soumettre à une fouille à leur arrivée sur les lieux.

[3]                Il fait aussi valoir que cette action s’inscrit dans le cadre d’une intensification de moyens de pression depuis plusieurs mois en lien avec la rémunération des ISPS. Il réfère entre autres à un événement survenu le 10 février 2023, alors que tous ceux travaillant dans deux secteurs de l’Institut ont laissé leur ceinturon[2] à la maison et ont refusé d’effectuer leurs tâches au motif qu’il devait leur fournir un tel dispositif qui soit sécuritaire.  

[4]                Selon l’employeur, le refus d’assurer l’accompagnement de patients au Palais de justice constitue une action concertée qui découle d’un conflit de relations du travail et qui porte préjudice ou est vraisemblablement susceptible de porter préjudice à un service auquel le public a droit.

[5]                Il demande dès lors au Tribunal de rendre une ordonnance enjoignant au Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2960 (le Syndicat) et à tous les ISPS qu’il représente de ne pas refuser de façon concertée d’effectuer leur prestation normale de travail tant et aussi longtemps que leur droit d’exercer la grève n’aura pas été légalement acquis.

[6]                Le Syndicat conteste cette demande et soutient que les salariés ayant refusé d’effectuer le transport d’une patiente au Palais de justice le 2 mars 2023 ont exercé un droit de refus pour des motifs liés à leur santé et leur sécurité. De ce fait, il nie qu’il y ait eu préjudice à un service auquel le public a droit.

[7]                La question en litige dans la présente affaire est donc la suivante :

Le refus d’accompagnement de patients au Palais de justice de Montréal constitue-t-il une action concertée portant préjudice ou qui est vraisemblablement susceptible de porter préjudice à un service auquel le public a droit?

[8]                Pour les motifs qui suivent, le Tribunal répond à cette question par l’affirmative. Il y a lieu d’intervenir puisque ce refus résulte d’un conflit et d’une action concertée des ISPS portant préjudice à un service auquel le public a droit. En l’absence d’un accompagnement, des patients présentant des problèmes particuliers de santé mentale en attente d’une ordonnance de garde en établissement pourraient ne plus être contraints d’être hospitalisés et de recevoir les traitements requis. Cela compromet non seulement leur santé et leur sécurité ainsi que celle du public, mais aussi la protection à laquelle ils ont droit.

Le contexte

[9]                L’employeur est un établissement public au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux[3].

[10]           Il s’agit d’un hôpital universitaire offrant des services surspécialisés en psychiatrie légale. Il reçoit des patients de partout au Québec, notamment des cours criminelles et pénales, des centres de détention, des pénitenciers et des centres jeunesse. Sa clientèle présente des problèmes de santé mentale pouvant être associés à des comportements violents et à des risques de dangerosité.

[11]           Le Syndicat est accrédité pour représenter une unité de négociation générale chez l’employeur composée de « Tous les employés salariés au sens du Code du travail à l’exclusion : des personnes qui possèdent un diplôme universitaire rendant admissible à la pratique de leur profession et les personnes qui possèdent les équivalences reconnues par leur corporation ou leur association professionnelle; des secrétaires et de la technicienne en administration à la direction générale et direction des services professionnels; et de tous ceux automatiquement exclus par la loi »[4]. 

[12]           Les ISPS sont membres de cette unité de négociation représentée par le Syndicat.

[13]           Leurs tâches principales consistent à assurer la sécurité à l’entrée, à l’extérieur et à l’intérieur de l’Institut. Ils servent aussi d’escorte au besoin et peuvent être appelés à conduire des véhicules et à exercer leurs tâches dans tous les milieux où l’employeur a la garde de ses patients. Ils assurent de plus le transport des patients à l’extérieur de l’Institut, notamment vers les établissements de santé où ceux-ci reçoivent des soins.

