Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Bonin c. Procureure générale du Québec

2018 QCCS 4229

JK0261

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° : 500-17-097463-171

 

DATE :

1er octobre 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

PETER KALICHMAN, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

ROBERT BONIN

Demandeur

c.

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

Défenderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

BARREAU DU QUÉBEC

et

CHAMBRE DES NOTAIRES

Mis en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT DÉCLARATOIRE

______________________________________________________________________

 

I.      L’APERÇU

[1]           Lors de la plus récente réforme du Code de procédure civile[1] (C.p.c.), certaines dispositions sont adoptées dont l’effet est de conférer aux notaires le pouvoir d’accomplir des actes autrefois réservés aux avocats. Me Robert Bonin, un avocat exerçant en droit matrimonial, soutient que l’adoption des articles 86, 303 (7), 303 in fine et 415 C.p.c. (les Dispositions du C.p.c.) étend illégalement aux notaires certaines prérogatives réservées aux avocats.

[2]           Au cœur de la demande de Me Bonin se trouve l’article 303(7) C.p.c. qui confère aux notaires le droit de présenter à la Cour une demande conjointe sur projet d’accord qui règle les conséquences de la séparation de corps, du divorce ou de la dissolution de l’union civile des conjoints (la Demande conjointe sur projet d’accord).  Me Bonin soutient qu’il est du ressort exclusif de l’avocat de rédiger la Demande conjointe sur projet d’accord et de plaider ou d’agir devant tout tribunal.

[3]           Me Bonin demande à la Cour de déclarer que les Dispositions du C.p.c. sont sans effet et inopérantes en raison d’un conflit entre les lois régissant les professions d’avocats et de notaires, soit la Loi sur le Barreau et la Loi sur le notariat.

[4]           Dans l’alternative, Me Bonin demande à la Cour de déclarer que les articles 86, 303 (7) et 415 C.p.c. sont inconstitutionnels et, de ce fait, inopérants et sans effet en matière de divorce. Selon Me Bonin, le législateur québécois a outrepassé ses pouvoirs constitutionnels en légiférant sur le divorce, soit un domaine qui est du ressort exclusif du législateur fédéral.

[5]           La défenderesse, la Procureure Générale du Québec, et les mis en cause, le Barreau du Québec et la Chambre des notaires, s’opposent à la demande de Me Bonin. Ils soutiennent qu’il n’y a aucun conflit de lois entre les Dispositions du C.p.c. d’un côté, et la Loi sur le Barreau et la Loi sur le notariat de l’autre. Par ailleurs, ils plaident que s’il existe un conflit, ce sont les Dispositions du C.p.c. qui doivent prévaloir. Finalement, ils soutiennent que les Dispositions du C.p.c. sont de compétence provinciale et sont constitutionnelles[2].

[6]           Pour trancher le litige, le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :

(a)          Existe-t-il un conflit de lois entre le C.p.c., la Loi sur le Barreau et la Loi sur le notariat qui doit être résolu en déclarant sans effet et inopérantes les Dispositions du C.p.c.?

(b)          Est-ce que les articles 86, 303 (7) et 415 C.p.c. sont inconstitutionnels en matière de divorce?

[7]           Avant d’aborder les questions en litige, il conviendrait de : (i) tracer l’historique de la Demande conjointe sur projet d’accord avant l’adoption des Dispositions du C.p.c.; et (ii) résumer les Dispositions du C.p.c. ainsi que d’autres dispositions reliées.  

 

(i)    La situation avant l’adoption des Dispositions du C.p.c.

[8]           Ce n’est pas la première fois que les tribunaux sont appelés à déterminer si la Demande conjointe sur projet d’accord est du ressort exclusif des avocats.

[9]           En 1984, la Cour supérieure tranchait cette question dans Barreau du Québec c. Chambre des notaires du Québec (la Décision 1984)[3]. Le juge Benoit a déclaré que la Demande conjointe sur projet d’accord constituait une procédure contentieuse qui était du ressort exclusif des avocats[4]. Il a également déclaré que « le fait pour des notaires en exercice de préparer et rédiger une telle procédure, de la présenter devant le Tribunal et d’y agir et assister les parties concernées »[5] constituait un exercice illégal de la profession d’avocat.

