Saint-Laurent c. Ville de Québec | 2023 QCCS 1010 | |||||
(Chambre des actions collectives) COUR SUPÉRIEURE | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | QUÉBEC | |||||
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No : | 200-06-000183-155 200-06-000184-153 200-06-000185-150 | |||||
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DATE : | 28 mars 2023 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | simon hébert, j.c.s. (JH 5462) | ||||
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AUDRÉE SAINT-LAURENT | ||||||
BERNARD LAFORCE | ||||||
MARIE-ÈVE DUCHESNE | ||||||
Demandeurs | ||||||
c. | ||||||
VILLE DE QUÉBEC | ||||||
Défenderesse | ||||||
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC | ||||||
Mis en cause | ||||||
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JUGEMENT | ||||||
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Table des matières
1. L’APERÇU 3
2. les manifestations 4
2.1 La manifestation du 23 mai 2012 4
2.2 La manifestation du 28 mai 2012 10
2.3 La manifestation du 5 juin 2012 13
3. Les constats d’infraction remis aux manifestants(-tes) et les démarches menant aux Recours 16
3.1 Les constats d’infraction 16
3.2 Les démarches menant aux Recours 18
4. Le jugement d’autorisation 19
5. LA synthèse de La preuve administrée 22
6. les QUESTIONS à Être traitéeS collectivement 23
6.1 Première question : La prescription prévue à l’article
6.2 Deuxième question : Les préposés de la défenderesse ont-ils enfreint les droits constitutionnels et/ou quasi constitutionnels des personnes détenues, tel que prévu à la Charte des droits et libertés de la personne, à la Charte canadienne des droits et libertés? Si oui, lesquels? 30
6.3 Troisième question : 31
6.4 Quatrième question : 51
6.5 Cinquième question : Y a-t-il lieu d’accorder des dommages exemplaires pour abus de droit et pour violation des droits fondamentaux en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés? Si oui, quel est le montant? 53
6.6 Questions diverses 55
A) Le rapport d’expertise de la partie défenderesse 55
B) Les atteintes alléguées au droit à l’avocat et au droit d’être jugé dans un délai raisonnable 55
C) Les documents communiqués par et pour les membres des groupes ainsi que les documents qui émanent des avocats des groupes 55
7. LA synthèse 56
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL : 57
[1] Ce jugement porte sur trois actions collectives[1] réunies pour être instruites en même temps et jugées sur la même preuve.
[2] Ces trois actions collectives, dont l’exercice est autorisé le 15 décembre 2016[2], sont introduites pour le compte de toutes les personnes faisant partie des groupes suivants :
2.1. Toutes les personnes ayant été arrêtées ou détenues vers 22 heures sur la rue Saint-Jean, à Québec, lors de la manifestation du 23 mai 2012;
2.1. Toutes les personnes ayant été arrêtées ou détenues vers 21 heures sur le boulevard René-Lévesque, à Québec, lors de la manifestation du 28 mai 2012;
2.2. Toutes les personnes ayant été arrêtées ou détenues vers 21 heures sur la Côte de la Montagne, à Québec, lors de la manifestation du 5 juin 2012.
[3] Le jugement d’autorisation accorde le statut de représentant des membres d'un groupe à monsieur Bernard Laforce (pour la manifestation tenue le 23 mai 2012) et de représentantes des membres d’un groupe à madame Marie-Ève Duchesne (pour la manifestation tenue le 28 mai 2012) et à madame Audrée Saint-Laurent (pour la manifestation du 5 juin 2012)[3].
[4] Ces manifestations ont lieu dans un contexte qui mérite d’être rappelé.
[5] Vers la fin de l’année 2011, le gouvernement provincial annonce, dans le cadre de son budget, des hausses des droits de scolarité universitaire.
[6] Des regroupements étudiants organisent des manifestations en réaction à cette annonce. Des votes de « grève générale illimitée » (de la participation des étudiants(-tes) aux cours) ont lieu au début de l’année 2012.
[7] Des manifestations paralysent plusieurs établissements d’enseignement puisque les étudiants(-tes) boycottent les cours et bloquent l’accès aux établissements d’enseignement.
[8] Le gouvernement, pour « permettre aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent », présente et adopte une loi spéciale le 18 mai 2012[4].
[9] Cette loi prévoit les conditions et modalités relatives à la reprise des cours et, d’autre part, contient des dispositions visant à préserver la paix, l’ordre et la sécurité (en encadrant les manifestations par l’exigence de la remise préalable d’une date, d’une heure, d’un lieu et d’un trajet des manifestations).
[10] Les manifestations ne se déroulent d’ailleurs plus que sur les campus. On assiste à des manifestations quotidiennes, dans les rues de différentes villes, dont Québec.
[11] Ainsi, seulement à Québec, entre les mois de février et de septembre 2012, il y aura plus de 170 « manifestations étudiantes »[5].
[12] Le mouvement étudiant reçoit divers appuis : des partis politiques, des centrales syndicales, des professeurs et des citoyens.
[13] Cette période est connue sous le nom de « Printemps érable ».
[14] Le Service de police de la Ville de Québec (le « SPVQ ») déploie du personnel lors de ces manifestations qui, pour la grande majorité, se déroulent dans le calme[6] à Québec.
[15] Les interventions du SPVQ lors des manifestations tenues à Québec les 23, 28 mai et le 5 juin 2012 sont à l’origine des Recours.
[16] Le représentant de ce groupe, monsieur Laforce, est un résident du quartier Saint-Jean-Baptiste : il y a son logement et son emploi dans une librairie sur la rue A. Il est le père de trois enfants.
[17] Dans son quartier, les manifestations étudiantes alimentent plusieurs discussions, c’est un « sujet chaud » dit-il.
[18] C’est l’adoption de la Loi 78 qui l’incite à se joindre aux manifestations : il est contre cette loi qu’il qualifie « d’abus de pouvoir ».
[19] Le lieu habituel de rassemblement est devant l’hôtel du Parlement du Québec (le « Parlement »), près de la fontaine de Tourny, à 20 h 00 : les membres des groupes connaissent cette routine.
[20] Le SPVQ sait aussi que de telles manifestations doivent avoir lieu : un plan d’intervention, un document intitulé « Rapport d’information et de mobilisation UCF » est d’ailleurs préparé avant chaque manifestation. Ce rapport est complété par un document intitulé « Stratégie d’intervention UCF »[7].
[21] Ces documents décrivent l’événement qui est à l’origine de l’intervention (en l’occurrence, les manifestations), le lieu de rassemblement, le nombre de personnes attendues, les ressources humaines et matérielles que le SPVQ prévoit mobiliser.
[22] Ainsi, lors de chacune des manifestations, le SPVQ est présent et ses membres sont visibles, dans le secteur de la fontaine de Tourny, avant que les manifestants(-tes) ne se mettent à marcher.
[23] Monsieur Laforce se présente, seul, près de la fontaine de Tourny, devant le Parlement, le 23 mai vers 20 h 15. Il désire dénoncer la hausse annoncée des frais de scolarité et la Loi 78. Il répond à un appel lancé sur le réseau social Facebook. Il s’agit de la 3e ou 4e manifestation à laquelle il participe dans le cadre du Printemps érable. Il a aussi participé à une manifestation en 2002 dans le cadre du Sommet des Amériques.
[24] Son souvenir des événements avant le départ de la manifestation n’est pas précis : il croit avoir vu des véhicules du SPVQ dans le secteur de la fontaine de Tourny, il ignore si des gens se sont adressés aux manifestants et il ignore s’il y a eu un signal de départ.
[25] Le sergent Degrasse, du SPVQ, a un souvenir précis du début de cette manifestation. Alors que la foule est constituée de près de 150 personnes et rassemblée près de la fontaine de Tourny, il prend la parole pour donner des consignes de sécurité.
[26] En l’absence d’un itinéraire remis au SPVQ, un avertissement (le 1er avertissement) est communiqué à l’aide d'un porte-voix près de la fontaine de Tourny :
Un moment d’attention SVP, je suis le sergent Degrasse du Service de police de la ville de Québec, je vous informe que s’il n’y a pas de trajet de fourni, la marche sera déclarée illégale en vertu de l’article
Veuillez noter, qu’aucune escorte ne vous sera fournie. Vous devez utiliser les trottoirs et aucune action mettant en danger la sécurité des citoyens ne sera tolérée.
Je répète, s’il n’y a aucun trajet fourni, la marche sera déclarée illégale, il n’y aura pas d’escorte policière et vos actions seront filmées. Vous êtes passibles de recevoir un constat d’infraction en vertu de l’article
Merci de votre collaboration.[8]
[27] La foule lui est hostile et lui scande que « la Loi 78, on s’en câlisse »[9].
[28] La manifestation se met en branle, sans préavis, vers 20 h 35, en empruntant la chaussée, selon un itinéraire aléatoire[10]. Le groupe sillonne des rues du Vieux-Québec, puis se trouve sur la côte d’Abraham, en direction de la Basse-Ville de Québec, en bloquant la chaussée.
[29] Plusieurs témoins affirment que les policiers du SPVQ ferment la marche.
[30] Lorsque le groupe se met en branle, monsieur Laforce suit.
[31] Les manifestants(-tes) aperçoivent des policiers dans le secteur du parc Saint‑Roch. À partir de ce moment, le groupe accélère le pas et se disperse.
[32] Monsieur Laforce dit avoir entendu un avis communiqué par le SPVQ par lequel il est informé que la manifestation est déclarée illégale et qu’ils sont invités à se disperser. Après avoir identifié des membres de l’unité du contrôle de foule du SPVQ, dans le secteur où se dresse l’édifice Le Soleil, plusieurs personnes quittent la manifestation alors que d’autres décident de poursuivre.
[33] La représentante du groupe du 28 mai, madame Duchesne, est présente ce soir‑là[11]. Elle sait que la manifestation a été déclarée illégale. Sa colocataire, qui l’accompagne, a d’ailleurs quitté la manifestation après avoir aperçu des policiers sur la côte d’Abraham.
[34] Madame Christine Baby se joint à la manifestation du 23 mai pour marquer son désaccord avec la hausse annoncée des frais de scolarité. Elle ajoute que « l’éducation gratuite est une valeur importante ». Elle s’implique donc pour faire entendre sa voix. Elle rejoint la manifestation un peu plus tard (près de la porte Saint-Louis), donne une description semblable à celles données ci-devant. Lors de l’apparition de policiers de « l’anti-émeute », elle précise avoir entendu un « ordre de dispersion », mais, comme plusieurs autres personnes, elle décide de ne pas obtempérer à cet ordre puisqu’elle est convaincue d’être « dans son droit ». Elle est arrêtée avec les autres personnes du groupe.
[35] Madame Diane Robichaud considère, elle aussi, que l’éducation est une priorité, une valeur primordiale.
[36] Son fils, monsieur Francis Robichaud, participe déjà aux manifestations du Printemps érable. Il a tenté de porter secours à un cycliste qui est décédé lors de la manifestation du 22 mai[12].
[37] Il s’agit de la première participation de madame Robichaud à une manifestation à l’occasion du Printemps érable pour protester contre les hausses annoncées. Elle a cependant participé, auparavant, à diverses manifestations pour appuyer différentes causes (G7, climat, femmes).
[38] C’est son fils qui l’a conduit à la fontaine de Tourny.
[39] Elle a marché quelques heures, avec les autres manifestants(-tes) avant d’être arrêtée.
[40] Monsieur Laforce se trouve avec un sous-groupe qui remonte vers la Haute-Ville par la côte Badelard, un secteur résidentiel peu achalandé.
[41] Alors que ce sous-groupe emprunte la rue Deligny, monsieur Laforce entend un avis émis par le SPVQ : il comprend lui aussi que la manifestation à laquelle il participe est déclarée illégale.
[42] Monsieur Laforce suit néanmoins le sous-groupe, en direction du Parlement, par l’intersection formée par la rue Saint-Jean et la rue Saint-Augustin, devant le cimetière Saint-Matthew.
[43] C’est à cet endroit que, vers 22 h 00, le sous-groupe est encerclé par des membres du SPVQ.
[44] Monsieur Laforce entend un policier annoncer qu’ils sont tous arrêtés[13] « en vertu de la Loi 78 ».
[45] Après près d’une heure d’attente, monsieur Laforce est escorté près d’un autobus du Réseau de transport de la Capitale (le « RTC »)[14] : un policier l’identifie, le filme et lui passe les menottes dans son dos (il a les mains attachées avec des attaches autobloquantes (tie wrap)) puis l’embarque dans l’autobus avec d’autres membres du groupe.
[46] Tout comme monsieur Laforce, madame Robichaud est menottée, identifiée, puis conduite dans un autobus (pas le même que son fils).
[47] L’autobus les conduit jusqu’au stationnement du Colisée Pepsi, puis de là, vers un stationnement situé à l’intersection de la 1re Avenue et de la 4e Rue.
[48] Monsieur Laforce est libéré de ses entraves à cet endroit, puis relâché avec l’information qu’un constat d’infraction lui sera transmis par la poste.
[49] C’est à pied qu’il revient à son logement (près du lieu où il a été arrêté).
[50] Quant à madame Baby, des gens qui s’étaient retirés de la manifestation (avant l’arrestation) sont allés la chercher en voiture.
[51] Quelques semaines plus tard, monsieur Laforce reçoit un constat d’infraction daté du 28 mai[15]. On lui reproche d’avoir contrevenu à l’article
[52] Les manifestants(-tes), dont monsieur Laforce, avaient déjà reçu les coordonnées d’un avocat qui est en mesure de les accompagner dans cette affaire : il s’agit de Me Enrico Théberge.