[14]           Ils œuvrent dans trois secteurs de l’Institut :

  • Le Centre de prévention et d’urgence, où ils doivent effectuer les interventions auprès des patients les plus à risque de violence et de désorganisation;
  • Le Contrôle central, où ils ont notamment la responsabilité d’accompagner des patients au Palais de justice de Montréal;
  •        Les unités de soins.

[15]           L’employeur est lié au Syndicat par des dispositions de convention collective négociées aux échelles nationale et locale. Les dispositions nationales de la convention collective négociée entre le Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux et le Syndicat canadien de la fonction publique (FTQ) (2020-2023), en vigueur jusqu’au 31 mars 2023, s’appliquent aux parties.

[16]           En date de l’audience, le Syndicat n’a pas acquis le droit d’exercer la grève.

L’ANALYSE

Le cadre légal de l’intervention du Tribunal

[17]           Les pouvoirs de redressement du Tribunal dans les services publics ainsi que les secteurs public et parapublic sont prévus aux articles 111.16 et suivants du Code. Ces dispositions doivent recevoir une interprétation large et libérale puisqu’elles visent à protéger le public des conséquences d’un conflit[5].

[18]           Dans une décision récente[6], le Tribunal décrit ainsi la nature des pouvoirs d’intervention qui lui sont conférés en cette matière :

 

[13] Lorsqu’il siège dans la division des services essentiels, le Tribunal joue un rôle différent de celui qu’il exerce dans la division des relations du travail. Il doit alors veiller à la protection du public en cas de conflit dans les services publics ou les secteurs publics, parapublics.

 

[14] Ainsi, en matière de redressement, dans le contexte d’une grève légale, il doit s’assurer que les services essentiels sont effectivement rendus ou, le cas échéant, sont suffisants. En dehors du cadre d’exercice du droit de grève prévu au Code, lorsque des salariés exercent une action concertée qui porte préjudice ou est vraisemblablement susceptible de porter atteinte à un service auquel le public a droit, le Tribunal doit en ordonner le rétablissement complet.

 

[15] Le Tribunal est investi pour cela de larges pouvoirs qui lui permettent d’intervenir de sa propre initiative, de convoquer les parties à une séance de conciliation à laquelle elles sont tenues d’assister ou de mener sa propre enquête. […]

 

[Notes omises et nos soulignements]

 

[19]           Cela étant, lorsque le Tribunal est appelé à intervenir en redressement hors du cadre d’une grève légale, il doit vérifier la présence des trois éléments suivants[7] :

 

 

  • un conflit;
  • une action concertée;
  • un préjudice ou la vraisemblance d’un préjudice à un service auquel le public a droit.

Le conflit

[20]           Dans la présente affaire, les deux parties reconnaissent l’existence d’un conflit, bien qu’elles aient des points de vue différents sur son origine. L’employeur soutient qu’il s’agit d’un conflit de relations du travail en lien avec la rémunération des ISPS. Le Syndicat prétend plutôt qu’il découle d’une différence de point de vue sur l’exercice d’un droit de refus par les ISPS. Quoi qu’il en soit, nous sommes ici en présence d’un « litige en général qui oppose les parties l’une à l’autre », ce que la Cour d’appel a défini comme étant un conflit au sens de l’article 111.18 du Code[8].

[21]           Le Tribunal doit donc se pencher sur les deux autres éléments pouvant justifier son intervention en redressement, à savoir l’existence d’une action concertée et le préjudice ou la vraisemblance d’un préjudice à un service auquel le public a droit.

L’action concertée

[22]           La notion d’action concertée n’est pas définie au Code. Selon une jurisprudence établie de longue date, elle n’implique pas la préméditation, mais elle signifie plutôt « de concert », « d’accord » ou « ensemble »[9].

[23]           Le Tribunal en a récemment décrit la portée comme suit[10] :

[32] Ainsi, pour qu’une action soit considérée comme concertée, il suffit que le geste ait été posé collectivement et que tous les intéressés aient su qu’il s’agissait d’une action collective. Aussi, dès lors qu’un certain nombre de salariés cessent ou refusent simultanément de travailler, il y a une présomption voulant qu’ils agissent de manière concertée.

