Décision

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9291-9190 Québec inc. (Gestion immopolis) c. Sene

2024 QCTAL 39843

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

816962 31 20240826 G

No demande :

4448693

 

 

Date :

06 décembre 2024

Devant le juge administratif :

Luk Dufort

 

Faisant affaires sous le nom de

Gestion Immopolis 9291-9190 Québec Inc

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Yacine Sene

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Suivant un recours introduit le 26 août 2024, la locatrice demande une ordonnance d’accès au logement, le remboursement des frais et l’exécution provisoire de la décision nonobstant appel. Elle demande aussi de pouvoir prendre des photographies et d’avoir le droit de filmer sa visite.
  2.          Un amendement est produit le 4 septembre 2024 afin que le Tribunal ordonne à la locataire de ne pas entrer dans les autres logements et qu’elle cesse de nuire aux travaux et à la gestion de l’immeuble.
  3.          Finalement, dans son amendement du 9 octobre 2024, elle demande la résiliation du bail en raison des agissements de la locataire.

Demande de remise de la locataire

  1.          Le 6 novembre 2024, la locataire fait parvenir une demande de remise. Elle indique que son employeur ne lui donnera pas de permission d’absence, car il s’agit d’une période trop occupée au travail. Elle demande que son dossier soit fixé entre le 1er et 15 décembre 2024.
  2.          La locatrice s’oppose à cette demande de remise. Dans un premier temps, elle souligne qu’il s’agit d’une 2e demande de remise pour la même raison. La locatrice avait accepté de consentir à la demande de remise, mais lui a demandé de remplir un formulaire de non-disponibilité, ce qui fut fait par la locataire. La date de l’audience ne fait pas partie des dates de non-disponibilité qu’elle a soumise au Tribunal.
  3.          De plus, une audition est prévue pour le mois de janvier dans le dossier 779710. La locatrice demande l’évacuation de la locataire pour y faire des travaux majeurs. Elle requiert donc l’accès afin de prendre des photos du logement pour pouvoir faire sa preuve devant le Tribunal.
  4.          La demande de remise a été refusée par le Tribunal séance tenante. Le Tribunal a déterminé que la locataire n’a pas fait valoir un motif suffisant pour obtenir la remise de l’audition.

  1.          Tel que souligné par la locatrice, il s’agissait de la deuxième demande de remise de la locataire pour le même motif en très peu de temps. La locataire a fait parvenir au Tribunal un avis de non-disponibilité le 24 octobre n’indiquant aucune période de non-disponibilité. Dans celui transmis le même jour à la locatrice, elle indique seulement que le 7 novembre 2024 à 14 :30.
  2.          Le Tribunal a donc tenu compte des indisponibilités des parties et il appartenait à la locataire d’aviser le Tribunal advenant qu’il s’agisse d’une période qu’elle ne pourrait se libérer en raison de son travail.
  3.      D’ailleurs, ce motif est insuffisant pour justifier une demande de remise. La locataire ne produit aucun refus de son employeur. Ce refus serait d’ailleurs injustifié. Confrontée à une situation similaire, la juge administrative Linda Boucher écrit dans la décision Guzzi c. Courtemanche[1] :

[15]   Le droit d'être entendu est, dans le cadre d'un procès, un droit qui appartient aux deux parties. Les deux parties ont également le droit d'être entendues dans les meilleurs délais.

[16]   Conséquemment, une partie qui désire obtenir une remise d'un procès doit donc démontrer le bien-fondé de la demande et sa diligence à poser tout geste qui permettrait à l'instance de procéder.

[17]   Pour qu'une remise soit accordée, il faut que le requérant présente un motif sérieux. Il en va d'une saine administration de la justice. C'est également la manifestation d'un respect élémentaire envers la partie adverse. 

[18]   Après analyse, et tel que la soussignée en a avisé les parties à l’audience, elle rejette la demande de remise.

[19]   Elle n’est pas convaincue que la locataire a demandé son congé et que celui-ci a été catégoriquement refusé.

[20]   La soussignée n’a jamais entendu parler d’une personne ayant perdu son travail ou suspendue parce qu’elle a été convoquée à une audition devant le tribunal.

[21]   Les auditions devant la Régie du logement, comme devant tout autre tribunal sont choses sérieuses et valent que l’on se donne la peine d’y assister.

[22]   Par ailleurs, ainsi que le faisait remarquer Me Besner, la locataire et son procureur savaient déjà au moment de la rencontre du 5 novembre dernier, que l’employeur de la locataire requérait tous ses effectifs pour la période des fêtes. Pourtant, ils n’ont fait aucune représentation à cet effet afin que le tribunal en tienne compte dans la mise au rôle du dossier.

[23]   Aussi, ils ont attendu au huit décembre dernier, presque à la veille de l’audition pour demander cette remise alors que les avis d’audition étaient postés le 11 novembre précédent. Un délai qui ne permettait pas au tribunal d’inscrire une autre cause, si la locatrice avait accepté la remise.

