Boujemaa c. Nouar | 2024 QCTAL 17825 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Longueuil | ||||||
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No dossier : | 763453 37 20240206 T | No demande : | 4292563 | |||
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Date : | 23 mai 2024 | |||||
Devant le juge administratif : | Philippe Morisset | |||||
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Mohamed Boujemaa |
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Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Mohamed Nouar |
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Locateur - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Par une demande introduite le 25 avril 2024, le locataire recherche la rétractation de la décision rendue le 22 mars 2024 par la juge administrative Danielle Deland.
[2] Au soutien de sa demande, il allègue ne pas avoir reçu l’avis de convocation pour l’audience tenue le 14 mars 2024, ce qui explique son absence à l’audience.
CONTEXTE
[3] Les parties étaient liées par un bail pour la période du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024 au loyer mensuel de 1 025 $.
[4] Le 6 février 2024, le locateur introduit contre le locataire une demande en recouvrement de loyer[1].
[5] Relativement à la notification de cette demande au locataire, le locateur a produit un rapport de preuve de notification du logiciel « Pronotif »[2].
[6] Selon ce rapport de notification, une copie PDF de la demande a été envoyée au locataire par courriel à l’adresse suivante, soit : [...]@yahoo.fr[3].
[7] Toujours selon ce rapport de notification, le courriel contenant la demande a été envoyé et transmis avec succès le 12 février 2024[4].
[8] De plus, le rapport de notification mentionne que le message a été ouvert par le destinataire le même jour[5].
[9] Pourtant, le locataire témoigne ne pas avoir reçu la notification de la demande le 12 février 2024. Il confirme toutefois que l’adresse courriel indiquée sur le rapport de notification est exacte.
[10] Le 5 février 2024, le locataire remet un avis d’abandon du logement au locateur[6]. Cet avis mentionne qu’il quittera le logement le 9 février 2024.
[11] Dans les faits, le locataire a quitté le logement le 10 février 2024.
[12] Il explique qu’il n’était pas informé que le locateur avait introduit une demande contre lui et qu’ayant quitté le logement le 10 février 2024, il n’a pas reçu l’avis d’audience.
[13] C’est lors d’un rendez-vous au Tribunal pour déposer une demande contre le locateur, qu’il apprend qu’un jugement a été rendu contre lui en date du 22 mars 2024.
[14] Le même jour, il introduit sa demande de rétractation.
[15] Quant à ses moyens de défense, il précise que le logement était impropre à l’habitation, qu’il a envoyé un avis d’abandon, qu’il y avait des infiltrations d’eau et de la moisissure dans le logement, que logement était en mauvais état et qu’il a subi du harcèlement.
[16] Quant au locateur, il soutient que le locataire ne présente aucun motif justifiant la rétractation.
[17] Il mentionne que le locataire a bien reçu la notification de sa demande en recouvrement de loyer puisque le locataire a répondu à même le courriel de notification le 13 février 2024, qu’il ne donnerait pas suite à la demande de paiement de loyer vu l’abandon du logement[7].
ANALYSE
[18] L’article
« 89. Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.
Une partie peut également demander la rétractation d'une décision lorsque la Régie a omis de statuer sur une partie de la demande ou s'est prononcée au-delà de la demande.
La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l'empêchement.
La demande de rétractation suspend l'exécution de la décision et interrompt le délai d'appel ou de révision jusqu'à ce que les parties aient été avisées de la décision.
Une partie qui fait défaut d’aviser de son changement d’adresse conformément à l’article 60.1 ne peut demander la rétractation d’une décision rendue contre elle en invoquant le fait qu’elle n’a pas reçu l’avis de convocation si cet avis a été transmis à son ancienne adresse. »
[19] Pour obtenir la rétractation de la décision rendue, le locataire doit établir avoir été empêché de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante.
