Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (D.T.) c. R.T. | 2023 QCTDP 23 | |||||
TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | |||||
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N° : | 500-53-000623-221 | |||||
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DATE : | 17 novembre 2023 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | johanne gagnon | ||||
AVEC L’ASSISTANCE DES ASSESSEURS : |
Me Marie-Josée Paiement Me Daniel Proulx, avocat à la retraite | |||||
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COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, agissant dans l’intérêt public et en faveur de D... T... | ||||||
Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
R... T... | ||||||
Partie défenderesse | ||||||
et | ||||||
D... T..., dûment représenté par le CURATEUR PUBLIC DU QUÉBEC, en sa qualité de tuteur aux biens et à la personne | ||||||
Partie victime | ||||||
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JUGEMENT | ||||||
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[1] Le Tribunal doit décider si R... T... (R...) [1] a exploité financièrement et physiquement son père, D... T... (D...), au sens de l’article 48 de la Charte des droits et libertés de la personne[2].
[2] La Commission des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ) allègue qu’entre les mois de février 2017 et février 2019, R... a compromis le droit de D... à la protection contre l’exploitation des personnes âgées et handicapées en le négligeant et en profitant de sa vulnérabilité pour s’approprier des sommes d’argent lui appartenant. La CDPDJ avance également que ce faisant, R... a porté atteinte au droit de D... à la sauvegarde de sa dignité sans distinction ou exclusion fondée sur l’âge et le handicap, contrevenant ainsi aux articles 4 et 10 de la Charte.
[3] La CDPDJ demande que R... soit condamné à verser à D... la somme de 128 890,97 $ détaillée ainsi :
(a) 117 890,97 $ à titre de dommages-intérêts pour préjudice matériel, soit les montants que R... se serait appropriés pendant la période concernée ;
(b) 10 000 $ à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ; et
(c) 1 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs.
[4] R... nie avoir exploité son père, de quelque façon que ce soit. Il est présent à l’instruction, sans avocat pour le représenter. Il est seul à témoigner en défense et ne dépose aucun document.
[5] Afin de disposer de la réclamation de la CDPDJ, le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :
(a) Entre les mois de février 2017 et février 2019, R... a-t-il compromis le droit de D... à la protection contre l’exploitation des personnes âgées et handicapées en le négligeant et en profitant de sa vulnérabilité pour s’approprier des sommes d’argent lui appartenant, contrairement à l’article 48 de la Charte ?
(b) Dans l’affirmative, R... a-t-il porté atteinte au droit de D... à la sauvegarde de sa dignité, sans distinction ou exclusion fondée sur l’âge et le handicap, contrairement aux dispositions des articles 4 et 10 de la Charte ? et
(c) Le cas échéant, D... a-t-il droit aux dommages-intérêts réclamés en sa faveur ?
[6] Le Tribunal conclut que D... a été victime d’exploitation physique de la part de R... mais non d’exploitation financière. Par conséquent, le recours de la CDPDJ n’est accueilli que partiellement. Voici pourquoi.
[7] D... est né à Ville A, le [...] 1945. Il est âgé de 71 ans lorsque débute la période d’exploitation alléguée par la CDPDJ.
[8] D... habite alors Ville B, et ce, depuis une quarantaine d’années. Il a travaillé dans la construction pendant 43 ans, comme peintre industriel.
[9] Il a cinq enfants, soit trois filles, Da…, G… et C…, issues d’un premier mariage qui a duré 15 ans, ainsi qu’une fille, K..., et un garçon, R..., nés d’une union de faits ayant duré dix ans.
[10] D... a une histoire sociale parsemée de violence, d’alcool et de deuils. Devenu sobre après avoir fait une crise cardiaque il y a quelque 20 ans, il a coupé tout lien avec ses ex-conjointes et n’entretient aucune relation avec ses filles depuis au moins 20 ans, à l’exception de K... qu’il voit très rarement.
[11] Au moment des faits, seul R... fait réellement partie de la vie de D..., ayant habité avec celui-ci après la séparation de ses parents, alors qu’il avait 13 ans, et ce, jusqu’à ce qu’il rencontre sa conjointe, S..., à l’âge approximatif de 21 ans. Il déménage alors à quelques rues du domicile de D..., où il demeure toujours aujourd’hui, avec sa conjointe et leurs trois enfants. Depuis le départ de R..., D... habite seul dans le même appartement.
[12] Le père et le fils sont proches, ayant même travaillé ensemble pendant quelques années.
[13] Lorsque R... devient père, D... s’attache beaucoup à ses petits-enfants. Il a particulièrement à cœur d’être présent pour la plus jeune, M..., et assiste à ses leçons de danse et de karaté. Il va souvent souper chez son fils et l’aide financièrement, à l’occasion. Ce dernier a cessé de travailler dans le domaine de la construction en raison d’une blessure. Au moment des faits, il reçoit des prestations de la Commission des normes de l’équité de la santé et de la sécurité du travail. Lors de son témoignage à l’instruction, il informe le Tribunal qu’il travaille dans une fromagerie à raison d’une quarantaine d’heures par semaine depuis environ un an. Il a 42 ans au moment de l’instruction.
[14] En 2016, D... présente des pertes de mémoire progressives et devient moins concentré. Il se perd en voiture et oublie des choses importantes comme de verrouiller la porte d’entrée de son domicile.
[15] Le 29 novembre 2016, il est admis à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont en raison d’un état de confusion et d’anxiété accentuée[3].
[16] Pendant son hospitalisation, D... est informé, en présence de R..., qu’il souffre probablement de la maladie d’Alzheimer avec symptômes dépressifs et anxieux[4]. R... se propose pour assurer une supervision.
[17] Le 7 décembre 2016, une demande est faite par l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont auprès du Centre local de services communautaires (CLSC) pour du soutien à domicile[5]. Cette demande indique que D... ne conduira plus, qu’il utilisera dorénavant le micro-ondes pour se faire à manger, qu’il fera des documents légaux tels que mandat et procuration et que R..., en qui D... a pleinement confiance, assurera une supervision « au mieux pour ce qui est des activités plus complexes (ex : gestion finances) »[6].
[18] Le lendemain, D... retourne vivre seul chez lui. Il donne son camion à R....
[19] Le 16 décembre 2016, R... obtient une procuration générale pour le compte de son père à la Caisse Populaire Desjardins de Ville B (Caisse) ainsi qu’une carte d’accès au compte en question[7]. Le 21 février 2017, il obtient également une procuration pour le compte de son père à la Banque de Montréal (BMO)[8].
[20] Le 30 mars 2017, Josée Carrier, travailleuse sociale, procède à l’évaluation de D..., au domicile de ce dernier et en présence de R.... Le lendemain, elle signe un rapport selon le formulaire OEMC[9] – Aide-mémoire (Rapport OEMC)[10].
[21] Elle y note tout d’abord que D... souffre de démence de type Alzheimer léger, d’anxiété et de maux de tête fréquents. Elle relève que D... présente des incapacités à plusieurs égards, soit quant à son hygiène personnelle, sa mobilité, sa mémoire, sa compréhension et son jugement. Il signe des documents sans les lire, est désorienté dans le temps, oublie souvent, marque tout et ne se fait plus confiance. L’appartement manque de propreté alors que D... le considère comme bien entretenu.
[22] Quant aux difficultés éprouvées, madame Carrier note que D... est entêté, qu’il veut toujours avoir le dernier mot, qu’il refuse l’aide et se considère comme très autonome. Il présente de la résistance et de l’agitation.
[23] Puis, elle observe que même si D... dépend entièrement de son fils pour ses courses, son transport ainsi que pour la gestion de son argent, il traite R... comme un enfant. Elle indique que la dynamique père-fils en est une où D... a toujours été très autoritaire envers R.... Elle note d’ailleurs que lors de l’évaluation, D... exprime à R... qu’il s’attend à ce qu’il l’aide considérant que lui-même lui a donné beaucoup d’argent dans le passé, pour l’aider financièrement. Elle remarque que D... menace R... à plusieurs reprises.
[24] Madame Carrier identifie d’importants enjeux de santé et de sécurité, notamment des risques de chute, une perte de poids, de la dénutrition et de l’isolement social. Selon elle, D... a besoin d’une supervision importante. Vu les attentes de D... envers R..., elle craint un épuisement de ce dernier ainsi qu’un effritement de la relation père-fils.
[25] Au terme de l’évaluation, il est convenu que R... fasse des suivis ponctuels auprès de madame Carrier.
[26] Dans les mois qui suivent, madame Carrier constate que R... ne collabore pratiquement pas. Il ne la rappelle pas quand elle lui laisse des messages et il ne fait aucun suivi auprès d’elle.
[27] Parallèlement, elle communique régulièrement avec D... par téléphone et, petit à petit, elle développe une relation de confiance avec lui. Ce dernier lui confie qu’il est inquiet pour ses finances. Il mentionne à madame Carrier avoir donné au-delà de 100 000 $ à R... dans le passé, dans le but de l’aider financièrement.
[28] En mai 2017, madame Carrier rencontre R... et sa conjointe, S..., afin de leur expliquer le rôle de proche aidant. Elle les informe des ressources disponibles quant aux repas, au ménage et aux autres aspects de la vie quotidienne[11].
[29] En mars 2018, lors d’une visite au domicile de D..., madame Carrier apprend que le père et le fils se sont disputés au sujet de l’argent. D... avoue également à madame Carrier qu’il s’est perdu en marchant seul, près du fleuve. Il indique avoir eu envie de se jeter à l’eau. Il dit avoir tenu des propos suicidaires auprès de R... après que ce dernier a débuté des démarches pour lui trouver un hébergement en résidence privée[12].
[30] Le 28 mars 2018, madame Carrier procède à une seconde évaluation de D..., évaluation à laquelle R... n’assiste pas. Elle signe un nouveau Rapport OEMC le même jour[13].
[31] Elle y note une détérioration marquée de l’état de D... par rapport à mars 2017, surtout sur le plan de ses fonctions mentales, de sa mémoire, de son jugement et de son orientation dans le temps. D... a aussi des idées noires. Il tient des propos suicidaires, est anxieux, a une carence affective, évalue mal les situations et ne prend des décisions sensées que si une autre personne les lui suggère.
[32] Quant à l’entretien de l’appartement, madame Carrier observe que les planchers sont beaucoup plus propres que lors de sa visite de l’année précédente. Elle est cependant d’avis que D... surestime la propreté de son appartement en raison des objets amassés et des papiers accumulés à différents endroits.
[33] D... lui paraît plus dénutri et démuni qu’en 2017. Pourtant, ce dernier explique à madame Carrier qu’il mange 2-3 rôties avec un café le matin, qu’il dîne avec de la soupe, des sandwichs, ou un steak minute qu’il se fait et qu’au souper, il mange les repas préparés par sa belle-fille. S... lui en apporte toutes les deux semaines et il les conserve au congélateur. Chaque semaine ou presque, R... l’accompagne aussi pour ses courses.
[34] Selon madame Carrier, D... mange toujours seul, il est inquiet, triste, manque de présence humaine et souffre de solitude. Il semble ne recevoir de l’affection que de sa petite-fille M..., qu’il adore.
