Décision

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Fontilus c. Saihi

2022 QCTAL 18958

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

Nos dossiers :

608403 31 20220124 G

608407 31 20220124 G

Nos demandes :

3444569

3444609

 

 

Date :

06 juillet 2022

Devant le juge administratif :

Grégor Des Rosiers

 

Arsène Fontilus

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Nadia Saihi

 

NADIA SAIHI

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

Dossier : 608403 31 20220124

[1]         Le 24 janvier 2022, le locateur a introduit une demande suivant les termes de l'article 1963 du Code civil du Québec et requiert du Tribunal de l’autoriser à reprendre le logement concerné « ciaprès # 9010 », à compter du 1er juillet 2022, pour s’y loger.

Dossier : 608407 31 20220124

[2]         Toujours le 24 janvier 2022, le locateur a introduit une demande suivant les termes de l'article 1963 du Code civil du Québec et requiert du Tribunal de l’autoriser à reprendre le logement concerné « ci-après # 9010A », à compter du 1er juillet 2022, pour s’y loger.

[3]         Les demandes ont été réunies puisque la locataire occupe les deux logements et ceux-ci font l’objet de la présente demande de reprise.

[4]         La preuve présentée par le locateur se résume comme suit :

[5]         Les parties sont liées par deux baux distincts pour chacun des logements (# 9010 et # 9010A)

[6]         En ce qui concerne le logement # 9010, les parties sont liées par un bail initial du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021 reconduit au 30 juin 2022 au loyer mensuel de 860 $. Ce logement comprend 5 ½ pièces et est situé au rez-de-chaussée.

[7]         Quant au logement # 9010A, les parties sont liées par un bail initial du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021 reconduit au 30 juin 2022 au loyer mensuel de 415 $. Ce logement comprend 3 ½ pièces et est situé au sous-sol. Auparavant, il s’agissait du sous-sol du logement #9010 situé au rez-de-chaussée. Il a été converti en logement par le propriétaire précédent.


[8]         Jusqu’au 8 novembre 2021, le locateur était avec sa mère propriétaire d’une part indivis de l’immeuble concerné acquis le 30 novembre 2020. Cet immeuble comprend trois logements : deux logements de 5 ½ pièces et un 3 ½ au sous-sol.

[9]         Le 8 novembre 2021, la mère du locateur, madame Lemeze Mérilien, copropriétaire indivis de l’immeuble avec le locateur, par cession faite sans autre garantie devant Me Suzy Jean, notaire, cède à son fils, le locateur, monsieur Arsène Fontilus, tous ses droits, titres et intérêts dans l’immeuble.

[10]     Le 20 décembre 2021, le locateur notifiait à la locataire un avis de reprise respectif pour chacun des logements (# 9010 et # 9010 A) à l’expiration du bail ou à compter du 1er juillet 2022 pour s’y loger lui-même.

[11]     Le 17 janvier 2022, la locataire notifiait à son tour au locateur les avis respectifs pour chaque logement informant son refus de quitter.

[12]     À l’audience, la locataire réitère son opposition à la reprise des logements qu’elle occupe.

[13]     La locataire occupe le logement (5 ½ pièces) situé au rez-de-chaussée et le logement de 3 ½ pièces situé au sous-sol.

[14]     Le locateur explique sa situation familiale et l’occupation par deux familles – la sienne, deux adultes et un enfant ainsi que sa mère et sa sœur - du logement (5 ½ pièces) situé à l’étage.

[15]     Il explique que dès 2019, le projet d’achat collectif d’un immeuble devenait une nécessité puisqu’il vivait chez des parents. L’achat d’un immeuble de type duplex a pour but d’y habiter avec sa famille immédiate, étant entendu que chacune des familles occupe un logement. Sa mère et sa sœur occupent d’ores et déjà le logement à l’étage.

[16]     Le locateur réitère qu’il désire réellement reprendre les logements # 9010 et # 9010A pour s’y loger avec sa conjointe et ses enfants.

[17]     Il souligne que sa conjointe est actuellement enceinte de jumeaux. Durant la grossesse, elle est allée vivre chez sa mère pour éviter la promiscuité actuelle. La date d’accouchement est prévue pour le mois d’octobre 2022.

[18]     Le locateur soumet que c’est ainsi qu’il a convenu avec sa conjointe et sa mère de faire l’acquisition en copropriété d’un immeuble pour s’y loger chacun avec leurs familles respectives étant donné la hausse vertigineuse des loyers à Montréal.

[19]     Il fait valoir qu’en effet, une première demande de reprise n’a pas été autorisée par le Tribunal puisqu’il était propriétaire d’une part indivise avec sa mère de l’immeuble. Sa mère, madame Mérilien, a fait cession en sa faveur de sa quote-part indivise dans l’immeuble une solution juridique permettant de concrétiser son projet.