[24]   Quoi qu’il en soit, la locataire n’a pas démontré son impossibilité à se présenter devant le tribunal qui, de son côté, a mis toutes ses ressources au service des parties afin que l’audition de la requête de la locatrice ait lieu.

[25]   La locataire, pour des raisons qui lui sont propres, a choisi de se présenter au travail plutôt que de venir défendre son point de vue devant le tribunal, elle devra vivre avec les conséquences de son choix.

[26]   Pour ces motifs le tribunal a rejeté la demande de remise.»

  1.      Il y a environ 91 000 dossiers qui ont été ouverts au Tribunal administratif du logement lors de la dernière année, il ne peut malheureusement se plier à l’horaire de travail de chacun des justiciables. Le Tribunal a tenu compte des disponibilités transmises par la locataire et a transmis l’avis d’audition le jour suivant la réception de son formulaire de non-disponibilité.
  2.      La locatrice a démontré l’importance que sa demande soit entendue, car elle pourrait mener à une autre remise dans le dossier 779710.
  3.      La locataire n’a pas démontré avoir un motif suffisant justifiant la remise de l’audience. Sa demande de remise est donc rejetée.

Contexte

  1.      Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025 au loyer mensuel de 915 $.
  2.      La locatrice a fait l’acquisition de l’immeuble en 2021. La locataire habite le logement depuis au moins 2006. 


Preuve de la locatrice

  1.      Au soutien de la demande de la locatrice, Mme Daphné Cucurull qui s’occupe de la gestion de l’immeuble témoigne que la locataire lui a refusé l’accès au logement à cinq reprises depuis 2021.
  2.      Il y a des problèmes de plomberie importants dans le logement de la locataire et la locatrice doit y effectuer des travaux majeurs. Un recours a été entrepris à ce sujet. Or, pour faire la preuve des travaux nécessaires, la locatrice doit avoir accès au logement pour pouvoir prendre des photos, ce que lui refuse la locataire.
  3.      La représentante de la locatrice témoigne avoir également besoin d’avoir accès au logement pour faire des vérifications sur l’état du logement, d’autant plus que la locataire a laissé les fenêtres de son logement ouvertes lors de deux épisodes de pluies diluviennes.
  4.      La locatrice tente d’obtenir accès au logement le 26 août en transmettant un avis le 23 août. La locataire lui répond que cela ne sera pas possible et qu’elle ne permet aucune caméra ou autre.
  5.      Il est offert à la locataire de proposer de nouvelles dates, mais cette dernière refuse toute visite dans la même semaine. Elle propose deux dates la semaine d’après, mais limitant la visite à 10 minutes.
  6.      Une nouvelle demande d’accès est faite le 3 octobre. Elle se lit comme suit :

« Le présent courriel est pour vous informer que nous effectuerons la vérification du système d’alarme incendie et des logements de l’immeuble le 16 octobre entre 9 :00 et 16 :00 »

  1.      Mme Cucurull se présente le jour de l’inspection avec un technicien. La locataire laisse entrer le technicien, mais refuse l’accès à la représentante de la locatrice prétextant avoir mal compris le courriel.
  2.      Pour ces motifs, la locatrice demande la résiliation du bail. Elle demande de façon subsidiaire d’avoir accès au logement et d’avoir le droit de filmer les visites et de prendre des photographies.
  3.      Elle justifie de filmer en raison de fausses accusations qu’aurait porté la locataire à l’encontre d’un employé qui a mené une plainte à la police qui a été rejetée.
  4.      Pour ce qui est de l’amendement du 4 septembre 2024 demandant que la locataire cesse de nuire aux travaux dans l’immeuble, aucune preuve n’a été faite en l’instance. Cette demande sera donc rejetée.

Analyse et décision

  1.      La locatrice demande la résiliation du bail en raison du refus de la locataire de lui donner accès. Subsidiairement, elle demande que des ordonnances soient prononcées. Par rapport à l’accès au logement, la loi prévoit:

«1857. Le locateur a le droit de vérifier l'état du bien loué, d'y effectuer des travaux et, s'il s'agit d'un immeuble, de le faire visiter à un locataire ou à un acquéreur éventuel; il est toutefois tenu d'user de son droit de façon raisonnable.

« 1931. Le locateur est tenu, à moins d'une urgence, de donner au locataire un préavis de vingt-quatre heures de son intention de vérifier l'état du logement, d'y effectuer des travaux ou de le faire visiter par un acquéreur éventuel. »

« 1933. Le locataire ne peut refuser l'accès du logement au locateur, lorsque celui-ci doit y effectuer des travaux.