[53] Ainsi, à la suite de la réception de son constat d’infraction, il confie le mandat à Me Théberge de comparaître pour lui et d’enregistrer un plaidoyer de non-culpabilité[17].
[54] Le lendemain ou le surlendemain, madame Baby communique avec un ami, qui est journaliste, pour dénoncer cette situation.
[55] Madame Baby reçoit aussi un constat d’infraction. Elle constate que ce constat contient deux erreurs (outre qu’elle en conteste le bien-fondé), soit la date de l’infraction qui lui est reprochée et l’heure à laquelle l’infraction a été commise[18].
[56] Elle participe à une rencontre au bar l’AgitéE. Elle s’informe, auprès de la Ligue des droits et libertés, des recours qui sont à sa disposition.
[57] Elle confie à Me Théberge le mandat de la représenter en cour municipale, pour contester le constat d’infraction[19].
[58] Elle se dit déjà consciente d’avoir été victime d’un abus, mais ce n’est qu’en 2015, lors d’une rencontre dans un local de l’Université Laval, qu’elle entend parler d’un « recours civil ».
[59] Madame Amy Bernier-Desmarais a participé à toutes les manifestations tenues lors du Printemps érable parce que cette cause lui tient à cœur. Elle est présente à celle du 23 mai.
[60] Puisqu’elle participe à toutes les manifestations, elle « connaît tout le monde ».
[61] Elle affirme que la manifestation du 23 mai était une grosse manifestation.
[62] D’ailleurs, dit-elle, parmi les manifestants(-tes), il y avait des anarchistes.
[63] Elle dit ignorer si la manifestation est illégale ou si un trajet a été remis aux policiers. Elle ne se souvient plus de ces détails, mais elle a en mémoire d’autres détails.
[64] Elle ajoute que lorsqu’on participe à une manifestation, on doit se préparer. Elle a de la nourriture et un ukulélé dans son sac. Elle dit aussi que des manifestants(-tes) ont reçu des informations sur ce qui peut être fait et ce qui ne peut pas être fait lors d’une manifestation. Ces informations proviennent de la Ligue des droits et libertés, dit-elle.
[65] Enfin, elle ajoute que les policiers ont été courtois et qu’ils n’ont pas été brusqués ce soir-là. Puisqu’elle a déjà été arrêtée dans de semblables circonstances, elle connaît la routine. Mais, elle ajoute qu’à l’intérieur de l’autobus, les gens sont indignés. Elle est libérée au parc Victoria.
[66] Comme les autres personnes ayant été entendues lors de l’instruction de cette affaire, elle a reçu un constat d’infraction quelques jours après la manifestation[20], elle a confié le mandat à Me Théberge de la représenter pour contester ce constat d’infraction[21], mais elle n’est pas capable de fournir d’autres détails puisque sa mémoire fait défaut[22].
[67] Subséquemment, elle assiste à plusieurs rencontres, dont des rencontres convoquées par le Front régional d’action à Québec (le FRAQ-ASSÉ).
[68] Madame Marie-Ève Duchesne, la représentante du groupe, est une citoyenne impliquée dans sa communauté. Lors du Printemps érable, elle est porte-parole du Front commun des personnes assistées sociales du Québec. Elle milite pour la gratuité de plusieurs services.
[69] La question des frais de scolarité universitaire l’interpelle. Elle est d’ailleurs présente lors de la manifestation du 23 mai.
[70] Outre son implication lors du Printemps érable, elle a participé à près d’une centaine de manifestations, dont près de 70 à titre d’organisatrice. Elle a l’habitude de remettre un trajet au SPVQ avant les manifestations, en général.
[71] Elle s’informe des manifestations étudiantes en consultant une page Facebook qui serait connue comme étant « un événement par soir jusqu’à la victoire ». Elle ignore qui est l’administrateur de cette page.
[72] Elle se présente vers 20 h 30, près de la fontaine de Tourny, avec une amie, madame Josée Simard. Elle évalue la foule à près de 200 personnes. L’évaluation par le SPVQ se situe dans les mêmes valeurs.
[73] Elle entend les discussions au sujet de l’itinéraire et sait qu’il est décidé de ne pas le remettre au SPVQ, après un vote tenu sur place.
[74] Il est intéressant de souligner le témoignage du lieutenant Pétrin, qui est chef de compagnie au SPVQ depuis le début du Printemps érable. Il dit que l’adoption de la Loi 78 a changé la donne. Depuis l’entrée en vigueur de la Loi 78, la dynamique s’est déplacée : l’enjeu est davantage la décision de remettre ou non le trajet que la raison qui rassemble le monde devant la fontaine de Tourny.
[75] Dès la fin du vote, un officier du SPVQ, à l’aide d’un porte-voix, informe les manifestants(-tes) qu’en l’absence d’un trajet et étant dans l’impossibilité d’assurer la sécurité des citoyens(-nes), la manifestation est déclarée illégale et les participants(-tes) s’exposent à recevoir un constat d’infraction pour une contravention à l’article
[76] Plusieurs personnes quittent la manifestation après cet avis. Madame Duchesne dit ne pas avoir de souvenir clair de cet avis, mais elle sait que la manifestation est déclarée illégale.
[77] Rapidement, les policiers bloquent l’accès vers la Grande-Allée. Le groupe se dirige vers l’édifice situé au 150, boulevard René-Lévesque Est (aussi appelé Place de la Capitale), un édifice situé au coin de la rue Turnbull et de la Grande-Allée. Une séance de négociation entre la ministre de l’Éducation et les leaders étudiants s’y déroule.
[78] Madame Sandra Blouin, qui rejoint la manifestation alors qu’elle est déjà en marche, dit avoir vu des gens aller dans toutes les directions. Elle apprend d’un manifestant que la manifestation a été déclarée illégale.
[79] Le SPVQ met un terme à la manifestation vers 21 h 40 alors que le groupe est devant l’édifice Place de la Capitale.
[80] À cet endroit, le SPVQ s’apprête à procéder à des arrestations. Avant de procéder aux arrestations, le SPVQ invite ceux (celles) qui n’ont pas été impliqués(-ées) dans la manifestation à quitter : quelques individus acceptent l’offre, non sans se faire traiter de traîtres par ceux (celles) qui restent. Le groupe est composé de 90 personnes.
[81] Les arrestations[23] se font selon la même séquence que ce qui s’est fait le 23 mai : les manifestants(-tes) sont escortés(-ées), un(-e) à un(-e), près d’un autobus du RTC. Ils (Elles) sont identifiés(-ées), filmés(-ées), menottés(-ées) puis installés(-ées) dans un autobus.
[82] L’autobus dans lequel madame Duchesne est assise se dirige vers le stationnement des Galeries de Charlesbourg, à l’intersection de la 1re Avenue et de la 41e Rue.
[83] Madame Duchesne y est libérée vers minuit. Elle rejoint sa résidence, par ses propres moyens, avec un autobus du RTC.
[84] Tout comme monsieur Laforce, elle reçoit un constat d’infraction par la poste[24] et elle confie à Me Théberge le mandat de la représenter et d’enregistrer un plaidoyer de non‑culpabilité[25].
[85] Il lui semble évident que la situation qu’ils (elles) ont vécue est injuste. Elle échange avec d’autres personnes sur les moyens à déployer pour s’opposer aux constats d’infraction, lors de réunions avec d’autres personnes ayant vécu la même expérience.
[86] Comme elle n’a pas eu l’opportunité de contester le constat d’infraction devant la Cour municipale, elle s’implique dans les discussions pour mettre en œuvre l’action collective.
[87] Elle reproche à la Ville de Québec de l’avoir privée de sa liberté de mouvement et de l’avoir conduite loin de sa résidence.
[88] La crainte de ne plus pouvoir manifester l’a habitée dès le lendemain[26].
[89] Madame Annie-Pierre Bélanger participe aussi aux manifestations tenues dans le cadre du Printemps érable. Elle a participé à plus de 100 manifestations, à Québec et à Montréal.
[90] Elle est contre la hausse des frais de scolarité annoncée par le gouvernement.
[91] Elle est présente lorsqu’un débat sur le trajet s’articule.
[92] Elle sait que sans trajet remis aux policiers, la manifestation serait déclarée illégale.
[93] Elle commente la manifestation avec ce mot : « chaos ». Elle entend un policier annoncer que la manifestation est illégale.
[94] Elle dit qu’ils (elles) avaient prévu se faire arrêter. Pour cette raison, elle distribuait le numéro de téléphone d’un avocat identifié par la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE).
[95] Elle a été arrêtée, comme madame Duchesne, menottée, puis embarquée dans un autobus du RTC.
[96] Elle est libérée loin de chez elle, dans un secteur qu’elle ne connaît pas. Elle revient à la maison, en autobus, vers 1 h 00 ou 2 h 00.
[97] Elle reçoit un constat d’infraction par la poste[27]. Elle confie le mandat à Me Théberge (l’avocat identifié par la CLASSE) de la représenter pour contester ce constat[28], mais elle ajoute que sa mémoire, quant à ce mandat, est faible.
[98] Elle ajoute que le risque d’être arrêtée ne vient pas avec les conséquences vécues ce soir-là.
[99] Monsieur Simon Pouliot participe à la manifestation du 28 mai 2012 pour appuyer les « leaders étudiants » qui négociaient ce soir-là.
[100] Il sait qu’il y a une manifestation, chaque soir, à 20 h 00.
[101] Il ne participe pas aux réunions. Il allait tout simplement aux manifestations.
[102] Il dit que l’intervention policière a divisé le groupe : au début, ils étaient 200 personnes alors qu’à la fin, ils ne sont que 80 personnes.
[103] C’est la première fois qu’il est arrêté. Il ajoute que ce n’est pas plaisant.
[104] Il est libéré près de son logement qu’il rejoint dès sa libération.
[105] Il ne se souvient pas du motif de son arrestation ni du mandat confié à Me Théberge[29].
[106] Il est informé de l’action collective par madame Duchesne.
[107] Madame Audrée Saint-Laurent, la représentante de ce groupe, est bibliothécaire au Centre de services partagés du Québec depuis le mois de juin 2007.
[108] Elle considère que la question des frais de scolarité est un enjeu de société.
[109] C’est ce que mesdames Annie Belley, Suzanne Viens, Katia Couture ainsi que messieurs Virgil Dupras, Justin Lanouette et Francis Bergeron affirment au cours de leur témoignage.
[110] Monsieur Bergeron participe aux manifestations étudiantes, seul. Il n’est lié à aucune association étudiante ni à aucun autre groupe. Il ne souhaite qu’appuyer le mouvement étudiant.
[111] Mesdames Belley et Couture ont participé à d’autres manifestations en lien avec le Printemps érable.
[112] Madame Saint-Laurent participe aux manifestations étudiantes depuis la fin du mois de mai[30]. Elle se présente le 5 juin à la fontaine de Tourny pour participer à la manifestation. Elle reconnaît quelques visages, pour les avoir vus lors de manifestations antérieures, sans pour autant connaître ces personnes.
[113] Elle ignore toutes les questions ayant trait au trajet que doit suivre la manifestation.
[114] Monsieur Lanouette ignore pourquoi il y a un tel débat sur le trajet et il ne comprend pas pourquoi l’itinéraire n’est pas remis aux policiers.
[115] Quant à madame Belley, elle dit être consciente des discussions au sujet de l’itinéraire, sans plus.
[116] Madame Saint-Laurent dit n’être qu’une participante, pas une organisatrice. Elle dit qu’une participante « ordinaire » n’est jamais informée du parcours.
[117] Il appert que le SPVQ avait reçu un appel de monsieur Virgil Dupras durant lequel il est question d’un itinéraire en vue de cette manifestation du 5 juin. Mais, lors du rassemblement précédant le départ du groupe, monsieur Dupras ne se manifeste pas au moment où la manifestation se met en branle. Le trajet emprunté ne correspond pas, de toute façon, avec ce qui a été discuté par téléphone.
[118] Monsieur Dupras a participé à toutes les manifestations pour appuyer la cause étudiante. Il a semblé plutôt impliqué dans ce mouvement. D’ailleurs, il dit être membre du mouvement « une manif par soir jusqu’à la victoire », mais il ajoute qu’il n’occupe pas une « position d’autorité ». Il ne fait que suivre la masse.
[119] Pourtant, il a communiqué avec le SPVQ pour parler de l’itinéraire. Le soir du 5 juin, il décide de ne pas aller plus loin et n’intervient pas pour proposer son itinéraire aux manifestants(-tes). Il ajoute que c’est « une bravade contre la loi de Charest » (c’est‑à-dire la Loi 78). Il y avait plus de monde ce soir-là, ajoute-t-il.
[120] Monsieur Dupras se range plutôt au centre du groupe, près de monsieur Amir Kadhir, alors député de l’Assemblée nationale.
[121] À 20 h 30, il y a approximativement 125 personnes qui sont rassemblées devant le Parlement. Sans avertissement, ce groupe quitte dans la direction opposée à ce qui avait été communiqué par téléphone quant à l’itinéraire. La foule emprunte la chaussée et non le trottoir.
[122] Les manifestants(-tes) sont alors informés(-ées) que sans trajet, la manifestation est illégale. Ce message est compris par madame Belley.
[123] Monsieur Dupras constate que les policiers s’adressent aux manifestants(-tes), mais il n’est pas en mesure de confirmer qu’il comprenait bien ces directives, tout comme monsieur Bergeron.
[124] Ainsi, malgré les avertissements communiqués par le SPVQ, la foule poursuit sa progression, de la rue Honoré‑Mercier vers la rue Saint-Joachim, puis vers Place D’Youville. La foule emprunte ensuite la rue Saint-Jean en direction du Vieux-Québec. Elle croise des véhicules automobiles et des autobus.
[125] Le SPVQ avise une troisième fois que la manifestation est illégale et qu’il est toujours temps de quitter.