[35] Sur l’aspect financier, D... indique à madame Carrier avoir plus de 100 000 $ placés à la banque. Il considère cependant que R... lui en demande trop et selon lui, l’argent disparaît.
[36] À la fin de cette seconde évaluation, D... s’engage à ne pas agir sur ses idées suicidaires. Il demande à madame Carrier de venir le voir plus souvent. Bien que D... soit alors complètement opposé à l’idée de quitter son appartement, elle commence quand même à le sensibiliser à un déménagement en ressource intermédiaire et entend travailler en ce sens dans le futur.
[37] De sa propre initiative, madame Carrier prend un rendez-vous pour que D... soit évalué en gérontopsychiatrie. C’est elle qui accompagne D... au rendez-vous, le 7 juin 2018.
[38] Les informations qu’elle recueille alors lui font conclure que D... n’est plus en mesure de demeurer seul à son domicile : il s’égare, confond le jour et la nuit, entretient mal son appartement qui est sale et encombré, il ne se lave « qu’à la mitaine » et porte toujours les mêmes vêtements. Selon elle, R... ne pallie pas le manque de nourriture. D... a perdu 50 livres en un an.
[39] Des services additionnels sont alors mis en place. Ainsi, tous les matins, le livreur de la pharmacie rend visite à D... pour lui administrer ses médicaments et tous les soirs, un préposé du CLSC se présente au domicile de D... pour l’aider avec son repas. De plus, toutes les semaines, D... est vu, en alternance, par un intervenant social et par un ergothérapeute. Une infirmière du CLSC, Sophie Bernet, commence à le visiter, à son domicile, à raison d’une fois par semaine. Quant à madame Carrier, elle rend visite à D... au moins une fois par mois et fait le lien avec les autres intervenants tous les trois jours.
[40] Au cours de l’été 2018, madame Carrier est informée que D... a passé plusieurs heures à l’extérieur, en pleine canicule, au gros soleil, ayant perdu la notion du temps. Il n’a ni climatiseur ni ventilateur dans son appartement. Elle laisse des messages à R... pour l’aviser de la situation et le prier d’acheter un ventilateur pour D.... Elle affirme n’avoir eu aucun retour d’appel de R.... Finalement, c’est le voisin de D... qui, par pure gentillesse, lui achète un ventilateur[14].
[41] Le 10 août 2018, l’ergothérapeute informe madame Carrier que D... se plaint de plus en plus souvent que R... n’est intéressé que par son argent[15].
[42] Le 28 août 2018, alors que madame Carrier rend visite à D..., ce dernier lui dit que R... fait son possible pour prendre soin de lui, mais qu’il ne peut plus remplir cette tâche, car il a une famille. Il verbalise au surplus qu’il se sent comme un animal attaché en attente que sa belle-fille lui apporte de la nourriture.
[43] Lorsque la question de documents légaux est abordée, D... se fâche. Il dit que son fils lui a fait signer « plein de documents » et qu’il regrette d’en avoir signé certains. Il affirme avoir payé trois ou quatre voitures à R... ainsi qu’un voyage en Allemagne, « mais que là, c’est assez »[16].
[44] Le 20 septembre 2018, madame Carrier accompagne D... à la BMO où ce dernier révoque la procuration en faveur de R... quant à ses comptes à cette institution[17].
[45] Le 26 octobre 2018, madame Carrier produit un rapport intitulé « Outil d’orientation et de référence en gestion de cas (Soins infirmiers ou Travail social) »[18]. Elle y note que depuis un mois, D... perd un kilogramme par semaine et qu’il se sent abandonné par R.... Ce dernier ne fait aucun suivi auprès du CLSC et ne voit pas aux besoins d’entretien personnel de son père. D... porte toujours les mêmes vêtements, devenus trop grands. Sa barbe est longue, ses cheveux sont longs et sales. L’appartement est négligé : des sous-vêtements souillés trainent, les pièces sont encombrées d’objets au sol et il y a de la nourriture pourrie dans le réfrigérateur.
[46] Madame Carrier rapporte de plus avoir demandé à R... de lui fournir le mandat en cas d’inaptitude et procuration que D... affirme avoir signé dans le passé. R... accepte, mais ce qu’il transmet à madame Carrier est un document récent, soit un Mandat de protection et procuration générale signé par D... le 24 août 2018[19], devant le notaire Benoit Larochelle, document aux termes duquel R... est nommé « procureur et mandataire » de D....
[47] Madame Carrier étant d’avis que D... n’était pas apte, le 24 août 2018, à signer un tel document, elle s’interroge sur les capacités et la volonté réelle de R... de remplir la tâche de mandataire.
[48] Dans l’immédiat, le CLSC intensifie ses services. L’infirmière Sophie Bernet rend visite à D... pratiquement tous les jours pour lui apporter du soutien et une présence humaine. Le 13 novembre 2018, elle trouve des documents financiers sur la table de D... faisant mention, notamment, d’un transfert de 49 490,97 $ effectué en septembre 2018, d’un prêt Accord D toujours impayé ainsi que des réclamations de comptes en souffrance auprès de La Capitale et Visa[20].
[49] Le 23 novembre 2018, madame Bernet signe une note d’évolution quant à son intervention du 21 novembre 2018 auprès de D...[21]. Elle y indique avoir questionné D... ce jour-là sur les multiples documents (factures et relevés bancaires) se trouvant sur la table et avoir vérifié le contenu du réfrigérateur. Elle affirme que D... a alors verbalisé être très fâché par l’attitude de son fils, ne comprenant pas comment il pouvait laisser quelqu’un mourir de faim et utiliser son argent comme bon lui semble. Selon elle, bien que D... soit conscient qu’il n’a aucune preuve pour appuyer ses soupçons, il est certain que son fils a utilisé son nom pour plusieurs emprunts et prêts. Il n’a pas de souvenir exact d’un prêt Accord D, mais pense qu’il s’agit de l’achat d’un chalet.
[50] En décembre 2018, la CDPDJ est saisie de la situation de D.... De sa propre initiative, elle décide de tenir une enquête sur les agissements de R....
[51] Le 5 décembre 2018, Dre Thanh Dinh, omnipraticienne et médecin de famille de D..., signe une Évaluation médicale dans le cadre d’une demande d’ouverture d’un régime de protection ou de l’homologation d’un mandat aux termes de laquelle elle conclut à l’inaptitude totale et permanente de D... à assurer sa protection, à exercer ses droits civils et à administrer ses biens[22].
[52] Le 10 décembre 2018, madame Carrier signe une Évaluation psychosociale faite dans le cadre d’une demande d’ouverture d’un régime de protection ou de l’homologation d’un mandat[23] aux termes de laquelle elle conclut que :
(a) la santé générale de D... s’est grandement détériorée depuis le 13 mars 2017 ;
(b) l’autonomie de D... s’est beaucoup dégradée au cours de la dernière année ;
(c) D... a très peu de liens à part avec son fils R... et les intervenants du CLSC ;
(d) D... se sent négligé par sa famille ; et
(e) D... est totalement inapte à prendre soin de sa personne et à administrer ses biens, et ce, de façon permanente.
[53] Le 4 janvier 2019, madame Carrier complète son Évaluation psychosociale faite dans le cadre d’une demande d’ouverture d’un régime de protection ou de l’homologation d’un mandat par l’ajout d’une annexe[24]. Elle y relate qu’un document émanant de la Fédération des Caisses Desjardins a été découvert chez D..., le 19 décembre 2018, lequel document indique qu’un solde de 2 461,50 $ demeure en souffrance sur une carte Visa Desjardins de D... et qu’un avis de déchéance du bénéfice du terme est donné relativement à un prêt Accord D affichant un solde impayé de 28 089,01 $ plus les intérêts. Le document en question ne fait toutefois pas partie de la preuve documentaire déposée au dossier.
[54] Le 21 janvier 2019, l’infirmière Bernet signe un Rapport OEMC à la suite de l’évaluation, le même jour, de la condition de D...[25]. Elle y conclut que ce dernier :
(a) oublie souvent où il range les objets, ce qu’il a mangé le midi et même ses enfants ;
(b) est désorienté dans le temps et confond la nuit et le jour ;
(c) manifeste une solitude importante et a un grand besoin de reconnaissance et d’amour ; et
(d) n’a pas conscience de ses pertes et atteintes.
[55] Le 14 février 2019, D... appelle le 911 en raison d’hallucinations sévères. Il est transporté à l’hôpital en ambulance[26].
[56] Le 26 mars 2019, il est transféré à la résidence A, un centre d’hébergement transitoire en ressources intermédiaires[27]. Il n’y passe que deux nuits, étant déplacé le 28 mars 2019 à un autre centre d’hébergement transitoire en ressources intermédiaires, la résidence B[28]. D... n’est finalement jamais transféré de cette résidence et y demeure encore au jour de l’instruction.
[57] Le 17 juin 2019, à la suite d’une demande du Curateur public du Québec (Curateur public), la Cour supérieure prononce l’ouverture d’un régime de protection en faveur de D... et nomme le Curateur public pour agir à titre de tuteur à la personne et aux biens de ce dernier[29].
[58] Le 5 mai 2021, le comité des plaintes de la CDPDJ adopte une résolution dans laquelle il conclut, à partir des éléments dont il dispose, que D... a été victime de négligence et d’exploitation financière de la part de R...[30].
[59] Selon la CDPDJ, R... a négligé son père et profité de sa vulnérabilité pour s’approprier, entre le mois de février 2017 et le mois de février 2019, 119 190,97 $, soit la quasi-totalité de ses avoirs. À l’instruction, ce montant est réduit à 117 890,97 $.
[60] De son côté, R... affirme s’être occupé de son père du mieux qu’il pouvait, qu’il allait le voir, seul ou avec ses enfants, une à deux fois par semaine. Il explique qu’il allait porter des repas et des collations à D..., mais qu’il les retrouvait, par la suite, cachés. Il dit même être allé visiter des résidences privées pour aînés avec D.... Il soutient que c’était difficile pour lui à cause du caractère de son père. Ce dernier lui mettait des bâtons dans les roues en raison de son orgueil et de son désir constant de tout contrôler.
[61] R... reconnaît ne pas avoir entretenu de communications avec le CLSC et ne peut expliquer pourquoi. Il se justifie en disant qu’il ne connaît rien dans le domaine et qu’il ne savait pas comment faire.
[62] R... reconnaît avoir bénéficié des 117 890,97 $ en question, mais nie avoir fraudé ou dilapidé D... de ses avoirs. Il raconte que son père lui a toujours dit que son argent était aussi le sien et qu’il lui revenait de droit, à titre d’héritage. Dans les faits, la preuve non contredite révèle que R... est le légataire universel de D....
[63] R... relate également que D... avait une grande peur que le gouvernement lui prenne son argent, à tel point qu’avant sa maladie, il lui a dit : « un jour si je perds la carte, arrange-toi pour que l’argent soit dans ton compte et non ailleurs, où le gouvernement peut le prendre ». De plus, lorsque D... commence à avoir des pertes de mémoire, avant son diagnostic, il demande à R... de garder le souvenir de lui comme il était avant. Étant un homme très orgueilleux, D... dit également à R... : le jour où je ne te reconnais plus, ne viens plus me voir.
