Décision

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Développements Nelligan inc. c. Zerdane

2022 QCTAL 2513

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

566156 31 20210412 G

No demande :

3223304

 

 

Date :

03 février 2022

Devant la juge administrative :

Amélie Dion

 

Développements Nelligan Inc.

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Smail Zerdane

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Par un recours introduit le 12 avril 2021, la locatrice demande la résiliation du bail du locataire, l’éviction de tous les occupants et l’exécution provisoire malgré l’appel.

[2]         La locatrice allègue un défaut du locataire de se conformer à une décision rendue par le Tribunal leur demandant de respecter une entente hors cour.

[3]         Le locataire nie avoir fait défaut de respecter l’entente et d’avoir causé des bruits excessifs au logement.

[4]         La demande a été notifiée au locataire par l’huissier le 14 avril 2021.

LA QUESTION EN LITIGE

[5]         La locatrice a-t-elle démontré que le locataire ne respecte pas l’entente qu’il a conclue en novembre 2020, permettant au Tribunal de mettre fin au bail?

LE CONTEXTE

[6]         Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021 à un loyer mensuel de 745 $, incluant le stationnement.

[7]         Le logement est un quatre pièces et demie où habitent le locataire avec sa femme et ses trois enfants.

[8]         Le 27 juillet 2020, la locatrice introduit une demande de résiliation du bail du locataire et le 11 novembre 2020, les parties en viennent à une entente.

[9]         Le 12 avril 2021, la locatrice estime que le locataire n’a pas respecté cette entente entérinée par le Tribunal.


L’ANALYSE

[10]     Selon la locatrice, le locataire a fait défaut de respecter la clause numéro 2, soit éviter que les occupants du logement fassent des bruits excessifs. Cette entente prévoit ce qui suit :

(…)

Le préambule fait partie intégrante du présent accord;

2.     Le locataire s'engage à ne pas faire et à éviter que les autres occupants du logement fassent des bruits excessifs;

3.     Les parties s'engagent à signer le présent accord, au plus tard, le 2020­-11-12 avant midi;

4.     Les parties reconnaissent avoir lu le présent accord et en comprendre le sens et la portée;

5.     Les parties demandent et consentent à ce qu'un jugement soit rendu par le Tribunal en leur absence, entérinant le présent accord et ordonnant le locataire de se conformer à l'obligation stipulée au paragraphe 2, valable pour ce qui reste à courir du présent bail ainsi que ses renouvellements futurs, en vertu de l'article 1973 Code civil du Québec;

(…)

Les témoignages

[11]     Le locataire habite le logement 302 avec sa famille. La locataire du 202 habite directement sous le logement concerné avec ses deux filles. Elle ne témoigne pas lors de l’audience.

[12]     Sa fille aînée, laquelle a 28 ans et mariée, soutient vivre au logement avec sa mère et sa sœur depuis 2013. Le locataire nie qu’elle habite le logement, elle vit plutôt avec son mari et vient les visiter le soir.

[13]     Sa sœur cadette n’a pas témoigné lors de la preuve principale. Celle-ci est autorisée à témoigner en contre preuve, mais son témoignage n’apporte aucune preuve nouvelle ou non prévisible. Il s’agit plutôt d’une tentative de compléter une preuve déjà soumise.

[14]     Les locataires du logement 202 se plaignent du bruit provenant du logement de leurs voisins du logement 302. Les trois ou quatre enfants du logement courent sans arrêt. Elles témoignent étudier à temps plein et avoir besoin de calme.

[15]     Elle a remarqué les enfants du locataire jouant avec d’autres enfants, ils étaient sept ou huit enfants ensemble dans l’immeuble.

[16]     Sa mère est devenue malade puisqu’elle ne peut se reposer. Elle a plus de 63 ans et elle a de nombreuses migraines. Depuis 2020, les occupants font du bruit sans arrêt. Elle a tenté de leur demander de faire moins de bruit, mais ceux-ci leur répondent agressivement. Elle porte plainte à la gestion de l’immeuble.

[17]     Le locataire nie être agressif dans ses rapports avec ses voisins. Sa femme explique qu’elle n’agit pas non plus dans la confrontation. Elle tente de donner des explications.

[18]     La fille de la locataire au 202 précise que lorsque les enfants arrivent, la situation est comparable à une tempête. Ils courent pendant des heures et elle ne peut plus étudier.

[19]     De leur côté, les locataires témoignent qu’ils éduquent les enfants. Ceux-ci ont besoin de calme, mais ils ont aussi besoin de bouger. Dire qu’ils courent sans arrêt est faux. Ils vont à l’école et quittent les lieux pour la journée.

[20]     La femme du locataire déclare être impliquée dans l’éducation de ses enfants. Des activités sont prévues la fin de semaine, telles que le parc, la patinoire et la bibliothèque. Elle fait le récit détaillé des activités et du temps consacré à celles-ci.

[21]     Le locataire travaille de nuit et dort le jour. Il affirme que dès qu’il entre au logement, le matin, il est suivi par la locataire habitant le 202, laquelle frappe au plafond partout où il se rend.

[22]     La fille de la locataire, la plus jeune, est venue à plus d’une reprise au logement pour les aviser de faire moins de bruit. Le locataire témoigne essayer de diminuer le bruit, mais l’immeuble est mal isolé. Il ne sait pas en quoi ils font trop de bruit.