 

[33] Pour repousser cette présomption, les salariés ou le syndicat qui les représente doivent démontrer que ces gestes surviennent en même temps par hasard ou qu’ils découlent de motivations individuelles et distinctes les unes des autres.

 

[34] Soulignons que l’absence de mot d’ordre syndical ou même une action faite malgré la volonté syndicale n’ont pas d’impact dans la reconnaissance d’une action concertée.

 

[Notes omises et nos soulignements]

 

[24]           Il n’est donc pas nécessaire de démontrer l’intention de chacune des personnes d’agir en cohésion avec les autres pour conclure à la présence d’une action concertée. Il suffit d’un geste posé collectivement.  

[25]           Dans le présent cas, la preuve démontre qu’il y a eu action concertée des ISPS travaillant au Contrôle central le matin du 2 mars 2023.

[26]           Ce jour-là, deux ISPS doivent être affectés à l’accompagnement d’une patiente au Palais de justice de Montréal en vue d’une audience portant sur sa garde en établissement à 9 h 30. Une ordonnance de garde provisoire était demandée afin qu’elle demeure hospitalisée à l’Institut, car elle est susceptible de représenter un danger pour ellemême ou pour autrui en raison de son état de santé actuel.

[27]           Cette patiente ayant eu précédemment un comportement agressif, il a été déterminé qu’elle ferait l’objet d’une mesure de contention en vue de son déplacement, à la demande du chef d’équipe des ISPS[11].

Le refus des ISPS de procéder à l’accompagnement d’une patiente au Palais de justice le 2 mars 2023

[28]           Ce matin-là, on compte neuf ISPS en fonction au Contrôle central.  Vers 7 h 30, leur chef d’équipe en affecte deux au transport de la patiente en attente d’une audience, selon la pratique habituelle.

[29]           L’un d’entre eux lui exprime son mécontentement et lui indique qu’il accepterait de se rendre au Palais de justice, mais pas s’il est susceptible de devoir subir la procédure de fouille à son arrivée sur les lieux. Son collègue lui emboîte le pas et refuse lui aussi d’effectuer le transport au même motif.

[30]           Le chef d’équipe demande alors aux sept autres ISPS s’ils acceptent d’accompagner la patiente en question. Ils refusent tous cette affectation pour les mêmes raisons. Ils ajoutent que la fouille au Palais de justice porte atteinte à leur dignité.

[31]           Cependant, cette procédure de fouille ne relève pas de l’employeur, mais des autorités du Palais de justice de Montréal et remonte à environ 2016. Il s’agit de la même procédure de détection que celle applicable aux membres du public. Elle consiste pour les deux ISPS qui escortent un patient à enlever leur matériel et leurs effets personnels et à les déposer sur un plateau en vue d’une détection de métal. Ils doivent ensuite passer à travers un portique de détection de métal et reprendre leurs biens de l’autre côté. Il arrive qu’on leur demande de retirer leurs bottes lorsqu’on y détecte la présence de métaux. Le patient qu’ils escortent doit également se soumettre à cette procédure, et ce, en premier. Ils demeurent ensemble tout au long de cette formalité.

[32]           Selon la preuve, cette procédure n’aurait pas été appliquée aux ISPS pendant une longue période et elle aurait été mise de nouveau en pratique de manière aléatoire par les autorités du Palais de Justice à compter de la mi-février 2023.

Les discussions tenues le 2 mars 2023 avec l’employeur

[33]           Le coordonnateur de la sécurité et des mesures d’urgence de l’employeur (le coordonnateur) est informé vers 7 h 45 d’un refus généralisé d’accompagnement par des ISPS et se rend au Contrôle central dans les minutes suivantes.