[64] R... a cessé tout contact avec son père à compter du mois de février 2019, au moment où D..., alors hospitalisé à l’Hôpital Notre-Dame, l’a confondu avec son propre frère.
[65] Il affirme qu’il n’a fait que tenir les promesses faites à son père.
[66] Le recours de la CDPDJ fait intervenir les dispositions de la Charte en matière de protection contre l’exploitation, de droit à l’égalité et de droit à la sauvegarde de la dignité.
[67] L’article 48 de la Charte offre en effet aux personnes âgées ou handicapées une protection contre toute forme d’exploitation :
48. Toute personne âgée ou toute personne handicapée a droit d’être protégée contre toute forme d’exploitation.
Telle personne a aussi droit à la protection et à la sécurité que doivent lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu.
[68] La notion d’exploitation est définie par la jurisprudence comme étant « une mise à profit d’une position de force au détriment d’intérêts plus vulnérables »[31]. Elle « s’entend, dans son sens vernaculaire, d’un profit abusif »[32].
[69] Comme le rappelle la Cour d’appel dans l’arrêt Vallée[33], l’article 48 offre aux personnes âgées et handicapées une protection autonome et distincte, qui englobe, mais va au-delà des protections déjà offertes par le Code civil du Québec[34]. L’article 48 de la Charte vise en effet, selon la Cour d’appel, à remédier à l’insuffisance des dispositions du Code civil du Québec qui ne permettent pas « d’apporter une solution adéquate et satisfaisante aux différentes formes d’exploitation dont peuvent être victimes les personnes âgées »[35].
[70] Ainsi, sont visées par l’article 48 de la Charte, les « personnes que l’âge a rendues vulnérables et qui peuvent s’inscrire dans un rapport de dépendance, qu’elle soit physique, économique, affective ou psychologique, au même titre que toutes les exploitations interdites par la Charte »[36].
[71] L’exploitation peut survenir dans différents contextes, incluant dans un contexte familial :
[93] L’exploitation peut aussi se retrouver à l’intérieur même de la cellule familiale. La personne vulnérable dépend alors d’un proche qui, comme le note la Commission dans son rapport d’octobre 2001, peut parfois être un proche incompétent et épuisé, un pourvoyeur d’utilité peu scrupuleux, ou un soignant ou un aidant incompétent ou mal intentionné[37].
[72] L’exploitation peut être financière, physique, psychologique, sociale et morale[38]. Dans la décision Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (L.D. et un autre) c. Rankin[39], le Tribunal définit ainsi trois des formes que l’exploitation peut prendre :
a) Elle est financière lorsque la personne qui exploite la personne âgée vulnérable s’enrichit économiquement ou utilise l’argent de la personne âgée pour ses propres besoins, au détriment de la personne qu’elle exploite ou sans une autorisation valide ;
b) Elle est physique lorsque la personne âgée vulnérable est négligée, mal nourrie, laissée sans surveillance adéquate ou dans un milieu non sécuritaire, privée de soins de base, de soins médicaux ou de services sociaux, victime d’abus physiques ; enfin,
c) Elle est psychologique ou affective lorsque la personne est menacée, victime d’abus verbaux ou de chantage et isolée.
(Références omises)
[73] Rappelons que vu la nature quasi constitutionnelle de la Charte, la protection contre l’exploitation doit faire l’objet d’une interprétation large et libérale[40].
[74] Peu importe la forme d’exploitation, la jurisprudence est claire : pour qu’un recours fondé sur l’article 48 de la Charte soit accueilli, les trois éléments suivants doivent être mis en preuve, à savoir :
(a) la vulnérabilité de la personne âgée ou handicapée ;
(b) la position de force de l’exploiteur sur la victime ; et
(c) la mise à profit de la situation en faveur de l’exploiteur, au détriment de la victime[41].
[75] Cela étant, comme l’enseigne la Cour d’appel dans l’arrêt Vallée, l’évaluation de l’exploitation est une affaire contextuelle relevant d’une appréciation de la preuve, de sorte que chaque situation doit être évaluée à son mérite[42].
[76] Quant aux droits à la sauvegarde de la dignité et à l’égalité dans la reconnaissance et l’exercice des droits et libertés, ils sont prévus aux articles 4 et 10 de la Charte :
4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
[77] Rappelons que « la notion de dignité est la pierre angulaire de tous les autres droits prévus par la Charte. Cette notion est fondée sur la valeur intrinsèque de tout être humain »[43].
[78] Dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Succession Duhaime) c. Satgé, le Tribunal précise que l’exploitation elle-même peut entraîner une atteinte à la dignité de la personne vulnérable[44], puisqu’il est « difficile d’imaginer comment il peut y avoir une situation de profit abusif d’une personne âgée ou handicapée sans qu’il y ait violation de ses droits fondamentaux »[45].
[79] Depuis, le Tribunal a réitéré à plusieurs reprises que le seul fait d’exploiter une personne âgée ou handicapée porte atteinte à sa dignité[46].
[80] Précisons d’entrée de jeu qu’il incombe à la CDPDJ de faire la preuve des faits qui soutiennent ses prétentions, et ce, selon la règle de la prépondérance[47]. Ainsi, un fait sera considéré comme prouvé si le Tribunal est convaincu que son existence est plus probable que son inexistence. Il ne s’agit donc pas de démontrer qu’un fait est possible, mais plutôt de démontrer qu’il est probable[48]. Lorsque la preuve offerte n’est pas suffisamment convaincante et qu’il est impossible pour le juge de cerner la vérité, celui sur qui reposait le fardeau perdra[49].
[81] Rappelons que le Tribunal dispose d’une certaine latitude dans l’administration de la preuve[50], comme le prévoit l’article 123 de la Charte :
123. Tout en étant tenu de respecter les principes généraux de justice, le Tribunal reçoit toute preuve utile et pertinente à une demande dont il est saisi et il peut accepter tout moyen de preuve.
Il n’est pas tenu de respecter les règles particulières de la preuve en matière civile, sauf dans la mesure indiquée par la présente partie.
[82] Quant aux témoignages livrés à l’audition, leur force probante est laissée à l’appréciation du Tribunal[51]. Ce dernier peut avoir recours à plusieurs règles pour décider de la suffisance ou non de la preuve présentée lors d’un procès. Par exemple, une preuve directe sera préférée à une preuve indirecte tout comme la preuve d’un fait positif sera préférée à la preuve d’un fait négatif. De plus, la corroboration par un témoignage, un écrit, ou un ensemble de circonstances rendant vraisemblable une affirmation, peut renforcer la valeur probante d’un élément de preuve.
[83] Cela dit, l’article 2844 du C.c.Q. énonce que « [l]a preuve par témoignage peut être apportée par un seul témoin ».
[84] Abordons maintenant les questions en litige.
[85] Le Tribunal doit déterminer si, dans les circonstances de cette affaire, la CDPDJ a rempli son fardeau de preuve sur les trois éléments constitutifs de l’exploitation, soit la vulnérabilité, la position de force et la mise à profit, et ce, tant au niveau de l’exploitation financière que de l’exploitation physique.
[86] La vulnérabilité de D... au cours de la période visée par la réclamation n’est pas remise en question. R... reconnaît que son père était fragilisé par la maladie d’Alzheimer et en perte d’autonomie et déclin cognitif et physique important depuis au moins le mois de novembre 2016. Son état s’est progressivement détérioré jusqu’à ce que son inaptitude totale et permanente soit constatée médicalement en décembre 2018.
[87] Le Tribunal conclut qu’au moment des faits, bien que seulement âgé de 71 ans, D... présentait la vulnérabilité requise par la jurisprudence portant sur l’article 48 de la Charte.
[88] La position de force est étroitement liée à la vulnérabilité de la victime[52], si bien que plus la victime est vulnérable, plus il est facile de conclure à une position de force. Selon la Cour d’appel, dans l’arrêt Vallée[53] :
[47] […] [L]'évaluation du degré de déséquilibre entre les deux parties constitue un exercice délicat, exclusivement fondé sur l’appréciation de la preuve. Il consiste à mesurer les rapports existant entre les parties. Selon que la personne âgée est plus ou moins vulnérable, la position de force qui entraîne une exploitation peut être plus ou moins importante. Chaque situation doit être évaluée à son mérite.
[89] En l’espèce, ce critère ne soulève pas de réelle difficulté. La preuve révèle de façon prépondérante que, pendant la période concernée, D... est isolé. Il vit seul depuis longtemps et n’a pratiquement aucun contact avec ses enfants à l’exception de R.... Dans les faits, lorsque D... reçoit son diagnostic en novembre 2016, R... est le seul enfant avec qui il a une relation positive, et ce, depuis plusieurs années.
[90] La preuve révèle également qu’à compter de novembre 2016, D... dépend totalement de R... pour ses besoins de base (nourriture, ménage, hygiène, etc.). Sur le plan financier, dès le 16 décembre 2016, R... a le plein contrôle des avoirs de D... en raison de la confiance que ce dernier lui accorde. Il dispose d’une carte d’accès et d’une procuration signée en ce qui concerne le compte de D... à la Caisse. Quant au compte que D... détient à la BMO, c’est à compter du 21 février 2017 que R... peut y accéder en tout temps, à son gré, en vertu d’une autre procuration signée en sa faveur.
[91] Vu le contrôle de R... sur les avoirs de son père et la confiance que ce dernier lui accorde, le Tribunal conclut que pendant la période concernée, R... était en position de force devant la vulnérabilité de D....
[92] Le véritable débat concerne ce critère de l’exploitation.
[93] Le Tribunal abordera la mise à profit en deux temps, soit pour chacune des formes d’exploitation alléguées par la CDPDJ.
[94] Il y a mise à profit lorsque la preuve établit que l’exploiteur a profité, de manière volontaire ou non, de la vulnérabilité de la victime et de sa position de force à l’égard de celle-ci pour s’enrichir au détriment des intérêts de cette dernière[54].
[95] Le fait qu’un proche soit le légataire universel d’une personne vulnérable ne l’autorise évidemment pas à percevoir, par anticipation et dans son seul intérêt, le fruit de son héritage.
[96] Ainsi, pour avoir gain de cause sur la question d’exploitation financière, la CDPDJ doit démontrer, par une preuve prépondérante que R..., en raison de sa position de force, s’est indûment approprié des sommes d’argent appartenant à D...[55], et ce, de façon abusive[56].
[97] Sur le plan de la preuve, rappelons que dans l’application de l’article 48 de la Charte, le Tribunal peut avoir recours aux présomptions de fait pour conclure à une mise à profit financière[57]. Par exemple, le Tribunal peut comparer les habitudes financières de la victime avant et après l’arrivée du défendeur dans sa vie ou avant et après que le défendeur a eu accès aux comptes bancaires de la victime[58]. Suivant ce raisonnement, toutes dépenses excédentaires pourraient être considérées comme une mise à profit au bénéfice du défendeur, si le contexte permet de tirer une telle conclusion.