[126] Madame Saint-Laurent dit savoir que la manifestation est illégale. Elle décide néanmoins de rester avec les manifestants(-tes) « parce que c’est pacifique et discipliné ».
[127] La présence de monsieur Kadhir à cette manifestation, comme sa décision de ne pas quitter le groupe après les avis communiqués par le SPVQ convainquent madame Viens de rester avec les manifestants(-tes)[31].
[128] La manifestation se dirige vers la terrasse Dufferin, puis revient vers la côte de la Montagne. C’est à cet endroit que le SPVQ décide d’intervenir pour mettre fin à la manifestation.
[129] Les vidéos présentées par la partie défenderesse laissent entrevoir, parmi la foule, quelques individus agités et agressifs. Mais, la plupart des personnes ayant témoigné parlent d’une manifestation calme.
[130] Vers 21 h 20, les manifestants(-tes) reçoivent l’information qu’ils sont arrêtés(‑ées)[32] pour avoir contrevenu au CSR (l’article 500.1).
[131] Comme ce fut le cas pour les manifestations du 23 et du 28 mai, les manifestants(‑tes) sont emmenés(-ées) les uns(-es) après les autres pour être identifiés(‑ées), menottés(-ées), puis installés(-ées) dans un autobus du RTC qui les conduit au stationnement attenant au Colisée Pepsi et au stationnement de Place Fleur de Lys.
[132] À sa sortie de l’autobus, au Colisée Pepsi, deux personnes, identifiées au FRAQ‑ASSÉ, prennent les coordonnées de madame Saint-Laurent, lui offrent de l’aide et les coordonnées d’un avocat, Me Théberge.
[133] Elle revient à sa résidence, comme madame Duchesne l’a fait le 28 mai, avec un autobus du RTC.
[134] Elle reçoit un constat d’infraction[33] quelques semaines plus tard et communique avec Me Théberge qui comparaît pour elle et enregistre un plaidoyer de non-culpabilité[34].
[135] Toutes les personnes ayant témoigné dans ces affaires ont été accusées d'avoir entravé la circulation des véhicules routiers lors d'une manifestation, commettant ainsi une infraction à l'article
Au cours d’une action concertée destinée à entraver de quelque manière la circulation des véhicules routiers sur un chemin public, a occupé la chaussée d’un chemin public de manière à entraver la circulation des véhicules.[35]
[136] Ces personnes affirment qu’après la réception du constat d’infraction, elles sont restées sans nouvelles de la Ville de Québec[36].
[137] Néanmoins, plusieurs personnes, membres des groupes, retiennent les services de Me Théberge. Aucune preuve n’est administrée sur les communications entre Me Théberge et les personnes pour lesquelles il comparaît[37], outre les associations étudiantes impliquées dans ces manifestations qui, dès le début, informent les manifestants(-tes) du rôle qu’il (Me Théberge) devrait jouer dans ces affaires.
[138] Lors du dépôt du plaidoyer, certaines personnes ajoutent un document, préparé pour elles, qui contient, outre le nom et le numéro du constat d’infraction, ce texte :
Je demande la divulgation de la preuve et, subsidiairement, je demande que l’article 500.1 soit déclaré inconstitutionnel et inapplicable parce qu’il viole mes droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique.[38]
[139] Quelques années plus tard, au cours du mois de mars 2017, la Ville de Québec produit des avis d’arrêt des procédures[39].
[140] La communication de ces avis d’arrêt des procédures suit le jugement rendu par monsieur le juge Cournoyer (alors à la Cour supérieure) dans l’affaire Garbeau c. Montréal (Ville de)[40].
[141] Cette affaire traite de la contestation par madame Garbeau, devant la Cour municipale de Montréal, d’un constat d’infraction : on l’avait accusé d’avoir entravé la circulation lors d’une manifestation, commettant ainsi l’infraction prévue à l’article
500.1. Nul ne peut, au cours d'une action concertée destinée à entraver de quelque manière la circulation des véhicules routiers sur un chemin public, en occuper la chaussée, l'accotement, une autre partie de l'emprise ou les abords ou y placer un véhicule ou un obstacle, de manière à entraver la circulation des véhicules routiers sur ce chemin ou l'accès à un tel chemin.
Un agent de la paix peut enlever ou faire enlever aux frais du propriétaire toute chose utilisée en contravention au présent article. Il peut aussi saisir une telle chose; les dispositions du Code de procédure pénale (chapitre C-25.1) relatives aux choses saisies s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, aux choses ainsi saisies.
Le présent article ne s'applique pas lors de défilés ou d'autres manifestations préalablement autorisées par la personne responsable de l'entretien du chemin public à la condition que le chemin utilisé soit fermé à la circulation ou sous contrôle d'un corps de police.
Aux fins du présent article, un chemin public comprend un chemin servant de déviation à un chemin public, même si ce chemin est situé sur une propriété privée, ainsi qu'un chemin soumis à l'administration du ministère des Ressources naturelles et de la Faune ou entretenu par celui-ci.
[142] Dans un jugement très étoffé, monsieur le juge Cournoyer conclut : (1) que les chartes québécoise et canadienne protègent le droit de manifester sur un chemin public; (2) que le régime de restriction préalable édicté par l’article
[143] Monsieur le juge Cournoyer déclare donc invalide cet article
[144] Ce jugement est rendu en 2015 alors que les manifestations à l’origine de ce jugement-ci se déroulent en 2012. L’article
[145] Plusieurs personnes soulignent leur désir de se faire entendre et de contester les constats d’infraction. L’arrêt des procédures par la Ville de Québec est d’ailleurs source de déception chez ces personnes.
[146] D’autres avenues, avant l’abandon des procédures, sont d’ailleurs envisagées.
[147] Le 20 juin 2012, une rencontre avec Me Théberge est annoncée sur le réseau social Facebook. L’invitation lancée est ainsi rédigée :
Rencontre avec Me Enrico Théberge
À Québec, plus de 500 arrestations ont eu lieu depuis le début des luttes contre la hausse des frais de scolarité et contre la loi 78. Plusieurs personnes ont reçu un ou plusieurs constats d’infraction. Nous invitons tout le monde à contester de tels constats d’infraction qui sont souvent en vertu de l’article
La ligue des droits et libertés et le FRAQ_Assé vous invitent à venir rencontrer l’avocat qui vous représentera en Cour, Me Enrico Théberge. Vous pourrez le connaître, lui poser des questions, lui partager vos cas particuliers.
Également, nous pourrons faire des suivis sur les autres démarches possibles notamment la possibilité de plaintes collectives à la Commission des droits de la personne.[41]
[148] Cette réunion traite surtout du constat d’infraction, sa contestation et de la marche à suivre. La possibilité d’un « recours civil » est évoquée, mais sans plus[42].
[149] Une autre rencontre a lieu en décembre 2014. Lors de cette rencontre avec Me Théberge, il est question de recours civils « pour que vous soyez dédommagé/e/s pour la privation de liberté dont vous avez souffert le 27 avril 2012 et pour toutes les autres fois ou vous avez été détenu/e/s au cours du printemps 2012 »[43].
[150] La question d’une action collective est abordée. Il est ajouté, à l’ordre du jour préparé pour cette rencontre, qu’il doit y avoir un représentant par manifestation[44].
[151] Dès le début de l’année 2015, les discussions entre les participants(-tes) permettent d’identifier les trois représentants. La préparation des Recours progresse[45].
[152] Les Recours sont introduits le 8 mai 2015[46], juste avant l’expiration du délai de trois ans prévu à l’article
[153] Le 15 décembre 2016, monsieur le juge Ruel, alors à la Cour supérieure, autorise l’exercice des Recours et identifie ces questions qui seront traitées collectivement (ce qui représente l’étendue du débat entre les parties) :
1) Les préposés de la partie intimée [les membres du SPVQ] ont-ils enfreint les droits constitutionnels et/ou quasi constitutionnels des personnes détenues, tel que prévu à la Charte des droits et libertés de la personne, à la Charte canadienne des droits et libertés. Si oui, lesquels?
2) Les préposés de la partie intimée sont-ils responsables des dommages moraux encourus lors de l’évènement précité?
3) La partie intimée [la Ville de Québec] est-elle responsable des dommages occasionnés par ses préposés?
4) Y a-t-il lieu d’accorder des dommages-intérêts? Si oui, quel est le montant?
5) Y a-t-il lieu d’accorder des dommages exemplaires pour abus de droit et pour violation des droits fondamentaux en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne et de la Charte canadienne des droits et libertés? Si oui, quel est le montant?
6) Existe-t-il un lien de causalité entre les fautes commises par les préposés de la partie intimée et les dommages subis par les membres du groupe?
7) La prescription prévue à l’article
[154] Comme il est prévu à l’article
154.1. Dans le dossier 200-06-000184-153 :
IDENTIFIE comme suit, pour ce dossier, les conclusions recherchées qui s’y rattachent :
CONDAMNE la partie intimée, Ville de Québec, à payer la somme de 6 000 $ à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal depuis le dépôt de la présente requête, majorée de l’indemnité additionnelle prévue à l’article
CONDAMNE la partie intimée, Ville de Québec, à payer la somme de 6 000 $ à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal depuis le dépôt de la présente requête, majorée de l’indemnité additionnelle prévue à l’article
154.2. Dans le dossier 200-06-000185-150 :
IDENTIFIE comme suit, pour ce dossier, les conclusions recherchées qui s’y rattachent :
CONDAMNE la partie intimée, Ville de Québec, à payer la somme de 6 000 $ à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal depuis le dépôt de la présente requête, majorée de l’indemnité additionnelle prévue à l’article
CONDAMNE la partie intimée, Ville de Québec, à payer la somme de 6 000 $ à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal depuis le dépôt de la présente requête, majorée de l’indemnité additionnelle prévue à l’article
154.3. Dans le dossier 200-06-000183-155 :
IDENTIFIE comme suit, pour ce dossier, les conclusions recherchées qui s’y rattachent :
CONDAMNE la partie intimée, Ville de Québec, à payer la somme de 6 500 $ à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal depuis le dépôt de la présente requête, majorée de l’indemnité additionnelle prévue à l’article
CONDAMNE la partie intimée, Ville de Québec, à payer la somme de 6 500 $ à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal depuis le dépôt de la présente requête, majorée de l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[155] Les parties demanderesses admettent que « les dommages subis par les membres sont exclusivement des dommages moraux, aucun dommage corporel n’est visé par le présent dossier » [48].
[156] Ainsi, les Représentants exercent pour le bénéfice des membres des groupes qu’ils (qu’elles) représentent, une action en dommages contre la Ville de Québec.
[157] Outre les représentantes Marie-Ève Duchesne, Audrée Saint-Laurent et le représentant Bernard Laforce, des personnes présentes aux manifestations sont entendues : des étudiant(-tes), des travailleurs(-euses), des travailleurs(-euses) autonomes, des fonctionnaires. Ces personnes sont toutes animées par le désir d’appuyer la cause étudiante, certaines ont plusieurs manifestations à leur actif, d’autres en sont à leur première manifestation. Toutes ces personnes disent avoir participé à une manifestation pacifique et elles sont toutes outrées d’avoir été traitées comme des criminelles.
[158] D’ailleurs, toutes les personnes appelées à témoigner partagent la même vision quant à cet aspect de l’affaire : elles sont toutes contre la mise en œuvre de la décision annoncée par le gouvernement du Québec de hausser les frais de scolarité. L’enjeu de la « gratuité scolaire » motive des gens de tous horizons et cela se reflète dans les témoignages entendus dans le cadre de l’instruction de ces affaires.
[159] Une preuve documentaire est aussi produite : les constats d’infraction, les lettres de Me Théberge à la Ville de Québec, les avis d’arrêt des procédures introduites en Cour municipale et des photographies prises lors des manifestations[49].
[160] La Ville de Québec a fait entendre des membres du SPVQ pour expliquer sa préparation en vue de l’encadrement des manifestations ainsi que l’évaluation faite lors de chaque manifestation avant que la décision de les déclarer illégales ne soit prise ainsi que la méthode retenue pour arrêter, disperser et libérer les personnes arrêtées lors de ces trois manifestations.
[161] Elle introduit aussi une expertise et des pièces, des photographies, des vidéos, des directives et procédures locales ayant trait aux sujets couverts dans ces trois affaires, des rapports d’événements et des documents émanant des parties demanderesses[50].
[162] Vu la conclusion du Tribunal sur l’argument de la prescription, il appert que cette question de la prescription doit être traitée en premier. De plus, vu l’approche adoptée par les Représentants(-tes) dans les Recours, il faut regrouper certaines questions parmi celles identifiées au paragraphe [153] ci-devant.
[163] Avant de décider de la validité de cet article, il faut examiner si l’argument de la prescription soulevée par la Ville de Québec est recevable.
[164] Si cet argument n’est pas recevable (c’est-à-dire que les Recours ne sont pas prescrits), il n’y a pas lieu de répondre à cette question (qui traite de la validité de cet article de la LCV) en raison du principe de retenue judiciaire en matière constitutionnelle[52]. Cependant, si les Recours sont prescrits en raison de cet article
[165] Les Recours sont prescrits. Il y a lieu d’examiner cette question de la validité de l’article
[166] Les infractions de même que tous les éléments à l’origine des Recours se produisent les 23, 28 mai et 5 juin 2012.
[167] Peu après ces trois manifestations, les membres des groupes reçoivent un constat d’infraction qui décrit l’infraction consignée à l’article
[168] C’est en mai 2015 que les Recours sont déposés (au stade de l’autorisation), soit peu avant l’expiration d’un délai de trois ans, calculé à partir de la date des événements reprochés à la partie défenderesse.
[169] Les dommages alors réclamés sont des dommages moraux.