[10]        La Décision 1984 fut portée en appel. Toutefois, étant donné que le législateur avait apporté des modifications substantielles à certaines dispositions du Code civil  du Bas-Canada, la Cour d’appel a rejeté l’appel sans se prononcer sur les motifs de la Décision 1984[6].

[11]        La question fut soumise de nouveau à la Cour supérieure en 1992 dans l’affaire Barreau du Québec c. Chambre des notaires (la Décision 1992) [7]. Le juge Crépeau a accueilli en partie la demande du Barreau et a conclu que la Demande conjointe sur projet d’accord était une procédure de nature contentieuse.  Le fait pour des notaires de préparer et de rédiger de telles procédures, « de les présenter devant le Tribunal, d’y agir et d’y assister les parties concernées[8], » constituait, selon lui, un exercice illégal de la profession d’avocat, tel que circonscrit par la Loi sur le Barreau.

[12]        La Décision 1992 n’a jamais été portée en appel et a été respectée par la Chambre des notaires et ses membres.

(ii)   Résumé des Dispositions du C.p.c. et d’autres dispositions reliées

[13]        Les Dispositions du C.p.c. sont en vigueur depuis le 21 février 2014, à l’exception de l’article 303(7) C.p.c., qui est entré en vigueur trois ans plus tard.

[14]        Par sa référence à la Loi sur le notariat, l’article 86 C.p.c. prévoit le droit des notaires d’agir devant les tribunaux pour représenter des clients dans le cadre de procédures non contentieuses. Ce droit était déjà reconnu dans l’ancien Code de procédure civile[9].

86. Le droit d’agir devant les tribunaux pour y représenter une personne est réservé aux avocats. Les notaires peuvent cependant agir dans une procédure non contentieuse et dans les autres cas prévus au paragraphe 7 de l’article 15 de la Loi sur le notariat (chapitre N-3).

                                                                                      [Souligné par le Tribunal]

[15]        Le paragraphe 7 de l’article 15 de la Loi sur le notariat est ainsi rédigé:

15. Sous réserve des dispositions de l’article 16, nul autre qu’un notaire ne peut, pour le compte d’autrui:

(...)

7°  représenter des clients dans toute procédure non contentieuse, préparer, rédiger ou présenter pour ceux-ci les demandes s’y rapportant de même que les demandes non contestées en matière d’adoption, en reconnaissance judiciaire du droit de propriété ou qui se rapportent à un partage volontaire de biens ou encore celles relatives à l’acquisition du droit de propriété par prescription ou encore celles en inscription sur le registre foncier ou sur le registre des droits personnels et réels mobiliers ou en rectification, en réduction ou en radiation d’une inscription sur l’un ou l’autre de ces registres, ou en annulation d’une inscription ou du dépôt d’une déclaration au registre visé au chapitre II de la Loi sur la publicité légale des entreprises (chapitre P-44.1) ou en rectification ou suppression d’une information inexacte apparaissant à ce registre.

                                                                          [Souligné par le Tribunal]                    

[16]        L’article 302 C.p.c. prévoit les circonstances dans lesquelles une demande est traitée selon la procédure non contentieuse :

302. Les demandes sont traitées, en l’absence de litige, suivant la procédure non contentieuse.

Il en est ainsi lorsque la loi exige qu’en raison de la nature de l’acte ou de la qualité du demandeur, que les demandes soient soumises au contrôle des tribunaux pour que ceux-ci approuvent ou autorisent un acte, habilitent une personne à agir, approuvent ou homologuent une décision ou un acte ou constatent un fait ou une situation juridique et en fixent les conséquences ou encore, lorsque la loi exige que soit ainsi traitées d’autres demandes.