[98] Cela étant, soulignons que, comme le Tribunal le rappelle dans la décision Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (M.C.) c. Saint-Pierre[59], des retraits effectués dans un compte bancaire par une personne autre que le titulaire du compte ne créent pas de présomption d’abus et sont insuffisants, à eux seuls, pour conclure à l’existence d’une mise à profit financière :
[52] Ces divers retraits dans le compte bancaire de M. C. ne permettent pas, à eux seuls et sans autre explication, de démontrer un abus. Le Tribunal doit prendre garde de conclure à un abus financier du seul fait que des retraits sont effectués dans un compte bancaire par une personne autre que son titulaire. Les circonstances prennent une importance déterminante pour en apprécier le caractère. Dans le jugement Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (G.H.) c. L.G., le Tribunal établit que l’on ne peut tenir uniquement compte des retraits dans le compte bancaire de la personne vulnérable pour établir une mise à profit.
[53] Le fardeau de démontrer l’exploitation de la personne âgée ou handicapée repose sur la Commission. La preuve de tels retraits ne crée pas nécessairement une présomption d’abus, qui déplacerait automatiquement sur le défendeur le fardeau de justifier et d’expliquer dans le détail l’objet de chaque retrait. Une telle preuve peut se révéler difficile – voire impossible – à faire pour le défendeur, particulièrement lorsque les allégations d’abus concernent des événements éloignés dans le temps. Selon le cas, de tels retraits peuvent néanmoins susciter des soupçons si importants qu’ils forcent le défendeur à expliquer sa conduite.
[99] L’analyse du contexte factuel est par conséquent primordiale afin d’établir si une personne vulnérable a été victime d’abus financier. Comme le rappelle la professeure Marie-Hélène Dufour :
Les tribunaux doivent procéder à une analyse factuelle et contextuelle afin de déterminer si une personne s’est enrichie de façon indue au détriment de la personne âgée vulnérable ou si au contraire, des explications permettent de justifier les transactions effectuées. […]
L’analyse du critère de la mise à profit nécessite de comprendre la relation particulière existant entre la personne âgée vulnérable et l’autre personne en position de force : une situation qui pourrait s’apparenter à de l’exploitation peut être tout autre selon le contexte relationnel, conjugal ou familial qui unit les parties[60].
(Notre soulignement)
[100] En l’espèce, le Tribunal doit déterminer si, en tenant compte du contexte et de la relation existante entre D... et R..., ce dernier a profité de sa position de force pour s’approprier indûment la somme de 117 890,97 $ par diverses transactions effectuées à partir des comptes de D..., soit :
30 000 $ le 4 juillet 2017, par chèque tiré sur le compte de D... à la Caisse[61] ;
16 000 $ le 9 avril 2018, par retrait effectué sans livret du compte de D... à la Caisse[62] ;
2 900 $ en août 2018, par plusieurs retraits effectués par guichet automatique du compte de D... à la Caisse[63] ;
10 500 $ le 20 août 2018, par traite bancaire émise par la BMO[64] ;
49 490,97 $ le 20 septembre 2018, par virement effectué du compte de D... à la BMO[65] ; et
9 000 $ entre octobre 2018 et février 2019, par plusieurs virements effectués du compte de D... à la Caisse[66].
[101] Mesdames Josée Carrier, travailleuse sociale, et Sylvie Bernet, infirmière, racontent qu’à de multiples reprises pendant la période de référence, D... s’est plaint du fait que R... lui demandait trop d’argent et qu’il ne venait le voir que pour son argent.
[102] Madame Carrier mentionne plus particulièrement qu’en mars 2018, D... lui avoue s’être récemment disputé avec R... au sujet de l’argent. En août 2018, il lui indique regretter d’avoir signé plusieurs documents à la demande de R....
[103] Dans son rapport du 26 octobre 2018[67], elle note une ambivalence de D... face à R.... Elle mentionne que tantôt D... trouve que R... est bon pour lui, tantôt il considère qu’il lui prend tout son argent et qu’il éduque mal ses enfants. Elle remarque aussi que D... change souvent d’idée. Par exemple, il donne de l’argent à R... pour qu’il aille en voyage avec ses enfants. Il affirme que ce geste lui fait plaisir, il leur dit d’en profiter et est heureux de sa décision. Par la suite, il ne se souvient plus de sa décision, pense que R... lui a soutiré de l’argent, est malheureux et lui en veut.
[104] Selon madame Bernet, D... aurait exprimé, en novembre 2018, être très fâché contre R... qui « se permet d’utiliser son argent comme bon lui semble ». Elle explique que, selon elle, D... craignait de perdre R... et ses petits-enfants en abordant ses préoccupations financières avec son fils. Elle affirme qu’à chacune de ses visites à D..., à raison de trois par semaine, le sujet était abordé et qu’à chaque fois D... avait la même réaction de colère initiale, suivie de tristesse.
[105] Doit-on conclure, comme la CDPDJ le suggère, que vu les transactions effectuées aux comptes de D... et les propos de ce dernier auprès des intervenants que R... a exploité financièrement son père ? Le Tribunal estime que non, en raison des explications crédibles et convaincantes fournies par R....
[106] Dès le début de son témoignage, R... est envahi par les émotions et pleure beaucoup. Il revient sur son enfance et sur sa relation avec son père qu’il qualifie de bonne même si difficile par moments. Il témoigne que son père était un « papa poule », autoritaire, colérique par moment, contrôlant, têtu et orgueilleux, mais très attachant.
[107] R... affirme que son père était aussi généreux envers lui et sa famille, l’ayant aidé financièrement à plus d’une reprise, par exemple, en payant les frais de scolarité de ses enfants. Selon R..., c’est ce qui rendait D... le plus fier. Il relate également que D... lui donnait de l’argent, à l’occasion, pour payer sa consommation d’essence lorsqu’il était « serré financièrement ».
[108] R... ne conteste pas les transactions que lui reproche la CDPDJ, lesquelles ont par ailleurs été établies, de façon prépondérante, à partir de la preuve documentaire déposée par la CDPDJ, incluant les relevés bancaires des comptes de D... à la Caisse et à la BMO et ceux de R... à la BMO et à la Banque Nationale du Canada (BNC). Il ne passe pas en revue chacune des transactions que lui reproche la CDPDJ. Il reconnaît que « l’argent est passé en folies », qu’il en a profité comme un cadeau, lui qui a toujours éprouvé des difficultés financières.
[109] Il affirme avoir suivi les volontés de son père telles que ce dernier les lui a exprimées avant même d’être malade. Il relate que, du plus loin qu’il se souvienne, D... lui a toujours dit que son argent était comme le sien, que c’était son héritage. R... ajoute qu’après que D... a été informé, en novembre 2016, qu’il souffrait probablement de la maladie d’Alzheimer, il lui a clairement mentionné qu’il ne voulait pas que le gouvernement prenne son argent. D... a alors réitéré à R... de considérer son argent comme le sien, lui disant d’en profiter et que si jamais il venait à perdre ses facultés, cet argent était de toute façon son héritage et lui revenait de plein droit.
[110] Ce n’est pas la mission du Tribunal, un tribunal administratif spécialisé[68], d’apprécier, selon les règles du droit civil, la légalité des dons qu’un père entend faire à son fils.
[111] Ceci dit, R... ne croit pas que les propos de D..., tels que rapportés par les divers intervenants, représentent la réelle pensée de son père. Il soupçonne que ces mots ont plutôt été mis dans la bouche de D... alors que ce dernier était malade, vulnérable et influençable.
[112] R... livre un témoignage poignant et sincère. Aucun des autres témoins entendus par le Tribunal ne remet en cause sa version quant aux traits de personnalité de D.... Fort de la complicité qui l’unit à son père depuis toujours, seul R... peut décrire la relation étroite que les deux hommes ont tissée au fil des années.
[113] Aux yeux du Tribunal, la version de R... est crédible et convaincante. Plusieurs éléments de son témoignage sont d’ailleurs corroborés par d’autres témoins, essentiellement par Josée Carrier, travailleuse sociale.
[114] Tout d’abord, la description que R... fait de la personnalité de son père correspond à celle qu’en fait madame Carrier, tant dans ses évaluations de la condition de D... à compter du 30 mars 2017 que lors de son témoignage à l’instruction. Tout comme R..., madame Carrier décrit D... comme étant, notamment, une personne très entêtée et voulant toujours avoir le dernier mot.
[115] Ensuite, madame Carrier corrobore la version de R... sur la générosité dont son père a fait preuve à l’égard de son fils. Elle témoigne que D... lui a affirmé, en juillet 2017, avoir donné plus de 100 000 $ à R... dans le passé pour payer son camion, sa voiture et ses dettes. Il lui a aussi payé un voyage en Allemagne à un certain moment de sa vie.
[116] Au surplus, dès mars 2017, madame Carrier confirme l’existence d’une dynamique d’autorité entre le père et le fils. Dans son Rapport OEMC[69], elle mentionne que lors de l’évaluation, D... menace R... à plusieurs reprises, lui ordonnant de prendre soin de lui puisqu’il lui a donné une chance dans sa vie. Selon elle, la dynamique entre les deux hommes en est une où D... aurait toujours été très autoritaire envers son fils.
[117] Quant au caractère de R..., madame Carrier relate dans une note du 25 janvier 2019 intitulée Note d’évolution services psychosociaux[70], que lors de sa rencontre du même jour avec R..., sa conjointe S... et madame Bernet, S... a comparé R... à un enfant de 8 ans, qui ne fait rien si tu ne le lui dis pas et qui est incapable de prendre des initiatives. R... a répondu : « C’est vrai, elle a 100 % raison ».
[118] Le Tribunal n’a par conséquent aucune raison d’écarter le témoignage de R..., livré avec une sincérité manifeste, sur la relation qu’il avait avec son père et sur la volonté exprimée par ce dernier, avant que la maladie ne l’afflige, que s’il venait à perdre ses facultés, ses avoirs bénéficient à son fils. Vu la dynamique existante entre les deux hommes, le Tribunal estime que R... ne ment pas lorsqu’il affirme qu’il n’a fait que tenir les promesses qu’il a faites à son père.
[119] Ainsi, en tenant compte des circonstances telles que décrites par R... et de la relation particulière existant entre son père et lui, le Tribunal est d’avis que les transactions reprochées à R... sont conformes aux volontés de D... telles qu’exprimées avant sa maladie, alors qu’il était en mesure faire des choix libres et éclairés.
[120] Il est également important de préciser que pour plusieurs transactions reprochées à R..., D... est lui-même intervenu à la documentation, ratifiant ainsi ses volontés telles qu’exprimées à R... avant sa maladie. La CDPDJ n’ayant pas fait la preuve que D... était alors inapte ou incapable d’exprimer librement ses intentions à l’égard de ces transactions, le Tribunal ne peut ignorer ce fait.
[121] Voyons plus particulièrement ce qu’il en est.
[122] Cette transaction a lieu plus ou moins six mois après le diagnostic émis en novembre 2016.
[123] Les notes colligées au dossier de D... par les divers représentants de la Caisse, pour la période entre décembre 2016 et juin 2019, ont été mises en preuve. Celles-ci révèlent ce qui suit.