[170] Il n’y aura pas de débat, devant la Cour municipale de Québec, sur les constats d’infraction remis aux manifestants(-tes) puisque la Ville de Québec décide d’arrêter les procédures au cours du mois de mars 2017.
[171] Cette décision suit le jugement rendu le 12 novembre 2015 par monsieur le juge Cournoyer dans lequel il déclare invalide l’article
[172] L’article
[173] Il s’agit d’un délai de prescription qui fait exception à l’application de la prescription triennale d’un recours en dommages-intérêts, prévu à l’article
[174] Puisque les réclamations ne visent que la réparation de préjudices moraux, il n’est pas possible d’invoquer l’article
[175] Les faits qui sont à l’origine des Recours sont connus depuis chaque manifestation.
[176] La Ville de Québec allègue que, pour cette raison, le droit d’action a pris naissance à ces dates : les 23, 28 mai et 5 juin 2012.
[177] L’application du délai de six mois, prévu à l’article
[178] Or, les Recours sont introduits en mai 2015[56].
[179] Les parties demanderesses ne plaident pas avoir été dans l’impossibilité d’agir plus tôt.
[180] Les parties demanderesses répondent qu’il était nécessaire de trancher la question soulevée par les constats d’infraction, devant la Cour municipale de la Ville de Québec, avant d’aller plus loin. C’est la raison pour laquelle les Recours ne seraient pas prescrits.
[181] Les parties demanderesses allèguent, entre autres, avoir été arrêtées arbitrairement.
[182] Les parties demanderesses soumettent l’arrêt rendu par la Cour d’appel en 2008, dans l’affaire Popovic[57] pour appuyer leurs arguments.
[183] Voici comment la Cour d’appel s’exprime à ce sujet dans l’arrêt Popovic :
[79] En premier lieu, l'institution de la prescription extinctive repose sur des principes d'intérêt public et de préservation de l'ordre social. Ce serait même « de toutes les institutions du droit civil la plus nécessaire à l'ordre social »[58]. La prescription s'accomplit en faveur et à l'encontre de tous (art.
[80] En second lieu, sans élaborer une théorie générale sur la question, je formulerais qu'il y a suspension de la prescription du recours en dommages-intérêts fondé sur une arrestation abusive uniquement dans la mesure où l'accusé démontre la nécessité d'un jugement sur les accusations portées à la suite de « l'arrestation abusive » pour précisément trancher de l'abus.
[…]
[82] Pour quel motif devrait-on suspendre la prescription du recours pour arrestation abusive si le jugement à venir n'est pas appelé à trancher de cette question ou encore si l'accusé connaît, dès son arrestation, tous les éléments de preuve susceptibles d'étayer son recours en dommages-intérêts ? […].
[83] Dit autrement, dans la mesure où sont connus, au moment de l'arrestation, tous les éléments nécessaires à l'analyse de l'acte fautif du policier en vertu de l'article
[184] Ainsi pour qu’il y ait suspension de la prescription, il doit y avoir un lien entre « l’arrestation abusive » et l’issu des poursuites devant la Cour municipale.
[185] Ce lien doit être mis en évidence par les demandeurs.
[186] Ce paragraphe (ci-après) de l’arrêt Popovic prend de l’importance :
[81] […] Il se peut fort bien qu’une arrestation abusive n’entraîne pas un acquittement de l’accusé. L’Infraction peut avoir été commise malgré l’arrestation arbitraire. L’inverse est également vrai […].
[187] Le sort des Recours ne dépend pas du sort des constats d’infraction. Dans le cadre des Recours, on reproche au SPVQ d’avoir violé les droits constitutionnels dans l’exercice de leurs fonctions. La Cour municipale n’a pas le pouvoir de se prononcer sur les mesures réparatrices prévues à l’article 24(1) de la Charte[59].
[188] Ce n’est pas par la décision sur le constat d’infraction que se cristallise le préjudice encouru par les membres des groupes. Si tel avait été le cas, alors les parties demanderesses auraient raison.
[189] Mais la nature des allégations et la preuve administrée lors de l’instruction des présentes affaires ne permettent pas de lier les fautes reprochées au SPVQ au sort des constats d’infraction.
[190] La décision de poursuivre la partie défenderesse, au moment où elle est prise, est donc tardive puisque les Recours sont prescrits depuis des années vu l’article
[191] Pour pallier cela, les parties demanderesses ont présenté un moyen qui s’attaque à la validité de cet article
[192] Les parties demanderesses allèguent que ce sont les faits à l’origine des Recours qui rendent cet article inopérant. Ils ne demandent pas que le Tribunal prononce l’invalidité de cet article de loi, contrairement au titre de la procédure qui soutient ce moyen.
[193] Outre l’allégation présente dans leur avis, les parties demanderesses n’allèguent ni ne prouvent que l’article
[194] Quant au sort de la demande, il faut d’abord bien situer l’article
[195] La Cour suprême a déjà affirmé que l’exercice des droits et libertés que la Charte protège s’insère dans le système de droit en vigueur au Québec :
263 […] L’absence dans la Charte de dispositions et de directives touchant la compétence confirme le point de vue selon lequel celle-ci n’était pas censée provoquer le bouleversement du système judiciaire canadien. Au contraire, elle doit s’insérer dans le système actuel de la procédure judiciaire canadienne. Point n’est besoin de procédures et de règles particulières pour lui donner son plein et entier effet.[61]
[196] Ainsi, les règles de la prescription présentent dans notre système de droit s’appliquent aux Recours[62].
[197] Les parties demanderesses ne sont pas nécessairement contre cette dernière affirmation. Elles sont d’accord avec la prescription extinctive de trois ans, prévue au C.c.Q., mais elles allèguent que le régime de la courte prescription de six mois, prévue à l’article
[198] Un tel argument a été rejeté par la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l’affaire Coffey c. Fraser Valley[63]. Dans cette affaire où le demandeur exerce un recours fondé sur l’article 24(1) de la Charte, la cour applique la courte prescription de six mois qui est prévue à une loi intitulée Local Governement Act.
[199] Malgré une mise en demeure transmise deux jours après les faits à l’origine de cette demande, le recours est introduit dix mois et demi plus tard.
[200] C’est dans un tel contexte que le Tribunal écrit ces passages :
[55] Though a six-months limitation is relatively short, there is no evidence that applying it in this case would be unfair to the plaintiff […]
[56] Given Counsel’s initially quick response followed by a lengthy unexplained delay in filing a claim. I conclude there is no unfairness to the plaintiff arising from the enforcement of the six-month limitation period in the LGA in this case.
[201] Ce raisonnement peut trouver écho dans ces affaires-ci puisque la preuve permet de comprendre comment les parties demanderesses ont réagi à compter de la survenance des faits à l’origine des Recours, tel que mis en relief par le Procureur général du Québec à partir de la preuve administrée dans ces affaires[64] :
201.1. Lors des manifestations, des personnes sont vues avec les coordonnées de Me Théberge « tatouées » sur leur bras;
201.2. D’ailleurs, les témoins, pour chaque Recours, confirment avoir reçu les coordonnées de Me Théberge;
201.3. Madame Bernier-Desmarais dit avoir reçu, avant la manifestation du 23 mai, de l’information de la Ligue des droits. Elle a le numéro pour joindre l’avocat engagé pour les représenter et elle participe aux rencontres, convoquées par le FRAQ-ASSÉ et la CLASSE suite aux manifestations[65];
201.4. Plusieurs personnes ayant témoigné dans ces affaires ont affirmé avoir été conscientes que leurs droits ont été bafoués et avaient l’intention d’entreprendre des recours pour obtenir une réparation dans les jours suivant les manifestations (et parfois même, dans les heures suivant les manifestations);
201.5. Quelques jours après la réception du constat d’infraction, la majorité des témoins confie le mandat à Me Théberge de les représenter dans le cadre de cette poursuite devant la Cour municipale de Québec;
201.6. Des témoins ont participé à des rencontres organisées par la Ligue des droits et libertés au bar l’AgitéE et les recours à la disposition des manifestants(‑tes) sont discutés;
201.7. Le 20 juin 2012, une rencontre est organisée dans des locaux de l’Université Laval. Me Théberge est présent et les recours identifiés par ces personnes sont discutés[66]. Les recours civils sont évoqués et on y précise que ce n’est ni la spécialité de Me Théberge, ni le mandat qui lui est confié;
201.8. La question du délai pour entreprendre un recours n’est pas abordée à cette rencontre;
201.9. Un participant aux manifestations décide d’agir pour lui-même. Il diffuse sur l’application Facebook cette information et ajoute que le délai pour entreprendre un recours contre la ville de Québec est de six mois[67];
201.10. Madame Duchesne a été informée de ce délai puisqu’elle était active sur cette page Facebook[68];
201.11. Malgré cela, la question du délai de six mois ne semble pas être ajoutée dans les discussions lors des réunions regroupant les manifestants(-tes);
201.12. Madame Bernier-Desmarais, lors de son témoignage, a d’ailleurs affirmé que si un tel délai avait été discuté lors de la rencontre du 20 juin 2012, elle l’aurait souligné dans le compte rendu de réunion qu’elle a rédigé puisqu’elle affirme savoir que les délais sont importants[69];
201.13. Quant aux délais, ils sont abordés lors d’une rencontre convoquée par Me Théberge le 13 novembre 2014 alors qu’il diffuse via un courriel cet avis :
[…] Je tiens à vous aviser que je pourrai vous rencontrer […] afin de vous informer des recours civils […] à intenter contre la Ville de Québec pour que vous soyez dédommagé e s pour la privation de liberté dont vous avez souffert le 27 avril 2012 et pour toutes les autres fois […].
201.14. Lors d’une rencontre tenue le 3 décembre 2014 « avec les manifestants du Printemps érable à Québec » il est question des délais sous le titre « éventail des recours civils » du compte rendu diffusé via internet. On y parle du délai de trois ans comme étant la « prescription du code civil »[70].
[202] Ainsi, ce n’est pas tant la courte prescription prévue à l’article
[203] Ce constat, jumelé à l’absence de démonstration pour appuyer les allégations de « l’avis ré-amendé d’intention de soulever l’inconstitutionnalité de l’article
[204] En conséquence, les Recours sont rejetés puisque prescrits.
[205] Malgré cette conclusion, le Tribunal estime important d’aborder les autres questions vu l’importance des événements à l’origine des Recours et vu la nature des reproches dirigés vers la partie défenderesse.
[206] Les Représentants circonscrivent leur demande comme suit[73] :
Ils ont été arrêtés arbitrairement et abusivement et ils ont été détenu illégalement, ils ont donc subi une atteinte à leur droit à la liberté, à la sécurité, à la sûreté et à I ’intégrité de leur personne, et ce, contrairement aux articles
Ils ont subi une atteinte à leur droit à la liberté de réunion pacifique, contrairement à I ‘article
Ils ont subi une atteinte à leur droit à la liberté d'opinion et d'expression, contrairement à I ‘article
Ils ont subi une atteinte à leur droit d'être avisé sans délai des motifs de leur arrestation et de leur droit à I ‘assistance d’un avocat contrairement aux articles 10a) et 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés;
Ils ont aussi vu leur droit de subir un procès dans un délai raisonnable violé, contrairement à I ‘article
[207] Malgré le libellé de cette question en litige faisant référence à la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte québécoise ») ainsi que la nature du recours autorisé, lequel réfère à une responsabilité extracontractuelle basée sur le droit commun et en vertu de la Charte québécoise, le Tribunal constate que les Représentants n'ont invoqué que la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») tant dans les procédures que dans les plaidoiries.
[208] Les Représentants ont donc fait le choix de concentrer le débat uniquement sur des violations aux droits et libertés protégés par la Charte, et ce, bien que l'autorisation accordée permette de soulever la responsabilité civile de la défenderesse en vertu de l'article
[209] Dans ces circonstances, le Tribunal analysera le présent dossier uniquement sous l'angle d'une demande de réparation pour des violations à des droits et libertés protégés par la Charte en vertu de son article 24(1). Ce faisant, il est plus approprié de regrouper certaines questions. Ainsi, les deux questions ci-après sont traitées avec la question écrite au titre 6.2 ci-devant :
[210] Le Tribunal conclut que :
1) La Ville de Québec n’a pas enfreint les droits, enchâssés à l’article 2 de la Charte, à la liberté de réunion et à la liberté d’opinion et d’expression des membres des groupes lors de l’une ou l’autre des manifestations du 23 mai, du 28 mai et du 5 juin 2012;
2) La Ville de Québec a porté atteinte sans justification aux droits des membres des groupes à la liberté et à la protection contre la détention arbitraire prévus aux articles 7 et 9 de la Charte, en utilisant des mesures de contention.
3) Les préposés de la Ville de Québec sont responsables des dommages moraux encourus par les membres des groupes lors des manifestations qui sont à l’origine des recours;
4) La Ville de Québec est responsable des dommages occasionnés par ses préposés.
[211] Les membres des groupes :
1) Ont répondu à une invitation de manifester communiquée via une page Facebook intitulée « Une Manif par soir, jusqu’à la Victoire »[74];
2) Ont tous participé à une manifestation qui a été déclarée illégale par le SPVQ;
3) Ont été arrêtés, filmés pour être identifiés, menottés, détenus puis libérés après quelques heures, à la suite d’un déplacement en autobus du RTC;
4) Ont reçu un constat d’infraction quelques jours après leur arrestation et leur détention.
[212] Ces affaires mettent à l’avant-plan le difficile et nécessaire exercice de pondération entre les droits et libertés d’une part et entre les impératifs du maintien de la loi, de l’ordre et de la sécurité d’autre part, dans le contexte de manifestations répétitives et planifiées.