[20]     Le locateur rappelle que le logement de 3 ½ pièces situé au sous-sol était auparavant relié au logement de 5 ½ pièces au rez-de-chaussée. Aucune transformation majeure ne sera nécessaire. Un escalier relie déjà les deux logements (#9010 et 9010A). La seule exigence des autorités municipales est de procéder à la démolition de la cuisine et de réaménager l’espace afin de retirer cette unité de logement, laquelle redeviendra une salle de jeux.

[21]     Le locateur produit en preuve le permis émis par les autorités, un plan de l’espace et une soumission de Rosheljo construction Inc. indiquant une somme de 1 264,73 $ pour la démolition du mur au sous-sol reliant la salle de séjour et la cuisine et la finition de la surface démolie.

[22]     Quant à une indemnité raisonnable pour les frais de déménagement de la locataire, le locateur convient qu’il assumera une indemnité équivalente aux frais raisonnables de déménagement.

Opposition de la locataire

[23]     En revanche, la locataire s’oppose à la reprise et soutient qu’il s’agit de prétextes ou des représailles depuis qu’une première demande de reprise ait été refusée par le Tribunal et qu’elle a refusé de quitter.

[24]     Elle plaide que le locateur ne vit pas avec sa conjointe et qu’il n’a pas démontré que cette dernière ait eu une vie commune avec lui.


[25]     La locataire fait valoir que le logement situé au sous-sol (# 9010A) est occupé pour l’exploitation d’un service de garde en milieu familial - pour un nombre de 9 enfants – qu’elle administre et qu’alors, une autorisation de cette reprise de logements aura un impact majeur non seulement sur sa famille, mais également sur tous les parents des enfants qui fréquentent la garderie en milieu familial.

[26]     Elle explique que le certificat de renouvellement pour l’exploitation de cette garderie a été accordé pour la période du 11 mars 2020 au 11 mars 2023 pour un secteur précis soit, le secteur Saint-Michel et Cavendish.

[27]     Elle soutient que si la reprise est accordée, elle sera dans l’obligation de solliciter les autorités concernées pour un changement de secteur et qu’évidemment, les parents se retrouveront du jour au lendemain sans place attitrés pour la garde en milieu familial de leurs enfants.

[28]     De plus, elle fait valoir que la difficulté supplémentaire est de trouver un logement pour sa famille et surtout susceptible de satisfaire les critères légaux permettant une conversion ou une utilisation en service de garde en milieu familial.

[29]     La locataire soutient que la demande de reprise n’est que prétexte et que le locataire n’a pas démontré qu’il entend réellement occuper ce logement avec sa conjointe.

[30]     Dans l’éventualité d’un déménagement, la locataire suggère une prolongation du bail jusqu’au 31 mars 2023 et évalue à 6 mois de loyer soit une somme de 7 650 $ l’indemnité pour les frais de déménagement pour le 5 ½ pièces et le 3 ½ pièces comprenant des équipements de garderie. 

Analyse et décision

[31]     Les demandes du locateur sont fondées sur l'article 1957 du Code civil du Québec, qui prévoit :

« 1957. Le locateur d'un logement, s'il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l'habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.

Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l'union civile. »

[32]     Mentionnons également l'article 1963 du Code civil du Québec lequel précise :

« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.

Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »

[33]     Tel que l'écrivait Me Bisson dans l'affaire Dagostino c. Sabourin, en matière de reprise de logement, deux droits importants se rencontrent et s'opposent : d'une part le droit du propriétaire d'un bien de jouir de ce dernier comme bon lui semble et, d'autre part, le droit du locataire au maintien dans les lieux loués.  C'est pour protéger le droit du locataire que le législateur impose des conditions au locateur.

[34]     En l'espèce, le Tribunal considère que selon la preuve présentée, le locateur respecte les exigences de la loi quant à la reprise des logements (# 9010 5 ½ pièces et # 9010A 3 ½ pièces).

[35]     Le locateur livre un témoignage sincère et honnête. Le projet de reprise des logements s’inscrit dans un projet de vie sincère et collectif auquel participent les membres de la famille du locateur.

[36]     Le Tribunal est satisfait de la preuve présentée par le locateur et est convaincu que ce dernier désire bien reprendre le logement pour s’y loger avec sa famille.

[37]     Ainsi, puisqu'il juge indiqué d'autoriser la reprise des logements concernés, le Tribunal est d'opinion qu'il y a lieu d'examiner les circonstances propres à la locataire, en regard des termes de l'article 1967 du Code civil du Québec.