[124] Le 30 juin 2017, R... téléphone à la Caisse au sujet d’un financement Accord D[71]. Cependant, comme R... n’a pas de compte à la Caisse et qu’il n’est que le procureur désigné par D... pour le représenter, il ne peut obtenir un tel financement. Quelques jours plus tard, le 4 juillet 2017, D... passe en succursale, accompagné de R..., afin d’obtenir un financement Accord D de 30 000 $ pour payer les dettes de son fils. Le 4 juillet 2017, Louise Bourgeault note ce qui suit au dossier de D... :
[Je] Leur ai expliqué que je devais avoir les relevés de ses cartes à payer et que le financement devait se faire au nom des deux. D... T... a eu un diagnostique d’Alzeimer mais avec la nvelle médication il est mieux qu’avant (il semble très bien aussi). Il n’a pas de problème à faire un prêt pour son fils. Il est claire que les transactions au folio sont faites par le fils… je lui en ai nommé qq unes et le fils a dû justifier à l’effet qu’il n’avait pas sa carte… le père n’en a pas fait de cas… Ils vont revenir pour le financement[72]
(Transcription textuelle)
[125] Le 4 juillet 2017, D... signe un chèque de 30 000 $ tiré sur son compte à la Caisse, et ce, en faveur de R...[73].
[126] Le 5 juillet 2017, Louise Bourgeault inscrit dans le dossier de D... que finalement, ce dernier a décidé de faire un chèque de 30 000 $ à son fils pour payer ses dettes[74].
[127] Selon le témoignage de Vanessa Oligny, représentante de la Caisse, R... se présente à la succursale de la Caisse le 6 avril 2018 pour retirer 16 000 $ d’un compte de D.... Madame Oligny lui pose des questions au sujet de la transaction. R... répond que les fonds serviront à payer ses dettes, que son père est en attente d’être placé en résidence en raison de problèmes cognitifs. N’étant pas à l’aise avec la transaction, madame Oligny informe R... qu’elle va faire des vérifications et qu’elle va le rappeler.
[128] Madame Oligny appelle alors D.... Elle témoigne que ce dernier n’est alors pas au courant de la transaction et est très surpris du montant que son fils entend retirer considérant qu’habituellement, il ne fait que des petits retraits, variant de 1000 $ à 2000 $. Elle explique que D... semble alors très lucide, qu’il lui dit même qu’il a travaillé fort pour cet argent.
[129] R... repasse en succursale un peu plus tard le même jour pour avoir les fonds, demande à laquelle madame Oligny refuse d’obtempérer vu les circonstances. R... quitte la succursale, apparemment offusqué.
[130] Le 9 avril 2018, R... et D... se présentent à la Caisse pour aller de l’avant avec la transaction. Madame Oligny rencontre alors les deux hommes.
[131] Lors de son témoignage, elle explique le déroulement de cette rencontre à partir des notes manuscrites qu’elle a inscrites au dossier de D... à la Caisse[75]. Celles-ci mentionnent que D... comprend alors très bien la portée d’une procuration, qu’il est bien conscient de la transaction envisagée et qu’il est d’accord pour remettre 16 000 $ à R.... D... procède alors lui-même à la transaction avec sa carte de guichet et une traite bancaire est émise en faveur de R..., pour la somme de 16 000 $. Le produit de la traite est par la suite déposé au compte conjoint que R... détient à la BNC.
[132] En août 2018, un placement du compte d’épargne libre d’impôt (CELI) de D... arrive à terme. Il est racheté le 24 août 2018 et le produit de 44 225,46 $ est immédiatement déposé au compte chèque de D... à la BMO.
[133] Prenant en considération la somme de 5 265,37 $ déjà au compte de D... avant le rachat du placement ainsi que les intérêts de 0,14 $ déposés au compte le 31 août 2018, D... possède, au 20 septembre 2018, une somme totale de 49 490,97 $ à son compte à la BMO[76].
[134] Le 20 septembre 2018, un virement de 49 490,47 $ est effectué du compte de D... à la BMO au compte de R... à la même institution. Le relevé de transaction pour ce virement est signé par D...[77].
[135] Lors de son témoignage, R... explique avoir demandé à son père ce qu’il voulait faire avec ce placement qui arrivait à terme. D... lui a dit de prendre l’argent, qu’il l’avait placé pour lui, que c’était son héritage et sa façon de lui faire plaisir. Il ne voulait pas que le gouvernement lui prenne son argent, c’était sa grande peur.
[136] La preuve révèle les événements additionnels suivants, survenus de façon concomitante à cette dernière transaction, soit :
- le 24 août 2018, D... signe, devant notaire, un mandat de protection et procuration générale[78] ;
- le 20 septembre 2018, madame Carrier accompagne D... à la Banque afin qu’il retire la procuration en faveur de R...[79], et ce, bien qu’elle soit d’avis que D... est inapte depuis au moins le mois d’août 2018 ;
- le 21 septembre 2018, madame Laurence Jalbert-Laramée note au dossier de D... à la Caisse que lors d’un appel à D... ce jour-là pour le renouvellement de son fonds enregistré de revenu de retraite (FEER), elle en profite pour discuter avec lui des activités dans son compte et l’informe qu’au cours des 62 derniers jours, le solde est passé de 14 000 $ à 2 000 $ ; D... lui répond qu’il sait que c’est son fils qui fait les retraits et qu’il est content que son fils profite de la vie[80].
[137] Quant aux transactions où D... n’est pas intervenu, seul le paiement de 10 500 $ fait par traite bancaire en date du 20 août 2028 en faveur de H... B... est abordé par R... lors de son témoignage.
[138] La preuve révèle que le 20 août 2018, un retrait de 11 714,94 $ est effectué au CELI que D... détient à la BMO. Le montant est déposé dans le compte de ce dernier à la même institution. Le même jour, R... fait émettre une traite bancaire de 10 500 $ en faveur de H... B... à partir des fonds détenus au compte de D.... Il signe le relevé de transaction pour faire émettre la traite bancaire en ajoutant la mention « (Procuration) »[81].
[139] En témoignage, R... explique que cette somme a été utilisée pour l’acquisition d’une roulotte pour ses fins personnelles. Il relate avoir indiqué à D... qu’il avait décidé d’acheter une roulotte pour partir en vacances avec sa famille et que ce dernier a offert de la payer, en mentionnant que c’était sa façon de faire plaisir, notamment à ses petits-enfants.
[140] Cette preuve n’est pas contredite. Au contraire, madame Carrier relate dans son rapport d’octobre 2018 que D... était content d’avoir donné de l’argent à R... pour qu’il aille en voyage avec ses enfants[82]. Lors de son témoignage, elle explique cependant ne pas reconnaître la signature de D... sur la traite bancaire et semble insinuer que R... aurait signé la traite à la place de son père. Madame Carrier semble assimiler une traite bancaire à un chèque personnel. Or, la traite se distingue d’un chèque personnel en ce qu’elle est tirée sur le compte de l’institution financière qui l’émet, en l’occurrence la BMO, et n’a dès lors pas à être signée par la personne qui la demande, en l’occurrence R.... En l’espèce, la preuve ne révèle aucune anomalie dans l’émission de la traite.
[141] Pour ce qui est des divers retraits et virements bancaires effectués par R..., en août 2018 ainsi qu’entre octobre et février 2019, à partir du compte de D... à la Caisse, le Tribunal est d’avis que ces transactions s’inscrivent dans la lignée du témoignage non contredit de R... sur les volontés de son père telles qu’exprimées avant sa maladie, alors qu’il était en mesure de faire des choix libres et éclairés.
[142] En somme, la preuve présentée par la CDPDJ n’établit pas, de façon prépondérante, que R... a profité de sa position de force envers son père pour se livrer à des abus financiers à l’égard de ce dernier. La preuve démontre au contraire qu’avant la période de référence, alors qu’il était lucide et en mesure de le faire, D... a librement choisi de donner ses économies à son fils R....
[143] L’article 6 de la Charte prévoit que :
6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.
[144] Dans l’affaire Rankin[83], le Tribunal rappelle ce qui suit au sujet de la protection prévue à l’article 48 de la Charte :
[173] L’objectif de la protection n’est pas de faire perdre des droits aux gens du seul fait de leur âge.
[174] La personne âgée doit pouvoir continuer à faire des choix. Bien qu’âgée ou vulnérable, une personne conserve le droit d’être généreuse envers ceux qui l’accompagnent dans cette période de sa vie et, dans la mesure où elle agit librement et de façon éclairée, il n’y a pas lieu de remettre en question les avantages dont elle veut faire profiter un membre de son entourage.
(Références omises)
[145] Plus récemment, dans la décision Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (M.G.) c. A.D.[84], le Tribunal, réitère ce principe en ces termes :
[86] Il est clairement établi en jurisprudence que l’article 48 de la Charte ne doit pas avoir pour effet de priver la personne âgée de la possibilité de disposer de ses biens comme elle l’entend : « L’article 48 de la Charte été conçu dans une perspective de protection de la personne âgée, mais non dans celle d’une perte de droits ». Il offre à la personne âgée une protection qui ne la prive en rien du droit d’être généreuse envers ses proches.
(Références omises)
[146] En l’espèce, la CDPDJ ne convainc pas le Tribunal qu’il y a lieu d’intervenir, vu le témoignage crédible et non contredit de R... sur les volontés que son père a exprimées avant sa maladie, alors qu’il était pleinement en mesure de le faire. Les circonstances mises en preuve n’établissent pas, comme c’est souvent le cas en matière d’exploitation financière, que ces volontés exprimées par D... pourraient résulter de l’initiative de R.... Dans les faits, la preuve ne révèle pas de manigance, de tromperie, de manipulation, de malversation, de stratagème ou de pression indue de la part de R..., à quelque moment que ce soit, permettant d’écarter son témoignage sur les volontés de son père et de privilégier la thèse de l’exploitation financière telle qu’avancée par la CDPDJ.
[147] Au contraire, de l’avis du Tribunal, il est vraisemblable et plus probable qu’avant sa maladie, D... ait, de son plein gré, voulu avantager le seul de ses enfants avec qui il entretenait alors une relation.
[148] À la lumière de l’ensemble des circonstances de cette affaire, plus particulièrement de ce que la preuve révèle sur le caractère de D..., sur la dynamique entre son fils et lui, sur les antécédents de gratuités faites à R... dans le passé et sur les propos qu’il a tenus envers ce dernier avant sa maladie, savoir que ses économies lui revenaient et qu’il devait en profiter avant qu’elles ne soient amputées par le gouvernement, le Tribunal conclut que la CDPDJ n’a pas établi que ces transactions ont été faites contre le gré de D....
[149] Ont-elles été faites à son détriment ? Le Tribunal estime que non. La CDPDJ soutient que les transactions effectuées par R... ont placé D... dans une situation financière précaire l’empêchant d’obtenir les soins dont il a besoin ou de résider dans un environnement qui lui convient. Cependant, aucune preuve tangible n’est présentée à cet égard.
[150] Le Tribunal note qu’au 31 décembre 2019, le capital de D... s’élève à 33 183 $[85]. Ses revenus provenant de la Pension de la sécurité de la vieillesse du Canada, du Régime des rentes du Québec et de sa pension à titre de travailleur de l’industrie de la construction, totalisent 2 175 $ par mois[86]. Rien dans la preuve ne permet au Tribunal de conclure que ces revenus, combinés au capital que D... détient toujours, sont insuffisants pour subvenir à ses besoins actuels. Ainsi, sans preuve concrète, les allégations de la CDPDJ demeurent ce qu’elles sont : de simples allégations, sans plus.