[213] Les policiers se sont vus confier la délicate mission de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime, de même que les infractions aux lois ou aux règlements adoptés par les autorités. Ce faisant, ils contribuent à assurer la sécurité des personnes et des biens et à sauvegarder les droits et les libertés[75].
[214] En accomplissant leur mission, les policiers sont appelés à restreindre ces mêmes droits et libertés en recourant au pouvoir coercitif de l’État, ce qui se traduit notamment par la détention ou l’arrestation de personnes, ainsi que par des fouilles, perquisitions ou saisies. Le risque d’abus est indéniable[76].
[215] C’est pourquoi il importe, dans notre société qui repose sur la primauté du droit, que les actes des policiers trouvent en tout temps un fondement juridique.
[216] Les principes juridiques sous-jacents à l’analyse de ces affaires sont succinctement décrits ci-après.
[217] La Charte s’applique « au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement … » (art. 32 (1) a)), ainsi qu’« à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature » (art. 32 (1) b) de la Charte).
[218] L’article
[219] La partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 est précisément la Charte, là où l’on trouve les droits constitutionnels au centre de ces affaires : les libertés fondamentales et les garanties juridiques.
[220] Ces libertés, enchâssées dans la Charte, apparaissent sous le titre « Libertés fondamentales ». L’utilisation de l’adjectif « fondamentale » est révélatrice de leur importance.
[221] Monsieur le juge Cournoyer, dans le jugement de l’affaire Garbeau[77], rappelle quelques principes juridiques que le Tribunal n’hésite pas à faire siens puisqu’ils éclairent le débat sur la question des libertés d’expression et de réunion pacifique qui sont en cause dans ces affaires-ci :
[1] La liberté d'expression et la liberté de réunion pacifique sont des libertés fondamentales et essentielles au fonctionnement d'une société libre et démocratique.
[2] Le droit de manifester, y compris celui de le faire sur un chemin public est protégé par la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne.
[…]
[5] Il n'existe pas de droit constitutionnel général et absolu de manifester sur un chemin public sans aucun encadrement législatif ou réglementaire. En effet, l'accès à la voie publique pour exercer le droit constitutionnel de manifester doit s'harmoniser autant que possible avec les fonctions habituelles de ce lieu.
[222] Outre la question des libertés fondamentales dont il est question ci-devant, l’activité policière est encadrée par les garanties juridiques prévues à la Charte, dont la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires et le droit à la liberté[78].
[223] Ces garanties, sous le titre « vie, liberté et sécurité », protègent toute personne au Canada. On ne peut y porter atteinte « qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ».
[224] Le droit à la liberté de chaque individu est mis en cause lorsqu’il y a une restriction à la liberté physique, comme l’arrestation[79].
[225] Quant à la garantie édictée par l’article 9 de la Charte, elle vise à protéger les individus contre la détention ou l’emprisonnement arbitraire et il ne peut être porté atteinte à cette garantie qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.
[226] En outre, en cas d’arrestation ou de détention, chacun a le droit d’être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention et d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit. Ces droits s’appliquent dès que la personne est « détenue » ou « arrêtée ».
[227] C’est par ces garanties que l’on cherche à protéger la liberté des individus contre une ingérence injustifiée de l’État, tel que le souligne la Cour suprême dans l’arrêt Grant[80].
[228] Le CPP encadre les modalités d’une arrestation et de la signification d’un constat d’infraction. C’est le fondement juridique des actes du SPVQ.
[229] Sous le titre « Arrestation », il est prévu que :
72. L’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis une infraction peut exiger qu’elle lui déclare ses nom et adresse, s’il ne les connaît pas, afin que soit dressé un constat d’infraction.
L’agent qui a des motifs raisonnables de croire que cette personne ne lui a pas déclaré ses véritables nom et adresse peut, en outre, exiger qu’elle lui fournisse des renseignements permettant d’en confirmer l’exactitude.
73. Une personne peut refuser de déclarer son nom et son adresse ou de fournir des renseignements permettant d’en confirmer l’exactitude tant qu’elle n’est pas informée de l’infraction alléguée contre elle.
74. L’agent de la paix peut arrêter sans mandat la personne informée de l’infraction alléguée contre elle qui, lorsqu’il l’exige, ne lui déclare pas ou refuse de lui déclarer ses nom et adresse ou qui ne lui fournit pas les renseignements permettant d’en confirmer l’exactitude.
La personne ainsi arrêtée doit être mise en liberté par celui qui la détient dès qu’elle a déclaré ses nom et adresse ou dès qu’il y a confirmation de leur exactitude.
75. L’agent de la paix qui constate qu’une personne est en train de commettre une infraction peut l’arrêter sans mandat si l’arrestation est le seul moyen raisonnable à sa disposition pour mettre un terme à la perpétration de l’infraction.
La personne ainsi arrêtée doit être mise en liberté par celui qui la détient dès que celui-ci a des motifs raisonnables de croire que sa détention n’est plus nécessaire pour empêcher la reprise ou la continuation, dans l’immédiat, de l’infraction.
[230] Toute poursuite pénale est intentée au moyen d’un constat d’infraction (art. 144). Il est entre autres prévu, sous le titre « signification du constat d’infraction », ce qui suit :
157. La signification d’un constat d’infraction peut être faite lors de la perpétration de l’infraction. Un double du constat est alors remis au défendeur par le poursuivant ou la personne autorisée à délivrer un constat au nom de celui-ci.
La signification peut également en être faite après la perpétration de l’infraction conformément à la section V du chapitre I.
157.1 La signification d’un constat d’infraction peut aussi être faite après la perpétration de l’infraction, par courrier ordinaire.
…
[231] Le CSR régit l’utilisation des véhicules sur les chemins publics et la circulation des piétons sur ceux-ci. Il établit les règles relatives à la sécurité routière, les transports routiers des personnes et des marchandises. Il vise plus particulièrement à régir l’utilisation des véhicules sur les chemins publics et la circulation des piétons sur ces chemins.
[232] Une lecture des dispositions du CSR permet de conclure que la chaussée d’un chemin public n’est pas un endroit où un piéton peut circuler ou se tenir à sa guise. Ainsi, il est interdit de circuler, à sa guise, à contresens des voies de circulation ou au milieu du chemin.
[233] L’article
500.1 Nul ne peut, au cours d’une action concertée destinée à entraver de quelque manière la circulation des véhicules routiers sur un chemin public, en occuper la chaussée, l’accotement, une autre partie de l’emprise ou les abords ou y placer un véhicule ou un obstacle, de manière à entraver la circulation des véhicules routiers sur ce chemin ou l’accès à un tel chemin.
Un agent de la paix peut enlever ou faire enlever aux frais du propriétaire toute chose utilisée en contravention au présent article. Il peut aussi saisir une telle chose; les dispositions du Code de procédure pénale (chapitre C‐25.1) relatives aux choses saisies s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, aux choses ainsi saisies.
Le présent article ne s’applique pas lors de défilés ou d’autres manifestations préalablement autorisées par la personne responsable de l’entretien du chemin public à la condition que le chemin utilisé soit fermé à la circulation ou sous contrôle d’un corps de police.
Aux fins du présent article, un chemin public comprend un chemin servant de déviation à un chemin public, même si ce chemin est situé sur une propriété privée, ainsi qu’un chemin soumis à l’administration du ministère des Ressources naturelles et de la Faune ou entretenu par celui-ci.
[234] Cet article du CSR, au moment des manifestations des 23, 28 mai et 5 juin, est en vigueur, valide et opérant[83].
[235] Ceci permet de citer la Cour suprême dans l’affaire Kosoian[84] afin d’introduire la suite :
[74] En somme, il est vrai qu’un policier n’engage généralement pas sa responsabilité civile en faisant respecter une disposition – présumée valide au moment des faits – qui est par la suite déclarée invalide, dans la mesure bien sûr où il ne commet par ailleurs aucune faute dans l’exercice de ses pouvoirs […].
[236] L'arrêt de la Cour suprême dans la cause Vancouver (Ville de) c. Ward[85] explique la démarche en quatre (4) étapes pour analyser une atteinte aux droits et libertés reconnus par la Charte :
[237] La Charte crée un recours distinct du régime de droit commun, contrairement à ce qui existe sous le régime de la Charte québécoise. Ainsi, pour conclure à une atteinte illicite, les parties demanderesses doivent franchir une première étape, soit la démonstration d’une violation à la Charte.
[238] Monsieur le juge Godbout, dans l’affaire Moreault c. Ville de Québec[86], énonce comme suit la démarche qui s’inspire de la Charte et ces passages trouvent écho dans ces affaires-ci :
184 À première vue, l’une et l’autre de ces deux démarches font ressortir les distinctions suivantes :
[…]
185 […] Dans le contexte de la Charte canadienne, l’analyse et la justification du comportement d’un tel policier se font à la troisième étape de la démarche, soit à l’occasion de l’analyse des raisons pour lesquelles la réparation demandée ne serait pas convenable et juste.
186 Alors, dans l’un et l’autre des cas [Charte québécoise et Charte canadienne], il y aura une analyse du comportement de la personne à qui l’on reproche un comportement ayant pu entraîner une atteinte illicite. La norme applicable à l’occasion de cette analyse qui se fait dans le contexte de l’application de l’une ou l’autre des Chartes, doit-elle être différente ou plus exigeante qu’en matière de droit commun?
187 La Charte canadienne fait partie de la constitution du Canada qui est la loi suprême du Canada. Par ailleurs, nous l’avons vu précédemment, bien que la Charte québécoise soit une loi comme toute autre et qu’elle n’a pas le caractère « suprême » de la Charte canadienne, on lui reconnait une autorité supérieure, voire quasi constitutionnelle.
188 Cette distinction étant, on retrouve toutefois dans la Charte canadienne et la Charte québécoise une disposition de même nature. En effet, l’article
Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
189 De même, l’article
Nul ne peut être privé de sa liberté ou de ses droits, sauf pour les motifs prévus par la loi et suivant la procédure prescrite.
190 La Loi sur la police apporte un début de réponse à cette question. En effet, son article 48 énonce que :
48. Les corps de police, ainsi que chacun de leurs membres, ont pour mission de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime et […] les infractions aux lois ou aux règlements pris par les autorités municipales, et d’en rechercher les auteurs.
Pour la réalisation de cette mission, ils assurent la sécurité des personnes et des biens, sauvegardent les droits et les libertés, respectent les victimes et sont attentifs à leurs besoins, coopèrent avec la communauté dans le respect du pluralisme culturel […]
[Soulignements ajoutés]
191 Dans l’accomplissement de sa mission du maintien de la paix, de l’ordre et de la sécurité publique, le policier doit sauvegarder les droits et libertés. Cela signifie que le policier doit avoir en tout temps cette préoccupation de sauvegarder les droits et libertés. Par ailleurs, même si l’on peut prétendre que « sauvegarder les droits et libertés » ne va pas nécessairement jusqu’à en favoriser l’exercice, cela signifie toutefois que le comportement du policier ne doit certes pas les restreindre ou en limiter l’exercice.
192 En résumé, sauvegarder les droits et libertés est un standard de comportement que le policier doit adopter et maintenir au même titre que celui d’assurer la sécurité des personnes et des biens.
[239] Il découle de la preuve que les membres des groupes savent qu’une manifestation doit se tenir tous les soirs. Une organisation, inconnue du Tribunal, mais omniprésente, via entre autres, le réseau social Facebook, diffuse l’information sur les manifestations sur une page intitulée « une Manif par soir jusqu’à la Victoire ». Les manifestants(-tes) reçoivent du support et de l’assistance lors des manifestations, dont les coordonnées d’un avocat.
[240] Sur la page « une Manif par soir jusqu’à la Victoire » on y trouve l’information quant au lieu habituel de rassemblement (c’est-à-dire près de la fontaine de Tourny, à 20 heures) : les membres des groupes connaissent cette routine.
[241] Le SPVQ sait aussi que de telles manifestations doivent avoir lieu et s’y prépare[87]. Cette page Facebook est accessible à tous(-tes), le SPVQ peut lui aussi consulter cette page ou ce site.
[242] Ainsi, lors de chacune des manifestations, le SPVQ est présent, près de la fontaine de Tourny.
[243] Tel que l’exprime le capitaine André Turcotte, du SPVQ, leur objectif est d’encadrer les manifestations de façon sécuritaire. Ainsi, l’orientation privilégiée est d’encadrer la marche si un itinéraire est communiqué sur place. C’est l’essence du message qui est transmis aux personnes rassemblées près de la fontaine de Tourny lors de chaque manifestation, explique-t-il.
[244] C’est pourquoi personne n’y est arrêté.
[245] Monsieur Turcotte souligne que les stratégies d’intervention sont développées de façon à être en « harmonie » avec la manifestation et son évolution. Lorsque les manifestants(-tes) occupent la chaussée et progressent de façon aléatoire, cela constitue, pour le SPVQ, un enjeu de sécurité puisque le comportement des personnes est imprévisible : tant celui des manifestants(-tes) que celui des usagers de la route.
[246] L’exercice du pouvoir discrétionnaire des policiers pouvait les amener à faire le choix de ne pas intervenir pour arrêter les manifestations. C’est l’officier en charge « sur le terrain » qui prend les décisions. Ainsi, le 28 mai, le lieutenant Pétrin décide de ne pas intervenir durant une manifestation qui se tient dans le secteur de Limoilou.
[247] Cependant, une tout autre décision est prise lors des manifestations des 23, 28 mai et 5 juin.