[38]     Cet article se lit comme suit :

« 1967. Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement. »

[39]     La jurisprudence[1] constante nous enseigne qu’en cas de reprise, le locataire a le droit de se voir indemnisé pour des frais de déménagement qu’il n’a pas choisi et également pour les inconvénients à subir en raison d’un déménagement et la perte du droit au maintien dans les lieux.

[40]     Le Tribunal estime que la locataire doit être indemnisée pour les dépenses et inconvénients à subir, en raison du déménagement et de la perte du droit au maintien dans les lieux de son logement principal et pour un second logement occupé pour l’exploitation d’une garderie en milieu familial dont elle est la responsable.

[41]     Dans ces circonstances, le Tribunal prolonge le bail au 30 septembre 2022.

[42]     Étant donné que le déménagement aura lieu, au plus tard, le 1er octobre 2022 et qu’il s’agit de deux logements, soit l’un de 5 ½ pièces et le second de 3 ½ pièces occupé pour l’exploitation d’un service de garde en milieu familial, l’octroi d’une indemnité totale de l’ordre de 7 650 $ soit, 5 160 $ pour le logement # 9010 et 2 490 $ pour le logement # 9010 A est juste et raisonnable pour compenser la locataire pour les frais d’un déménagement ainsi que les inconvénients à subir et qu’elle n’a pas choisi et surtout, pour la perte du droit au maintien dans les lieux loués ce qui comprend le transfert de divers services publics et du certificat de reconnaissance de la locataire à titre de personne responsable d’un service de garde en milieu familial.

[43]     À titre informatif, soulignons que le locateur est tenu de reprendre les lieux loués pour les fins mentionnées à l'avis de reprise c’est-à-dire pour s’y loger. À défaut, l'article 1968 du Code civil du Québec permet d'accorder à la locataire des dommages-intérêts et même des dommages punitifs si la reprise de logement est obtenue de mauvaise foi.

[44]     De plus, l'article 1970 du Code civil du Québec précise qu'un logement qui fait l'objet d'une reprise ne peut, sans l'autorisation du Tribunal administratif du logement, être reloué ou utilisé pour une autre fin que pour celle pour laquelle le droit a été exercé.

[45]     Les frais des demandes seront assumés par le locateur puisque chacune des parties se voit reconnaître des droits par la présente décision.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Dossier : 608403 31 20220124

[46]     PROLONGE le bail jusqu’au 30 septembre 2022;

[47]     AUTORISE le locateur à reprendre le logement concerné (# 9010) afin de s’y loger à compter du 1er octobre 2022;

[48]     ORDONNE à la locataire de libérer le logement au plus tard le 1er octobre 2022, à la dernière heure;

[49]     ORDONNE l'éviction de la locataire et de tous les occupants à compter du 1er octobre 2022;

[50]     PERMET à la locataire de quitter le logement avant la date de reprise, à sa convenance et sans pénalité, sur préavis écrit de 15 jours au locateur;

[51]     ORDONNE à la locataire d'informer le locateur de la date prévue du déménagement dès qu'elle le saura;


[52]     CONDAMNE le locateur à payer à la locataire une indemnité de 5 160 $ laquelle peut être compensée à même les derniers mois de loyers et CONDAMNE le locateur à payer à la locataire le solde dû une semaine avant la date du déménagement prévue au paragraphe précédent;

[53]     Le locateur assume les frais de la demande.

Dossier : 608407 31 20220124

[54]     PROLONGE le bail jusqu’au 30 septembre 2022;

[55]     AUTORISE le locateur à reprendre le logement concerné (# 9010A) afin de s’y loger à compter du 1er octobre 2022;

[56]     ORDONNE à la locataire de libérer le logement au plus tard le 1er octobre 2022, à la dernière heure;

[57]     ORDONNE l'éviction de la locataire et de tous les occupants à compter du 1er octobre 2022;

[58]     PERMET à la locataire de quitter le logement avant la date de reprise, à sa convenance et sans pénalité, sur préavis écrit de 15 jours au locateur;

[59]     ORDONNE à la locataire d'informer le locateur de la date prévue du déménagement dès qu'elle le saura;

[60]     CONDAMNE le locateur à payer à la locataire une indemnité de 2 490 $ laquelle peut être compensée à même les derniers mois de loyers et CONDAMNE le locateur à payer à la locataire le solde dû une semaine avant la date du déménagement prévue au paragraphe précédent;

[61]     Le locateur assume les frais de la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Grégor Des Rosiers

 

Présence(s) :

le locateur

Me Philippe Jean-Gilles, avocat du locateur

la locataire

Date de l’audience : 

8 mars 2022

 

 

 


 


[1] Boulay c. Tremblay, (1994) J.L. 132; Coutu c. Adib, 2020 QCRDL 8724.

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