Société en commandite Cap Reit c. Le Tarte |
2020 QCRDL 6439 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
153253 31 20140506 V |
No demande : |
2843900 |
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Date : |
24 février 2020 |
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Régisseures : |
Claudine Novello, juge administrative Francine Jodoin, juge administrative |
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Société en Commandite Capreit |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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Louise Le Tarte |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le 3 septembre 2019, le locateur demande au Tribunal de réviser la décision rendue en première instance le 19 août 2019, par la greffière spéciale Nathalie Bousquet. Il demande également le recouvrement des frais judiciaires encourus.
[2] Ce dossier a été entendu conjointement avec 29 dossiers identiques, concernant des locataires du même immeuble. Chacun des dossiers fera l’objet d’une décision distincte.
[3] Dans sa décision rendue le 19 août 2019, l’adjudicatrice de première instance conclut que le défaut du locateur de produire les baux commerciaux de l’immeuble, de donner accès aux locataires à ces documents et de leur permettre incidemment d’en obtenir une copie photographique constitue une entrave à leur droit à une défense pleine et entière. En l’absence de tels documents, les locataires sont dans l’impossibilité d’évaluer objectivement les revenus et dépenses de l’immeuble, et ultimement de contester les données présentées par le locateur dans son formulaire de renseignements nécessaires à la fixation de loyer (RN).
[4] Ainsi, considérant que les locataires sont privés de leur droit à une défense pleine et entière, considérant l’absence de preuve prépondérante quant aux revenus non résidentiels (pour la période de fixation concernée de 2014-2015) et considérant que le Tribunal est dans l’impossibilité de procéder au calcul de l’augmentation du loyer des logements dont on demande l’ajustement, la juge de première instance rejette l’ensemble des demandes de fixation produites par le locateur relativement aux locataires ici concernés.
[5] Au soutien de ses demandes en révision, dont celle concernant le présent dossier, le locateur invoque les motifs suivants :
« En date du 19 août 2019, la Greffière Spéciale Me Nathalie Bousquet, a rejeté la demande de fixation de la locatrice.
Cette décision est erronée puisque :
- En aucun temps, le droit des locataires à une défense pleine et entière n’a pas été compromis. Au contraire, la locatrice a laissé à tous les locataires 3 jours afin de consulter tous les documents préparés par une comptable agréée de même que toutes les factures justifiant la demande de fixation, qui plus est, tous les cartables étaient disponibles pour consultation lors de l’audition;
- La divulgation de la teneur des baux commerciaux aux locataires résidentiels dans le cadre d’une audition est totalement abusive et non pertinente puisque les informations demandées apparaissent dans les documents comptables;
- Également, la prétention de la locatrice est à l’effet que des documents financiers préparés par une comptable agréée attestant des revenus de l’immeuble répond aux exigences de la loi ainsi que du règlement. »
[6] La demande du locateur est fondée sur l’article
La révision a lieu suivant la procédure prévue par la section I. Le président de la Régie ou le vice-président qu'il désigne à cette fin détermine le nombre de régisseurs qui entendent la demande; ce nombre doit être supérieur au nombre de régisseurs ou de greffiers spéciaux ayant entendu la demande de fixation du loyer, de modification d'une autre condition du bail ou de révision du loyer.
Sauf si l'exécution provisoire est ordonnée, la demande de révision suspend l'exécution de la décision. Toutefois, la Régie peut, sur requête, soit ordonner l'exécution provisoire lorsqu'elle ne l'a pas été ordonnée. »
[7] Relativement au pouvoir de révision de la Régie du logement, les juges administratifs Adam, Laflamme et Talbot, dans l’affaire de Gestion Immobilière Langlois Inc c. Martine Brodeur, mentionnent ce qui suit :
« [7] Le législateur ne précise pas les motifs ni les considérations qui doivent conduire à réviser une décision. En ne prévoyant pas de restriction, le législateur confère un large pouvoir au présent Tribunal pour modifier ses propres décisions, lesquelles ne sont pas susceptibles d'appel.
[8] Dans l'arrêt Corporation municipale de St-Honoré c. La Commission de la protection du territoire agricole du Québec (3), le juge Baudoin examine l'étendue du pouvoir de révision de la CPTAQ et écrit :
« Le pouvoir d'un organisme administratif de revoir ses propres décisions (et donc en quelque sorte de siéger en appel de lui-même) est souvent autorisé par le législateur. Lorsque celui-ci, comme dans le présent cas, exige comme condition que cette révision soit "...pour cause...", c'est pour éviter l'arbitraire. G. Pépin et Y. Ouellette (1) s'expriment ainsi sur le sujet:
(1) Pépin et Ouellette, Principes de contentieux administratif, 2e éd., 1982, 222 et 223. Cowansville. Yvon Blais.
"Mais très souvent, la loi se contente d'autoriser la révision sans autre prévision ou de permettre la révision "pour cause". On ne voit pas alors de quel droit l'organisme administratif imposerait des restrictions au pourvoi en révision que le législateur n'a pas jugé bon de fixer. En pratique, les situations devraient constituer des causes de révision:
- l'ordonnance ou la décision est entachée d'une erreur sur une question de droit ou sur une question de faits ou de juridiction;
- l'ordonnance ou la décision est entachée d'une violation de la justice naturelle;
- des faits nouveaux, crédibles et pertinents ont eu lieu ou été connus depuis l'émission de l'ordonnance ou de la décision;
- l'ordonnance ou la décision soulève une importante question de principe."