Il peut, néanmoins, en refuser l'accès avant 7 heures et après 19 heures, à moins que le locateur ne doive y effectuer des travaux urgents. »

  1.      L’auteur Denis Lamy exprime dans son ouvrage sur la diminution de loyer l’obligation du locataire de donner accès à son logement :

« Par ailleurs, le locataire n’a pas à juger des motifs pour lesquels son locateur ou son propriétaire désire avoir accès à son logement ni de sa bonne foi. S’il estime que son locateur ou son propriétaire abuse de son droit d’accès ou qu’il le pratique de mauvaise foi, il n’aura qu’à exercer les recours prévus à la loi131.


Qui plus est, le locataire doit ajuster son horaire et/ou trouver un mandataire qui puisse être présent pour faciliter les visites du locateur132. En effet, contrairement à ce que peuvent croire les locataires, la visite du locateur n’a pas à convenir aux deux parties. Il est prévu à la loi que le locateur ou le propriétaire doive donner au locataire un avis écrit ou verbal de 24 heures de son intention de vérifier l’état des lieux ou d’y effectuer une réparation, et cette visite doive avoir lieu entre 7 heures et 19 heures sauf urgence (article 1933 C.c.Q.)133.

Dès qu’un locataire reçoit ce genre d’avis, il a l’obligation, à la date et à l’heure indiquée, de donner accès au logement au locateur ou à ses ouvriers. Si le locataire désire être présent, c’est à lui, et non au locateur, d’ajuster son horaire en conséquence134. Ainsi, pour autant que le locateur respecte les dispositions des articles 1931 et 1933 C.c.Q., quant aux heures selon lesquelles il peut avoir accès à son logement, le locataire ne peut obliger son locateur à faire les travaux qu’il réclame les fins de semaine, il devra collaborer avec le locateur135.

  1.      En résumé, la locataire ne peut dicter à la locatrice son horaire afin qu’elle puisse avoir accès au logement. Bien entendu, il est toujours préférable d’obtenir l’accord de la locataire, mais ultimement la locataire doit accepter de subir les visites en fonction de l’horaire de la locatrice et de ses travailleurs.
  2.      La preuve démontre que la locataire refuse de façon injustifiée de donner accès à son logement à la locatrice. Le Tribunal est toutefois d’avis qu’il ne s’agit pas d’un manquement suffisamment important pour justifier la résiliation du bail. La présente décision expliquant à la locataire les conditions pour donner accès à son logement, des ordonnances en vertu de l’article 1863 C.c.Q seront suffisantes pour corriger la situation.
  3.      La locataire devra donc permettre à la locatrice d’avoir accès à son logement conformément aux articles 1931 et 1933 C.c.Q. Comme le prévoit la jurisprudence majoritaire[2] du Tribunal, une inspection donne droit à la locatrice de prendre des photos pour documenter l’état du logement ou encore de faire la preuve des travaux nécessaires.
  4.      Le Tribunal est toutefois d’avis qu’il n’est pas justifié dans les circonstances d’émettre une ordonnance permettant à la locatrice de filmer l’ensemble de la visite sur les lieux en vertu des articles 5 et 35 de la Charte des droits et libertés de la personne[3] qui se lisent comme suit :

« 5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée. »

« 35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise. »

  1.      La locataire a droit au respect de sa vie privée et les circonstances de cette affaire ne justifient pas pour l’instant de permettre à la locatrice de filmer l’ensemble de la visite dans la crainte d’hypothétiques fausses accusations. Il existe d’autres moyens, comme la présence d’un témoin, qui pourrait servir le même besoin de protection et qui ne violerait pas le droit à la vie privée de la locataire. Ainsi, il sera permis à la locatrice et à ses représentants de visiter le logement accompagné d’un témoin.
  2.      Bien entendu, cela n’empêche pas la locataire d’accepter que la visite soit filmée, elle qui pourrait aussi bénéficier de cette protection.
  3.      En conséquence, le Tribunal émettra l’ordonnance demandée par la locatrice d’avoir accès au logement et pour prendre les photos nécessaires à documenter l’état du logement et des travaux nécessaires. Un témoin pourra accompagner un représentant de la locatrice lors des visites.
  4.      Le préjudice subi par la locatrice justifie l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      ACCUEILLE en partie la demande de la locatrice;
  2.      ORDONNE à la locataire de donner accès à son logement à la locatrice conformément aux prescriptions des articles 1857, 1931 et 1933 du Code civil du Québec;

  1.      PERMET aux représentants de la locatrice d’être accompagnés d’un témoin et de prendre les photos nécessaires pour documenter l’état du logement ou de faire la preuve des travaux nécessaires;
  2.      ORDONNE l'exécution provisoire, malgré l'appel, de l'ordonnance d'accès;
  3.      CONDAMNE la locataire à payer à la locatrice les frais de 113,25 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Luk Dufort

 

Présence(s) :

la mandataire de la locatrice

Date de l’audience : 

28 novembre 2024

 

 

 


 


[1] 2013 CanLII 120085

[2] Voir notamment Coopérative d’habitation Croisière c. David 2022 QCTAL 3575; Michaud c. Morella 2024 QCTAL 7469; Stephan c. Caporicci 2016 QCRDL 11166;

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