[34]           L’un de ceux qui devaient être affectés au transport de la patiente en attente d’une audience au Palais de justice l’interpelle. Il lui dit que l’employeur est informé depuis deux semaines que les ISPS font l’objet de fouilles au Palais de justice et qu’il n’a rien fait pour corriger cette situation. Il ajoute que les ISPS de l’Institut ont été reconnus comme agents de la paix dans une décision de la Cour d’appel du Québec de 1988 et qu’ils ne devraient donc pas être fouillés comme des criminels lorsqu’ils accompagnent des patients. Il lui indique qu’il refuse de se rendre au Palais de justice dans ces conditions.

[35]           Le coordonnateur communique alors avec le responsable de la sécurité du Palais de justice de Montréal. Celui-ci lui explique que la procédure de fouille est en vigueur depuis 2016 et que la variabilité de son application découle d’un problème de gestion de main-d’œuvre. Il lui précise aussi qu’elle devrait normalement s’appliquer à tous, sauf aux policiers et aux agents carcéraux. Il ignorait cependant l’existence d’une décision ayant reconnu le statut d’agent de la paix aux ISPS et il demande au coordonnateur de lui en transmettre une copie.  

[36]           Le coordonnateur retrace cette décision avec l’aide d’un employé et en obtient une copie vers 9 h. Il constate cependant qu’à cette heure avancée, la patiente qui doit se présenter en audience à 9 h 30 ne pourra pas se rendre à temps au Palais de justice en raison du refus d’accompagnement par les ISPS.

[37]           Un peu avant, le chef d’équipe lui avait suggéré de tenter de vérifier si les ISPS pouvaient déposer la patiente à l’entrée du Palais de justice et demander qu’elle soit ensuite prise en charge par leur personnel. Le coordonnateur lui a alors répondu qu’il n’avait pas l’aval d’un responsable de la sécurité de l’Institut pour ce faire.

[38]           En parallèle, le chef d’équipe communique avec une employée d’une autre division de l’Institut afin de l’informer du retard de la patiente. Celleci réussit à faire reporter l’audience au Palais de justice et à fixer sa tenue ultérieurement par visioconférence. La patiente accepte ensuite volontairement de demeurer hospitalisée à l’Institut jusqu’à la tenue de cette audience virtuelle. Son consentement demeure cependant fragile, car elle pourrait décider de quitter l’Institut à tout moment, ce qui serait susceptible de compromettre tant sa santé que sa sécurité.

L’allégation d’un droit de refus

[39]           Le Syndicat nie que les ISPS aient exercé des moyens de pression illégaux le matin du 2 mars 2023.

[40]           Il soutient qu’ils ont plutôt exercé individuellement un droit de refus en raison du caractère non sécuritaire des fouilles au Palais de justice, car ils sont alors privés de leur équipement de protection.

[41]           Il précise que vers 8 h 15, ce matin-là, le représentant syndical en santé et sécurité au travail est informé de la situation. Il parle aux ISPS au Contrôle central qui lui expliquent qu’ils jugent les fouilles non sécuritaires, notamment lorsqu’ils doivent retirer leurs bottes et leur matériel.

[42]           Vers 9 h, il tente de parler de cette situation avec le coordonnateur, mais ce dernier lui indique être en discussion téléphonique.

[43]           Il rencontre ensuite ses vis-à-vis patronaux responsables des questions de santé et de sécurité au travail.

[44]           Selon la pratique habituelle, ils essaient d’évaluer ensemble différentes solutions afin de résoudre le problème et vers 9 h 30, ils discutent de la possibilité de communiquer de manière paritaire avec un inspecteur de la Commission des normes, de la santé et de la sécurité du travail (la CNESST).

[45]           Vers 10 h, la conseillère cadre en prévention et en santé et sécurité au travail lui mentionne qu’elle a reçu la consigne de ne plus parler au Syndicat pour le reste de la journée. Elle communique ensuite avec un inspecteur de la CNESST qui lui dit qu’à la lumière des renseignements transmis, l’exercice d’un droit de refus ne semble pas fondé puisque les lieux dans un Palais de justice sont jugés sécuritaires.