[17]        À l’article 303 C.p.c., le législateur dresse une liste non-exhaustive des demandes qui sont traitées suivant la procédure non contentieuse, dont la Demande conjointe sur projet d’accord et la demande d’exemption ou de suspension de l’obligation de verser la pension alimentaire et les arrérages au ministre du Revenu (la Demande d’exemption).

303. Sont traitées suivant la procédure non contentieuse les demandes qui concernent notamment :

1°   l’autorisation de consentir aux soins non requis par l’état de santé d’une personne âgée de moins de 14 ans ou inapte à consentir ou à l’aliénation d’une partie du corps d’un mineur ou d’un majeur inapte ;

2°   le jugement déclaratif de décès, la vérification des testaments, l’obtention de lettres de vérification et, en matière de succession, la liquidation et le partage ;

3°   la modification du registre de l’état civil ;

4°   la tutelle à l’absent ou au mineur, l’émancipation du mineur, ainsi que le régime ou le mandat de protection du majeur ;

5°   la nomination, la désignation ou le remplacement de toute personne qui doit, selon la loi, être fait par le tribunal, d’office ou à défaut d’entente entre les intéressés, ainsi que les demandes de cette nature en matières de tutelle au mineur, de régime de protection des majeurs, de succession et d’administration du bien d’autrui ;

6°   le placement et l’adoption de l’enfant ainsi que l’attribution du nom de l’adopté ;

7°   la demande conjointe sur projet d’accord qui règle les conséquences de la séparation de corps, du divorce ou de la dissolution de l’union civile des conjoints ;

8°   l’administration d’un bien indivis, d’une fiducie ou du bien d’autrui ;

9°   l’acquisition du droit de propriété d’un immeuble par prescription ;

10°   l’inscription ou la rectification, la réduction ou la radiation d’une inscription sur le registre foncier ou le registre des droits personnels et réels mobiliers ;

11°   la délivrance d’actes notariés ou le remplacement et la reconstitution d’écrits.

 

 

Le sont aussi les demandes d’exemption ou de suspension de l’obligation de verser la pension alimentaire et les arrérages au ministre du Revenu si les parties remplissent les conditions prévues aux articles 3 et 3.1 de la Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires (chapitre P-2.2).

                                                                                      [Souligné par le Tribunal]

[18]        Cette liste englobe pour l’essentiel les demandes considérées comme des matières non contentieuses selon l’ancien Code de procédure civile[10]. Toutefois, à l’époque, la Demande conjointe sur projet d’accord et la Demande d’exemption n’étaient pas spécifiquement incluses.

[19]        Le législateur a suspendu l’entrée en vigueur de l’article 303(7) jusqu’au 21 février 2017 pour permettre au Barreau du Québec et à la Chambre des notaires de régler certaines difficultés à propos de cette nouvelle disposition[11].  Un comité conjoint des deux ordres professionnels a été mis sur pied afin de planifier la mise en œuvre de l’article 303 (7) C.p.c. dans une « perspective pratique » et de répondre aux questions déontologiques que soulèvera sa mise en application[12].

[20]        L’article 415 C.p.c. prévoit que le Tribunal peut, lorsqu’il statue sur une entente en matière familiale, convoquer et entendre les parties en présence de leur avocat ou, le cas échéant, leur notaire.

415. Chaque fois qu’il statue sur une entente en matière familiale, le tribunal s’assure que le consentement de chacune des parties a été donné sans contrainte et que l’entente préserve suffisamment l’intérêt des parties et des enfants et le respect de leurs droits.

Il peut, à ces fins, convoquer et entendre les parties, même séparément, en présence de leurs avocats ou, le cas échéant, du notaire qui présente la demande conjointe sur projet d’accord.

[21]        Enfin, il est important de noter que dès qu’une demande traitée suivant la procédure non contentieuse est contestée, elle doit alors être continuée suivant la procédure contentieuse[13] où seul un avocat peut représenter une partie[14].

 

II.     ANALYSE

(a)  Existe-t-il un conflit de lois entre le C.p.c., la Loi sur le Barreau et la Loi sur le notariat qui doit être résolu en déclarant sans effet et inopérantes les Dispositions du C.p.c.?

