Duchesnay c. 9280-4178 Québec inc. | 2021 QCTAL 32219 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 572436 31 20210503 G | No demande : | 3256644 | |||
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Date : | 15 décembre 2021 | |||||
Devant la juge administrative : | Pascale McLean | |||||
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Lucille Duchesnay |
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Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
9280-4178 Québec Inc. |
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Locatrice - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Par une demande déposée le 3 mai 2021, la locataire demande l’exécution en nature, une diminution de loyer, des dommages moraux et des dommages punitifs, en plus du paiement des frais.
[2] Par un amendement du 23 juillet 2021, la locataire réclame une diminution de loyer de 20% à compter du mois de novembre 2020, la somme de 2 000 $ à titre de dommages moraux pour troubles et inconvénients, la somme de 3 000 $ pour dommages punitifs et harcèlement, l’exécution provisoire malgré l’appel et le paiement des frais judiciaires.
[3] Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021, au loyer mensuel de 933 $, reconduit au 30 juin 2022 au loyer mensuel de 947 $.
[4] La locataire habite le logement de 3½ pièces, situé au rez-de-chaussée, depuis le 1er mars 2006. Il s’agit d’un immeuble de 59 logements disposés sur quatre étages.
[5] Bien qu’il y ait plusieurs personnes âgées qui habitent l’immeuble, il ne s’agit pas d’une résidence pour personnes âgées au sens de la loi.
[6] Le Tribunal précise d’emblée que la locataire s’est désistée en début d’audience de la demande en dommages punitifs pour harcèlement. Il y a également une admission que les travaux à l’intérieur du logement ont été complétés. Par conséquent, ces demandes sont désormais sans objet.
Preuve de la locataire
[7] Monsieur Yvon Crevier témoigne. Il est proche aidant pour la locataire. Il la connaît depuis plus de trente ans. Il visite la locataire environ cinq fois par semaine, afin de s’assurer de son bien-être. Parfois, il dort sur place.
[8] Il témoigne que les problèmes ont commencé avec la venue, en novembre 2020, du locataire au logement 207, situé au-dessus du logement de la locataire. Celui-ci est très bruyant pendant la nuit.
[9] Il affirme avoir tenté de régler la problématique du bruit en communiquant à plusieurs reprises avec le concierge de l’immeuble et avec monsieur Létourneau, mandataire de la locatrice.
[10] Malgré les nombreuses communications, rien n’est fait, déplore-t-il. Une mise en demeure datée du 2 mars 2021 est ainsi transmise à la locatrice, afin de régler le problème de bruit et de harcèlement que subit la locataire par le concierge, entre autres[1].
[11] Le 11 mars 2021, monsieur Tardif s’est présenté au logement de la locataire afin de mieux comprendre la situation et trouver une solution. Il affirme à ce moment qu’il réglera les problèmes de bruit, verra à effectuer les réparations demandées dans le logement et s’assurera que le concierge porte un masque en tout temps dans les aires communes. Malgré cela, rien n’est fait, soutient monsieur Crevier.
[12] Puis, la locataire doit désormais prendre des médicaments pour mieux dormir à cause du bruit dans son logement, affirme monsieur Crevier. Ces médicaments lui causent de la somnolence.
[13] Or, le 5 mai 2021, la locataire s’évanouit. Les ambulanciers sont appelés. Monsieur Crevier reproche au concierge le délai pour ouvrir la porte en pareille urgence. En effet, c’est lui qui la déverrouille en cas d’urgence durant la nuit.
[14] Une mise en demeure est transmise à la locatrice à ce sujet, le 10 mai 2021[2]. On lui reproche les délais à ouvrir la porte en cas d’urgence et l’état de la rampe d’accès pour les personnes à mobilité réduite, laquelle serait dangereuse.
[15] Le 19 mai 2021, monsieur Tardif contacte monsieur Crevier et l’informe qu’il ne peut rien faire pour la porte d’entrée. Il doit prévenir les problèmes liés à l’itinérance dans le quartier et s’assurer de la sécurité des locataires et de l’immeuble en général. Monsieur Crevier considère la situation déplorable, étant donné le nombre élevé de personnes âgées dans l’immeuble.