[248] La différence la plus évidente est la manière dont les manifestations se déroulent : le message véhiculé par les manifestants(-tes) est sensiblement le même, mais dans le cas de la manifestation dans le quartier Limoilou, les gens n’empruntent la voie routière que lors de l’apparition du feu de circulation qui autorise les piétons à traverser la rue. Les gens impliqués dans les trois autres manifestations n’ont pas cette préoccupation. Ils marchent dans la voie routière alors que des autobus du RTC circulent selon leur trajet habituel et des automobilistes empruntent également le chemin.
[249] C’est ici que le témoignage de monsieur Turcotte peut expliquer les différences entre les décisions prises par le SPVQ lors des manifestations.
[250] L’orientation du SPVQ est de laisser les gens manifester, mais de façon sécuritaire, ce qui implique la création d’un dialogue avec les manifestants(-tes), avant, pendant et après la manifestation.
[251] Il explique l’enjeu auquel le SPVQ est confronté : la sécurité des citoyens(-nes), soit la protection des manifestants(-tes) et celle des autres usagers de la route. Il explique que laisser déambuler les manifestants(-tes) de façon aléatoire sur la voie routière est risqué puisque le comportement des gens est imprévisible (tant celui des manifestants(‑tes) que celui des autres usagers de la route).
[252] En outre, la tenue d’une manifestation impose une planification pour maintenir la couverture de protection contre les incendies, vu la nature du lieu où se déroulent les manifestations. Les secteurs où se déroulent les manifestations sont enclavés, ce qui signifie un risque de propagation plus grand.
[253] Monsieur Richard Hamel précise que ce qui détermine l’intervention du SPVQ, c’est le comportement des manifestants(-tes), leur réaction aux avis. L’analyse de ces réponses des manifestants(-tes) permet au SPVQ d’évaluer le risque auquel le SPVQ est confronté et détermine leur réaction (leur réponse) pour la suite.
[254] Ainsi, lors des trois manifestations, les gens décident de ne pas remettre le parcours qu’ils envisagent emprunter, malgré les avis communiqués par le SPVQ[88].
[255] Ces avis sont communiqués avant le départ de chaque manifestation, puis à diverses occasions durant le parcours emprunté par les manifestants(-tes).
[256] Ainsi, la preuve entendue démontre que le vote est pris et la décision quant au trajet est de ne pas en remettre. Un avis[89] est alors émis par le SPVQ :
Un moment d’attention SVP, je suis le lieutenant Pétrin du Service de police de la Ville de Québec, je vous informe que s’il n’y a pas de trajet fourni, la marche sera déclarée illégale en vertu de l’article
Veuillez noter qu’aucune escorte ne vous sera fournie. Vous devez utiliser les trottoirs et aucune action mettant en danger la sécurité des citoyens ne sera tolérée.
Je répète, s’il n’y a aucun trajet fourni, la marche sera déclarée illégale, il n’y aura pas d’escorte policière et vos actions seront filmées. Vous êtes passible de recevoir un constat d’infraction en vertu de l’article
Merci de votre collaboration.
[257] Les gens ont l’occasion de se disperser et d’abandonner la manifestation, ce que certains(-nes) font.
[258] Les manifestants(-tes) ont emprunté la voie publique d’une à trois heures avant que le SPVQ ne mette un terme aux manifestations.
[259] Le SPVQ diffuse certains messages à quelques reprises avant d’intervenir, dont :
Un moment d’attention SVP […] je vous informe que cette marche est illégale car vous contrevenez à l’article 500.1 […]
Vous devez immédiatement vous disperser et utiliser les trottoirs.
[260] D’autres personnes quittent après ces autres messages.
[261] La décision d’arrêter les manifestations survient après les constats tirés de l’observation des manifestations : l’intervention du SPVQ survient après avoir conclu qu’une infraction a été commise. Ces interventions surviennent aussi après la diffusion de divers messages ayant pour objectif d’informer les manifestants(-tes). Ils accomplissent ainsi leur devoir, celui d’assurer le respect des lois en mettant un terme à une activité illégale, après que les membres ont eu l’occasion de se disperser et de quitter les lieux.
[262] Ainsi, la décision de mettre un terme aux manifestations est précédée d’avis aux participants(-tes).
[263] Il ne faut pas non plus passer sous silence que le SPVQ a laissé les trois manifestations à l’origine des Recours se déployer entre la fontaine de Tourny et le lieu où l’encerclement se produit.
[264] Ainsi, chaque manifestation a emprunté les rues de Québec pendant quelques heures avant d’être arrêtée. Ce qui tend à confirmer l’affirmation du capitaine Turcotte quant à l’orientation du SPVQ, soit la volonté de laisser la manifestation se déployer (avec le devoir d’assurer la sécurité de tous(-tes)).
[265] Les manifestants(-tes) ont donc eu l’occasion d’abandonner le parcours avant l’intervention du SPVQ.
[266] Certes, il peut s’agir d’une entrave aux libertés d’expression et de réunion pacifique. Mais comme l’a écrit monsieur le juge Godbout dans l’affaire Moreault[90], « […] le respect de la loi est certes une considération que peut soulever le SPVQ en défense et dont on doit tenir compte dans l’examen du recours constitutionnel prévu à la Charte canadienne ».
[267] Or, même s'il peut y avoir eu une atteinte aux libertés d'expression et de réunion pacifique, cette atteinte est justifiée par le principe fondamental de « bon gouvernement ».
[268] Effectivement, lors des interventions du SPVQ, l'article
[…] Les lois doivent être appliquées dans tout leur force et effet tant qu'elles ne sont pas invalidées. Ce n'est donc qu'en cas de comportement clairement fautif, de mauvaise foi ou d'abus de pouvoir que des dommages-intérêts peuvent être octroyés.[91]
[269] Le SPVQ avait des motifs raisonnables et probables de croire que les manifestants(-tes) ont commis une infraction, soit celle prévue à l’article
[270] Ainsi, après les avis aux manifestants(-tes), la décision d’arrêter la commission de l’infraction est le moyen identifié à l’article
[271] Les Représentants des membres et tous les témoins des parties demanderesses ont bien expliqué ce qu’ils ont vécu lors des manifestations des 23, 28 mai ainsi que le 5 juin.
[272] Ils (Elles) sont outrés(-ées) d’avoir été traités(-ées) comme des criminels(-les) alors qu’ils (elles) ne souhaitaient qu’exprimer leur désaccord avec une mesure annoncée par le gouvernement et ce faisant, ils (elles) exercent un droit fondamental, soit exprimer son désaccord avec une mesure annoncée par le gouvernement, cette critique par les manifestants(-tes) rejoignant une valeur fondamentale pour les démocraties.
[273] Mais ce faisant[94], ils (elles) ont commis une infraction à une loi valide et en vigueur[95] et certains(-nes) ont bien expliqué la raison pour laquelle ils (elles) sont restés(‑ées) avec le groupe malgré les avis du SPVQ.
[274] La décision de mettre un terme à la commission de l’infraction se fait selon la loi tel qu’écrit ci-devant.
[275] Dans le contexte de l’article 7 de la Charte, il faut d’abord décider s’il existe une atteinte à l’un des droits protégés puis décider si cette atteinte est faite en conformité avec les principes de justice fondamentale.
[276] Les parties demanderesses allèguent avoir été arrêtées arbitrairement et abusivement. Elles allèguent donc une atteinte au droit à la liberté.
[277] L’utilisation des qualificatifs « arbitrairement » et « abusivement » par les parties demanderesses dans leurs demandes introductives d’instance ne convient pas ou plutôt ne correspond pas à la séquence des événements présentés dans ces affaires par les témoins entendus. Le Tribunal conclut de la preuve que la décision d’arrêter les manifestants(-tes) se justifie sous l’article
[278] Or, même s'il peut y avoir eu une atteinte à la garantie juridique prévue à l’article 7 de la Charte, cette atteinte est justifiée par le principe fondamental de bon gouvernement, tel que souligné ci-devant.
[279] Effectivement, lors des interventions du SPVQ l'article
[…] Les lois doivent être appliquées dans toute leur force et effet tant qu'elles ne sont pas invalidées. Ce n'est donc qu'en cas de comportement clairement fautif, de mauvaise foi ou d'abus de pouvoir que des dommages-intérêts peuvent être octroyés.[96]
[280] La suite, soit l’usage de mesures de contention (tie wrap) et la dispersion, mérite une analyse qui lui est propre.
[281] Toutefois l’utilisation des mesures de contention et le déplacement (la dispersion des manifestants(-tes)) en autobus soulèvent des questions.
[282] D’abord, après l’identification, chaque personne est menottée (à l’aide de tie wrap, les mains dans le dos).
[283] Le SPVQ prévoit ce qui suit dans ses procédures opérationnelles[97] :
1.9 Le policier détermine la nécessité de menotter le détenu ou d’utiliser d’autres moyens de contrainte pour l’amener au véhicule et le transporter. Il prend la décision de menotter ou non une personne en tenant compte de l’ensemble des circonstances dont :
- sa propre sécurité, celle du sujet et celle d’autrui;
- les facteurs entourant l’arrestation;
- le comportement du détenu;
- les risques d’évasion;
- la gravité de l’infraction;
- toute autre information disponible.
Il les enlève dès que leur utilisation n’est plus nécessaire et que la situation le permet.
[284] Puisque l'analyse d'une violation des droits et libertés protégés par la Charte et de la justification invoquée s'apparente fortement à celle faite sous l'article
[285] Ainsi, l’arrestation d’une personne ne rend pas automatiquement raisonnable l’application de menottes (ou de tie wrap). Une telle décision doit découler des circonstances entourant l’arrestation et la détention[98].
[286] La Cour suprême décrit bien le rôle du Tribunal dans cette analyse dans l’affaire Kosoian[99] :
[64] […] Conséquemment, en appréciant la conduite d’un policier, le tribunal doit « accorder une grande importance aux circonstances externes » et « éviter la vision parfaite que permet le recul ».
[287] Le cadre d’analyse doit donc reposer sur un critère identifiable.
[288] Dans cet arrêt Kosoian[100], la Cour suprême retient le critère du policier raisonnable placé dans les mêmes circonstances, en ces termes :
[45] Il est bien établi que la conduite policière doit être évaluée selon le critère du policier normalement prudent, diligent et compétent placé dans les mêmes circonstances. Les professeurs Baudouin et Fabien expliquent en ces termes la démarche d’un tribunal appelé à se prononcer sur la faute reprochée à un policier :
[…]
Le standard de conduite appliqué au policier, pour déterminer s’il a commis une faute, n’en est pas un d’excellence. Il s’agit d’un standard moyen, qui n’est ni le meilleur ni le plus médiocre.
[…]
[47] Le contenu des règles de droit qui encadrent le travail des forces policières définit, dans une certaine mesure, l’étendue de « l’obligation de prudence et diligence qui s’impose dans un contexte donné ». Dans le cadre d’une action en responsabilité civile, le tribunal sera ainsi appelé à apprécier la conduite du policier à la lumière des balises fixées notamment par les textes constitutionnels et quasi constitutionnels, les lois criminelles et pénales, les lois constitutives des corps policiers et leurs codes de déontologie.
[48] La transgression de telles règles de conduite législatives ou réglementaires pourra souvent, sauf circonstances particulières, être assimilée à une faute civile […] Néanmoins, en droit québécois, une conduite illégale n’est pas systématiquement fautive sur le plan civil.
[49] En d’autres termes, même si la personne raisonnable doit bien sûr se conformer aux règles de conduite qu’impose la loi, comme le rappelle d’ailleurs l’art.
La norme de la faute civile correspond à une obligation de moyens. Par conséquent, il s’agira de déterminer si une négligence ou imprudence est survenue, eu égard aux circonstances particulières de chaque geste ou conduite faisant l’objet d’un litige. Cette règle s’applique à l’évaluation de la nature et des conséquences d’une violation d’une norme législative.
[50] En droit civil québécois, il ne suffit pas de démontrer l’illégalité de la conduite du policier. L’obligation qui incombe à ce dernier demeure une obligation de moyens, même lorsque le respect de la loi est en cause. Pour obtenir réparation, le demandeur doit d’abord établir l’existence d’une faute au sens de l’art.
[51] De surcroît, le simple fait que l’acte d’un policier ait une assise juridique ne dégage pas ce dernier à coup sûr de toute responsabilité civile. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, un policier doit agir raisonnablement et respecter l’obligation générale de prudence et de diligence à l’égard d’autrui qui lui incombe, selon les circonstances, en vertu de l’art.
[289] Le SPVQ allègue qu’il faut considérer le contexte de ces affaires : des arrestations et des transports multiples. C’est là son principal argument sous ce titre.
[290] Le SPVQ ajoute que l’utilisation de mesures de contention (tie wrap) permet de limiter les fouilles tout en assurant la sécurité de tous et toutes lors des déplacements, donc assure la garantie juridique prévue à l’article 8 de la Charte.
[291] Rien dans la preuve administrée ne permet de conclure que les gens aient résisté à leur arrestation et rien ne permet de conclure que l’une des personnes arrêtées ait des antécédents judiciaires en matière de violence[101].
[292] Ce passage de l’arrêt Godin[102] illustre très bien ce qui doit être mis en lumière par la défenderesse :
45 Handcuffing should not be carried out systematically. Applying handcuff (or tie wraps) is within the discretion of an arresting officer but there must be a good reason to do it, such as the security of the police or others, including the arrestee. The cuffs or ties can be used to control a detainee when justified in the circumstances.
[293] Le SPVQ précise, dans ses résumés d’événements[103] que « la foule est pacifique et calme », avant l’identification puis on ajoute, pour clore, que « les manifestants sont coopératifs et qu’ils ont bien collaboré » lors de l’intervention. Alors, comment justifier l’usage de tie wrap dans ces circonstances?