[22]        Selon Me Bonin, le Tribunal est lié par la Décision 1992 et, plus particulièrement, par la conclusion du juge Crépeau selon laquelle la Demande conjointe sur projet d’accord est une procédure de nature contentieuse qui est du ressort exclusif des avocats. Me Bonin soutient que le législateur ne pouvait transformer la nature contentieuse de la Demande conjointe sur projet d’accord en la plaçant dans le C.p.c. sous le titre « la procédure non contentieuse ».  Selon lui, la seule façon d’étendre ce pouvoir aux notaires aurait été de modifier la Loi sur le Barreau ou la Loi sur le notariat. Or, depuis la Décision 1992, les articles pertinents desdites lois n’ont jamais été modifiés.  

[23]        Même si le Tribunal arrivait à la conclusion qu’il n’était pas lié par la Décision 1992, Me Bonin soutient que le raisonnement du juge Crépeau tient toujours et devrait être suivi.  Il plaide que la Demande conjointe sur projet d’accord ne peut être une procédure non contentieuse puisque les parties, malgré leur entente, sont en litige et que le jugement qui en résulterait ne peut avoir l’autorité de la chose jugée. 

[24]        Selon Me Bonin, puisque la Demande conjointe sur projet d’accord demeure une matière contentieuse, il existe un conflit de lois entre les Dispositions du C.p.c., la Loi sur le Barreau et la Loi sur le notariat.  Plus particulièrement, présenter un projet d’accord au tribunal implique que l’on soutient la validité et la conformité de ce projet, ce qui équivaut à plaider ou agir devant le tribunal, actes qui sont réservés aux avocats.

[25]        Enfin, Me Bonin soutient que la Loi sur le Barreau et la Loi sur le notariat sont des lois particulières et qu’en cas de conflit avec les dispositions d’une loi de portée générale, tel le C.p.c., la loi particulière l’emporte sur la loi générale. Ainsi, conclut-il, le Tribunal devrait déclarer que les Dispositions du C.p.c. sont inopérantes et sans effet.

[26]        Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas de conflit de lois entre le C.p.c., la Loi sur le Barreau et la Loi sur le notariat.

[27]        Tout d’abord, la Demande conjointe sur projet d’accord ne constitue pas une procédure contentieuse.  Le législateur le spécifie clairement et, suivant la Loi constitutionnelle de 1867[15], il a le pouvoir de déterminer le cheminement procédural que doit suivre une demande à la Cour.  Ainsi, le législateur québécois a le pouvoir de déterminer quelles demandes seront traitées suivant la procédure non contentieuse.

[28]        Bien que la question devant le juge  Crépeau est similaire à la présente, l’analyse est fort différente.  Le juge Crépeau, comme le juge Benoit, a déterminé que si le législateur avait voulu reconnaître la compétence du notaire de présenter les Demandes conjointes sur projet d’accord, il l’aurait spécifié[16]. Or, c'est précisément ce que le législateur a fait avec l'adoption de l'article 303 (7) C.p.c. Le Tribunal n’a donc pas à déterminer si une telle demande répond aux critères de la matière non contentieuse.

[29]        De plus, tandis que le juge Crépeau ne bénéficiait pas d’une définition du législateur de l’expression « non contentieuse »[17], le nouvel article 302 C.p.c., en fournit une :

302. Les demandes sont traitées, en l’absence de litige, suivant la procédure non contentieuse.

Il en est ainsi lorsque la loi exige qu’en raison de la nature de l’acte ou de la qualité du demandeur, que les demandes soient soumises au contrôle des tribunaux pour que ceux-ci approuvent ou autorisent un acte, habilitent une personne à agir, approuvent ou homologuent une décision ou un acte ou constatent un fait ou une situation juridique et en fixent les conséquences ou encore, lorsque la loi exige que soit ainsi traitées d’autres demandes.

                                                                                      [Souligné par le Tribunal]

[30]        Une demande est donc traitée suivant la procédure non contentieuse lorsque la loi l’exige et lorsqu’il n’y a pas de litige.   Avec l’adoption de l’article 303 (7) C.p.c., le législateur exige dorénavant que la Demande conjointe sur projet d’accord soit traitée suivant cette procédure.