[16] Puis, monsieur Crevier constate l’état malpropre du balcon de la locataire. Le locataire du logement 207 crache régulièrement et laisse tomber tisons et mégots sur le balcon de la locataire, ce qui le salit et l’endommage.
[17] Le 21 juin 2020, il appelle monsieur Tardif. Il considère que le balcon de la locataire est devenu un crachoir. Il y en a même sur le parasol de la locataire. Il dépose des photos afin d’appuyer ses dires.
[18] Le 6 juillet 2021, monsieur Crevier nettoie le balcon et constate un trou provenant d’un tison sur le parasol. Il appelle monsieur Tardif à ce sujet et au sujet des bruits nocturnes du locataire situé à l’étage.
[19] Étant donné tous ces inconvénients, monsieur Crevier affirme que la locataire ne se déplace plus seule sur le balcon et ce, depuis le mois de mars 2021.
[20] Monsieur Crevier affirme avoir constaté le bruit durant la nuit lorsqu’il dort au logement. Les bruits se font entre 22h30 et 2h00 la nuit. Il s’agit de portes qui claquent et des chaises qui se déplacent. Pour appuyer ses dires, il fait entendre différents enregistrements et dépose les notes de la date et l’heure de prises de bruit.
[21] Afin que la locataire entende moins les bruits du logement au-dessus, il a installé un climatiseur dans sa chambre.
[22] Puis, monsieur Crevier a pris plusieurs photos de la rampe d’accès pour les personnes à mobilité réduite. Il fait remarquer la déviation dans la pente. Il explique que la locataire est restée coincée avec son triporteur, car une crevasse est située sur la rampe d’accès. Le déambulateur se retrouve régulièrement avec une roue dans le vide, ajoute-t-il. La locataire est ainsi à risque de chute. Il produit des photos démontrant ces problèmes.
[23] Madame Duchesnay témoigne. Elle reproche les bruits excessifs du locataire qui habite le logement au-dessus du sien à tous les soirs, ce qui l’empêche de dormir. Puis, elle affirme ne plus entendre les bruits du voisin lorsqu’elle se trouve dans sa chambre et ce, grâce au climatiseur installé dans sa chambre.
[24] Elle reproche également à la locatrice de ne pas prendre les moyens afin que le locataire du logement 207 cesse de l’importuner. Elle reproche à ce dernier de cracher sur son balcon et de laisser tomber des tisons et mégots de cigarettes. Pour preuve, dit-elle, son parasol a été endommagé.
[25] Elle témoigne de ses inquiétudes quand elle doit sortir, étant donné le mauvais état de la rampe d’accès pour les personnes à mobilité réduite.
Preuve de la locatrice
[26] Monsieur Danny Tardif témoigne. Il est le gestionnaire de l’immeuble.
[27] Il affirme avoir effectué tous les travaux nécessaires à l’intérieur du logement.
[28] Puis, il a rencontré le locataire du logement 207 à trois reprises afin de préserver la jouissance paisible des lieux de la locataire. Il lui a demandé de cesser de cracher, de jeter ses mégots de cigarettes sur le balcon de la locataire et de cesser le bruit à des heures déraisonnables.
[29] Le concierge a avisé ce locataire également à deux reprises.
[30] Aucune mise en demeure ne lui est envoyée.
[31] Il affirme avoir payé un nouveau parasol à la locataire au début de l’été 2021, en remplacement de celui qui a été brûlé par un mégot de cigarette.
[32] Monsieur Tardif affirme ne pas avoir été informé de l’accumulation des problèmes vécus par la locataire.
[33] Quant à la porte d’entrée, monsieur Tardif témoigne qu’elle est verrouillée de 22h à 7h ou 8h.
[34] La porte d’entrée sert aussi à un restaurant situé à l’intérieur de l’immeuble. Il ne peut donc en modifier les accès comme bon lui semble.
[35] Pour les pompiers et les ambulanciers, il y a une sonnette d’urgence afin d’aviser le concierge qu’il doit ouvrir la porte. Ce dernier est bien avisé d’ouvrir en cas de nécessité. La porte de son logement est située à côté de l’entrée. Selon lui, le concierge ouvre la porte dans un délai raisonnable. Il précise qu’il s’agit d’une résidence pour personnes retraitées autonomes.