[23]     Les enfants de 5, 7 et 8 ans quittent le logement pour l’école vers 7 h 30 le matin et reviennent généralement vers 15 h 30. Ils prennent un repas et font leur devoir. Ils sont couchés vers 20 heures et au plus tard 21 heures.

[24]     Deux fois par semaine, ils rentrent tard, les enfants endormis, vers 22 heures, puisque leur mère a des cours le soir à l’extérieur de la ville.

[25]     Selon le locataire, la locatrice veut les voir partir, car ils sont une famille et il paie un loyer abordable. Il a refusé l’augmentation de 50 $ demandée. Il déclare faire son possible avec les enfants.

[26]     Le locataire déclare ne pas recevoir de visiteurs, sauf exceptions, car il travaille la nuit et dort le jour. Ils ont fait une exception pour la fête de leur fille le 29 mars 2021. Ils ont mangé une part de gâteau avec la sœur de sa femme et ses quatre enfants. La police est venue au logement. Ils ne croyaient pas que c’était interdit.

[27]     Généralement, les deux familles se rencontrent au parc. Il peut arriver qu’ils passent les prendre au logement.

[28]     La gestionnaire a habité le logement voisin des locataires, soit le 303, de 2011 à 2017. Elle admet ne pas avoir constaté de bruit au logement tout en affirmant qu’elle n’était pas souvent présente au logement.

[29]     Les plaintes des voisins du 202 débutent surtout avec la pandémie en 2020. Depuis, la gestionnaire ne cesse pas de recevoir des plaintes de la locataire du 202 au sujet des occupants du 302.

[30]     Elle reçoit des plaintes du logement 402 également, mais le locataire n’a pas témoigné.

[31]     Elle déclare qu’il y a énormément de tension entre les locataires du 302 et du 202. Elle ne peut plus gérer la situation, il y a trop de pression.

Les principes juridiques

[32]     La demande de la locatrice est fondée sur le non-respect du locataire à éviter de faire des bruits excessifs au logement et sur l’article 1973 du Code civil du Québec. Cet article prévoit ce qui suit :

« 1973. Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.

Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail. »

[33]     L’obligation de ne pas faire de bruits excessifs au logement découle de l’article 1860 C.c.Q. :

« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.

Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l’usage du bien ou l’accès à celui-ci.

Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »

(Le soulignement est du Tribunal)

[34]     Selon la Cour d’appel du Québec, dans l’affaire 9185-4000 Québec inc. c. Centre commercial Innovation inc.[1], le bruit généré peut être étudié à la lumière des principes prévus à l’article 976 du Code civil du Québec.

[35]     Cet article prévoit ce qui suit :

« 976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leur fonds, ou suivant les usages locaux. »


[36]     Sur l’appréciation de la limite de tolérance entre voisins, la Cour d’appel poursuit son explication sur ce qui doit être sanctionné :

« Ainsi, la jouissance normale des lieux s’apprécie selon les circonstances de l’affaire et la perception d’une personne raisonnable. De même, les inconvénients normaux du voisinage s’évaluent selon la nature, la situation ou les usages. Il faut en déduire que les colocataires doivent supporter le bruit et les inconvénients normaux du voisinage, sans cependant être obligés d’en subir les excès. Ce ne sont que les inconvénients qui présentent un caractère anormal et persistant qui doivent être sanctionnés. »[2]

(Le soulignement est du Tribunal)

[37]     D’entrée de jeu, le Tribunal précise que les inconvénients normaux découlant de la présence d'enfants doivent être acceptés. Il n’est pas anormal que des enfants bougent et jouent dans un logement.

[38]     Il s’agit de situations dont il faut s'accommoder lorsqu’on habite un immeuble à logements multiples, lorsqu'elles ne tombent pas dans l'excès et l'anormalité.

[39]     En mars 2020, la population du Québec se voit dans l’obligation de demeurer confinée. Bien que les visites soient interdites durant une certaine période, la cohabitation dans un immeuble se fait davantage sentir par ses occupants.

[40]     Bien que les gens doivent être davantage tolérants à l’égard des autres, le même critère demeure pour évaluer si une situation est problématique. S’agit-il de bruits excessifs et anormaux, lesquels doivent être sanctionnés?

[41]     La soussignée ne le croit pas.

[42]     La preuve ne démontre pas une situation où des parents ne se soucient pas des autres locataires de l’immeuble. Ils sont organisés et démontrent qu’ils sont préoccupés par l’éducation de leurs enfants. Ils font ce qui est nécessaire pour les faire bouger à l’extérieur du logement.

[43]     La locatrice et ses témoins n’ont pas convaincu la soussignée qu’ils ne respectent pas l’ordonnance d’éviter de faire du bruit excessif qu’ils ont accepté dans l’entente entérinée le 20 novembre 2020.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[44]     REJETTE la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Amélie Dion

 

Présence(s) :

Me Serge Laflamme, avocat de la locatrice

le locataire

Dates des audiences :

20 mai 2021 et 12 novembre 2021

 

 

 


 


[1] 9185-4000 Québec inc. c. Centre commercial Innovation 2016 QCCA 538. 

[2] Idem, par. 23.

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