[31]        Bien que le terme « absence de litige » puisse donner lieu à des interprétations différentes, le Tribunal n’a pas à identifier les circonstances dans lesquelles la Demande conjointe sur projet d’accord pourrait devenir litigieuse. Dans le même ordre d’idées, le Tribunal n’a pas à définir les termes « représentations » ou « agir » par opposition au mot « plaider », ou à résoudre tous les problèmes potentiels de nature déontologique que la mise en application des Dispositions du C.p.c. peut entrainer.  

[32]        Pour disposer de la demande de Me Bonin, il suffit de constater l’intention claire du législateur de traiter les Demandes conjointes sur projet d’accord suivant la procédure non contentieuse.   Dès lors, il n’y a pas de conflit entre les Dispositions du C.p.c., la Loi sur le Barreau et la Loi sur le notariat.

[33]        Par ailleurs, l’application des règles d’interprétation en matière de conflit de lois mène le Tribunal à la même conclusion.

[34]        Tel que l’explique la Cour suprême dans Lévis c. Fraternité des policiers de Lévis, « le point de départ de toute analyse d’un conflit de lois est qu’il existe une présomption de cohérence législative[18] ». Ainsi, toute interprétation qui donne lieu à un conflit doit être évitée dans la mesure du possible. À l’inverse, « toute interprétation qui permet d’éviter les conflits de lois doit être favorisée, car on présume qu’elle a plus de chances de refléter la volonté du législateur rationnel »[19].

[35]        Interpréter le C.p.c. comme voulant dire que la Demande conjointe sur projet d’accord est traitée suivant la procédure non contentieuse, permet une lecture harmonieuse des dispositions du C.p.c., de la Loi sur le Barreau et de la Loi sur le notariat.

[36]        Le droit « exclusif » de l’avocat de « plaider ou agir devant tout tribunal », tel que prévu à l’article 128(2)a de la Loi sur le Barreau, n’est pas absolu. L’article 129 de la Loi prévoit qu’aucune des dispositions de l’article 128 ne limite ou restreint « les droits spécifiquement définis et donnés à toute personne par toute loi d’ordre public ou privé ». Or, l’article 86 C.p.c., en incorporant une référence à l’article 15(7) de la Loi sur le notariat, prévoit spécifiquement le droit des notaires d’agir dans une procédure non contentieuse.

[37]        Par conséquent, les Dispositions du C.p.c. et surtout l’article 303 (7) C.p.c., s’accordent avec la Loi sur le Barreau et la Loi sur le notariat.

[38]        De plus, les Dispositions du C.p.c. s’intègrent aux objectifs du C.p.c. tels qu’énoncés dans la disposition préliminaire :

(...)

Le Code vise à permettre, dans l’intérêt public, la prévention et le règlement des différends et des litiges, par des procédés adéquats, efficients, empreints d’esprit de justice et favorisant la participation des personnes. Il vise également à assurer l’accessibilité, la qualité et la célérité de la justice civile, l’application juste, simple, proportionnée et économique de la procédure et l’exercice des droits des parties dans un esprit de coopération et d’équilibre, ainsi que le respect des personnes qui apportent leur concours à la justice.

[39]        En prévoyant que la Demande conjointe sur projet d’accord est traitée suivant la procédure non contentieuse, le législateur vise à assurer un processus plus simple et plus efficace pour les parties.  Avant 2014, les conjoints pouvaient retenir les services d’un notaire pour la préparation d’un projet d’entente réglant les conséquences juridiques de leur vie commune. Toutefois, ce dernier ne pouvait pas préparer ou présenter la demande conjointe. Depuis la réforme du C.p.c., un notaire peut suivre le dossier du début jusqu’à la fin.