[36] Quant à la rampe d’accès pour les personnes à mobilité réduite, monsieur Tardif affirme avoir procédé au nivelage. Il doit continuer à aplanir.
PRINCIPES GÉNÉRAUX
Fardeau de la preuve
[37] Il est pertinent de rappeler que, selon les dispositions des articles
[38] Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée.
Obligations du locateur
[39] Les obligations du locateur se retrouvent, entre autres, aux articles suivants du Code civil du Québec :
« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »
« 1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure. »
[40] Lorsque le locateur ne respecte pas ses obligations, le locataire peut exercer les recours prévus à l'article
« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »
[41] Puisque la réclamation de la locataire concerne également le trouble de voisinage causé par un autre locataire, il y a lieu de rappeler les dispositions applicables en la matière.
[42] L'article
[43] L'article
[44] L'article
[45] L'article
[46] Dans la cause Froment c. 2319-4400 Québec inc., la juge Girard s'exprime comme suit :
« L'article
[47] Dans son ouvrage, Traité de droit civil, Le louage, le professeur Jobin écrit ce qui suit :
« La question qui se pose maintenant est de savoir comment le locateur pourra concrètement repousser cette présomption. Quels moyens doit-il prendre pour agir en personne prudente et diligente? Dès qu'il est informé de la situation, le locateur doit agir rapidement pour faire cesser le trouble : il devra démontrer qu'il a agi avec toute la diligence possible. De plus, le locateur doit prendre tous les moyens raisonnables - au besoin, un recours en justice - contre le locataire fautif; il doit faire preuve de fermeté. On se rappellera cependant que le locateur n'est pas le commettant du voisin, qu'il ne possède pas strictement un pouvoir de contrôle sur lui et qu'il peut lui être difficile d'obtenir, par voie judiciaire, que le voisin se conforme à ses obligations ou qu'il quitte les lieux. Il s'agit en fait d'un cas particulier de responsabilité contractuelle pour le fait d'autrui. »[4]
[48] Il appert de la jurisprudence et de la doctrine que l'article
ANALYSE ET DÉCISION
Exécution en nature
[49] Concernant la rampe d’accès pour les personnes à mobilité réduite, la locataire a fait la preuve par prépondérance de sa dangerosité et de sa non-conformité. Le Tribunal ordonnera donc de la réparer selon les règles de l’art, afin que la locataire puisse y accéder de façon sécuritaire.
[50] La locataire demande de plus que la porte de l’entrée principale soit déverrouillée de façon permanente, afin que les services d’urgence puissent y accéder plus rapidement. Elle reproche au concierge d’avoir pris trop de temps à ouvrir la porte aux ambulanciers lors de leur venue au logement, une nuit du mois de mai 2021.
[51] En l’instance, la locatrice indique verrouiller la porte de l’entrée commune pour la sécurité de l’immeuble et des locataires. Cet immeuble est situé dans un quartier où les activités nocturnes sont nombreuses.
[52] La locatrice ne manque pas à ses obligations contractuelles en verrouillant la porte de l’entrée commune. Par conséquent, cette demande est rejetée.
[53] Le Tribunal comprend l’inquiétude de la locataire et de son entourage. Toutefois, le bail ne prévoit pas de services spécifiques à ce sujet.
[54] Le Tribunal prend note que la locatrice a tenté d’accommoder la locataire en maintenant déverrouillée la porte durant la journée, alors que le concierge effectue la surveillance des lieux.
Diminution de loyer
[55] La diminution de loyer vise à évaluer la valeur objective de la perte locative subie par le locataire en raison de l'inexécution des obligations du locateur.
[56] Ainsi, pour obtenir une diminution de loyer, le locataire doit, par preuve prépondérante, prouver un défaut d'exécution des obligations du locateur ayant résulté en une perte réelle, sérieuse, significative et substantielle de jouissance des lieux.[5]
[57] Ce recours permet de rétablir l'équilibre dans la prestation de chacune des parties au bail. Lorsque le montant du loyer ne représente plus la valeur de la prestation des obligations du locateur parce que le locataire n'a plus la pleine et entière jouissance des lieux loués, le loyer doit être réduit en proportion de la diminution subie.