Il semble en effet que le pouvoir en révision n'ait pas un rôle exclusivement curatif et qu'il vise aussi à introduire dans la gestion des services publics un élément de souplesse permettant des modifications de politique et la prise en considération de faits extérieurs à la décision initiale, à certaines conditions, notamment que l'administré n'en subisse pas de préjudice ou en soit indemnisé..."
Le pouvoir de révision n'est donc pas absolu ou totalement discrétionnaire et par voie de conséquence, pour exercer valablement cette compétence, la Commission doit se situer dans le cadre même du recours offert par la loi. L'appelante prétend qu'en l'instance il n'y avait aucune cause justifiant la révision puisque, d'après elle, aucune preuve n'a été faite d'un fait nouveau, pertinent, découvert postérieurement à la première décision et qui constituerait donc une "cause valable". »
[9] Dans cette affaire, même si la rédaction de la disposition étudiée prévoit la révision « pour cause », le Tribunal estime que les mêmes principes doivent s'appliquer en l'instance.
[10] Ainsi, pour réviser la décision attaquée, il doit être démontré que la juge de première instance a commis notamment une erreur sur une question de faits ou de droit. Autrement, il s'agirait d'un pouvoir de substituer de manière totalement discrétionnaire une première décision sur une interprétation de faits ou du droit par une deuxième décision tout aussi défendable. (4) »
[8] Lors de l’audience sur la demande de révision, le Tribunal retient que cinq des locataires concernés sont allés consulter les documents mis à leur disposition par le locateur. Toutefois, il appert qu’il était difficile pour de non-initiés de se retrouver parmi ces documents compliqués et volumineux. En résumé, il appert que la présentation des documents était loin d’être conviviale et qu’il leur était impossible avec les moyens dont ils disposaient de trouver des réponses sur les revenus et dépenses d’exploitation des locaux non résidentiels de l’immeuble.
[9] Il ressort de leur témoignage que ce qu’ils voulaient réellement était de connaître le loyer, les taxes et frais d’exploitation des locaux non résidentiels de l’immeuble. Ils ne souhaitaient pas a priori avoir copie des baux commerciaux dont, outre les données pertinentes au calcul de leur augmentation de loyer (RN), les autres clauses ne les concernaient pas et ne leur étaient d’aucune utilité.
[10] Ces données de ce que comprend le Tribunal du témoignage du locateur, étaient disponibles lors de l’audience et pouvaient être communiquées aux parties concernées lors de celle-ci. Qui plus est, la comptable agréée retenue par le locateur pour la préparation des états financiers était présente lors de l’audience afin d’expliquer les différentes sources de revenus de l’immeuble (résidentiels et non résidentiels) et dépenses assumées par le locateur. Cette dernière pouvait répondre à toutes les questions tant du Tribunal qu’en contre-interrogatoire des locataires et le cas échéant les référer aux documents pertinents.
[11] Malheureusement, il semble que le jour de l’audience, de ce que comprend le tribunal il y avait une grande confusion et incompréhension, de sorte que ni l’une ni l’autre des parties n’ont eu l’opportunité de s’exprimer. Dans ce contexte, les locataires n’ont pu expliquer au Tribunal et au locateur que ce qu’ils voulaient n’était pas des baux commerciaux comme tels, mais l’état des revenus, participation aux dépenses communes et dépenses d’exploitation des locaux non résidentiels dans un format accessible et convivial. Ils auraient voulu également que ce document leur soit remis avant l’audience sur la fixation, et ce, dans le but de préparer leur défense.
[12] Avec égards, n’eut été la confusion et l’imbroglio qui s’en est suivi, la greffière de première instance, si elle avait été mise au fait de ce que souhaitaient au final les locataires, aurait pu exiger du locateur qu’il leur communique ces documents lors de l’audience, et s’il y avait lieu, ajourner la séance pour leur permettre de compléter leur preuve ou formuler toute autre requête le cas échéant.
[13] En conclusion et considérant ce qui précède, le Tribunal estime qu’il était prématuré à ce stade pour la Greffière spéciale de première instance de rejeter la demande en fixation.
[14] En conséquence, le Tribunal conclut que la demande de révision est bien fondée et retourne le dossier devant un autre greffier spécial pour l’audition au mérite sur la demande du locateur en fixation de loyer.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL SIÉGEANT EN RÉVISION :
[15] ACCUEILLE la demande en révision de la décision rendue le 19 août 2019;
[16] ORDONNE à la Régie du logement de réinscrire la demande originaire du locateur en fixation de loyer pour enquête et audition au mérite devant un nouveau greffier spécial;
[17] Le locateur assume les frais judiciaires de sa demande.
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Claudine Novello
Francine Jodoin |
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Présence(s) : |
la mandataire du locateur Me Roxane Hardy, avocate du locateur |
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Date de l’audience : |
28 janvier 2020 |
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