[46]           Peu de temps après, le représentant syndical en santé et sécurité au travail échange lui aussi avec cet inspecteur de la CNESST. Ce dernier lui indique douter de sa compétence relativement aux mesures de sécurité dans un Palais de justice.

[47]           À 11 h 30, l’employeur convoque les représentants syndicaux à une visioconférence et les informe qu’il a communiqué avec la CNESST et qu’une demande de redressement sera transmise sous peu au Tribunal, ce qui met fin aux discussions.

Les constats

[48]           Bien que le Tribunal constate l’absence d’ouverture de l’employeur à tenter de passer par la voie de la communication avec la partie syndicale afin de résoudre le litige en matinée du 2 mars 2023, une seule conclusion s’impose.

[49]           Il est alors placé devant une action concertée d’ISPS insatisfaits des conditions dans lesquelles ils doivent effectuer l’accompagnement de patients au Palais de justice de Montréal et qui ont collectivement refusé de fournir leur prestation normale de travail.  

[50]           La procédure de fouille au Palais de justice a pourtant été appliquée à des ISPS de l’employeur au fil des ans, et ce, depuis 2016, bien que de manière inconstante. Le Tribunal ne peut retenir que les neuf ISPS au Contrôle central le matin du 2 mars 2023 aient tous subitement réalisé que celle-ci les exposait à un danger pour leur santé et leur sécurité.

[51]           Il ne s’agit pas ici de l’addition de neuf droits individuels de refus d’exécuter un travail pour des raisons personnelles et distinctes les unes des autres, mais plutôt d’un mouvement de protestation concerté.

[52]           La preuve syndicale tend d’ailleurs à démontrer qu’aucune demande formelle n’a été transmise à la CNESST en vue de faire reconnaître l’exercice d’un droit de refus par des ISPS.

[53]           En outre, il y a tout lieu de croire qu’en l’absence d’une intervention du Tribunal, un refus collectif pourrait se reproduire tant et aussi longtemps que les ISPS peuvent faire l’objet de fouilles au Palais de justice.

[54]           Cela étant dit, des solutions sont peut-être envisageables afin d’éviter de telles fouilles si le statut d’emploi des ISPS les en dispense. Le Tribunal ne peut qu’encourager les parties syndicale et patronale à établir un dialogue et à faire conjointement les vérifications requises auprès des autorités compétentes du Palais de justice de Montréal. Il en va du meilleur intérêt de tous.

 

Le préjudice ou la vraisemblance d’un préjudice à un service auquel le public a droit

[55]           La preuve de l’employeur démontre que l’action concertée des ISPS a mis en péril la santé et la sécurité de la patiente qui était en attente d’une ordonnance de garde provisoire en établissement. En l’absence d’une telle ordonnance, cette personne n’est plus contrainte d’être hospitalisée et elle peut quitter l’Institut à tout moment, alors que, selon la preuve non contredite, elle est susceptible de représenter un danger pour ellemême ou pour autrui.

[56]           Sans accompagnement au Palais de justice, d’autres patients en attente d’une audience à la cour pourraient se retrouver dans la même situation et quitter l’Institut sans recevoir les traitements requis. Cela compromet non seulement leur santé et leur sécurité ainsi que celle du public, mais aussi la protection à laquelle ils ont droit.

[57]           Il y a donc lieu d’intervenir afin que les patients de l’Institut et le public en général aient droit à l’intégrité des services d’accompagnement normalement offerts par les ISPS.

[58]           Enfin, et bien que ce ne soit pas l’objet du présent litige, il s’avère utile de préciser qu’en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[12], un travailleur ne peut refuser d’effectuer des tâches pour des motifs de santé et de sécurité si ce refus met en péril immédiat la santé, la sécurité ou l’intégrité physique ou psychique d’une autre personne[13].