[58] En l’instance, la preuve prépondérante révèle que la locataire a été privée de la jouissance paisible des lieux par le bruit occasionné durant la nuit depuis l’arrivée du locataire au logement 207. Ce problème semble toutefois résolu, selon les dires mêmes de la locataire qui réussit maintenant à bien dormir dans sa chambre.
[59] La preuve révèle de plus que la locataire n’a pas eu la pleine jouissance de son balcon à cause des agissements du locataire du logement 2017, lequel crache sur son balcon et laisse tomber mégots et tisons.
[60] Une diminution de loyer globale de 500 $ sera donc accordée pour la période qui couvre l’envoi de la mise en demeure, le 2 mars 2021, jusqu’au moment de l’audience.
Dommages moraux
[61] Dans l'affaire Mirza-Rana c. Chowdhory[6], le Tribunal explique bien la distinction entre le recours en diminution de loyer et le recours en dommages-intérêts :
« Le recours en diminution de loyer doit être distingué de celui en dommages en ce qu'il ne participe pas des mêmes règles d'application. L'un vise à rétablir l'équilibre des prestations en évaluant la valeur objective de la perte locative subie et l'autre à compenser le préjudice subi (moral, matériel) ou à punir l'auteur d'un fait dommageable (dommage punitif).
L'attribution de dommages-intérêts compensatoires et l'évaluation des pertes subies obéissent aux règles générales du droit commun. Aussi, le tribunal doit considérer le lien de causalité qui existe entre la faute reprochée et les dommages réclamés.
Les dommages moraux visent à compenser les troubles, ennuis, inconvénients, la perte de jouissance de la vie, les douleurs et les souffrances psychologiques. »
[62] La locataire réclame 2 000 $ en dommages moraux pour le stress et les inconvénients subis.
[63] En l’instance, malgré l’envoi d’une mise en demeure, le 2 mars 2021, pour aviser de la perte de jouissance des lieux à cause du locataire voisin, la preuve démontre peu d’efforts de la locatrice pour veiller à ses obligations contractuelles. Aucune mise en demeure n’a été transmise au locataire dérangeant.
[64] La locataire n’est pas en mesure d’utiliser son balcon.
[65] Il en est ainsi de la réparation de la rampe d’accès pour les personnes à mobilité réduite. Bien qu’une mise en demeure soit transmise le 10 mai 2021, le problème n’était toujours pas résolu au jour de l’audience.
[66] La soussignée est ainsi convaincue des troubles et des inconvénients vécus par la locataire, laquelle a vécu stress et angoisse. Le Tribunal accordera donc, à titre de dommages moraux, la somme de 300 $.
[67] Finalement, le Tribunal accorde à la locataire les frais judiciaires de 98 $.
[68] Le Tribunal n’accorde pas l'exécution provisoire de la décision, malgré l'appel, non applicable en vertu de l'article 82.1 de Loi sur le Tribunal administratif du logement[7].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[69] CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire la somme de 500 $ à titre de diminution de loyer;
[70] CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire la somme de 300 $, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[71] ORDONNE à la locatrice de réparer la rampe d’accès des personnes à mobilité réduite, le tout devant être fait selon les règles de l'art, dans un délai de 60 jours à compter de la date à laquelle la présente décision deviendra exécutoire;
[72] CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire les frais judiciaires de 98 $;
[73] REJETTE la demande de la locataire quant au surplus.
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Pascale McLean | ||
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Présence(s) : | la locataire le mandataire de la locatrice | ||
Date de l’audience : | 30 septembre 2021 | ||
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[1] Pièce L-1. Il y a admission de la réception de la mise en demeure par le représentant de la locatrice.
[2] Pièce L-2. Le représentant de la locatrice admet l’avoir reçue.
[3] Froment c. 2319-4400 Québec inc.,
[4] Jobin, Pierre-Gabriel, Traité de droit civil, Le louage, 2e édition, 1996, Les Éditions Yvon Blais inc., p. 403-404.
[5] Baril c. Habitations Van Horne, R.D.L., 2009-10-08,
[6] R.L., Montréal, 31-110407-037 31 20110407G, 22 novembre 2013, j.a. Francine Jodoin.
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