[294] Outre le caractère multiple des arrestations et vu le transport anticipé tel que plaidé par la partie défenderesse, rien ne permet de comprendre ce qui motive le SPVQ à appliquer une telle mesure à chaque occasion. Il n’y a pas de circonstances portées à l’attention du Tribunal qui puisse mener à une telle conclusion. Il faut aussi souligner que les résumés d’événements, rédigés de façon contemporaine, sont certainement plus fiables que les témoignages rendus plusieurs années après les manifestations. Or, les résumés, tels que soulignés ci-devant, ne permettent pas d’identifier les circonstances menant à la décision de menotter les membres des groupes.
[295] Ce qui se dégage cependant, c’est que les policiers cherchaient à assurer la sécurité de tous vu le nombre de personnes présentes (tant à l’intérieur du cordon qu’à l’extérieur) lors des parades d’identification et du transport.
[296] Mais il n’y a aucune autre indication justifiant l’application de cette mesure. Certes, il faut se rappeler les passages tirés de l’arrêt Kosoian lorsqu’on parle du recul pour juger des circonstances[104].
[297] Les circonstances des arrestations ne permettent pas de conclure à la nécessité des mesures de contention. Il n’y a pas d’indice permettant de comprendre que la foule est hostile, voire menaçante, ce qui justifierait une telle décision, bien au contraire.
[298] Vu cela, le Tribunal conclut qu'il y a eu une violation de la protection accordée par la Charte contre la détention arbitraire sans que cela ne puisse se justifier puisqu’on a appliqué, sans évaluation des circonstances propres à chaque manifestation, l’imposition de mesures de contention[105].
[299] Reste à évaluer la réparation convenable en pareilles circonstances.
[300] Au début de l’instruction de ces affaires, les Représentants ont reconnu que « les dommages subis par les membres sont exclusivement des dommages moraux, aucun dommage corporel n’est visé […] »[106].
[301] L’analyse de ce type de dommages comporte son lot de difficultés qui sont propres à la nature même de ce type de dommages.
[302] Mais, est-ce que l’octroi d’argent à chaque membre du groupe est une réparation convenable et juste dans le contexte de ces affaires? Le Tribunal ne le croit pas.
[303] Les avocats des parties demanderesses ont dirigé le Tribunal vers deux décisions, les affaires Kavanaght[107] et Bérubé[108].
[304] Ce faisant, on oublie que l’usage de précédents, en semblable matière, n’est pas nécessairement un bon guide, puisque la mesure réparatrice doit plutôt se concentrer sur ce qui est approprié et juste dans les circonstances des affaires sous étude.
[305] Il faut se rappeler que les membres des groupes se sont dit outrés d’avoir été traités comme des criminels. Et certes, selon les témoignages des membres du SPVQ, ce n’était pas là l’objectif : on voulait éviter de soumettre les gens à la fouille et on voulait assurer la sécurité des membres du SPVQ dans les autobus.
[306] N’eut été de la prescription qui mène au rejet des Recours[109], le Tribunal aurait conclu qu’une réparation de nature déclaratoire, conjuguée à des excuses par le SPVQ atteint l’objectif d’une réparation convenable et juste.
[307] Cela répond à l’impression laissée aux membres des groupes, c’est-à-dire qu’ils ont été traités comme des criminels et viendra dissiper cette impression qui découle d’une violation d’une garantie juridique par le SPVQ à l’égard des membres des groupes.
[308] La conclusion déclaratoire selon laquelle les membres des groupes (c’est‑à-dire les titulaires des droits garantis par la Charte) n'ont pas bénéficié de la garantie juridique prévue à l’article 9 de la Charte, assure l’objectif poursuivi par le critère du remède approprié. À ce sujet, la Cour suprême, dans l’arrêt Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique (Éducation)[110] écrit que les gouvernements prennent au sérieux les jugements déclaratoires fondés sur la Charte. Ainsi, dans le contexte de ces trois affaires, le Tribunal conclut qu’une telle mesure aurait été plus appropriée.
[309] Enfin, dans le contexte de ces affaires, vu les constats auxquels en arrive le Tribunal, il n’y a pas de facteurs pouvant faire contrepoids et qui sont susceptibles de permettre au Tribunal de conclure autrement.
[310] Une fois menottés(-ées), les manifestants(-tes) sont installés(-ées) dans un autobus du RTC, destiné à la tâche assignée par le SPVQ, c’est-à-dire pour être dispersés(-ées).
[311] Le SPVQ veut éviter que les manifestants(-tes) ne se regroupent pour reprendre une nouvelle manifestation[111]. D’où le besoin de les disperser.
[312] Ces déplacements sont justifiés par les témoins de la défenderesse, tout comme dans les résumés d’événements.
[313] D’ailleurs, les rapports d’événements sont beaucoup plus précis sur les circonstances justifiant le déplacement que sur ce qui a été écrit pour expliquer l’usage de mesures de contention (tie wrap).
[314] Le Tribunal ne peut conclure à une violation dans ces cas-ci vu le contexte des manifestations et de la mobilisation à laquelle on assiste à ces occasions.
[315] La dispersion est en effet le moyen le plus approprié alors que les informations communiquées au Tribunal lors de l’instruction permettent de conclure que d’autres personnes, en dehors du lieu immédiat où sont encerclés les membres des groupes, laissent entrevoir la possibilité d’une poursuite de l’infraction. Cette preuve n’a pas été contredite. D’ailleurs, à titre d’exemple, le résumé d’événement produit à la suite de la manifestation du 28 mai souligne que des personnes se trouvant à l’extérieur du périmètre où sont confinés les membres du groupe, ont commencé une nouvelle manifestation. La nécessité de disperser les membres des groupes est appuyée par les témoignages des membres du SPVQ.
[316] Les lieux sont choisis compte tenu de la proximité du transport en commun permettant aux membres de rejoindre leur lieu d’hébergement.
[317] Le Tribunal ne peut conclure à une violation d’une garantie juridique prévue à la Charte dans ces circonstances.
[318] Ces deux questions peuvent être traitées ensemble :
A) Les préposés de la partie défenderesse sont-ils responsables des dommages moraux encourus lors de l’évènement précité (c’est-à-dire chacune des manifestations, soit celle du 23 mai, celle du 28 mai et celle du 5 juin 2012)? ET
B) La partie défenderesse est-elle responsable des dommages occasionnés par ses préposés?
[319] Comme l’a rappelé la Cour suprême en 2019[112], le policier est tenu responsable civilement du préjudice qu’il cause à autrui par une faute, conformément à l’art.
[320] Ces affaires-ci réunissent-elles les conditions requises pour ordonner le paiement des dommages-intérêts moraux réclamés par les Représentants pour tous les membres des groupes?
[321] Vu la conclusion à la deuxième question quant à l’usage de mesures de contention, la réponse à la question que l’on trouve au sous-paragraphe A) du paragraphe 320 est oui.
[322] Quant à la question suivante, la réponse est aussi oui.
[323] Dans l’arrêt Kosoian, la Cour suprême décrit un cadre d’analyse qui s’applique en l’espèce, pour cette question :
Pour déterminer si un policier doit être tenu responsable civilement, il faut se reporter aux conditions cumulatives prescrites à l’art.
[324] La décision de menotter les manifestants/tes est prise en considérant que les autobus du RTC accueillent, pour ces tâches isolées, près de 30 personnes, 2 policiers puis un(e) conducteur(-trice).
[325] C’est ce ratio mathématique qui est à l’origine de la décision d’immobiliser les manifestants(-tes) (c’est-à-dire la préoccupation d’assurer la sécurité de tous les gens sur le terrain), tout comme le souci de limiter les fouilles.
[326] Mais, la circonstance extérieure, soit l’attitude des gens lorsqu’arrêtés, doit aussi être incluse dans l’analyse du policier.
[327] Il est évident qu’il ne s’agit pas d’un problème simple et que plusieurs facteurs doivent être soupesés, d’où la nécessité d’une bonne planification[113].
[328] En l’absence d’un début de preuve laissant croire à un danger lors de la détention (lors de la dispersion), le Tribunal conclut que les policiers ont commis une faute, puisque l’apposition de mesures de contention n’apparaissait pas nécessaire dans les circonstances des manifestations décrites lors de l’instruction.
[329] Le contexte d’une manifestation, en l’absence d’autres considérations, ne justifie pas une telle mesure.
[330] La responsabilité de la défenderesse est donc aussi engagée, puisqu’il est indéniable que les policiers agissaient dans l’exercice de leur fonction pour la défenderesse[114].
[331] La preuve administrée ne permet pas l’octroi de dommages-intérêts punitifs/de dommages exemplaires.
[332] Des dommages exemplaires peuvent être accordés en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte.
[333] L’octroi de dommages-intérêts punitifs a pour objectif de marquer la désapprobation particulière dont la conduite visée fait l’objet.
[334] Dans l’affaire Ward[115], la Cour suprême écrit ceci au sujet des dommages-intérêts punitifs dans le contexte d’un recours constitutionnel :
[56] Un mot, en terminant, sur la question des dommages‑intérêts punitifs ou exemplaires. Dans Mackin, le juge Gonthier a avancé l’hypothèse qu’un demandeur « pourrait, en théorie, solliciter des dommages-intérêts compensatoires et punitifs à titre de réparation “convenable et juste” en vertu du par. 24(1) de la Charte » : par. 79. Dans les faits, les dommages-intérêts de droit public, de par leurs objectifs de défense des droits et de dissuasion, peuvent revêtir un aspect punitif. Il convient toutefois de souligner une réticence générale dans la communauté internationale à accorder des dommages‑intérêts purement punitifs.
[57] En résumé, le montant des dommages‑intérêts doit correspondre à la somme nécessaire pour réaliser, d’un point de vue fonctionnel, les objectifs d’indemnisation, de défense du droit et de dissuasion contre de nouvelles violations, dans la mesure où ces objectifs interviennent dans l’affaire, eu égard à l’incidence de la violation pour le demandeur et à la gravité de la conduite des représentants de l’État. La réparation doit être convenable et juste du point de vue à la fois du demandeur et de l’État.
[Références et citations omises]
[335] Les parties demanderesses ont plaidé que sous l’égide de la sécurité, il n’est pas possible de justifier la conduite du SPVQ.
[336] Pour ajouter, on invite le Tribunal à considérer le cas d’une dame qui aurait toujours marché sur le trottoir lors de la manifestation et qui a quand même subi le même sort que les autres membres de son groupe.
[337] Or, cet exemple n’est pas concluant.
[338] Cette personne est identifiée sur une photo alors qu’elle est en plein milieu du chemin public.
[339] Une autre a tenté, malhabilement, d’expliquer sa phrase « je vais beurrer épais » en parlant du recours qu’elle envisageait d’entreprendre pour obtenir une réparation de la Ville de Québec pour les faits allégués dans les Recours.
[340] Ces deux exemples démontrent à quel point il faut examiner avec beaucoup de détachement la preuve afin d’identifier ce qui s’avère convenable et juste.
[341] La preuve a en outre démontré le souci de la partie défenderesse à respecter le droit des parties demanderesses à manifester pour exprimer leur désaccord avec une mesure annoncée par le gouvernement alors en place. De plus, tant les témoins des parties demanderesses que les témoins de la partie défenderesse ont bien expliqué que la courtoisie et le respect ont entouré l’intervention des membres du SPVQ lors de l’application des mesures de contention.
[342] Rien dans cette affaire ne permet de conclure à la nécessité d’une mesure de la nature de ce qui est demandé, qui s’ajouterait à la réparation déjà décidée dans ces affaires.
[343] Il a été expliqué que la mesure décidée dans le contexte de ces affaires était convenable et juste. La preuve ne permet pas d’ajouter des dommages-intérêts punitifs.
[344] Ce rapport est produit avant la mise en état de ces affaires. Le rédacteur du rapport assiste à l’instruction de ces affaires-ci.
[345] La qualité d’expert de monsieur Pothier n’a pas été contestée et il n’y a pas eu d’opposition à son témoignage ni à la production de son rapport.
[346] Cependant, vu le contenu de son rapport et ses conclusions, le Tribunal conclut que les sujets abordés relèvent du domaine d’expertise du Tribunal[116], c’est‑à‑dire décider si les membres du SPVQ ont commis une/des faute(s) dans l’exercice de leurs fonctions, considérant la Charte. Pour cette raison, le Tribunal ne retient pas le témoignage ou le contenu du rapport de monsieur Pothier.
[347] Les parties demanderesses n’ont pas mis l’emphase sur les atteintes à ces garanties juridiques.
[348] La conséquence d’une contravention à la garantie du droit à l’avocat est que tout élément de preuve obtenu pourrait être irrecevable subséquemment[117]. Force est de conclure que cela n’a pas de conséquence dans les Recours.
[349] Quant à l’allégation de la violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable, il faut reconnaître que c’est la suspension de l’instance (qui est retardée) qui s’avère être le remède habituel. Puisque la partie défenderesse a requis l’arrêt des procédures entreprises devant la Cour municipale de la Ville de Québec, le remède a été appliqué. Il n’y a pas lieu de revisiter cette question.
[350] La partie défenderesse a produit, sans que personne ne s’y oppose, plusieurs documents qui émanent des membres des groupes ou des avocats des groupes. On y traite des recours envisageables et du délai de prescription du Code civil pour les « poursuites au civil ».
[351] Il s’agit cependant d’informations diffusées à un grand nombre de personnes et le Tribunal voit mal comment il aurait pu protéger cette information, notamment les documents qui émanent des avocats. Il n’y a eu aucune précaution prise à leur égard ni aucune limitation quant à leur diffusion.
[352] Ces documents ont été évoqués bien avant l’instruction et les parties demanderesses en connaissaient le contenu. Cependant, il n’y a eu aucune opposition à leur production.