[151] Étant donné l’article 6 de la Charte qui consacre le droit de toute personne, incluant les personnes âgées, à la « libre disposition de leurs biens », soit la liberté de consentir des libéralités sous forme de dons ou de legs aux personnes de leur choix, le Tribunal conclut qu’en l’espèce, D... n’a pas été victime d’exploitation financière de la part de R....
[152] Bien que la jurisprudence foisonne de cas d’exploitation financière, il est étonnant de constater l’absence de décisions portant uniquement sur d’autres formes d’exploitation. Par conséquent, la prédominance en jurisprudence de cas d’exploitation financière a fait en sorte que la mise à profit, comme troisième critère de l’exploitation, a, jusqu’à maintenant, été assimilée à un profit monétaire ou matériel réalisé par la personne en position de force.
[153] Dans l’arrêt Vallée[87], la Cour d’appel souligne les liens existants entre la notion d’exploitation et le concept de lésion provenant du droit civil. Elle écrit :
[36] Il faut saluer le choix du Tribunal des droits de la personne de souscrire à une interprétation large de l’article 48 de la Charte. Cette option s’est traduite dans l’élaboration des critères développés par le Tribunal pour cerner les cas d’exploitation. Ces critères s’apparentent à ceux développés en matière de lésion, selon le Code civil du Québec. L’article 1406 C.c.Q. définit ainsi la lésion, concept qui repose notamment sur l’idée d’une disproportion injustifiée dans les rapports entre les parties :
La lésion résulte de l’exploitation de l’une des parties par l’autre, qui entraîne une disproportion importante entre les prestations des parties ; le fait même qu’il y ait disproportion importante fait présumer l’exploitation.
[37] Le Tribunal assimile donc le régime prévu à l’article 48 de la Charte à celui que les auteurs Baudouin et Jobin qualifient de « régime spécial » destiné à tempérer les injustices en introduisant une idée de moralité dans les relations entretenues avec une personne âgée :
L’évolution du droit civil québécois est donc, en matière de lésion, remarquable. Elle permet de faire certaines constatations. La première est que, sous le Code civil du Bas-Canada, ce n’est qu’une partie de la jurisprudence qui a utilisé la discrétion conférée par certaines dispositions comme l’article 1040c C.c.B.C. pour intervenir avec vigueur dans les situations lésionnaires. La seconde est qu’au-delà de la conception traditionnelle de la lésion, dont la portée est certes limitée par l’article 1405 C.c., la multiplication des régimes spéciaux, permettant de tempérer les injustices contractuelles dans certains cas particulier, introduit au Code une nouvelle dimension, complémentaire dans les relations contractuelles. La lutte aux injustices contractuelles est désormais admise comme une véritable politique, et non plus comme mesure purement exceptionnelle. La troisième est qu’il restera aux tribunaux, au fil des ans, à préciser, d’une part, le contenu exact de la notion générale de lésion de l’article 1406 C.c. et, d’autre part, le contenu spécifique des autres textes particuliers introduisant la nouvelle idée de moralité contractuelle, contenu qui n’est pas nécessairement strictement identique à celui de la notion générale.
(Références omises)
(Soulignements omis)
[154] Or, comme nous l’avons déjà souligné, la protection offerte par l’article 48 n’est pas limitée à l’exploitation financière et s’étend aux autres formes d’exploitation. Partant, le Tribunal est d’avis que lorsque les faits n’impliquent pas de dimension financière ou matérielle, le critère de la mise à profit inspiré du concept de lésion est problématique.
[155] En effet, exiger la démonstration d’un profit pécuniaire ou matériel lorsque l’exploitation est strictement physique, psychologique, morale ou sociale, sans qu’il soit question de gain pécuniaire ou matériel de la part de la personne en position de force, aurait pour conséquence de limiter l’interprétation large et libérale qu’il convient de donner aux droits fondamentaux garantis par un document quasi constitutionnel comme la Charte. En d’autres termes, le critère de la mise à profit ne doit pas être limité aux notions de profit, de gain ou d’enrichissement, au sens financier de ces expressions, et ce, de façon à assurer une protection efficace contre les types d’exploitation autres que financière.
[156] La professeure Marie-Hélène Dufour propose ainsi de changer le prisme d’interprétation du critère de la mise à profit lorsque l’exploitation est autre que financière :
Nous proposons que les tribunaux revoient le critère d’application de la « mise à profit » de façon à exiger, non pas la démonstration d’un profit réalisé par une personne en position de force, mais plutôt la « mise à profit d’une position de force au détriment d’intérêts plus vulnérables », c’est-à-dire l’utilisation, à mauvais escient, d’une position avantageuse, de façon dommageable au regard des intérêts d’une personne âgée vulnérable. Dit autrement, ce critère consiste à vérifier si une personne a profité de la vulnérabilité d’une personne âgée, et non pas profité de son patrimoine, notamment en abusant de sa crédulité, de sa confiance ou de son état de dépendance ; ou encore, à vérifier si une personne a profité, de façon injustifiée, d’une situation ou d’une relation aux dépens des intérêts d’une personne âgée. Suivant cette [acception] du critère de la « mise à profit », l’analyse devrait d’abord porter sur les rapports existants entre les parties afin d’évaluer si une personne est en position de force par rapport à une personne âgée étant en situation de vulnérabilité, pour ensuite viser à déterminer les conséquences du déséquilibre relationnel sur les intérêts de la personne vulnérable.
Plutôt que de se demander si la personne en position de force s’est indûment enrichie, il convient de vérifier de quelle façon elle a utilisé sa position privilégiée : a-t-elle posé des gestes afin d’assurer le bien-être de la personne âgée vulnérable, ou s’est-elle du moins comportée de façon à ne pas porter préjudice à la personne âgée, ou la preuve révèle-t-elle des manœuvres ou des manipulations qui constituent des pressions, voire de l’intimidation ? Dès lors qu’une personne en position de force utilise sa position pour nuire à une personne âgée vulnérable, pour lui causer un quelconque dommage, pour agir de façon préjudiciable face aux intérêts de celle-ci ou encore, pour porter atteinte à ses droits, elle contrevient au droit de celle-ci « d’être protégé contre toute forme d’exploitation »[88].
(Références omises)
[157] Elle suggère de s’inspirer, dans de tels cas, de la notion de maltraitance telle que définie à l’article 2 de la Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les aînés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité[89] adoptée en 2017 : « un geste singulier ou répétitif ou un défaut d’action appropriée qui se produit dans une relation où il devrait y avoir de la confiance et qui cause, intentionnellement ou non, du tort ou de la détresse à une personne ».
[158] Aux yeux du Tribunal, l’interprétation proposée par la professeure Dufour est parfaitement compatible avec la définition de l’exploitation physique formulée par le Tribunal dans l’affaire Rankin, savoir que l’exploitation « est physique lorsque la personne âgée vulnérable est négligée, mal nourrie, laissée sans surveillance adéquate ou dans un milieu non sécuritaire, privée de soins de base, de soins médicaux ou de services sociaux, victime d’abus physiques »[90]. Elle s’harmonise en outre avec le deuxième alinéa de l’article 48 de la Charte lequel prévoit le droit de toute personne âgée à la protection que doivent lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu.
[159] Il va sans dire qu’il ne s’agit pas de restreindre la notion d’exploitation physique aux seuls cas de maltraitance telle que cette expression est définie par la Loi. Les notions d’exploitation physique et de maltraitance ne sont ni synonymes ni interchangeables. Il s’agit au contraire d’utiliser la définition de la notion de maltraitance contenue dans la Loi comme source d’inspiration pour interpréter la mise à profit dans le cadre d’exploitation physique au sens de l’article 48 de la Charte étant donné que la Charte et la Loi ont pour objectif commun de protéger les personnes âgées vulnérables contre les abus et mauvais traitements dont elles font l’objet de la part de personnes ou d’organismes dont elles dépendent.
[160] Analysés sous cet angle, les faits en l’espèce établissent de façon prépondérante, qu’à compter de l’été 2018, R... a profité, volontairement ou non, de sa position de force et de la vulnérabilité de son père pour le négliger de deux façons : physiquement et émotivement.
[161] Rappelons en effet que dès décembre 2016, c’est R... qui supervise le quotidien de D.... Il lui fournit sa nourriture, l’aide pour son hygiène et l’entretien de son appartement, lui procure ses vêtements et assure son transport.
[162] Or, la preuve non contredite révèle qu’à compter de juin 2018, D... est négligé au niveau de son hygiène corporelle alors qu’il dépend complètement de R... à cet égard. Au surplus, ce dernier se dit non disponible pour accompagner son père pour une évaluation en gérontopsychiatrie en juin 2018.
[163] La situation ne fait qu’empirer par la suite, au fur et à mesure que la perte d’autonomie de D... progresse.
[164] Il y a notamment le fait que R... n’ait pas pourvu son père d’un ventilateur après que celui-ci soit resté plusieurs heures au soleil, en pleine canicule, en juillet 2018. Il ne retourne pas les appels du CLSC et ne donne pas suite aux messages que les intervenants lui laissent à ce sujet.
[165] Au surplus, la preuve non contredite révèle les éléments suivants, à compter de l’été 2018 :
- quand le réfrigérateur de D... n’est pas vide, il ne contient aucune variété d’aliments, que du pain ; à une occasion, de la nourriture pourrie y est retrouvée ;
- des rappels doivent être faits à R... pour qu’il apporte de la nourriture à son père ; à une occasion, il met quatre (4) jours pour donner suite à la demande du CLSC ;
- D... perd tellement de poids que ses vêtements sont devenus trop grands ;
- D... porte les mêmes vêtements plus d’une semaine et ceux-ci dégagent parfois une forte odeur ;
- l’appartement est sale, des sous-vêtements souillés traînent ;
- les cheveux de D... sont sales et longs, ses ongles ne sont pas taillés.
[166] À l’automne 2018, D..., qui a alors déjà perdu passablement de poids, continue de perdre une à deux livres par semaine. Mme Bernet le décrit comme étant émacié, les joues creuses, faible et se tenant sur les murs. Il ne se fait plus la barbe.
[167] Au niveau émotif, la preuve non contredite révèle qu’alors qu’il dépend totalement de R... pour ses besoins affectifs, D... éprouve une solitude importante. À compter de l’été 2018, il ne quitte plus son domicile de crainte de se perdre. D... se sent abandonné par son fils. Il dit aux intervenants qu’il se sent comme un animal attaché.
[168] Bien qu’il n’ait aucun doute sur l’amour que R... porte à son père, le Tribunal ne peut qu’être interpellé par la situation que les intervenants décrivent.
[169] Le Tribunal peut comprendre qu’il ait été difficile et bouleversant pour R... de voir l’état de son père se dégrader, d’autant plus qu’à cette période, il était lui-même en arrêt de travail et que sa conjointe, S..., était en dépression. Cependant, le Tribunal a peine à concevoir qu’après s’être engagé à agir à titre de proche aidant, R..., alors qu’il se sentait dépassé par la situation, n’ait offert pratiquement aucune collaboration aux intervenants du CLSC.