[40]        Dans ses commentaires sur l’ajout de la Demande conjointe sur projet d’accord à la liste des demandes traitées suivant la procédure non contentieuse, le Ministre de la justice indique :

 (…) S’ajoute à l’énumération, en matière matrimoniale, la demande conjointe sur projet d’accord qui règle les conséquences d’une séparation ou de la dissolution d’une union. Cette approche, fondée sur le souci de simplification et d’accessibilité à la justice, offre aux conjoints, qui bien souvent ont réglé les aspects juridiques de leur fin de vie commune entre eux ou avec un notaire, la possibilité de poursuivre leur dossier avec ce même juriste dans un environnement juridique moins rigide où, l’acte étant non contentieux, le notaire est habilité à agir en raison des articles 86 et 87.[20]

[41]        Bref, les Dispositions du C.p.c., jumelées aux commentaires du Ministre de la justice, contiennent l’expression claire de l’intention du législateur.  Il n’existe aucun conflit entre ces dispositions, la Loi sur le Barreau et la Loi sur le notariat.  Il y a lieu maintenant d’analyser la question constitutionnelle.

(b)  Est-ce que les articles 86, 303 (7) et 415 C.p.c. sont inconstitutionnels en matière de divorce?

[42]        Me Bonin soutient qu’en adoptant les articles 86, 303 (7) et 415 C.p.c., le législateur québécois légifère en matière de divorce, un champ de compétence qui relève exclusivement du Parlement.  Selon lui, ces dispositions sont en conflit avec l’article 9 de la Loi sur le divorce[21], lequel confère exclusivement à l’avocat certains devoirs dont celui d’attester de la conformité d’une demande de divorce.  Or, ajoute-t-il, si le législateur fédéral avait voulu que les notaires soient habiles à accomplir ces actes, il l’aurait spécifié.

[43]        Selon Me Bonin, en habilitant les notaires à présenter les Demandes conjointes sur projet d’accord sans avoir au préalable obtenu la modification à cet effet de la Loi sur le divorce, le législateur québécois a outrepassé ses pouvoirs constitutionnels. Par conséquent, il demande de faire déclarer inconstitutionnels, inopérants et sans effet les articles 86, 303 (7) et 415 C.p.c., en matière de divorce. 

[44]        Le Tribunal ne partage pas ce point de vue.

[45]        Lorsque la validité d’une loi est attaquée eu égard au partage des compétences, le Tribunal doit d’abord analyser le « caractère véritable » de la législation contestée[22].

[46]        Si le Tribunal conclut que le caractère véritable de la législation ne se rattache pas à une matière qui relève de la compétence de la législature qui l’a adoptée, elle sera déclarée invalide.  Dans le cas contraire, la législature a respecté le cadre de ses pouvoirs et la législation est déclarée intra vires[23].

[47]        Une loi intra vires peut toucher des matières qui ne sont pas de la compétence de la législature qui l’a adoptée sans être inconstitutionnelle. Cependant, les tribunaux doivent parfois intervenir pour protéger la compétence d’un gouvernement contre les empiètements d’un autre. Pour assurer cette protection, diverses doctrines constitutionnelles ont été élaborées[24].

[48]        Me Bonin ne réfère à aucune doctrine constitutionnelle en particulier, mais ses arguments s’accordent à celle de la prépondérance fédérale. Cette doctrine permet de sortir de l’impasse créée lorsqu’une loi provinciale entre en conflit avec une loi fédérale.  Ainsi, lorsqu’il est impossible de respecter les deux lois ou lorsqu’il est possible de les respecter mais que l’application de la loi provinciale est incompatible avec l’objet de la loi fédérale[25], la loi fédérale doit prévaloir.

[49]        Dans un premier temps, il faut déterminer le caractère véritable des articles 86, 303 (7) et 415 C.p.c.

[50]        Bien que ces articles touchent le domaine du divorce, ce n’est que de façon accessoire.  L’essence de ces dispositions est la réglementation des professionnels autorisés à agir dans le cadre des procédures non contentieuses, et particulièrement la Demande conjointe sur projet d’accord.  Ainsi, leur caractère véritable se rapporte à l’administration de la justice, ce qui relève de la compétence provinciale[26].