Une précision sur les événements remontant au 10 février 2023

[59]           Dans sa demande d’intervention, l’employeur sollicite également une ordonnance visant l’événement survenu le 10 février 2023, mentionné précédemment, au cours duquel les ISPS travaillant dans deux secteurs de l’Institut ont laissé leur ceinturon à la maison en refusant par la suite d’effectuer leurs tâches au motif que l’employeur devait leur fournir un tel dispositif qui soit sécuritaire.

[60]           La preuve prépondérante établit que cette situation a fait l’objet d’un processus de conciliation à la suite d’une autre demande d’intervention formulée par l’employeur à cette date et que la situation s’est réglée depuis lors. Il n’y a donc pas lieu pour le Tribunal de revenir sur ces événements.

 

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

 

DÉCLARE que le refus concerté d’accompagnement de patients au Palais de justice de Montréal par les intervenants spécialisés en pacification et en sécurité constitue un moyen de pression illégal;

ORDONNE  aux intervenants spécialisés en pacification et en sécurité de fournir leur prestation normale de travail de la manière usuelle et d’effectuer les accompagnements de patients au Palais de justice de Montréal;

ORDONNE  au Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2960, à ses dirigeants, représentants et mandataires et aux intervenants spécialisés en pacification et en sécurité de s’abstenir de recommander, d’ordonner, d’encourager ou d’appuyer tout arrêt ou ralentissement de travail illégal;

ORDONNE  au Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2960, à ses dirigeants, représentants et mandataires de transmettre aujourd’hui une copie des présentes ordonnances aux intervenants spécialisés en pacification et en sécurité compris dans l’unité de négociation qu’il représente, par voie électronique ou par tout autre moyen raisonnable et de leur enjoindre de s’y conformer; 

AUTORISE  le dépôt des présentes ordonnances au bureau du greffier de la Cour supérieure du district de Montréal, conformément à l’article 111.20 du Code du travail, RLRQ, c. C-27;

DÉCLARE  que les présentes ordonnances entrent en vigueur immédiatement et le demeurent jusqu’à ce que les salariés de l’unité de négociation représentée par le Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2960 aient acquis le droit d’exercer la grève conformément aux dispositions du Code;

RÉSERVE ses pouvoirs pour rendre toute autre ordonnance jugée nécessaire.

 

 

__________________________________

 

Marie-Claude Grignon

 

Me Jean-François Pedneault

MONETTE BARAKETT, S.E.N.C.

Pour la partie demanderesse

 

Me Sophia M. Rossi

ROY BÉLANGER AVOCATS, S.E.N.C.R.L.

Pour la partie défenderesse

 

 

Date de la mise en délibéré : 3 mars 2023

 

MCG/ab

 

 


[1]  RLRQ, c. C-27.

[2]  Dispositif à la taille permettant d’accrocher leur matériel, y compris des gants de kevlar, des contentions métalliques (menottes), des masques anti-crachat et un émetteur-récepteur portatif.

[3]  RLRQ, c. S-4.2.

[4]  Accréditation AM-1001-2217.

[5]  Corporation d’Urgences-santé c. Syndicat du préhospitalier – CSN, 2022 QCTAT 3262, par. 28.

[6]  Société de transport de Laval c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 5959, 2022 QCTAT 1782.

[7]  Conformément à l’article 111.18 du Code.

[8]  Syndicat canadien de la Fonction publique c. Conseil des services essentiels, (C.A.), [1989] R.J.Q. 2648, AZ-89011983. Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, C.S.C. 21726, 17 octobre 1989.

[9]  Voir Châteauguay (Ville de) c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1299, [2009] AZ-50548086 (C.S.E.), par. 46.

[10]  Ville de Châteauguay c. Syndicat canadien de la fonction publique, section 1299 FTQ, 2023 QCTAT 920.

[11]  Membre de l’unité de négociation représentée par le Syndicat.

[12]  RLRQ, c. S-2.1.

[13]  Article 13 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ, c. S-2.1.

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