[170] En effet, la preuve non contredite révèle que bien qu’il se soit engagé à être la personne de référence pour le CLSC, R... ne retourne pas les appels des intervenants, ne fait pas de suivi auprès de madame Carrier, ne collabore pas aux rencontres cliniques se disant trop occupé, ni aux suivis médicaux de D... et il n’appelle pas le médecin de celui-ci lorsque les intervenants du CLSC le lui demandent. Il exprime même à un certain moment vouloir mettre un terme à l’implication du CLSC. Madame Bernet doit le rappeler à l’ordre à plusieurs reprises pour qu’il s’occupe des besoins de base de D....
[171] Jusqu’en janvier 2019, il refuse l’implication de [la Ressource A] pour l’aide au ménage, préférant s’en occuper lui-même. À la fin de la période de référence, les diverses aides techniques proposées par le CLSC n’avaient toujours pas été mises en place, faute par R... de les acheter.
[172] Le Tribunal conclut que la façon dont R... a utilisé sa position de force envers son père contrevient aux dispositions de l’article 48 de la Charte.
[173] R... a agi de façon préjudiciable face aux intérêts de D.... En ne s’assurant pas du bien-être de son père, il lui a causé du tort ainsi que de la détresse. Au surplus, il ne lui a pas fourni la protection et la sécurité à laquelle ce dernier avait droit en vertu du deuxième alinéa de l’article 48 de la Charte.
[174] Aux yeux du Tribunal, malgré l’absence de gain financier ou d’enrichissement matériel de la part de R..., le comportement de ce dernier tel que décrit ci-avant constitue de l’exploitation physique au sens de l’article 48 de la Charte.
[175] Quant à l’argument de la CDPDJ selon lequel D... a été l’objet d’une atteinte à sa dignité en raison de son âge et de son handicap, le Tribunal est d’avis qu’il est également bien fondé.
[176] Le Tribunal a eu l’occasion de statuer à plusieurs reprises que l’exploitation des personnes âgées et handicapées au sens de l’article 48 de la Charte constitue une atteinte au droit de celles-ci à la sauvegarde de leur dignité[91].
[177] La Cour suprême dans l’affaire Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand[92] écrit ceci au sujet de l’article 4 de la Charte :
105. À la lumière de la définition donnée à la notion de « dignité » de la personne et des principes d’interprétation large et libérale en matière de lois sur les droits et libertés de la personne, j’estime que l’art. 4 de la Charte vise les atteintes aux attributs fondamentaux de l’être humain qui contreviennent au respect auquel toute personne a droit du seul fait qu’elle est un être humain et au respect qu’elle se doit à elle-même.
(Italiques reproduits)
[178] Dans l’arrêt Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse)[93], la Cour suprême a précisé son interprétation du droit à la sauvegarde de la dignité garanti par l’article 4 en ces termes :
[…] Lorsqu’une personne se voit privée de son humanité par l’infliction de traitements qui l’avilissent, l’asservissent, la réifient, l’humilient ou la dégradent, sa dignité est indéniablement bafouée. En ce sens, le droit à la sauvegarde de la dignité constitue un bouclier contre ce type d’atteintes qui ne font pas moins que révolter la conscience de la société.
[179] En l’espèce, et contrairement à l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (I.B.) c. G.G.[94] rendue récemment par le Tribunal où il est plutôt question d’exploitation financière d’une mère très âgée par son fils adoptif, il s’agit ici d’une affaire où un homme a exploité physiquement son père, une personne âgée et handicapée très vulnérable, en négligeant de lui apporter les soins de base, l’attention et le soutien minimaux que sa condition précaire exigeait.
[180] Aux yeux du Tribunal, la situation dégradante liée aux conditions d’hygiène déplorables, à la sévère perte de poids accélérée en raison du manque de nourriture, à l’abandon complet d’un père laissé seul à un moment de sa vie où il avait désespérément besoin de l’aide de son fils pour survivre, a dépouillé D... de son humanité et a atteint le degré de gravité exigé par la Cour suprême dans l’arrêt Ward pour conclure à une violation du droit à la sauvegarde de sa dignité.
[181] Ce comportement de R... se comprend d’autant moins, que de façon concomitante, son train de vie s’est considérablement amélioré du fait qu’il bénéficiait de sommes importantes qu’il prélevait dans les avoirs de D....
[182] Le Tribunal conclut donc que R... a porté atteinte au droit de D... à la sauvegarde de sa dignité en raison notamment de son âge et de son état de santé mental constitutif de handicap, et ce, contrairement aux dispositions des articles 4 et 10 de la Charte.
[183] L’article 49 de la Charte prévoit les réparations possibles lorsqu’il y a atteinte illicite à un droit qu’elle reconnaît.
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
[184] Ainsi, lorsqu’il y a violation d’un droit reconnu par la Charte, des dommages-intérêts peuvent être octroyés pour compenser deux types de préjudice : le préjudice matériel et le préjudice moral. Des dommages-intérêts punitifs peuvent aussi être accordés lorsque l’atteinte est non seulement illicite, mais également intentionnelle.
[185] En l’espèce, vu la conclusion du Tribunal quant à l’absence d’exploitation financière, aucun dommage-intérêt ne peut être accordé pour compenser le préjudice matériel allégué. Par conséquent, seul l’octroi de dommages-intérêts pour préjudice moral et de dommages-intérêts punitifs peut être envisagé en rapport avec l’exploitation physique dont D... a été victime d’une part, et l’atteinte au droit de ce dernier à la protection de sa dignité sans discrimination d’autre part.
[186] Le préjudice moral « affecte l’être humain dans son for intérieur, dans les ramifications de sa nature intime et détruit la sérénité à laquelle il aspire, il s’attaque à sa dignité et laisse l’individu ébranlé, seul à combattre les effets d’un mal qu’il porte en lui plutôt que sur sa personne ou sur ses biens »[95].
[187] La Cour suprême, dans l’arrêt St-Ferdinand, rappelle que le préjudice moral « est constitué non seulement de la perception que la victime a de son état, mais aussi de cet état lui-même »[96]. Ainsi, l’indemnité accordée doit tenir compte à la fois de l’aspect subjectif du préjudice en ce qu’elle vise à compenser la victime pour la souffrance vécue, et de son aspect objectif en ce qu’elle vise également à réparer le préjudice en raison même de son existence.
[188] Comme le rappelle la Cour d’appel dans l’arrêt Calego International inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, « [m]esurer le dommage moral et l’indemnité conséquente constitue une tâche délicate forcément discrétionnaire »[97].
[189] En l’espèce, la CDPDJ réclame 10 000 $ à titre de compensation, et ce, sur la base d’une exploitation financière et physique par R....
[190] Bien qu’une réclamation en dommages-intérêts pour préjudice moral doive être évaluée en fonction des circonstances qui lui sont propres et selon la preuve administrée à l’audience, le Tribunal peut tout de même s’inspirer des décisions rendues en matière d’exploitation afin de déterminer la compensation appropriée. Or, la jurisprudence révèle que les sommes suivantes ont été accordées à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral dans de tels cas : 10 000 $ en 2021 dans la décision Riendeau[98], 12 000 $ en 2021 dans la décision Saint-Pierre[99], 12 000 $ en 2022 dans la décision J.M.[100], 20 000 $ en 2022 dans la décision Moreau[101] et 6 500 $ en 2023 dans la décision M.L.[102]. Le Tribunal note cependant que dans ces décisions, l’exploitation financière est également ou uniquement en cause.
[191] Ici, vu l’absence d’exploitation financière, il n’y a pas lieu d’accorder le plein montant réclamé par la CDPDJ. Afin de compenser le préjudice moral subi par D... en raison de l’exploitation physique dont il a été victime et de l’atteinte à son droit à la sauvegarde de sa dignité sans discrimination, le Tribunal accorde des dommages-intérêts de 7 500 $. Une telle somme est adéquate pour compenser D... pour les conséquences négatives résultant de l’ensemble de la situation d’exploitation physique dont il a été victime.
[192] Les objectifs des dommages-intérêts punitifs sont de trois ordres : punir, dissuader et dénoncer des conduites socialement répréhensibles[103]. Ils sont complètement autonomes et ne dépendent aucunement de l’octroi de dommages-intérêts compensatoires[104].
[193] Les critères permettant d’octroyer des dommages-intérêts punitifs sont prévus à l’article 1621 C.c.Q :
1621. Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.
[194] Pour que de tels dommages-intérêts soient octroyés en vertu des dispositions de l’article 49 de la Charte, comme en l’espèce, il doit y avoir atteinte illicite et intentionnelle à un droit ou à une liberté reconnu par celle-ci. Ce sera le cas lorsque l’on peut dénoter dans l’état d’esprit de l’auteur de l’atteinte, la volonté de causer les conséquences de sa conduite, ou encore « lorsque celui-ci agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou du moins extrêmement probables, engendrées par sa conduite »[105].
[195] Ici, on ne peut conclure de la preuve que R... avait la volonté, au sens strict du terme, de causer les conséquences de sa conduite. Cependant, il ressort clairement de la preuve que R... a fait preuve d’aveuglement volontaire face à la dégradation significative de l’état de santé de son père et face aux conséquences probables découlant de son inaction par rapport à cette situation. Aux yeux du Tribunal, ce comportement est particulièrement répréhensible et doit être assimilé à un acte intentionnel au sens de l’article 49 de la Charte, justifiant l’octroi de dommages-intérêts punitifs.
[196] Cela étant, le montant de 1 000 $ réclamé par la CDPDJ sous ce chef se situe en deçà de la moyenne des dommages-intérêts punitifs généralement octroyés par le Tribunal en matière d’exploitation[106]. Toutefois, la preuve révèle que la situation patrimoniale de R... est peu reluisante puisqu’il ne lui reste plus rien des montants prélevés dans les comptes de son père.
[197] Dans ces circonstances, considérant les dommages-intérêts pour préjudice moral auxquels R... est condamné par le présent jugement et sa précarité financière, le Tribunal estime qu’une somme de 500 $ à titre de dommages-intérêts punitifs est suffisante pour assurer les fonctions préventive, dissuasive et punitive de cette compensation.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[198] ACCUEILLE en partie la demande introductive d’instance modifiée ;
[199] CONDAMNE la partie défenderesse à payer à la partie demanderesse la somme de 7 500 $ à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. à compter du 10 mai 2021.
[200] CONDAMNE la partie défenderesse à payer à la partie demanderesse la somme de 500 $ à titre de dommages-intérêts punitifs, avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. à compter du présent jugement ;
[201] LE TOUT, avec les frais de justice.
| __________________________________ johanne gagnon, Juge au Tribunal des droits de la personne | |
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Mme Lauriane Palardy (stagiaire) Me Kathrin Peter BITZAKIDIS CLÉMENT-MAJOR FOURNIER | ||
Pour la partie demanderesse | ||
| ||
M. R... T... | ||
Partie défenderesse | ||
| ||
Dates d’audience : | 2 et 3 février 2023 | |
[1] Les parties ayant le même nom de famille, le Tribunal utilisera leur prénom afin d’alléger le texte. Les parties ne doivent y voir aucun manque de respect.