[20] Le recours qu’est la rétractation constitue une mesure d’exception, car il contrevient au principe entourant la stabilité des jugements. La Cour d’appel le rappelle dans l’affaire Lavallée c. Banque Nationale du Canada[9] :
« Le principe de l'irrévocabilité des jugements constitue un élément important de notre système juridique. En effet, une jurisprudence constante affirme que la stabilité des décisions judiciaires est essentielle à une saine administration de la justice(4). Ce principe se comprend facilement, car il est évident que le justiciable, qui est partie à une action, s'attend à ce que le jugement en résultant mette fin au litige de façon définitive, sous réserve, bien sûr, de la possibilité de porter le jugement en appel. Toutefois, il existe une exception à ce principe de l'irrévocabilité des jugements. Il s'agit du recours en rétractation prévu aux articles
(Référence omise)
[21] Le troisième alinéa de l’article
[22] Le 3e alinéa de l’article
[23] Au surplus, la jurisprudence a toujours reconnu que l’absence à l’audience résultant du défaut d’une partie de procéder à un changement d’adresse lui est fatale.
[24] La simple absence à l’audience est insuffisante pour justifier la rétractation d’une décision[11].
[25] Lorsqu’une partie invoque la non-réception de l’avis de convocation, le Tribunal doit s’assurer de la véracité d'une telle affirmation, mais aussi s’assurer que la négligence de la partie n'est pas en cause.
[26] Le droit d'être entendu n'est pas absolu et est balisé par l'obligation d'une partie de prendre les moyens nécessaires pour recevoir les avis de convocation qui lui sont adressés.
[27] Dans la décision Lettrage Graphico-Tech Inc. c. Quden Inc., le juge François Marchand de la Cour du Québec énonce ce qui suit :
« En matière de rétractation de jugement, il faut trouver un juste équilibre entre deux principes qui s'affrontent, soit celui de la stabilité des jugements rendus et celui du droit à une défense pleine et entière. Il est donc essentiel de déterminer si la négligence de la partie défenderesse de protéger adéquatement ses droits est excusable ou non. La jurisprudence la considère excusable lorsqu'elle a été en quelque sorte causée par des circonstances extérieures à la partie elle-même, soit parce qu'elle a été induite en erreur ou surprise par la partie adverse ou par des tiers dont elle ne répond pas. La situation est fort différente, lorsque la partie défenderesse a fait preuve d'un manque de sérieux flagrant dans la conduite de ses affaires, en ne faisant pas un suivi adéquat de son dossier. »[12]
[28] À de nombreuses reprises, la jurisprudence a énoncé que le fait de ne pas communiquer son changement d'adresse, en sachant que des procédures judiciaires étaient en cours, constitue de la négligence et ne peut justifier une demande en rétractation[13]. Les tribunaux refusent donc de cautionner, dans le cadre d'une demande en rétractation, la négligence d'une partie.
[29] Dans la présente affaire, le Tribunal ne retient pas la prétention du locataire à l’effet qu’il n’avait pas la connaissance qu’une demande avait été introduite contre lui.
[30] La preuve démontre que la demande lui a été dûment notifiée par courriel en date du 12 février 2024 par courriel[14].
[31] À ce sujet, l’article
« 31. Un document technologique est présumé transmis, envoyé ou expédié lorsque le geste qui marque le début de son parcours vers l’adresse active du destinataire est accompli par l’expéditeur ou sur son ordre et que ce parcours ne peut être contremandé ou, s’il peut l’être, n’a pas été contremandé par lui ou sur son ordre.
Le document technologique est présumé reçu ou remis lorsqu’il devient accessible à l’adresse que le destinataire indique à quelqu’un être l’emplacement où il accepte de recevoir de lui un document ou celle qu’il représente publiquement être un emplacement où il accepte de recevoir les documents qui lui sont destinés, dans la mesure où cette adresse est active au moment de l’envoi. Le document reçu est présumé intelligible, à moins d’un avis contraire envoyé à l’expéditeur dès l’ouverture du document.
Lorsque le moment de l’envoi ou de la réception du document doit être établi, il peut l’être par un bordereau d’envoi ou un accusé de réception ou par la production des renseignements conservés avec le document lorsqu’ils garantissent les date, heure, minute, seconde de l’envoi ou de la réception et l’indication de sa provenance et sa destination ou par un autre moyen convenu qui présente de telles garanties. »
[32] Cette présomption n’est pas irréfragable et peut être repoussée par une preuve à l’effet contraire.