[353] Il y a eu une renonciation implicite. La divulgation de ces documents s’est faite volontairement par les bénéficiaires mêmes du secret professionnel lors de leur publication sur des pages Facebook accessibles à tous et toutes. Il ne s’agit pas, dans ces cas-ci, de divulgations par inadvertance ou par accident. Sa diffusion est souhaitée.
[354] D’autre part, lors de l’instruction de ces affaires, une rédactrice d’un compte rendu d’une réunion avec les avocats a été questionnée sur les délais discutés lors de la rencontre et elle a répondu à la question sans que personne ne s’y oppose.
[355] Tel que décidé, les Recours sont rejetés en raison du délai de prescription prévu à l’article
[356] Ainsi, tel que mentionné au paragraphe 210 de ce jugement, la Ville de Québec a porté atteinte sans justification aux droits des membres des groupes à la liberté et à la protection contre la détention arbitraire prévus aux articles 7 et 9 de la Charte, en utilisant des mesures de contention lors des manifestations du 23 mai, du 28 mai et du 5 juin 2012.
[357] La Ville de Québec est responsable des dommages moraux encourus par les membres des groupes lors des manifestations qui sont à l’origine des Recours et une mesure réparatrice aurait alors été ordonnée[118].
[358] Mais, une telle conclusion n’est pas ordonnée puisque les Recours sont rejetés.
[359] Il est prévu, à l’article
[360] Lorsqu’il y a plus d’une partie qui a gain de cause, comme c’est le cas dans les Recours, les frais sont répartis entre elles, à parts égales.
[361] Enfin, le Tribunal n’a aucune raison de déroger à cette règle de la succombance, sauf en ce qui a trait aux frais d’expert vu les conclusions du Tribunal à ce sujet, que l’on trouve aux paragraphes 346 à 348.
[362] REJETTE le recours de monsieur Bernard Laforce (200-06-000184-153), le recours de madame Marie-Ève Duchesne (200-06-000185-150) et le recours de madame Audrée Saint-Laurent (200-06-000183-155);
[363] AVEC frais de justice en faveur de la Ville de Québec et du Procureur général du Québec dans chaque dossier, mais sans les frais d’expert.
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| __________________________________simon hébert, j.c.s. |
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Me Florence Boucher Cossette | |
Me Gabriel Michaud-Brière | |
Me Enrico Théberge | |
Dumas Gagné Théberge avocats | |
Avocats des demandeurs | |
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Me Benoit Lussier Me Olivier Gauthier | |
Giasson & associés | |
Avocats de la défenderesse | |
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Me Alexandre Ouellet | |
Lavoie, Rousseau (Justice-Québec) | |
Avocats du mis en cause | |
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[1] Bernard Laforce c. Ville de Québec, 200-06-000184-153 (ci-après le « Recours du 23 »); Marie-Ève Duchesne c. Ville de Québec, 200-06-000185-150 (ci-après le « Recours du 28 »); et Audrée Saint‑Laurent c. Ville de Québec, 200-06-000183-155 (ci-après le « Recours du 5 ») et le Recours du 23, le Recours du 28 et le Recours du 5 sont collectivement désignés les « Recours »).
[2] Duchesne c. Ville de Québec,
[3] Monsieur Laforce, mesdames Duchesne et Saint-Laurent sont désignés, collectivement, les « Représentants(-tes) ».
[4] Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent, L.Q. 2012, c. 12. Dans le langage collectif, elle est désignée sous le nom de « Loi 78 ». Afin de minimiser les risques de confusion, le Tribunal retient cette désignation de Loi 78 dans ce jugement.
[5] Pièce D-1.
[6] Id.
[7] Pièce D-8.
[8] Liste des annonces et messages pour les manifestations, pièce D-11.
[9] Résumé d’événement, dossier de la Ville de Québec QUE120523063 (1), pièce D-8.
[10] Le mot aléatoire est utilisé par monsieur Laforce lors de son témoignage.
[11] Madame Duchesne participe à sa dixième manifestation dans le cadre du Printemps érable.
[12] Selon monsieur Robichaud, c’est un cycliste qui a chuté de son vélo, ce qui aurait causé son décès. Outre cela, personne n’a parlé de ce triste événement et le Tribunal ignore tout de cela, mais c’est ce qui convainc monsieur Robichaud de poursuivre son implication dans ce mouvement.
[13] 76 personnes sont interpellées ce soir-là.
[14] L’autobus du RTC est mobilisé pour cette tâche spécifique. Il y a plus d’un autobus qui « accueille » les manifestants(-tes).
[15] Pièce P-1.
[16] RLRQ, c. C-24.2.
[17] Lettre de Me Théberge au service du contentieux de la Ville de Québec, datée du 28 juin 2012, pièce P‑2.
[18] Pièce P-12. On y constate que l’infraction reprochée à madame Baby, sur ce constat, a été commise à 13 h 02 le 27 mai 2012. Or, madame Baby n’a pas manifesté le 27 mai, dit-elle.
[19] Pièce P-13.
[20] Pièce P-6.
[21] Pièce P-7.
[22] Elle a été arrêtée à deux reprises avant le 23 mai, soit le 27 avril et le 20 mai et elle a été arrêtée le 19 juin.
[23] 85 personnes sont arrêtées ce soir-là.
[24] Pièce P-3.
[25] Pièce P-4.
[26] Mais il faut ajouter qu’il y a eu plus de 170 manifestations durant le Printemps érable, à Québec, préc. note 5.
[27] Pièce P-17.
[28] Pièce P-18.
[29] Pièce P-20.
[30] Elle n’a cependant pas participé aux manifestations des 23 et 28 mai.
[31] Rien ne permet de conclure que monsieur Kadhir ait joué un rôle quelconque dans la manifestation. Les images et photos produites lors de l’instruction de ces affaires (dont la pièce P-41) démontrent qu’il ne fait que marcher, calmement, avec les manifestants(-tes).
[32] 63 personnes sont arrêtées ce soir-là.
[33] Pièce P-23.
[34] Pièce P-24.
[35] Pièce P-5C.
[36] Il importe de souligner que Me Théberge, dans sa lettre à la Ville de Québec lorsqu’il annonce être l’avocat des manifestants(-tes), demande que lui soit transmise la preuve au dossier. Il est donc l’interlocuteur de la Ville de Québec. Il n’a (bien évidemment) pas témoigné pour expliquer la nature des échanges, s’il y en a eu, avec la Ville de Québec, au sujet des constats d’infraction et la Ville de Québec n’a pas présenté de preuve à ce sujet non plus. Lire à ce sujet les lettres produites sous les cotes P-2, P-4, P-7, P-13, P-15, P-18, P-20 et P-24.
[37] Id.
[38] Pièce P-8B.
[39] Pièce P-9.
[40]
[41] Pièce D-12.
[42] Résumé de la rencontre avec Me Théberge, pièce D-13.
[43] Courriel de Me Théberge à plusieurs personnes, le 13 novembre 2014, pièce D-14.
[44] Pièce D-15.
[45] Pièces D-17 à D-20.
[46] À l’étape de l’autorisation, tel que décrit à l’article
[47] 2925. L’action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n’est pas autrement fixé se prescrit par trois ans.
[48] Demandes d’inscription pour instruction et jugement déposées dans chaque dossier.
[49] Pièces P-1 à P-41.
[50] Pièces D-1 à D-21.
[51] RLRQ, c. C-19.
[52] Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray),
[53] 586. Toute action, poursuite ou réclamation contre la municipalité ou l’un de ses fonctionnaires ou employés, pour dommages-intérêts résultant de fautes ou d’illégalité, est prescrite par six mois à partir du jour où le droit d’action a pris naissance, nonobstant toute disposition de la loi à ce contraire.
[54] RLRQ, c. C-11.5. 4.2 : Sous réserve de toute autre disposition de la présente loi ou de tout décret du gouvernement pris en vertu de l’article 9, la ville est une municipalité régie par la Loi sur les cités et villes (chapitre C-19).
[55] 2930. Malgré toute disposition contraire, lorsque l’action est fondée sur l’obligation de réparer le préjudice corporel causé à autrui, l’exigence de donner un avis préalablement à l’exercice d’une action, ou d’intenter celle-ci dans un délai inférieur à un délai prévu par le présent livre, ne peut faire échec au délai de prescription prévu à ce livre.
[56] Au stade de l’autorisation, bien évidemment.
[57] Popovic c. Montréal (Ville de),
[58] Marcel Planiol et Georges Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. 3, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1952, no 688, p. 697.
[59] Vancouver (Ville de) c. Ward,
[60] Avis ré-amendé d’intention de soulever l’inconstitutionnalité de l’article
[61] R. c. Mills,
[62] Engler-Stringer c. Montréal (Ville de),
[63] 2018 BCSC 959.
[64] Et contrairement à ce qui se produit dans l’arrêt Engler-Stringer, le Tribunal est en mesure d’établir le fondement factuel à l’appui des démarches des Représentants.
[65] Elle est d’ailleurs une rédactrice identifiée du compte rendu de la rencontre tenue le 20 juin 2012 et produit sous la cote D-13.
[66] Pièces D-12 et D-13.
[67] Pièce D-24. Cette personne a d’ailleurs entrepris un recours individuel avant l’expiration du délai de six mois et il a eu gain de cause.
[68] Pièces D-21, D-23 et D-24.
[69] Cette affirmation est formulée le 28 janvier 2020 un peu après 10 h 05, lors du contre-interrogatoire par le PGQ.
[70] Pièce D-15.
[71] Présente dans le corpus législatif depuis 1903.
[72] Et faut-il le redire, il n’y a pas de démonstration de ce qui constitue une atteinte à un droit ou une liberté.
[73] Demandes introductives d’instances.
[74] Il semble que ce titre soit celui réellement utilisé.
[75] Art.
[76] R. c. Dedman,
[77] Préc., note 40.
[78] Art. 7 et 9 de la Charte.
[79] Flemming c. Ontario,
[80] R. c. Grant,
[81] RLRQ, c. C-25.1.
[82] RLRQ, c. C-24.2.
[83] C’est justement cette disposition que monsieur le juge Cournoyer, alors à la Cour supérieure, déclare invalide le 12 novembre 2015, comme discuté aux paragraphes 140 à 144 de ce jugement-ci. Cependant, la conclusion à laquelle en arrive monsieur le juge Cournoyer n’a aucun impact dans ces affaires‑ci, selon un principe général de droit public que commente la Cour suprême dans Mackin c. Nouveau-Brunswick (ministre des Finances),
[84] Kosoian c. Société de transport de Montréal,
[85] Préc. note 59.
[86]
[87] Voir les paragraphes 20, 21 et 22 de ce jugement.
[88] Comme souligné auparavant, les policiers ont l’impression que la réaction des manifestants(-tes) à l’adoption de la Loi 78 (l’obligation de remettre un trajet) représente maintenant l’enjeu prioritaire et occupe la place.
[89] Préc., note 8.
[90] Préc., note 86.
[91] Mackin c. Nouveau-Brunswick (ministre des Finances), préc., note 83, paragr. 79.
[92] Préc., aux paragraphes 223 à 228.
[93] Préc., aux paragraphes 229 et suivants.
[94] Non pas en participant à une manifestation, mais en agissant tel que décrit dans l’une ou l’autre des manifestations décrites dans ce jugement.
[95] Art.
[96] Mackin c. Nouveau-Brunswick (ministre des Finances), préc., note 83, paragr. 79.
[97] Pièce D-10.
[98] Godin v. City of Montreal,
[99] Préc., note 84.
[100] Id.
[101] Il faut souligner que le SPVQ, dans le résumé d’événement produit à la suite de la manifestation du 28 mai, évoque l’arrestation d’un individu recherché pour une infraction (voies de fait sur un policier) commise lors d’une autre manifestation à Victoriaville. C’est là la seule référence à une menace potentielle pour les membres du SPVQ. Cette personne est arrêtée avant les autres membres de la manifestation.
[102] Préc., note 98.
[103] Pièces D-6. Le rapport produit pour la manifestation du 28 mai est différent. Il ne mentionne pas la collaboration des manifestants et précise plutôt que les mesures de contention sont utilisées pour assurer la sécurité des policiers et de toutes les personnes impliquées. Il n’y a aucune autre indication permettant de comprendre ce qui incite les policiers à agir de la sorte, aucune évaluation de la situation ni aucune mise en contexte.
[104] Préc., note 84.
[105] Bien que le Tribunal reconnaisse que le nombre de personnes assises dans l’autobus du RTC est de loin bien supérieur à celui des policiers dans l’autobus. Le Tribunal reconnait que la décision prise par le SPVQ avait pour objectif d’assurer la sécurité de tous(toutes) y compris celle de ses membres. D’ailleurs, le Tribunal reconnait que la preuve a souligné qu’un policier avait été agressé par un membre d’un groupe auparavant. La décision qui devait être prise n’est donc pas simple dans le contexte de ces affaires.
[106] Demande d’inscription pour instruction et jugement par déclaration commune, page 3 sous le titre Liste des faits admis par les parties.
[107] Kavanaght c. Montréal (Ville de),
[108] Bérubé c. Québec (Ville de),
[109] Préc., paragr. [205].
[110]
[111] Résumé d’événement pour la manifestation du 28 mai, pièce D-6.
[112] Kosoian c. Société de transport de Montréal, préc., note 84.
[113] On a semblé critiquer le travail des policiers en plaidant que les « gestes ont été planifiés au plus haut niveau ». Une telle planification est pourtant nécessaire, voire essentielle, lors de la préparation à une telle opération dont le potentiel de dérive est grand. La planification du SPVQ ne peut, ici, être critiquée.
[114] Art.
[115] Préc., note 59, paragr. 56.
[116] Roberge c. Bolduc,
[117] R. c. Therens,
[118] La mesure est discutée au paragr. [306] de ce jugement.
AVIS :
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