[51]        Les articles 86, 303 (7) et 415 C.p.c. sont donc intra vires la législature québécoise. Sont-ils en conflit avec la Loi sur le divorce?  Comme c’est Me Bonin qui invoque le conflit, c’est à lui d’en faire la démonstration[27].   

[52]        Selon Me Bonin, l’utilisation du terme « avocat » dans la version française de l’article 9 de la Loi sur le divorce démontre l’intention du législateur fédéral de restreindre à ce groupe professionnel la capacité de représenter des parties dans le cadre d’un divorce.  Il soutient que la décision de ne pas inclure les notaires est délibérée.

[53]        Le Tribunal estime qu’il n’y a aucun conflit entre les articles 86, 303 (7) et 415 C.p.c. et l’article 9 de la Loi sur le Divorce.

 

[54]         L’article 9 de la Loi sur le divorce est ainsi rédigé :

 

Devoirs de l’avocat

 

9 (1) Il incombe à l’avocat qui accepte de représenter un époux dans une action en divorce, sauf contre-indication manifeste due aux circonstances de l’espèce :

a) d’attirer l’attention de son client sur les dispositions de la présente loi qui ont pour objet la réalisation de la réconciliation des époux;

b) de discuter avec son client des possibilités de réconciliation et de le renseigner sur les services de consultation ou d’orientation matrimoniales qu’il connaît et qui sont susceptibles d’aider les époux à se réconcilier.

 

Idem.

 

(2) Il incombe également à l’avocat de discuter avec son client de l’opportunité de négocier les points qui peuvent faire l’objet d’une ordonnance alimentaire ou d’une ordonnance de garde et de le renseigner sur les services de médiation qu’il connaît et qui sont susceptibles d’aider les époux dans cette négociation.

 

 

 

Attestation

 

3) Tout acte introductif d’instance, dans une action en divorce, présenté par un avocat à un tribunal doit comporter une déclaration de celui-ci attestant qu’il s’est conformé au présent article.

 

 

Duty of legal adviser Devoirs de l’avocat

 

9 (1) It is the duty of every barrister, solicitor, lawyer or advocate who undertakes to act on behalf of a spouse in a divorce proceeding

(a) to draw to the attention of the spouse the provisions of this Act that have as their object the reconciliation of spouses, and

(b) to discuss with the spouse the possibility of the reconciliation of the spouses and to inform the spouse of the marriage counselling or guidance facilities known to him or her that might be able to assist the spouses to achieve a reconciliation, unless the circumstances of the case are of such a nature that it would clearly not be appropriate to do so.

 

 

Idem

 

(2) It is the duty of every barrister, solicitor, lawyer or advocate who undertakes to act on behalf of a spouse in a divorce proceeding to discuss with the spouse the advisability of negotiating the matters that may be the subject of a support order or a custody order and to inform the spouse of the mediation facilities known to him or her that might be able to assist the spouses in negotiating those matters.

 

Certification

 

(3) Every document presented to a court by a barrister, solicitor, lawyer or advocate that formally commences a divorce proceeding shall contain a statement by him or her certifying that he or she has complied with this section.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[55]        Contrairement aux articles 86, 303 (7) et 415 C.p.c., l’article 9 de la Loi sur le divorce ne vise pas à déterminer quel professionnel est autorisé à agir en matière de divorce.  Son objectif est plutôt de protéger les époux en imposant à leurs représentants, quels que soient leur titres, certains devoirs de conseils et d’information.

[56]        Même si la version française de l’article 9 de la Loi sur le divorce ne réfère qu’à l’avocat, la version anglaise, qui a la même force, emploie les mots « barrister, solicitor, lawyer or advocate ». Les deux versions doivent être interprétées dans le contexte de l’objet de la disposition[28]. Or, l’objet de la disposition est de protéger les époux en s’assurant qu’ils soient bien informés et non pas de déterminer quels professionnels peuvent agir devant les tribunaux. Dans ce contexte, le Tribunal conclut que le législateur n’avait pas l’intention d’exclure le notaire.  Au contraire, l’article 9 de la Loi sur le divorce reconnait la possibilité qu’un époux puisse être représenté par un professionnel autre qu’un avocat. Une telle interprétation cadre bien avec le pouvoir des provinces de déterminer qui est autorisé à agir devant les tribunaux.