[2] RLRQ, c. C -12 (Charte).
[3] Pièce P-3, Demande de services inter-établissements faite par l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont en date du 7 décembre 2016, p. 2.
[4] Id., p. 2-3.
[5] Id.
[6] Id., p. 3.
[7] Pièce P-4, Procuration pour le compte Desjardins de D... T… en date du 16 décembre 2016.
[8] Pièce P-5, Procuration pour le compte de la Banque de Montréal de D... T… en date du 21 février 2017.
[9] OMEC est un acronyme pour Outil d’évaluation multi-clientèle.
[10] Pièce P-6, Rapport OEMC rédigée et signée par Josée Carrier en date du 30 mars 2017.
[11] Pièce P-17.1, Annexe de l’évaluation psychosociale du 10 décembre 2018, p. 1-2. Lors de son témoignage, madame Carrier confirme que la rencontre a bien eu lieu en mai 2017 et non en mai 2018.
[12] Pièce P-27, Notes d’évolution du 27 mars 2018, p. 1.
[13] Pièce P-8, Rapport OEMC rédigée et signée par Josée Carrier en date du 28 mars 2018.
[15] Id., p. 2-3.
[16] Pièce P-28, Note d’évolution rédigée et signée par Josée Carrier en date du 23 août 2018, p. 3.
[17] Pièce P-13, Révocation de procuration à la Banque signée par D... T… en date du 20 septembre 2018.
[18] Pièce P-12, Outil d’orientation et de référence en gestion de cas rédigé et signé par Josée Carrier en date du 26 octobre 2018.
[19] Pièce P-11, Mandat de protection et procuration générale signé par D... T… le 24 août 2018.
[21] Pièce P-14, Note d’évolution rédigée et signée par Sophie Bernet en date du 23 novembre 2018.
[22] Pièce P-15, Évaluation médicale rédigée et signée par Dre Thanh Ninh en date du 5 décembre 2018.
[23] Pièce P-17, Évaluation psychosociale rédigée et signée par Josée Carrier en date du 10 décembre 2018.
[25] Pièce P-18, Rapport OEMC rédigée et signée par Sophie Bernet en date du 21 janvier 2019.
[26] Pièce P-19, Note d’évolution rédigée et signée par Sophie Bernet en date du 15 février 2019.
[27] Pièce P-29, Note d’évolution rédigée et signée par Sylvie Lavoie en date du 26 mars 2019.
[28] Pièce P-30, Note d’évolution rédigée et signée par Sophie Bernet en date du 28 mars 2019.
[29] Pièce P-1, Jugement de la Cour supérieure du 17 juin 2019.
[30] Pièce P-26, Résolution CP-781.10 et les rapports de signification (en liasse).
[31] Voir notamment : Vallée c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2005 QCCA 316, par. 46 (Vallée) ; Riendeau c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Succession Provencher), 2021 QCCA 406, par. 8 (Riendeau) ; Commission des droits de la personne (Szoldatits) c. Brzozowski, 1994 CanLII 1792 (QC TDP) p. 38.
[32] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Monty) c. Gagné, 2002 CanLII 6887 (QC TDP), par. 83 (demande pour permission d’appeler accueillie, CA, 16-12-2002, 500-09-013055-033 – règlement hors cour) (Gagné).
[34] RLRQ, c. CCQ-1991 (C.c.Q.).
[35] Vallée, préc., note 31, par. 25 et 29. Voir aussi : Mélanie SAMSON et Catheryne BÉLANGER, « Le dialogue du droit civil et des droits de la personne au Québec : l’exemple de la protection juridique des personnes aînées », dans Jérémie TORRES-CEYTE, Gabriel-Arnaud BERTHOLD et Charles-Antoine PÉLADEAU (dir.), Le dialogue en droit civil, Montréal, Éditions Thémis, 2018, p. 169, 182.
[37] Id.
[39] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (L.D. et un autre) c. Rankin, 2017 QCTDP 18, par. 168 (Rankin).
[40] Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 RCS 345, par. 116 ; Québec (Commission des droits de la personne et de la jeunesse) c. Montréal (Ville) ; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), 2000 CSC 27, par. 26-32 ; Québec (Commission des droits et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, par. 30 (Bombardier) ; Québec (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) c. Caron, 2018 CSC 3, par. 32 ; Vallée, préc., note 31, par. 24, 26 et 29.
[42] Vallée, id., par. 32 et 47 ; Turcotte c. Turcotte, 2012 QCCA 645, par. 48 (Turcotte). Voir aussi : Marie-Hélène DUFOUR, « Réflexions autour du premier alinéa de l’article 48 de la Charte québécoise et propositions pour une protection optimale des personnes âgées contre toute forme d’exploitation », dans Christine MORIN (dir.), Droit des aînés, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2020, p. 23, à la p. 46.
[43] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Succession de Garneau) c. Garneau, 2022 QCTDP 16, par. 113 (Garneau).
[44] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Succession Duhaime) c. Satgé, 2016 QCTDP 12, par. 238 (Satgé). Voir aussi : Rankin, préc., note 39, par. 178 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Succession Hamelin-Piccinin) c. Massicotte, 2018 QCTDP 18, par. 98 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (I.D.) c. C.F., 2019 QCTDP 5, par. 104 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.S.) c. L.S., 2020 QCTDP 9, par. 207 (L.S.) ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (J.R.) c. Moreau, 2022 QCTDP 17, par. 130 (Moreau).
[45] Satgé, id., par. 239 (références omises).
[46] Voir notamment : Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 RCS 211, par. 104-105 (St-Ferdinand) ; Commission des droits de la personne du Québec (Lambert et autres) c. Lemay, 1995 CanLII 3240 (QC TDP), p. 1972 ; Garneau, préc., note 43, par. 113-115 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (E.W.) c. J.M., 2022 QCTDP 21, par. 78-80 (J.M.) ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (M.L.) c. J.D., 2023 QCTDP 11, par. 95-100 (M.L.).
[47] Art. 2803 et 2804 C.c.Q.
[48] Bell Canada c. Promutuel Lanaudière, société mutuelle d’assurances générales, 2015 QCCQ 3730, par. 61-64.
[49] Léo DUCHARME, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Éditions Wilson et Lafleur, 2005, par. 146.
[50] Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, par. 41 ; Bombardier, préc., note 40, par. 66-68 ; Commission scolaire des Affluents c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2006 QCCA 81, par. 43 ; Riendeau, préc., note 31, par. 23.
[51] Art. 2845 C.c.Q.
[52] L.S., préc., note 44, par. 94.
[53] Vallée, préc., note 31.
[54] Voir notamment : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (M.P.) c. R.T., 2015 QCTDP 23, par. 50 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (G.H.) c. L.G., 2018 QCTDP 14, par. 70 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (R.L.) c. Robinson, 2019 QCTDP 4, par. 35 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Succession Lefebvre) c. Gagné, 2019 QCTDP 22, par. 34 ; M.L., préc., note 46, par. 66 et 67.
[55] Voir par exemple : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Harbour) c. Venne, 2010 QCTDP 9, par. 130-131 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Succession Provencher) c. Riendeau, 2018 QCTDP 23, par. 210, inf. en partie par 2021 QCCA 406 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (I.D.) c. C.F., préc., note 44, par. 97.
[57] Riendeau, préc., note 31, par. 30.
[58] L.S., préc., note 44, par. 118. Voir notamment : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Marchand) c. Vallée, 2003 CanLII 28651 (QC TDP), par. 23 et 98, inf. par 2005 QCCA 316 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Succession Even) c. Lessard (Calfeutrage Multi-Scellant), 2020 QCTDP 3, par. 104 (Lessard).
[59] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (M.C.) c. Saint-Pierre, 2022 QCTDP 8, par. 73 (Saint-Pierre). Voir également : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (M.N.) c. R.N., 2016 QCTDP 24, par. 273-281.
[60] M.-H. DUFOUR, préc., note 42, p. 46.
[61] Pièce P-20, Copie du chèque de 30 000 $ du 4 juillet 2017.
[62] Pièce P-21, Journal des opérations du compte Desjardins de D... T... du 1 janvier 2016 au 30 août 2019, p.15.
[63] Id., p. 17 et 18.
[64] Pièce P-24, Copie de la traite émise à l’ordre de H... B... en date du 20 août 2018.
[65] Pièce P-25, Relevé de transaction à la BMO en date du 20 septembre 2018 et Relevé de services bancaires courants du compte de R... T... à la BNC, p. 1 de 1 et 1 de 4.
[66] P-21, préc., note 62, p. 19-23; Pièce P-22, Relevé détaillé des transactions du compte de R... T... à la BNC du 23 décembre 2017 au 23 décembre 2019, p. 54-79.
[68] Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), préc., note 50, par. 37-44.
[70] Pièce P-33, Note d’évolution rédigée et signée par Josée Carrier, travailleuse sociale, en date du 25 janvier 2019, p. 4.
[71] Pièce P-35, Notes au dossier Desjardins de D... T... entre décembre 2016 et juin 2019, p. 3.
[72] Id.
[75] Id., p. 2.
[76] Pièce P-23, Relevé de services bancaires à la Banque du 1 janvier au 31 décembre 2018, p. 9.
[77] P-25, préc., note 65.
[81] P-24, préc., note 64.
[83] Rankin, préc., note 39. Voir aussi : Turcotte, préc., note 42, par. 39-48 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Végiard) c. Jean, 2016 QCTDP 1, par. 83 ; Lessard, préc., note 58, par. 58 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (M.G.) c. A.D., 2020 QCTDP 10, par. 86.
[84] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (M.G.) c. A.D., id.
[85] Pièce P-31, Déclaration écrite du Curateur public du Québec en date du 28 novembre 2022, p. 2.
[86] P-21, préc., note 62.
[88] M.-H. DUFOUR, préc., note 42, p. 51.
[89] RLRQ, c. L-6.3, art. 2 (Loi).
[90] Rankin, préc., note 39, par. 168.
[91] Satgé, préc., note 44, par. 238-240 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (S.M.) c. Si.S., 2021 QCTDP 46, par. 108 ; Garneau, préc., note 43, par. 113-115 ; Moreau, préc., note 44, par. 129-131.
[92] St-Ferdinand, préc., note 46.
[93] Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2021 CSC 43, par. 58 (Ward).
[94] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (I.B.) c. G.G., 2023 QCTDP 18.
[95] Bou Malhab c. Métromédia CMR Montréal inc., 2003 CanLII 47948 (QC CA), par. 63.
[97] Calego International inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2013 QCCA 924, par. 59.
[99] Saint-Pierre, préc., note 59, par. 98.
[104] De Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, par. 45.
[105] Saint-Pierre, préc., note 59, par. 88.
[106] Voir notamment : Rankin, préc., note 39, où la somme de 1 000 $ a été accordée ; Riendeau, préc., note 31, où la somme de 2 000 $ a été accordée ; Saint-Pierre, préc., note 59, où la somme de 5 000 $ a été accordée ainsi que Moreau, préc., note 44 et J.M., préc., note 46, où la somme de 3 000 $ a été accordée.
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