[33] Or, en l’instance, le locataire ne nie pas que la demande a été transmise à la bonne adresse de courriel.
[34] Sa preuve repose essentiellement sur son affirmation que le courriel du locateur n’a pas été reçu. Cette simple affirmation est toutefois insuffisante pour renverser la présomption mentionnée précédemment[16].
[35] Mais il a plus. La preuve démontre que le locataire a transmis au locateur un courriel en réponse à celui contenant la demande, et ce, à partir du courriel contenant la demande du locateur en recouvrement de loyer[17]. Cette réponse du locataire a été transmise à partir de l’adresse courriel sos.laptop@yahoo.fr, soit la même adresse à laquelle la demande a été envoyée.
[36] Suivant certaines questions du Tribunal en regard de ce courriel du 13 février 2024, le locataire mentionne qu’il ne savait pas qu’il s’agissait d’une demande contre lui, ne connaissant pas la loi ou les démarches applicables au Québec, étant nouvellement résident.
[37] Pour le Tribunal, la preuve démontre donc que le locataire a bel et bien reçu notification de la demande du locateur en recouvrement du loyer.
[38] Pour le Tribunal, le locataire a été négligent en ne s’informant pas de la teneur du document reçu qu’est la demande et en ne procédant pas à son changement d’adresse, alors que la preuve démontre qu’il a reçu copie de la demande du locateur et qu’il savait qu’il avait quitté le logement après l’introduction de la demande du locateur.
[39] L’ignorance de la loi n’est pas un motif que le Tribunal peut retenir.
[40] L’absence du locataire à l’audience résulte uniquement de sa négligence de ne pas avoir fait de changement d’adresse, ou du moins, de suivi de courrier.
[41] Considérant que le locataire n’a pas avisé le Tribunal de son changement d’adresse et n'ayant pu justifier son absence à l'audience par la surprise, la fraude ou une autre cause jugée suffisante, il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande.
[42] Finalement, il y a lieu de souligner que le locateur a déposé, lors de l’audience, l’avis d’abandon du logement du locataire. La juge administrative Deland a donc analysé et rendu sa décision avec comme preuve cet avis d’abandon. Le Tribunal ne peut donc que présumer que la juge administrative Deland l’a pris en considération dans son analyse, notamment considérant le paragraphe 4 de son jugement.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[43] REJETTE la demande;
[44] LE TOUT sans frais.
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Philippe Morisset | ||
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Présence(s) : | le locataire le locateur | ||
Date de l’audience : | 14 mai 2024 | ||
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[1] Voir dossier du Tribunal.
[2] Voir la preuve de notification déposée au dossier du Tribunal.
[3] Idem.
[4] Idem.
[5] Idem.
[6] Voir Pièce P-1 produite lors de l’audience du 14 mars 2024.
[7] Pièce P-2.
[8] Cet article a été modifié le 31 août 2020, par la Loi visant principalement l’encadrement des inspections en bâtiment et de la copropriété divise, le remplacement de la dénomination de la Régie du logement et l’amélioration de ses règles de fonctionnement et modifiant la Loi sur la Société d’habitation du Québec et diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal, L.Q. 2019, c. 28, article 101 et 158.
[9] Lavallée c. Banque Nationale du Canada
[10] 60.1. Le demandeur ainsi que le défendeur qui a reçu notification de la demande doivent, sans délai, aviser le Tribunal et les autres parties de tout changement d’adresse survenant pendant l’instance.
[11] ROUSSEAU-HOULE Thérèse et DE BILLY Martine, Le bail du logement: analyse de la jurisprudence, Les Éditions Wilson & Lafleur Ltée, 1989, Montréal, p. 307. : « Le seul fait qu'une partie soit absente à l'audience ne lui donnera pas automatiquement droit à une demande en rétractation. En vertu de l'article 89, la partie doit motiver son absence par une cause jugée suffisante. ».
[12] Lettrage Graphico-Tech Inc. c. Quden Inc.
[13] Lachapelle c. Desrosiers,
[14] Précité note 2.
[15] Article
[16] Services financiers Paccar ltée c. Kingsway, compagnie d'assurances générales,
[17] Pièce P-2.
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