[57]        Finalement, bien que le « notaire » ne soit pas explicitement inclus dans le texte de l’article 9 de la Loi sur le Divorce, la Cour suprême reconnait que le rôle du notaire à titre de conseiller juridique est « très similaire » à celui du « solicitor » des provinces de common law[29]

[58]        En conclusion, les articles 86, 303 (7) et 415 C.p.c. ne sont pas en conflit avec la Loi sur le divorce et leur application n’empêche pas la réalisation de l’objectif de cette loi. Par conséquent, l’argument constitutionnel de Me Bonin doit échouer.

POUR CES MOTIFS, LA COUR:

REJETTE la Demande introductive d’instance en jugement déclaratoire;

AVEC frais de justice.

 

__________________________________

PETER KALICHMAN, j.c.s.

 

Me Réjean Kingsbury

Talbot Kingsbury Inc.

Avocat du demandeur

 

 

Me Éric Cantin

Ministère de la justice (DGAJLAJ)

Avocat du défendeur Procureur Général du Québec

 

 

Me Sylvie Champagne

Me André-Philippe Mallette

Barreau du Québec

Avocats du mis en cause Barreau du Québec

 

 

Me Nicolas Plourde

Me François Le Moine

Sarrazin Plourde s.a.

Avocats de la mise en cause Chambre des notaires

 

Dates d’audience :

28 et 29 novembre 2017

 



[1]     RLRQ, c. C-25.01.

[2]     À l’audience, les parties ont choisi de ne plus contester l’opportunité de procéder par jugement déclaratoire vu l’intérêt public en jeu.

[3]     [1984] R.D.J. 139 (QCCS).

[4]     Id., par. 99.

[5]     Id., par. 100.

[6]     Chambre des notaires du Québec c. Barreau du Québec, [1988] CanLII 921 (QCCA).

[7]     [1992] R.D.J. 1054 (QCCS).

[8]     Id, par. 251.

[9]     RLRQ, c. C-25, art. 62.

[10]    RLRQ, c. C-25, articles 804, 862 et 885.

[11]    Québec, Assemblée Nationale, Journal des débats de la Commission des Institutions, 40e législature, 1re session, 14 février 2014, « Étude détaillé du projet de loi no 28 » - Loi instituant le nouveau Code de procédure civile ».

[12]    Déclaration sous serment de la bâtonnière Claudia Prémont, 20 février 2017, par. 6.

[13]    Art. 304 C.p.c.

[14]    Art. 87 C.p.c.

[15]    Article 92(14).

[16]    Décision 1984, préc. note 3, par. 69 et Décision 1992, préc. note 7, paragraphes 160 et 161.

[17]    Préc., note 6, p. 53.

[18]    [2007] CSC 14, parag. 47.

[19]    Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Thémis, 2009, par. 1296 (« P-A Côté »).

[20]    Commentaires de la ministre de la Justice, Code de procédure civile, Ch. C-25.01, 2015, art. 303.

[21]    L.R.C. 1985, c. 3 (2e suppl.).

[22]    Renvoi relatif à la Loi anti-inflation [1976] 2 R.C.S. 373, p. 450.

[23]    Banque Canadienne de l’Ouest c. Alberta, [2007] 2 R.C.S. 3, p. 27.

[24]    Alberta (Procureur général) c. Moloney, [2015] 3 R.C.S. 327, par. 16. (« Moloney »).

[25]    Id., par. 18.

[26]    Article 92 (14) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[27]    Moloney, préc., note 24, par. 27.

[28]    Bell Express Vu Limited Partnership v. Rex [2002] 2. S. C. R. 559, par. 26.

[29]    Canada (P.G.) c. Chambre des notaires, [2016] CSC 20, par. 43.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.